Ona raison de se révolter mais il ne suffit pas de se révolter pour avoir raison et passer d'une erreur à l'autre. Comme dit Pascal (IV.2.148) : "l'erreur n'est pas le contraire de la vérité. Elle est l'oubli de la vérité contraire". Notre réalité est bien celle d'un matérialisme spirituel, dialectique. Il faut tenir compte de ses

Liane Lazaar est rĂ©dactrice web rattachĂ©e au pĂŽle TV de Elle connaĂźt autant le parcours de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 que les derniers rebondissements des candidats de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© et a un goĂ»t prononcĂ© pour les histoires de coeur. Les critiques fusent autour de la famille Van Der Auwera, au casting de "Familles nombreuses, la vie en XXL" sur TF1. La tribu de 13 membres ne se laisse toutefois pas faire et a adressĂ© un message bien senti aux haters. C'est LE programme qui fait beaucoup parler ces derniers jours. Du lundi au vendredi, sur TF1, est diffusĂ© Familles nombreuses, la vie en XXL. Il s'agit d'un docu-rĂ©alitĂ© qui se consacre Ă  une poignĂ©es de couples qui ont dĂ©cidĂ© d'avoir toute une ribambelle d'enfants. Alors que l'Ă©mission rencontre un joli succĂšs, les candidats, eux, subissent le retour de bĂąton de certains internautes. En effet, il n'est pas rare que certaines familles se retrouvent Ă  ĂȘtre victimes de commentaires trĂšs dĂ©sagrĂ©ables sur les rĂ©seaux sociaux. Les Pellissard ont par exemple Ă©tĂ© pointĂ©s du doigt pour les nombreuses allocations qu'ils perçoivent et les Santoro ont Ă©tĂ© jugĂ©s pour former une famille "trop parfaite". C'est au tour des Van Der Auwera de s'attirer les foudres des haters. Les parents Cindy et SĂ©bastien ont de quoi marquer les esprits avec leurs 11 enfants et leur foyer peuplĂ© de plus de 60 animaux ! Un mode de vie pour le moins original qui ne plaĂźt pas Ă  tout le monde. Sur Instagram, la joyeuse famille a donc tenu Ă  rĂ©pondre aux critiques de la meilleure des maniĂšres. "Le chiffre 13 est souvent mal jugĂ©. Chez nous il est signe de Bonheur, Bonne humeur, Rire, Joie, Amour, Passion, Partage, ComprĂ©hension, Entraide, SolidaritĂ©, Écoute... Et tout cela multipliĂ© par 13 car oui ici tout se multiplie et ne se divise pas", lit-on sur leur dernier post. Et pour eux d'ajouter "Alors n'en dĂ©plaise Ă  certains, oui... quoi qu'il en soit nous savons ce que nous valons et nous ne changerons pas car c'est NOTRE VIE, c'est NOTRE CHOIX. Les mauvaises langues continuez Ă  parler de choses que vous ne maitrisez et ne connaissez pas car Ă  moins de ne faire partie de notre vie, de notre famille, je ne vois pas comment vous pouvez parler de choses et d'autres... Bref, une chose est sĂ»re nous continuerons Ă  apporter tout ce que nous apportons chez nous mais aussi autour de nous car c'est notre façon d'ĂȘtre. ... Les autres critiqueurs, mĂ©disants, mĂ©chants...PASSEZ VOTRE CHEMIN vous perdez votre temps". À bon entendeur. Familles nombreuses, la vie en XXL du lundi au vendredi Ă  17h15 sur TF1 Abonnez-vous Ă  Purepeople sur facebook LesintĂ©grer dans la dynamique familiale est donc la meilleure façon de les affronter. Il ne faut surtout pas permettre qu’elles agissent comme un facteur extĂ©rieur de dĂ©stabilisation personnelle. Dans une famille, les joies se multiplient et les peines se divisent. Quand la menace est extĂ©rieure Ă  la famille, c’est la famille au Temps de lecture 19 minutes Quand le libĂ©ralisme triomphant nous imposait un individualisme dĂ©bridĂ© avec une conception de l'homme rĂ©duite Ă  ses plus mauvais cĂŽtĂ©s, l'urgence Ă©tait bien d'affirmer notre communautĂ© originaire et de refonder nos solidaritĂ©s sociales mais lorsque les mouvements sociaux se rĂ©veillent et qu'on assiste au retour de l'Etat, l'urgence redevient l'affirmation de la libertĂ© individuelle et de ne pas tomber dans un angĂ©lisme destructeur mais de prĂ©server la dualitĂ©, voire la duplicitĂ© de notre rĂ©alitĂ© humaine. Ce n'est pas parce qu'il y a de l'universel qu'il n'y a pas de particulier. Il y a du collectif mais il y a aussi de l'individuel. Certes, il n'y a pas que des corps, il y a aussi les relations entre les corps mais il y a quand mĂȘme la part du corps. Il n'y a pas de dignitĂ© en dehors de l'appartenance Ă  la communautĂ© humaine mais cette dignitĂ© rĂ©side malgrĂ© tout dans notre libertĂ© et responsabilitĂ© individuelle ; libertĂ© constituant l'essence mĂȘme de l'amour et de ses contradictions, Ă  mille lieues de la libertĂ© idĂ©alisĂ©e du libĂ©ralisme. Tout est matiĂšre, tout est solidaire mais tout ne forme pas une unitĂ© indistincte, il y a diffĂ©rentes dimensions, une pluralitĂ© de systĂšmes et d'organismes, il y a des vivants, il y a de l'information, il y a du langage, il y a de l'esprit dans toute parole, toute rĂ©flexion. Il n'y a pas que l'identitĂ© de tous avec tous, il y a aussi la diffĂ©rence de chacun avec chacun. Il n'y a pas que ce qui nous rassemble, il y a aussi ce qui nous divise voire nous oppose et aprĂšs avoir voulu tout rĂ©unir, il nous faudra sĂ©parer de nouveau. Impossible de s'en sortir sans un minimum de dialectique oĂč l'on peut ĂȘtre solitaire sans ĂȘtre individualiste tout comme on peut ĂȘtre sociable sans jouer collectif, ou mĂȘme parler au nom de tous sans prendre l'avis de personne. Il est d'autant moins facile de rĂ©futer les Ă©lans mystiques et l'identification de l'individu au collectif que l'unitĂ© fusionnelle finit par englober tout l'univers. Il faut dĂšs lors remonter trĂšs haut pour essayer de comprendre comment un se divise en deux, comment la vie s'oppose Ă  l'entropie, l'homme Ă  l'animal, l'individu au collectif auquel il appartient ; sĂ©paration originelle qui constitue le caractĂšre tragique de la vie dont aucune utopie ne nous dĂ©livrera car il fait aussi tout le prix de l'existence. Contre les tendances mystiques et la tentation spinoziste, il s'agit de comprendre ce qui nous oppose Ă  l'univers dont nous faisons partie pourtant et de rĂ©tablir un strict dualisme entre matiĂšre et perception comme entre l'Ăšre de l'Ă©nergie et l'Ăšre de l'information tout comme entre individu et collectif. D'une certaine façon je m'acquitte ici, quoique sous une forme trop abrĂ©gĂ©e, d'une promesse faite Ă  Jacques Robin de donner ma version de l'aventure de l'univers qui se dĂ©marque de la sienne Ă  la fin de sa vie, portĂ©e par des Ă©lans cosmiques auxquels je me refuse, pour ĂȘtre plus fidĂšle peut-ĂȘtre Ă  son intuition centrale, dĂ©fendue toute sa vie durant, d'une rupture radicale entre le monde de l'Ă©nergie et le monde de l'information ainsi que la nĂ©cessitĂ© d'une pluralitĂ© des systĂšmes. On pourrait dire qu'il s'agit de l'impossible existence de l'ensemble de tous les ensembles, d'une totalitĂ© des totalitĂ©s, sans nier pour autant l'existence de systĂšmes et de totalitĂ©s effectives, comme s'il n'y avait que des corps isolĂ©s. Rien de plus facile que de rĂ©futer le dualisme il n'y a qu'un seul monde, qu'il soit fait de matiĂšre ou simple vision de l'esprit, pas de place pour l'espace "et" la pensĂ©e, pas de place pour la bifurcation, la rupture, c'est tout un ou tout autre. A l'opposĂ©, le dualisme est ce qui pense Ă  la fois l'une et l'autre dimension, leur hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© et leurs interactions qu'on perd en les ramenant Ă  l'unitĂ© premiĂšre, nuit obscure oĂč toutes les vaches sont noires. L'Ă©tonnant, c'est qu'il puisse y avoir un lien entre le regard surplombant, oĂč les diffĂ©rences s'annulent ou se confondent, et les effusions collectives oĂč les identitĂ©s se fondent temporairement dans le groupe. Dans les 2 cas, il faudrait arriver pourtant Ă  penser la diffĂ©rence derriĂšre l'unitĂ© de façade, penser Ă  la fois l'individu et le collectif dans leurs complexitĂ©s afin de restituer une anthropologie plus rĂ©aliste dans ses contradictions mĂȘmes et sa sexuation, qui ne soit ni libĂ©ralisme individualiste, ni totalitarisme communautaire mais une Ă©cologie de la diversitĂ© qui nous unit en tant que sĂ©parĂ©s et ne mutile pas notre double nature. Comment un dualisme peut-il ĂȘtre pensable ? Comment deux pourrait-il Ă©merger de l'un ? C'est la vie qui rĂ©pond avec la division cellulaire au moins, si ce n'est avec la sexualitĂ©, mais plus fondamentalement par l'Ă©mergence de la vie elle-mĂȘme et de l'esprit, Ă  partir de l'univers mais contre lui peut-on dire, introduisant cette division, de façon assez ironique, comme nostalgie de l'unitĂ© perdue. On peut certes unir l'univers matĂ©riel et le monde de la vie ou de l'information comme sa propre rĂ©flexion mais dans cette sorte de conscience de soi la rĂ©flexion apporte une rupture radicale entre le sujet et l'objet, entre la conscience et le monde qu'elle interroge, entre la finalitĂ© qui inverse le cours du temps en se tournant vers le futur et la causalitĂ© qui nous vient du passĂ©. La vie n'est pas matiĂšre et ne se rĂ©duit pas Ă  des rĂ©actions chimiques, ce serait rater le fait que vivre est un processus Ă©volutif d'apprentissage et d'adaptation au milieu. De mĂȘme, l'esprit est une page blanche qui regarde de l'extĂ©rieur et ne se rĂ©duit pas au corps. PensĂ©e et matiĂšre ne sont pas les deux faces d'une mĂȘme rĂ©alitĂ©, ce n'est pas la mĂȘme chose exprimĂ©e de deux maniĂšres diffĂ©rentes mais des rĂ©alitĂ©s incommensurables comme la vĂ©ritĂ© et le savoir. L'information montre en se transmettant qu'elle ne tient pas Ă  sa matiĂšre, qui ne se reproduit pas, mais seulement Ă  sa forme, qui se reproduit. Mieux, l'information comme improbabilitĂ© s'oppose Ă  la probabilitĂ© matĂ©rielle, comme la vie se dĂ©finit par son opposition Ă  l'entropie et par sa complexification. Le monde de l'information et de l'esprit n'est pas le monde matĂ©riel ni celui de l'Ă©nergie, et c'est pour cela que le monde de la vie n'est pas celui de la chimie qui lui sert de support. Qu'est-ce que la vie en effet ? C'est la reproduction et l'homĂ©ostasie, la persistance dans l'ĂȘtre et l'Ă©volution par l'information, c'est-Ă -dire la lutte contre la mort et l'entropie grĂące Ă  la mĂ©moire de rĂ©actions adaptĂ©es sĂ©lectionnĂ©es par leur performance dans la compĂ©tition pour les ressources et l'adaptation aux modifications de l'environnement. DĂšs lors, comment dire que nous faisons un avec tout l'univers alors que nous nous opposons de toutes nos facultĂ©s Ă  sa force de dispersion, comment dire que nous faisons parti de la mĂȘme aventure que le fleuve qui nous entraĂźne quand on remonte pĂ©niblement le courant, quand nous construisons pas Ă  pas alors que le temps dĂ©truit tout sur son passage, quand l'improbable et la complexification se rĂ©pandent sur toute la planĂšte alors que tout devrait retourner en poussiĂšre dans l'indiffĂ©rence du probable, l'Ă©galisation des tempĂ©ratures, la surface lisse d'un lac immobile que rien ne viendrait troubler, dans un silence de mort... Non, il n'y a pas unitĂ© de la vie et de la matiĂšre mais sĂ©paration du percipiens et du perceptum, opposition du sujet Ă  l'objet comme du prĂ©dateur Ă  sa proie mĂȘme si on cherche Ă  se fondre dans le dĂ©cor ! Loin d'une contemplation passive de la mĂ©canique cĂ©leste, nous voilĂ  plutĂŽt dressĂ©s contre le ciel qui nous condamne sans merci, nostalgie de l'unitĂ© et de la persistance dans l'ĂȘtre qui est un combat perdu d'avance pourtant. Toute vie a quelque chose de tragique qui la dĂ©passe et s'Ă©lance au-delĂ  d'elle-mĂȘme. Ce n'est pas un long fleuve tranquille, non, mais bien une lutte incessante et c'est plutĂŽt le poing levĂ© que nous pouvons dĂ©fier l'univers tout entier, vie volĂ©e Ă  la mort qui nous ronge, durĂ©e sauvĂ©e du nĂ©ant et que nous aurons fait nĂŽtre pour l'Ă©ternitĂ© malgrĂ© tout ce qui nous renie. Est-ce Ă  dire que nous pourrions faire un avec la nature en tant que nature vivante et monde des finalitĂ©s ? On peut certes voir une certaine unitĂ© entre le prĂ©dateur et sa proie mais elle n'est pas sans une hostilitĂ© originelle ! Bien sĂ»r que nous sommes vivants, pas seulement matiĂšre, et solidaires des autres vivants, dĂ©pendants de toute la biosphĂšre, de ses cycles nutritifs et climatiques, de toutes sortes d'Ă©quilibres, de circuits, de flux de matiĂšres et d'Ă©nergie contrĂŽlĂ©es par des flux d'informations. Nous pouvons Ă©prouver lĂ©gitimement le sentiment d'appartenir Ă  la grande chaĂźne de la vie. Pourtant tout ce qui nous relie Ă  l'ensemble du monde vivant n'empĂȘche pas qu'il y a plus encore qui nous y oppose comme le sujet Ă  l'objet Ă  la fois d'y apporter la dĂ©vastation et d'en devenir responsables. Ce n'est pas parce que nous devons prendre soin du monde qu'il n'y a pas une sĂ©paration radicale entre nature et culture unis en tant que sĂ©parĂ©s. L'Ă©volution de la vie se fait contre la dĂ©gradation physique et l'aventure de la vie ne se confond donc pas avec l'aventure de l'univers pas plus que notre destin ne se confond avec le destin de l'animal ni avec une introuvable harmonie originaire. La vie humaine n'est pas une vie animale, ce n'est mĂȘme pas une vie sociale, c'est une vie culturelle et politique, dĂ©sir de reconnaissance, dĂ©sir jaloux et besoin d'amour plutĂŽt que satisfaction des instincts et tyrannie des plaisirs, sujet du langage et de l'Ă©nonciation, fascination du rĂ©cit et des mythes, monde symbolique qui a autant d'existence que le monde vivant, s'incarnant dans des institutions, des livres et des rĂ©seaux numĂ©riques dĂ©sormais. La raison ou la folie auxquelles le langage donne accĂšs sont de l'ordre du surmoi, du cerveau inhibiteur, de la maĂźtrise des instincts animaux par une rĂ©flexion supĂ©rieure rationalisante et formĂ©e par un long apprentissage oĂč se rĂ©capitule toute l'histoire humaine. L'homme s'arrache Ă  l'animalitĂ©, il s'en distingue explicitement, le revendique, question de dignitĂ©. La vie est dĂ©jĂ  rĂ©gie par l'information et la mĂ©moire mais le langage introduit une nouvelle rupture par une sorte de radicalisation. En amĂ©liorant simplement la transmission de l'information et sa mĂ©moire cumulative, il multiplie les signes et donne vie au monde de l'esprit. Le monde des discours impose son existence bien qu'il soit en dehors du monde de la vie jusqu'Ă  en perturber les Ă©quilibres vitaux. Il est remarquable que cette domination technique sur le monde trouve son origine dans la matĂ©rialisation de la pensĂ©e et du savoir dans un langage. Si le langage nous donne un nom, une place, une identitĂ© et nous relie, il nous divise tout autant entre sujet de l'Ă©noncĂ© et sujet de l'Ă©nonciation. LĂ  encore, un se divise en deux. Sommes nous unis au moins Ă  tous les hommes comme l'humanisme nous l'enseigne ? Tous ? Non, sinon de façon abstraite car la rĂ©alitĂ© est celle des luttes qui nous opposent sans rĂ©pit entre gauche et droite, dominants et dominĂ©s sinon entre homme et femme qui se dĂ©chirent. Le diable continue le travail du nĂ©gatif introduisant la division partout. Il y a une solidaritĂ© rĂ©elle entre nous, qui ne dĂ©pend pas de ce qu'on en pense, mais il y a aussi des divisions profondes entre classes, sexes, religions ou localitĂ©s, divisions qui ne peuvent ĂȘtre refoulĂ©es sans dommage mĂȘme si elles peuvent ĂȘtre dĂ©passĂ©es ponctuellement. Pire, il n'y a pas du tout d'unitĂ© substantive avec le collectif tout au plus identification au leader car, la plupart du temps, c'est l'ennemi ou le concurrent qui fait le collectif de l'extĂ©rieur et non une identitĂ© partagĂ©e, une essence individuelle ni une reconnaissance mutuelle supposĂ©e, ni mĂȘme les liens d'amitiĂ©s qui en dĂ©coulent. Le collectif peut certes se constituer idĂ©alement sur un objectif Ă  atteindre, en faisant Ă©quipe, mais les tensions intĂ©rieures ne peuvent ĂȘtre gommĂ©es que par des tensions extĂ©rieures. S'il est absolument crucial de reconnaĂźtre l'importance du collectif, cela ne doit pas gommer ce que l'individu peut avoir d'irrĂ©ductible au collectif et s'aveugler par l'enthousiasme excessif de tout groupe en fusion. Il faut bien se rassembler pour renverser l'ordre ancien, mais pas pour retrouver une prĂ©tendue unitĂ© originelle indiscutable ni des liens idĂ©aux, et d'autres configurations peuvent justifier d'autres alliances oĂč les amis d'hier deviennent les adversaires de demain. C'est inĂ©vitable dĂšs lors qu'il n'y a pas de nature humaine ni de vĂ©ritĂ© donnĂ©e et qu'on doit se dĂ©cider en l'absence d'informations suffisantes et en fonction de rapports de force politiques. Il faut occuper ce lieu non de l'union de tous mais de la division, de l'expression du nĂ©gatif, des contradictions effectives, de la transformation du monde et de la lutte contre ses injustices qui suffit Ă  nous mobiliser. On a raison de se rĂ©volter mais il ne suffit pas de se rĂ©volter pour avoir raison et passer d'une erreur Ă  l'autre. Comme dit Pascal "l'erreur n'est pas le contraire de la vĂ©ritĂ©. Elle est l'oubli de la vĂ©ritĂ© contraire". Notre rĂ©alitĂ© est bien celle d'un matĂ©rialisme spirituel, dialectique. Il faut tenir compte de ses deux faces, tenir compte de la contradiction entre individu et collectif non pas l'Etat ou le marchĂ© mais l'Etat et le marchĂ©, la dĂ©mocratie et le mouvement social. Le sujet c'est toujours le perturbateur, qui se pose en s'opposant, l'exception Ă  la rĂšgle. Le dĂ©mon de la division donne malgrĂ© tout une partie de la rĂ©ponse sur ce qu'il faut faire, Ă  l'opposĂ© des constructions utopiques forcĂ©ment totalitaires de par leur caractĂšre unilatĂ©ral et uniformisant. Le prĂ©alable, en effet, c'est de reconnaĂźtre la pluralitĂ© des systĂšmes, ce que Jacques Robin appelait une Ă©conomie plurielle et qui a toujours existĂ©, au moins sous forme d'Ă©conomie mixte. Cela veut dire pratiquement qu'il ne faut pas tant viser la fin du capitalisme globalisĂ© que l'empĂȘcher de monopoliser la place et commencer Ă  organiser sa sortie en construisant des alternatives locales, en ouvrant le champ des possible, dans la pluralitĂ© des valeurs, des rĂŽles sociaux et des modes de vie, Ă  l'opposĂ© d'un homme nouveau normalisĂ© et bien plus que ce que peut permettre le libĂ©ralisme. VoilĂ  qui implique une toute autre stratĂ©gie de rĂ©seaux et d'action collective sans avoir besoin de centralitĂ© mais avec des collectifs locaux des coopĂ©ratives et des monnaies locales reliĂ©s par des circuits alternatifs. Bien sĂ»r, il faut mettre une limite au dĂ©mon de la division et Ă  notre dispersion infinie en reconnaissant la nĂ©cessitĂ© d'organisations collectives du fait de l'existence de systĂšmes dont nous dĂ©pendons, de totalitĂ©s effectives, de circuits d'Ă©nergie, de matiĂšre et d'informations qui les contrĂŽlent, de contraintes systĂ©miques enfin, ce qui n'est pas en faire des systĂšmes totalitaires dĂšs lors qu'il y en a plusieurs et qu'ils disposent d'une autonomie relative et de leur fonctionnement propre. L'unification paranoĂŻaque de tous les systĂšmes dans un mĂ©gasystĂšme est une absurditĂ©, une vue de l'esprit, une pure abstraction aussi impossible que l'ensemble de tous les ensembles ou mĂȘme qu'un capitalisme monopolistique sans concurrence ni divisions internes ! Ce n'est pas non plus parce qu'ils sont intĂ©grĂ©s dans le mĂȘme corps qu'on pourrait identifier systĂšme sanguin, systĂšme immunitaire et systĂšme nerveux qui sont bien diffĂ©renciĂ©s. Ce n'est en rien un effet imaginaire de les distinguer alors que les confondre serait nier l'organisation qui les fait converger dans l'action commune. De mĂȘme, les niveaux de rĂ©alitĂ© sont bien rĂ©els, tout comme les effets de surface. La peau sĂ©pare rĂ©ellement comme toute membrane. Il n'y a pas un seul bloc unifiĂ© et indiffĂ©renciĂ©, mais diffĂ©rentes totalitĂ©s d'individus et d'organisations avec des degrĂ©s variables d'autonomie et des ruptures de causalitĂ©. Dans ce monde divisĂ©, pouvons-nous encore nous imaginer participer Ă  l'aventure humaine, nous rĂ©clamer de l'histoire collective et d'un avenir commun ? D'une certaine façon, si l'on peut dire, mais seulement en se rĂ©fĂ©rant Ă  une "tradition rĂ©volutionnaire" contradictoire dans les termes car il ne s'agit pas tant d'aller dans le sens de l'histoire, pour cela nul besoin de nous, que de rĂ©sister Ă  chaque fois aux dĂ©rives de notre temps et refuser l'inacceptable, corriger ses erreurs, donner sens au non-sens du monde, tĂ©moigner de notre inadĂ©quation Ă  l'universel et de la dysharmonie de l'existence, de l'Ă©chec de la communication, de l'absence de dialogue. La vraie vie est absente en dehors des mirages de l'amour qui se termine mal, en gĂ©nĂ©ral. Il n'y a pas de fin de l'aliĂ©nation ni de fin de l'histoire, seulement des problĂšmes Ă  rĂ©gler, des torts Ă  redresser, des Ă©quilibres Ă  rĂ©tablir, des opportunitĂ©s Ă  saisir, des catastrophes Ă  Ă©viter. Ce parti du nĂ©gatif qui est celui de l'Ă©cologie et de la raison est bien plus constructif que le parti du positif et de l'utopie ne reculant devant aucune destruction pour forcer la rĂ©alitĂ© Ă  se conformer Ă  ses rĂȘves cauchemardesques. Bien sĂ»r, on a besoin de finalitĂ©s collectives, d'espĂ©rance et de l'expression de notre solidaritĂ©, mais il ne faut jamais en faire trop, la dĂ©ception n'en serait que plus grande. Il vaut mieux revenir Ă  nos divisions bien rĂ©elles, au quotidien et au local, Ă  la rĂ©appropriation de leurs pratiques par les acteurs eux-mĂȘmes, partir de ce qui ne marche pas. Il y a dĂ©jĂ  fort Ă  faire Ă  crĂ©er des possibilitĂ©s nouvelles, donner des alternatives lĂ  oĂč il n'y en avait pas, sans devoir promettre une humanitĂ© mĂ©tamorphosĂ©e ni une sociĂ©tĂ© idĂ©ale oĂč tous les coeurs s'uniraient alors qu'il faudrait admettre nos dissensus, irrĂ©ductibles, et nos propres limites, irrĂ©parables. Tout n'est pas nĂ©gociable, il y a de l'incompatible, des diffĂ©rences radicales, on ne peut s'allier avec n'importe qui, dans n'importe quelles circonstances. C'est avec tous ces gens diffĂ©rents qu'il faut bien faire sociĂ©tĂ© pourtant mais il n'y a pas que l'Un, il y a l'Autre aussi. Un parti se prouve comme le parti vainqueur seulement parce qu'il se scinde Ă  son tour en deux partis. En effet, il montre par lĂ  qu'il possĂšde en lui-mĂȘme le principe qu'il combattait auparavant et a supprimĂ© l'unilatĂ©ralitĂ© avec laquelle il entrait d'abord en scĂšne. L'intĂ©rĂȘt qui se morcelait en premier lieu entre lui et l'autre s'adresse maintenant entiĂšrement Ă  lui, et oublie l'autre, puisque cet intĂ©rĂȘt trouve en lui seul l'opposition qui l'absorbait. Cependant en mĂȘme temps l'opposition a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans l'Ă©lĂ©ment supĂ©rieur victorieux et s'y reprĂ©sente sous une forme clarifiĂ©e. De cette façon, le schisme naissant dans un parti qui semble une infortune manifeste plutĂŽt sa fortune. Hegel, PhĂ©nomĂ©nologie de l'Esprit.
Ilpeut momentanĂ©ment rĂ©gresser dans ses apprentissages (pipi au lit, besoin d’aide pour se laver ou s’habiller, rĂ©gression du langage). Pour l’aider Ă  trouver sa place, n’hĂ©sitez pas Ă  le rassurer, en lui expliquant par exemple que l’amour ne se divise pas mais se multiplie avec le nombre d’enfants. PrĂ©server ses repĂšres
ï»żUne citation de Ray Flex. L'Amour ne se divise pas, il se multiplie RĂ©flexion personnelle - Ray Flex Citation proposĂ©e le dimanche 07 mars 2021 Ă  152400Citations similaires Être n'est pas avoir RĂ©flexion personnelle - Ray FlexLe Pardon nous rend Indestructible !! RĂ©flexion personnelle - Ray Flex Votre commentaire sur la citation de Ray Flex Ray Flex - Ses citations L'Amour ne se divise pas, il se multiplie ... - Ray Flex Citation d'internaute - Contribution personnelle.
\n l amour ne se divise pas il se multiplie
Afficheoriginale et design L’amour d’une maman ne se divise pas il se multiplie 4 ? ETHICS ETH-BIB 00100002425871 ' f/022. m m * fl A J > 3 ! k I \ >‱ l COURS DE PHILOSOPHIE SUR LE FONDEMENT DES IDÉES ABSOLUES DU VRAI, DU BEAU ET DU BIEN. i J AYIS. Tout exemplaire de cet ouvrage non revĂȘtu de ma griffe sera rĂ©putĂ© contrefait. . UcuAĂ©ZZ TARIS. — IMPRIMERIE ET FONDERIE DE FÀIN, Rue Racine, n° 4 * pl* ce de l’OdĂ©on. COURS DK PHILOSOPHIE PROFESSE A LA FACULTÉ DES LETTRES PENDANT l’aNNEE 1818 * PAFa M. V. COUSIN, SUR LE FONDEMENT DES IDEES ABSOLUES DU VRAI, DU BEAU ET DU BIEN; PUBLIÉ AVEC SON AUTORISATION et d’aprĂšs LES MEILLEURES RÉDACTIONS DE CE COURS.. PAR Ta. ADOLPHE GARNIER, MAITRE DE CONFERENCES A NORMALE- PARIS. librairie classique et Ă©lĂ©mentaire de l. hachette* ANCIEN DE L’ÉCOLE NORMALE, RUE N° I 1836 . 2 .KZTV ' r I . afe* - 1 ‱- ‱ .‱£ ĂŻ ;‱ ‹» ta ‹» -. r. .Hjfi**» ' ' -W ? PRÉFACE de l’éditeur. En 1826, M. Cousin, forcĂ© au silence par un pou voirsoupçonneux, publiapour la premiĂšre fois des fragmens de son enseignement de 1 8 1 5 Ă  1818 , el principalement de cette derniĂšre annĂ©e. Le public accueillit avec empressement ces restes d’une parole qui avait retenti avec tant d’éclat. Les hautes intelligences philosophiques comprirent bien le sens de ces pages si remplies et si concentrĂ©es; elles saisirent le lien qui les rattachait les unes aux autres, comme les feuillets d’un mĂȘme livre. Mais il n’en fut pas ainsi de tous les h^teurs, et principalement des jeunes vj . PRÉFACE DE LEDITEEK. * adeptes de la philosophie. La prĂ©sente publication est destinĂ©e Ă  leur fournir le guide qui leur manquait, et Ă  leur donner cette prodigalitĂ© d’explications et cette surabondance de lumiĂšre, dont la jeunesse a tant besoin. Le cours professĂ© Ă  la facultĂ© des lettres en 1818, par M. Cousin, rĂ©sumait son enseignement antĂ©rieur, et posait de la maniĂšre la plus large et la plus nette la thĂ©orie dogmatique du professeur. M. Cousin en donna le programme dans les Fragmens philosophiques ; mais ce programme ne pouvait ĂȘtre parfaitement intelligible que pour ceux qui en avaient entendu le dĂ©veloppement de la bouche mĂȘme du maĂźtre. Le cours de 1818 avait Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par les Ă©lĂšves de l’école normale qui faisaient partie de l’auditoire de la facultĂ©. Ces rĂ©dactions avaient Ă©tĂ© remises au professeur, et elles dormaient dans ses cartons. Ce sont ces rĂ©dactions que j’ai demandĂ©es Ă  M. Cousin quelque dĂ©liance qu’il eĂ»t de ces papiers dĂ©laissĂ©s et condamnĂ©s par lui Ă  l’oubli, il a bien voulu me les remettre et aban- PREFACE DE L EDITEUR. V1J donner Ă  ma discrĂ©tion le soin de les revoir et de les publier. AppuyĂ© sur les travaux d’élĂšves intelli- gens, et sur mes propres souvenirs, j’espĂšre n’avoir pas dĂ©naturĂ© le fond de la pensĂ©e du professeur de 1818 ; mais il n’en est pas de mĂȘme de la forme, et le public s’attend bien Ă  ne pas la retrouver ici. Parmi les rĂ©dactions qui m’ont Ă©tĂ© remises, il nen est qu’un petit nombre qui aient Ă©tĂ© prises Ă  l’aide d’un procĂ©dĂ© stĂ©no- graphique, et encore le stĂ©nographe laisse- t-il beaucoupde lacunes, et nous prĂ©vient-il qu’entraĂźnĂ© comme l’auditoire par le charme de l’improvisation du professeur, il a quelquefois nĂ©gligĂ© d’écrire pour Ă©couter. Quant aux autres rĂ©dactions, faites sur des notes prises avec rapiditĂ©, mais avec trop de lenteur encore pour suivre la parole, elles n’ont pu reproduire la justesse de l’expression, la puretĂ© et la grandeur des images, l’harmonie de la pĂ©riode, et, ce qui manque a toute rĂ©daction, l’accent de la voix, le feu du regard, la majestĂ© du geste, en un mot, 1 action oratoire, ce vĂ©hicule de la pensĂ©e, PhÉFACJS m l’ëditelk. viij si puissant surtout chez un orateur comme M. Cousin, cet accompagnement indispensable de la parole qui saisit l’auditeur par tous les sens, et lui fait pour ainsi dire en trer par tous les pores l’intelligence de l’enseignement. Mais si mutilĂ©es que soient ces esquisses, elles sont pourtant ce qu’il nous reste de plus complet sur l’enseignement domagticue de M. Cousin, et c’est pourquoi nous les donnons au public. Le cours de 181 8 a essayĂ© de rĂ©soudre la question la plus importante et en mĂȘme temps la plus difficile de toute la philosophie, celle qui, mĂȘme pour quelques- uns, est la seule question philosophique, ou la philosophie tome entiĂšre Y a-t-il des idĂ©es qui ne soient ni la connaissance des corps, m la connaissance de nous-mĂȘmes ; et quel est le fondement de ces idĂ©es ? L’homme ne peut douter de sa pensĂ©e il se contredirait par son doute mĂȘme ; puisqu’il ne peut poser un doute sans poser par cela mĂȘme une pensĂ©e. Au delĂ  de cette pensĂ©e, existe-t-il quelque chose, et les choses sont-elles en elles-mĂȘmes ce qu’elles PREFACE DE L EDITEUR. IX wons paraissent ? J’ai la pensĂ©e des corps ; niais elle me vient dans le rĂȘve comme dans l’état de veille les, corps sont-ils plus rĂ©els dans ce second Ă©tat que dans le premier ? S’il y a des corps, sont-ils comme ils m’apparaissent ? Je touche une Ă©tendue continue y a-t-il dans la nature une vĂ©ritable continuitĂ©? Toutes ces questions sont Ă©pineuses et pfeut-ĂȘtre insolubles; mais par bonheur il arrive que l’esprit humain se satisfait assez facilement sur l’existence de la nature physique, et tranche la question ou ne songe pas Ă  la poser. J’ai aussi ĂŒdĂ©e de moi-mĂȘme, c’est-Ă -dire de quelque chose d’invisible et d’intangible qui est toujours le mĂȘme, et qui me suggĂšre dans le langage le mot Je. Je m’apparais tantĂŽt comme une intelligence , tantĂŽt comme une sensibilitĂ©, surtout comme une volontĂ©; mais qu’y a-t-il au fond de tout cela? comment ces trois facultĂ©s ne dĂ©truisent- elles pas l’unitĂ© du moi ; quel est le lien de cette trinitĂ© non moins mystĂ©rieuse qu’une trinitĂ© plus haute et plus sainte? Ces problĂšmes ne sont pas moins redoutables que X PRÉFACE DE t,'ÉDITEUR. les premiers, et pourtant l’esprit humain se contente encore assez facilement sur ce sujet. Aussi vrai que f existe, clit le peuple; aussi vrai que le soleilnĂź Ă©claire, ajoute- t-il. Il a donc la certitude de son existence et celle de l’existence des corps, et ce qu’il demande, c’est qu’on lui ramĂšne toute chose Ă  une Ă©vidence aussi immĂ©diate , et aussi pleinement satisfaisante pour lui que celle de l’existence des corps et de l’existence du mot. Et cependant, aprĂšs l’idĂ©e des corps, aprĂšs l’idĂ©e de moi-mĂšme, tout n’est pas fini dans l’intelligence humaine. Nous avons la pensĂ©e de choses qui ne se touchent ni ne se voient, et que nous ne pouvons confondre avec nous-mĂȘmes. ,Fai l’idĂ©e d’un espace sans limite, d’un temps Ă©ternel, d’une justice et d’un devoir universels, d’un type de beautĂ© que les arts eux-mĂȘmes ne rĂ©alisent jamais, d’une cause qui n’a ni commencement ni fin qu’est-ce en dehors de ma pensĂ©e que l’espace, le temps, la justice, l’idĂ©al et Dieu ? Le public nous demande que nous lui rendions tout cela aussi clair que les corps et que son PRÉFACE DE L EDITEUR. XJ existence, car, Ă  tort ou Ă  raison, il ne conteste pas sur ces deux points. Beaucoup de philosophes ont voulu satisfaire le public et aussi se satisfaire eux-mĂȘmes. Ils se sont dit puisque chacun reconnaĂźt l’existence de soi-mĂȘme et l’existence des corps, et qu’on n’élĂšve sur ces deux points aucune difficultĂ©, n’y a qu’un moyen de donner une explication satisfaisante de tout le reste c’est de le ramener soit Ă  la matiĂšre, soit Ă  nous-mĂȘmes. Les uns ont donc fait ce discours au public Vous trouvez claire l’existence des corps, et je suis de votre avis. Eh bien, il n’existe rien que des corps; toute idĂ©e a un objet sensible, toute pensĂ©e vient de la matiĂšre; le temps, l’espace, la justice, l’idĂ©al, Dieu, tout cela c’est de la matiĂšre plus ou moins gĂ©nĂ©ralisĂ©e » ; et, entraĂźnĂ©s par leur systĂšme, ils ont ajoutĂ© l’esprit lui-mĂȘme n’est que matiĂšre ; le moi c’est l’expression de l’unitĂ© du corps. » Les autres ont pris la parole Ă  leur tour et ont dit Vous ĂȘtes sĂ»rs de v °tre existence, et nous sommes sĂ»rs aus si de la nĂŽtre ; il ne s’agit donc pour PREFACE DE LEDITELR. X1J nous contenter suffisamment que de tout ramener Ă  nous-mĂȘmes, de tout considĂ©rer comme des faces du moi humain. Ainsi vous parlez d’espace et de temps; mais ce n’est lĂ  qu’une pensĂ©e, vous les crĂ©ez en y pensant. Les idĂ©es de justice, de beautĂ© et de cause sont claires comme pures idĂ©es, et deviennent obscures dĂšs qu’on en veut faire des existences extĂ©rieures ; » puis, cĂ©dant comme les premiers Ă  l’entraĂźnement de leur doctrine, ils ont ajoutĂ© L’idĂ©e des corps n’est aussi qu’une idĂ©e, car, Ă  vrai dire, qu’est-ce que peut ĂȘtre un corps en lui-mĂȘme 7 11 n’existe donc rien au monde que la pensĂ©e. » C’est ainsi que la philosophie, sĂ©duite par l’évidence de l’existence du moi et de celle de la nature, n’a voulu rien reconnaĂźtre en dehors de ces deux sphĂšres, et mĂȘme, suivant son goĂ»t dumoment, a brisĂ© le moi contre la nature ou la nature contre le moi. U faut en convenir, nous nous reposons avec une sĂ©curitĂ© profonde sur l’existence des corps et sur celle de notre pensĂ©e, et quand nous venons Ă  nous interro- PREFACE DE F EDITE Ci!. XJ1J ger sur la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure du temps, de l’espace, de l’idĂ©al, de la justice, de la substance, de la cause, il semble qu’un point d’appui nous manque ; nous nous sentons comme suspendus dans le vide ou sur l’abĂźme. Notre imagination s’évertue pour se reprĂ©senter ces choses, et nous savons pourtant bien que nous ne devons pas chercher Ă  nous les reprĂ©senter, quelles ne sont pas susceptibles de reprĂ©sentation, qu’en- fin les reprĂ©senter c’est les dĂ©truire. Mais, engagĂ©s que nous sommes dans les voies sensibles, nous arrivons en prĂ©sence de ces objets, comme Bacon reprochait aux alchimistes d’aborder les rĂ©cherches mĂ©taphysiques, les yeux obscurcis par la fumĂ©e et les mains noircies par la suie des fourneaux. Ou bien, si nous nous sommes faits mĂ©taphysiciens, si nous avons dressĂ© notre pensĂ©e Ă  se replier sur elle-mĂȘme, elle se prend pour la seule rĂ©alitĂ© possible elle nie orgueilleusement tout ce qui n’est pas elle-mĂȘme; Ă©blouie de sa propre clartĂ©, elle tient en vain ses yeux ouverts sur le reste du monde. Dans le cours que nous publions, M. Cou- xiv PRÉFACE DE I,'ÉDITEUR. sin s'occupe d’abord de reconstituer le moi devant la nature, et la nature devant le moi, et de réédifier ainsi deux Ă©lĂ©mens que les Ă©coles du dix-huitiĂšme siĂšcle avaient absorbĂ©s l’un dans l’autre. Mais de courts prĂ©liminaires lui suffisent pour achever cette tĂąche, et il se consacre ensuite tout entier Ă  la construction de ce monde distinct du moi et de la nature plus difficile Ă  Ă©lever que les deux autres, qui a Ă©tĂ© niĂ© Ă  la fois et par ceux qui Ă©pargnaient la nature et par ceux qui respectaient le moi. Le professeur commence par constater les idĂ©es qui ne tirent point leur origine du monde physique ni du moi humain, ou, en d’autres termes, qui ne sont produites ni par la sensation ni par la rĂ©flexion ; il les distingue par les deux caractĂšres d’universalitĂ© et d’immuabilitĂ© qui leur sont propres; il oppose le premier Ă  l’individualitĂ© du moi , et le second Ă  la perpĂ©tuelle variation de la nature; il dorme Ă  ces idĂ©es le nom d’idĂ©es absolues , parce qu’elles sont indĂ©pendantes de la nature et du moi ; il prend la liste qui en a Ă©tĂ© dressĂ©e par l’illustre Kant, et PRÉFACE DE LÉDÏTEÜR. XV il la rĂ©duit Ă  deux idĂ©es fondamentales i" celle de cause, qui embrasse les idĂ©es de phĂ©nomĂšne, accident, qualitĂ©, multiple, particulier, individuel, relatif, possible, probable, contingent , divers et fini; 2 U celle de substance, qui comprend l’ĂȘtre, limitĂ©,-l’absolu, l’éternel, l’universel, le semblable et l’infini. Et, en effet, qu’y a-t-il dans la nature au delĂ  du phĂ©nomĂšne qui change, qui passe, qui agit sur un autre phĂ©nomĂšne , et qui" constitue ainsi l’action et la rĂ©action des causes; et au delĂ  de la substance , de l’ĂȘtre immuable, inaltĂ©rable, qui est le soutien du phĂ©nomĂšne, et qui n’en partage pas les fluctuations ? L’univers peut se dĂ©finir quelque chose qui change et quelque chose qui ne change pas ; mais ce quelque chose qui ne change pas Ă©chappe Ă  nos moyens d’observation ; notre raison elle-mĂȘme nous en fait bien concevoir l’existence, mais non pas la nature. L’ĂȘtre infini, dit M. Cousin, ne se manifeste Ă  notre esprit que par les idĂ©es du vrai, du beau et du bien, qui sont lr nruuables comme lui, mais plus facile- BIBLIOTHEK der E. T. H. ZURICH A VJ PRÉFACE DE L ÉDITEUR. ment abordables Ă  notre humaine raison. Gette thĂ©orie pouvant ĂȘtre soupçonnĂ©e de mysticisme, le professeur confronte sa doctrine avec les diverses thĂ©ories mystiques qui apparaissent dans l’histoire de la philosophie il montre que le mysticisme consiste, soit Ă  diviniser le phĂ©nomĂšne ou la cause matĂ©rielle, soit Ă  vouloir contempler la substance ou l’ĂȘtre infini face Ă  face, et il lui est facile de prouver que sa philosophie, qui dĂ©pouille les causes extĂ©rieures de toute personnalitĂ©, et qui ne prĂ©tend pas faire sortir l’Eternel des formes qui l’enveloppent, ne peut ĂȘtre accusĂ©e de mysticisme. VoilĂ  donc les idĂ©es absolues rĂ©duites Ă  l’idĂ©e de cause ou de phĂ©nomĂšne d’une part, et de l’autre Ă  l’idĂ©e de substance sous la triple forme du vrai, du beau et du bien. L’auteur distingue le vrai absolu d’avec l’ĂȘtre absolu la vĂ©ritĂ© absolue se compose des axiomes qui prĂ©sident Ă  toutes les sciences, axiomes accessibles Ă  notre raison, mais auxquels nous avons besoin de concevoir une base ou un point d’appui, PRÉPACK Ă»t' LEUlS'El. .K ‱‱ XVij et l’auteur place ce point d’appui en Dieu lui-mĂȘme, que la religion nous reprĂ©sente d’ailleurs comme source de toute vĂ©ritĂ©. 11 s’attache Ă  constater et Ă  dĂ©montrer l’existence de la vĂ©ritĂ© absolue. La nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes d’admettre cette vĂ©ritĂ© est ce qui l’a perdue aux yeux de certains philosophes, lorsque c’est plutĂŽt ce qui devait la sauver. Ils ont cru que cette nĂ©cessitĂ© marquait la vĂ©ritĂ© d'un caractĂšre subjectif et la mĂ©tamorphosait en une sorte de production du moi humain. M. Cousin leur fait cette concession, qui est immense; mais il remarque que la croyance nĂ©cessaire est une croyance rĂ©flĂ©chie en effet, l’esprit ne s’aperçoit de la contrainte que lui impose la vĂ©ritĂ© que quand il rĂ©flĂ©chit sur lui-mĂȘme, et fait en quelque sorte effort pour s’affranchir des liens de cette vĂ©ritĂ©. Or, tout Ă©tat rĂ©flĂ©chi suppose un Ă©tat antĂ©rieur irrĂ©flĂ©chi, oĂč le moi n’est pas revenu sur lui - mĂȘme, ne s’est pas aperçu lui-mĂȘme en apercevant la vĂ©ritĂ©, et a obtenu ainsi ce que M. Cousin appelle aperception pure , libre de toute em- PRÉFACE DE LÉDITEUR. xviij preinte de subjectivitĂ©. La vĂ©ritĂ© s’impose Ă  la raison, et ce n’est pas la raison qui fait la vĂ©ritĂ©. Les principes absolus ont Ă©tĂ© attaquĂ©s encore par une autre voie on les a dĂ©composĂ©s en plusieurs idĂ©es simples, dont on a prĂ©tendu ramener l’origine Ă  la sensation ou Ă  la rĂ©flexion. Le professeur suit ces nouveaux adversaires sur le terrain oĂč ils se placent, et s’enfonce avec eux et plus loin qu’eux dans l’analyse des principes attaquĂ©s; il veut bien accorder que le principe de causalitĂ© est prĂ©cĂ©dĂ© dans l’esprit humain de l’idĂ©e de cause; mais il soutient qu’il y a une grande diffĂ©rence entre la notion de cause individuelle, volontaire, libre, mais contingente et finie, telle que par la conscience nous -saisissons la cause en nous, et le principe de causalitĂ© qui nous met en possession de la cause extĂ©rieure, nĂ©cessaire et infinie. Quant au principe de substance, il nie qu’aucune des idĂ©es qui entrent dans ce principe lui soit d’un seul moment antĂ©rieure l’idĂ©e de substance et l’idĂ©e de phĂ©nomĂšne spnt corrĂ©latives l’une ne germe pas sans l’autre, PRÉFACE DE L ÉDITEUR. xix car, sĂ©parĂ©es , elles seraient incomprĂ©hensibles. Ce principe se prĂ©sente donc Ă  l’esprit tout formĂ©, armĂ© de toutes piĂšces, comme la Minerve sortie du front de Jupiter; et en consĂ©quence il est impossible de le rĂ©soudre en aucune idĂ©e prĂ©alable de rĂ©flexion ou de sensation. La fausse doctrine sur l’origine des principes est ramenĂ©e par M. Cousin Ă  la thĂ©orie inexacte qui regarde le jugement comme le rĂ©sultat postĂ©rieur du concours de deux idĂ©es acquises d’abord une Ă  une. Le professeur montre que les idĂ©es nous viennent simultanĂ©ment et en corrĂ©lation les unes avec les autres , et qu’ainsi le jugement se trouve au dĂ©but des opĂ©rations intellectuelles. AprĂšs avoir considĂ©rĂ© la vĂ©ritĂ© absolue en elle-mĂȘme, M. Cousin la considĂšre dans les ouvrages de la na ture et de l’homme, c’est-Ă -dire sous la forme du beau. Il s’applique Ă  prouver que l’idĂ©e du beau est une idĂ©e absolue, originale, spĂ©ciale, et non pas une idĂ©e collective, gĂ©nĂ©rale, comparative. Il est conduit ainsi Ă  distinguer le e&u idĂ©al du beau naturel, et Ă  indiquer \x PHÉFACE DE 1,’ÉDI'l'ELK. comment l’esprit dĂ©gage le premier des enveloppes du second; il dĂ©montre que le jugement relatif Ă  la beautĂ© se place entre la sensation qui le prĂ©cĂšde et le sentiment qui le suit. Quand il a rattachĂ© le sentiment du beau au jugement de la beautĂ©, il oppose ce sentiment Ă  tous les autres phĂ©nomĂšnes sensibles avec lesquels on a voulu le confondre, il le suit et le fait reconnaĂźtre dans le phĂ©nomĂšne complexe de l’imagination , qui se compose aussi de l’intuition des sens et de la raison. Il remarque que l’objet qui laisse en harmonie l’intuition sensible et la raison gardele nom de beau proprement dit, et que celui qui trouble l’accord de ces deux facultĂ©s en se laissant embrasser par l’une et en Ă©chappant Ă  l’autre, prend Je nom de sublime. Il trace les limites entre le goĂ»t et le gĂ©nie, ces deux faces diverses de l’imagination ; il s’attache enfin Ă  faire reconnaĂźtre que les diffĂ©rons genres de beautĂ© manifestĂ©s, soit dans les objets physiques , soit dans les sentimens et les actions, soit dans les idĂ©es, doivent s’identifier en un seul et mĂȘme type de beautĂ© morale ou PRÉFACE DE LÉDIĂŻEl iĂŻ. XXj intellectuelle ; que l’expression plus ou moins fidĂšle de cette beautĂ© extĂ©rieure dĂ©cide de la classification des arts, et assure le premier rang Ă  la poĂ©sie, et que ce type idĂ©al, indĂ©pendant de la nature et de l’esprit , s’appuie comme la vĂ©ritĂ© absolue sur l’ĂȘtre infini cachĂ© au fond de toute chose. Le professeur arrive alors Ă  la vĂ©ritĂ© absolue considĂ©rĂ©e dans les actions, ou Ă  l’idĂ©e du Bien moral; il enseigne que s’il n’y a aucune science sans principes absolus, il n’y a pas de science morale sans vĂ©ritĂ© absolue en morale. La discussion de l’idĂ©e du bien n’est pas, dit-il, une spĂ©culation sans rĂ©sultat, une mĂ©ditation purement contemplative. La solution qu’on lui donne influe siir la conduite de la vie privĂ©e et sur le gouvernement des Ă©tats. Si l’on conteste l’exis- tence'd’une vĂ©ritĂ© morale absolue, le principe de nos actions ne peut ĂȘtre fourni que par la sensibilitĂ©. L egoĂŻsme conduit le monde, et d le fait arriver Ă  l’état de guerre ou Ă  la tyrannie. Le seul contre-poids contre l’arhi- tr aire et le despotisme, c’est la j ustice kn- ^ Ă©ternelle, c’est-Ă -dire l’idĂ©e ab- b Xxij PRÉFACE DE L ÉDITEUR. solue du bien. La vĂ©ritĂ© absolue, considĂ©rĂ©e en' elle-mĂȘme, oblige notre raison; considĂ©rĂ©e dans les actions, elle oblige notre libertĂ©, c’est-Ă -dire quelle demande Ă  ĂȘtre rĂ©alisĂ©e pratiquement ; c’est lĂ  ce qu’on appelle l’obligation morale. Ainsi l’idĂ©e du devoir dĂ©rive de l’idĂ©e du bien, et non l’idĂ©e du bien de l’idĂ©e du devoir. La vĂ©ritĂ© morale s’imposant Ă  la libertĂ©, il en rĂ©sulte pour celle-ci deux obligations i° n’obĂ©ir qu a la vĂ©ritĂ© absolue ou Ă  la raison qui la rĂ©vĂšle ; 2 0 obĂ©ir Ă  toutes les prescriptions de la raison. De lĂ  toute la sĂ©rie dĂ©s devoirs de l’homme et tous les genres de droits, depuis le droit privĂ© jusqu’au droit politique. La vĂ©ritĂ© morale demandant Ă  ĂȘtre rĂ©alisĂ©e par l’action, la sociĂ©tĂ© humaine est donc prĂ©destinĂ©e, nĂ©cessaire, inĂ©vitable; elle ‱ est donnĂ©e Ă  priori. La sociĂ©tĂ© n’est pas faite pour le gouvernement, c’est le gouvernement qui est fait pour la sociĂ©tĂ©. La mission de celui-ci est de maintenir l’accomplissement de la vĂ©ritĂ© morale. Une des faces de cette vĂ©ritĂ© nous prĂ©sente le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©ritĂ©, c’est-Ă -dire PRÉFACE DE l’ÉDITEUR. XXÜj une liaison nĂ©cessaire entre la vertu et le bonheur, entre le crime et le malheur le rĂŽle du gouvernement est encore de rĂ©aliser ce principe dans la mesure des forces et des lumiĂšres humaines. La vĂ©ritĂ© morale absolue ne peut ĂȘtre attribuĂ©e Ă  notre Ă©ducation , car la question serait reculĂ©e et non rĂ©solue -, elle n’est pas non plus la volontĂ© divine, Ă  moins qu’on ne fasse Ă©quation ici entre volontĂ© et justice, et alors l’idĂ©e de justice redevient primordiale et n’est plus dĂ©rivĂ©e ; elle n’est pas davantage l’idĂ©e des peines et des rĂ©compenses Ă  venir, car ce n’est pas le chĂątiment et la rĂ©munĂ©ration qui dĂ©cident du bien et du mal, c’est le bien et le mal qui font rĂ©compenser ou punir. Enfin la loi morale absolue se distingue, non- sĂ©ulement de la sensibilitĂ©, physique, mais encore des jouissances les plus intimes et les plus dĂ©licieuses de la sensibilitĂ© morale. Dans la plupart des cas, d’ailleurs, cette derniĂšre prĂ©suppose l’idĂ©e du bien et du mal. Si' la loi ne vient pas de la sensibilitĂ©, elle ne ^ient pas davantage de la libertĂ© le moi peut se faire la loi Ă  lui-mĂȘme. Il faut XXIV P11ÉFÀCË DE INÉDITEl. K. donc joindre Ă  la sensibilitĂ© et 4 la libertĂ© une troisiĂšme facultĂ©, la raison, qui met rhomme en communication avec la vĂ©ritĂ© absolue, et qui, comme nous lavons dĂ©jĂ  dit, n esubjective pas la vĂ©ritĂ©, parce quelle se divise en deux points de vue l’apercep- tion pure et la conception nĂ©cessaire. L’obligation morale Ă©tant le caractĂšre absolu de la vĂ©ritĂ© morale prĂ©suppose la libertĂ©, qui est donnĂ©e ainsi Ă priori , comme la sociĂ©tĂ©, mais qui ne nous est pas moins attestĂ©e Ă  posteriori par la conscience. La vĂ©ritĂ© morale absolue est trouvĂ©e elle a le mĂȘme fondement que la vĂ©ritĂ© en gĂ©nĂ©ral, et que l’idĂ©al; elle est une manifestation de letre parfait et inlini la science morale est donc possible. Tels sont les dĂ©veloppemens auxquels M. Cousin s’est livrĂ© dans le Cours dont nous offrons aujourd’hui une esquisse. Cette thĂ©orie est curieuse Ă  Ă©tudier, mĂȘme pour ceux qui ire seraient pas disposĂ©s Ă  la recevoir ; les uns en admireront la profondeur, les autres au moins la hardiesse. Dans ce vaste' Ă©difice tout se tient et se lie avec harmonie la connaissance du moi humain est sauvĂ©e PRÉFACE DE L'ÉDITEUR. XXV des attaques de l’école sensualiste ; la connaissance des corps est dĂ©livrĂ©e des entraves que lui opposent les Ă©coles idĂ©alistes. Au- dessus de ces deux mondes contingens et variables du moi et de la nature physique, est replacĂ© le monde des idĂ©es absolues. L’esprit humain retrouve dans cette doctrine ces axiomes immuables qui forment les principes de toutes les sciences, sans lesquels rien ne vaudrait la peine d’ĂȘtre Ă©tudiĂ©; il reconnaĂźt cet idĂ©al qui est en mĂȘme temps la vie et l’explication des beaux-arts; enfin, il ressaisit ce bien moral absolu qui est la seule digue contre le rĂšgne de la violence, et qui place la paix sur cette terre et l’espĂ©rance dans le ciel. Puis, si sa curiositĂ© l’entraĂźne, s’il se demande qu’est-ce que la vĂ©ritĂ© en elle-mĂȘme, qu’est-ce que l’idĂ©al en dehors de notre esprit et de la nature, que serait-ce que le bien moral si les hommes et le monde Ă©taient dĂ©truits, cette doctrine lui fait entrevoir un ĂȘtre substantiel , Ă©ternel et infini, qui est le fond mystĂ©rieux du vrai, du beau et du bien, et qui ne se manifeste Ă  l’homme et dans la nature PRÉFACE- DE i/ÉDITEUR. xxvj que sous ces trois formes. Les idĂ©es absolues nous viennent donc de letre absolu. Soit qu’on descende de Dieu Ă  l’homme, soit qu’on remonte de l’homme Ă  Dieu, on les retrouve sur son chemin ; elles sont le messager, le mĂ©diateur cĂ©leste; elles sont la plus haute et la plus claire manifestation de Dieu ; elles sont aussi le plus saint des hymnes que l’hommĂ© puisse adresser Ă  la DivinitĂ©. TABLE DES SOMMAIRES- PREMIÈRE LEÇON. Page i re . Deux Ă©poques dans l’histoire de la philosophie l’époque antique ou Grecque , l'Ă©poque moderne ou CartĂ©sienne. — L’esprit du CartĂ©sianisme se dĂ©veloppe surtout dans le dix-hui- tiĂ©me siĂšcle. — Le caractĂšre de ce siĂšcle, c’est l’analyse de la pensĂ©e. 7— École anglaise, Ă©cole Ă©cossaise et Ă©cole allemande. — En conciliant ces diverses Ă©coles, on peut arriver Ă  une analyse plus complĂšte de la pensĂ©e. — Eclectisme,. DEUXIEME LEÇON. Page i 3 . La conscience n’est que le retour de l’intelligence sur elle-mĂȘme, ce n’est pas une facultĂ©, spĂ©ciale ; analyser la conscience, c’e6t donc analyser l’intelligence.— Le moi humain ne puise pas toutes ses connaissances -dans le monde matĂ©riel ; il ne les lire pas non plus toutes de son propre fond. -— Le Moi, dans la thĂ©orie de Locke, est incapable 1“ d ar- eiyer Ă  toutes les connaissances qui sont dans l'entende- ment ; 20 de former une seule pensĂ©e ; 3 ° d’arriver mĂȘme a 1 idĂ©e de sensation. XXV11J TABLE TROISIÈME LEÇON. Page 21. Retour sur la philosophie de Locke. — Examen de la thĂ©orie de l’école Allemande. — Le. moi ne peut tirer de lui-mĂȘme les vĂ©ritĂ©s absolues. — Kant et Fichte. QUATRfÈME LEÇON. Rage 28. L’absolu est distinct de la nature physique et du moi humain. A la sensibilitĂ© et Ă  l’activitĂ© il faut ajouter la raison.— CatĂ©gories de Kant. — RĂ©duction de ces catĂ©gories Ă  deux idĂ©es fondamentales l’idĂ©e de cause et l'idĂ©e de substance. . CINQUIÈME LEÇON. . ‱ Page 36. Origine de l’idĂ©e de cause. — Cette idĂ©e ne peut dĂ©river du monde extĂ©rieur. Elle est empruntĂ©e Ă  la notion de l’activitĂ© du moi. — L’activitĂ© du moi est spontanĂ©e avant detr rĂ©flĂ©chie. SIXIÈME LEÇON. Page 44 La catĂ©gorie de causalitĂ© contient trois points de vue difĂŻĂ«- rens celui de la cause intentionnelle , celui de la cause fatale, et celui de la rĂ©ciprocitĂ©, c’est-Ă -dire de l’action et de la rĂ©action des causes les unes sur les autres. — Ordre de succession de ces trois points de vue dans l'intelligence humaine. — IdĂ©e du paganisme. —‱ IdĂ©e de la tragĂ©die antique. NĂ©cessitĂ© de reconnaĂźtre la catĂ©gorie de substance— DES SOMMAIRES. XXIX L’idĂ©e de substance ou d’infini est aperçue, d’abord obscurĂ©ment , sous l’idĂ©e de cause ou de fini. —La catĂ©gorie de substance est nĂ©cessaire pour rendre compte de toutes nos connaissances contingentes et absolues, et pour constituer l'unitĂ© du fait de conscience.'— Sous-division,de la catĂ©gorie de substance ou dĂ«tre idĂ©e du vrai, idĂ©e du beau, idĂ©e du bien. SEPTIÈME LEÇON. * ; Page 58. Le moi , la nature et l'absolu sont les trois Ă©lĂ©mens de la vie intellectuelle. — Divers points de vue des Ă©coles philosophiques point de vue Ă©picurien , point de vue stoĂŻcien , point de vue platonicien, -point de vue chrĂ©tien. — DiffĂ©rentes sortes de mysticismes qui peuvent naĂźtre de ces divers points de vue. HUITIÈME LEÇON. ' Page 68. La sensibilitĂ© joue le principal rĂŽle dans tous les mysticismes. — ThĂ©orie de la sensibilitĂ©. — ParallĂ©lisme de la vie intellectuelle et de la vie sensible. —Vie vie spontanĂ©e. NEUVIÈME LEÇON. Page 8o. Histoire des diffĂ©rens mysticismes. — Mysticisme relatif aux phĂ©nomĂšnes, envisagĂ© dans l’individu et dans l'humanitĂ©. — Personnification de la nature extĂ©rieure. —Paganisme. — Invocation, Ă©vocation, thĂ©urgie, cabale. DIXIÈME LEÇON. Page 8g. Re tour sur la leçon prĂ©cĂ©dente_Mysticismes relatifs Ă  la XXX TABLE substance mysticisme rationnel, mysticisme du sentiment. — Zenon. —Jacobi. ONZIÈME LEÇON. C . Page toi. Continuation du mĂȘme sujet. — Dernier degrĂ© du mysticisme relatif Ă  la substance tentative de contempler letre infini par-delĂ  les idĂ©es du vrai, du beau et du bien.— Vlolin.—FĂ©nelon , quiĂ©tisme. DOUZIÈME LEÇON. Page no. ProblĂšme de la vĂ©ritĂ© absolue. — Deux mĂ©thodes pour le rĂ©soudre partir de l’état primitif de l'intelligence et descendre Ă  l'Ă©tat actuel, ou partir de l’état actuel et remonter Ă  1 Ă©tat primitif. — La seconde mĂ©thode est prĂ©fĂ©rable. — CritĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ© ou nĂ©cessitĂ©. — CritĂ©rium absolu de la vĂ©ritĂ© ou universalitĂ© et indĂ©pendance de la vĂ©ritĂ©. TREIZIÉME LEÇON. , . Page ii8. NĂ©cessitĂ© d’une bonne mĂ©thode en mĂ©taphysique. — VĂ©ritĂ©s contingentes — VĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires. — La nĂ©cessitĂ© est le signe de 'l'absolu. — Avant la croyance nĂ©cessaire est l’aperception pure de la vĂ©ritĂ©. — Raison spontanĂ©e. — Raison rĂ©flĂ©chie. — La vĂ©ritĂ© absolue est en dehors de toute dĂ©monstration. —Elle fait son apparition dans l’homme et dans la nature, mais elle n’est ni l’un ni l'autre; c'est une manifestation de Dieu. —ImpossibilitĂ© de l’athĂ©isme. QUATORZIÈME .LEÇON. Page i3o. Trois ordres de faits de conscience sensations, voĂ»tions, aper- ception» rationnelles. —-Le scepticisme ne peut attaquer ces 4 DES SOMMAIRES. XXXj derniĂšres. — LibertĂ©, sensibilitĂ©, raison. —Retour sur l’aperception pure. — Affirmation sans nĂ©gation. — La vĂ©ritĂ© n’apparaĂźt pas d'abord comme nĂ©cessaire, mais seulement comme vraie. — FatalitĂ© et libertĂ© de l’aperception pure. — LĂštre absolu est la substance de la vĂ©ritĂ© absolue. — La vĂ©ritĂ© est-un mĂ©diateur entre Dieu et l'homme. QUINZIEME LEÇON. Page i43. Deux grands besoins dans-l’espfit humain 10 besoin de principes absolus , comme base de la science ; 20 besoin de trouver ces principes absolus par l’observation. —MĂ©thode rationnelle et mĂ©thode expĂ©rimentale. .— Conciliation de l’à priori et de lVi posteriori, de l’observation et de la raison SEIZIÈME LEÇON. Page 1 53. Etat primitif de la vĂ©ritĂ© absolue dans l’intelligence. — La vĂ©ritĂ© absolue n’a point d’origine ontologique , mais seulement une origine psychologique—PremiĂšre position intellectuelle dans l’ordre chronologique ou psychologique aperception pure d’une vĂ©ritĂ©' concrĂšte ou dĂ©terminĂ©e. — DeuxiĂšme position connaissance nĂ©cessaire de cette vĂ©ritĂ©. — TroisiĂšme position aperception pure de la vĂ©ritĂ© abstraite ou indĂ©terminĂ©e. — QuatriĂšme position connaissance nĂ©cessaire de celle vĂ©ritĂ©. — La premiĂšre application dĂ©terminĂ©e de la vĂ©ritĂ© s’est faite en mĂȘme temps au moi et au non moi , Ă  l’homme et a la nature. DIX-SEPTIÈME LEÇON. Page 162 . Les principes nĂ©cessaires n’ont pas d’antĂ©cĂ©dent logique. — La TAULE XXX1J question de la certitude n’eu est pas une elle se rĂ©sout d’ellĂ©-mĂ©me. — Retour- sur la succession des quatre positions intellectuelles.— Passage de l’état primitif Ă  l'Ă©tat actuel. — Deux espĂšces d’abstractions abstraction mĂ©diate ou comparative, abstraction immĂ©diate. DIX-HUITIÈME LEÇON. Page 174. Les idĂ©es qui composent les principes nĂ©cessaires leur sont antĂ©rieures ou contemporaines. — Ni dans l’un ni dans l'autre de ces deux cas on ne peut faire dĂ©river les principes des idĂ©es Ă©lĂ©mentaires dont ils sont formĂ©s. — Principe de causalitĂ©^— Principe de substance. ' ‱ DIX-NEUVIÈME LEÇON. * ‱ - Page j81. ThĂ©orie de l’idĂ©e du beau; — Diverses opinions sur l'origine de l’idĂ©e du beau. — L’idĂ©e du beau est-elle une idĂ©e collective ou une conception originale de l’esprit?—Nature, expĂ©rience , idĂ©al.— Deux Ă©coles d’artistes et deux Ă©colts de gĂ©omĂštres. — Conciliation des deux Ă©coles. VINGTIÈME LEÇON. Page 191. Position des questions relatives Ă  l'idĂ©e de beautĂ©. — V a-t-il du beau dans la nature? quels en sont les caractĂšres? pa r quelles opĂ©rations intellectuelles arrivons-nous Ă  le saisir? — Distinction entre la sensation et le jugement. V 1 NGT-ET-UN 1 ÈME LEÇON. Page 201. Du beau idĂ©al. — Comment arrivons-nous Ă  le concevoir? — ‱De l'imitation. — De la crĂ©ation. — L’esprit dĂ©bute par le DES SOMMAIRES. XXXI IJ concret et l’abstrait, par l'individuel et l’absolu. — L’art doit exprimer l’individuel et l’absolu , plaire Ă  la sensibilitĂ© physique et satisfaire la raison, unir le rĂ©el Ă  l’idĂ©al. — SimullanĂ©itĂ© de 1 idĂ©e individuelle et de l’idĂ©e absolue. — SpontanĂ©itĂ© et rĂ©flexion -, vue concrĂšte et vue abstraite. — Abstraction immĂ©diate. VINGT-DEUXIEME LEÇON. Page 2i5. Du sentiment du beau qui accompagne le jugement de beautĂ©. _Ce sentiment se distingue r° De la sensation et du dĂ©srr de possession. — 2 ° De la pitiĂ© et delĂ  terreur. — 3° De la recherche de l’intĂ©rĂȘt, soit particulier soit gĂ©nĂ©ral. — 4° De l’illusion. — 5 b Du sentiment moral et religieux. — L’art est sa propre fin Ă  lui-mĂ©me, comme la religion et la morale sont leur propre fin. VINGT-TROISIÈME LEÇON. Page 227. Retour sur la distinction du sentiment du beau et du dĂ©sir- de possession. — 1 Le beau est immĂ©diat, l'utile ne l’est pas. — Le beau comme beau est inutile. — Le sentiment du beau se place entre le jugement absolu qui le dĂ©termine et leprĂ©cĂšde d’une part, et de l’autre la sensation qui le prĂ©cĂšde et qui peut encoreTaccompagner et le suivre, mais avec laquelle il ne se confond pas. — ThĂ©orie de l’imagination. — Premier Ă©lĂ©ment de l'imagination mĂ©moire imaginative ou reprĂ©sentative— DeuxiĂšme Ă©lĂ©ment abstraction ou choix rationnel et volontaire. — TroisiĂšme Ă©lĂ©ment jugement etsen Liment du beau. — L’imagination n’est ni la sensibilitĂ© physique toute seule, ni la raison toute seule, ni la simple rĂ©union de ces deux facultĂ©s; il faut y joindre l’amour pur et dĂ©sintĂ©ressĂ©, cesL-Ă -dire le jugement et le sentiment du beau. XXXIV TABLE VINGT-QUATRIÈME LEÇON. Page 342. ‱ Le rapport entre la sensibilitĂ© physique ou l’intuition sensible d'une part et la raison de l'autre constitue les divers genres de beautĂ©. —Du beau et du sublime dans les objets physiques , dans les senlimens et les actions, et dans les idĂ©es. — Harmonie des facultĂ©s bonheur; dĂ©sharmonie souffrance. VINGT-CINQUIÈME LEÇON. ‱ Page 252. IdentitĂ© de tous les genres de beautĂ©. — Le beau physique reflet du beau moral et intellectuel ou du beau immatĂ©riel — ĂŻhĂ©oriede l'expression dans'les arts.—t.’Apollon du BelvĂ©dĂšre. — Winckelmann. — La figurĂ© de Socrate. —L’homme. — La femme. — L’animal. — Le minĂ©ral. — L’ordre du monde. — UnitĂ© du vrai, du beau et du bien. — Dieu. VINGT-SIXIÈME LEÇON. Page 2 J 3 . Division de l’imagination le goĂ»t, le gĂ©nie. —Le goĂ»t est apprĂ©ciateur. — Le gĂ©nie est crĂ©ateur. — Le second contient les mĂȘmes Ă©lĂ©mens que. le premier, mais Ă  un plus haut degrĂ© d’énergie.— Le gĂ©nie supĂ©rieur Ă  la nature. — La fin de l’art est le triomphe de lu pĂąture humaine sur la nature physique.— L’art n’est ni une science ni un mĂ©tier. — Alliance de l’idĂ©e et de la forme. VINGT-SEPTIÈME LEÇON. Page 2 ?1. Retour sur lĂ© goĂ»t et le gĂ©nie. — Une pensĂ©e de Plotin Les hommes beaux sont seuls juges de la beautĂ© . — École de Locke. DES SOMMAIRES. XXXV — École de Kant. — Le beau n’est ni matĂ©riel ni subjectif; il est absolu, indĂ©pendant de lĂ  nature et de l'homme. — RĂšgles de la composition. — Le critĂ©rium de l'art c’est l’expression. — La poĂ©sie est le premier des arts. — Puissance symbolique du mot. — L’éloquence , la philosophie et l’histoire nfe font point partie des beaux-arts. — Le second des arts est la musique. Viennent ensuite la peinture, la sculpture, l’architecture et la construction des jardins. VINGT-HUITIÈME LEÇON. Page s 83 . Les arts ne diffĂšrent pas parleur fin, mais par leurs moyens. — Des sens considĂ©rĂ©s dans leurs rapports avec l’art et le beau.— IncapacitĂ© du toucher, de l’odorat et du goĂ»t pour nous transmettre le beau. —PrĂ©rogative de louie et de la vue.— Arts de l’ouĂŻe poĂ©sie et musique ; arts de la vue peinture,, sculpture, architecture et construction des jardins. — Les arts de l’ouĂŻe ne chercher Ă  usurper la forme des arts de la vue, ni rĂ©ciproquement. — Retour sur la supĂ©rioritĂ©, de la poĂ©sie. VINGT-NEUVIEME LEÇON- Page 292. RĂ©sumĂ© de la thĂ©orie du beau , tant sous le point de vue subjectif que sous le point de vue objectif. ' ' TRENTIÈME LEÇON. Page 002. ThĂ©orie de l’idĂ©e du bien. — ConsĂ©quences importantes de l a discussion sur l’idĂ©e du bien. — Elle peut recevoir deux solutions qui entraĂźneront deux sĂ©ries de consĂ©quences ‱ opposĂ©es.— ThĂ©orie de l’inlĂ©rĂ©t Ă©tat de guerre; despotisme. — ThĂ©orie de l'idĂ©e absolue du bien Ă©tat dĂ© paix ; souve- rainetĂ© de la raison. XXX VJ TABLE TRENTE-ET-UNIÉME LEÇON. Page 3i3. L’idĂ©e absolue du bfen est le seul contre-poids de l’arbitraipe. — .CaractĂšre obligatoire de l’idĂ©e absolue du motifs d’actions i’intĂ©rĂ©t et le devoir. — La sociĂ©tĂ© n'est pas rĂ©gie par l’idĂ©e de l'intĂ©rĂȘt individuel, mais par celle de la justice absolue, — CorrĂ©lation-du devoir et du droit. TRENTE-DEUXIÈME LEÇON. Page 322. S’il y a de la vĂ©ritĂ© absolue en gĂ©nĂ©ral, il peut y avoir de la vĂ©ritĂ© absolue en morale. — Position des questions relatives i 1 idĂ©e du bien. — De la vĂ©ritĂ© spĂ©ciilalivĂ© et de la vĂ©ritĂ© pratique. De 1 obligation morale. — DĂ©finition de l’acte . moral et de l'acte immoral. — Le devoir suppose la libertĂ©. TRENTE-TROISIÈME LEÇON. Page 33o. La vĂ©ritĂ© absolue, en passant dans les actions humaines, constitue la vĂ©ritĂ© morale absolue. —- Sans l’absolu point de science_La vĂ©ritĂ© moraleabsolue nous est manifestĂ©e par la raison, et elle s’adresse Ă  la libertĂ©. — Double devoir de la libertĂ©.— Distinclibn entre la souverainetĂ© et le pouvoir. Le pouvoirnepeutĂštre sa rĂšgle Ă  lui-mĂšme*—SouverainetĂ© de la raison. —Devoirs envers Dieu, devoirs envers nous-mĂȘmes, devoirs envers autrui. Droit civil, droit politique. — La sociĂ©tĂ© est la rĂ©alisation dĂš la vĂ©ritĂ© morale , elle existe donc Ă  priori. —L’idĂ©e de sociĂ©tĂ© est antĂ©rieure Ă  celle de gouvernement. — RĂ©futation de la doctrine du despotisme et de celle de l'anarchie- — La mission du gouvernement est de faire respectĂ©r la doctrine sociale , et d’appliquer le principe de mĂ©rite et de JĂ©mĂ©rife. DES SOMMAIRES. XXTV1J TRENTE^UATRIÈME leçon. Page 340. Relation de l’idĂ©e du bien et de l'idĂ©e de l’obligation. — PostĂ©rioritĂ© de cette derniĂšre. — Le droit se distingue du fait, en pratique comme en thĂ©orie. Le devoir ne dĂ©rive pas i° de l’éducation ; s° de la volontĂ© divine ni des peines et rĂ©compenses Ă  venir- TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. Page 36VWVWWWV**i*.WV\V\iVWVV\'\VVWV\»VWWlWl'VWW*\**'VVVV\V\fVVVVW»VVV/V% SIXIÈME LEÇON. La catĂ©gorie de causalitĂ© contient trois points de vue diffĂ©rens ; celui de la cause intentionnelle, celui de la cause fatale, et celui de la rĂ©ciprocitĂ©, c’est-Ă -dirĂ© de l’action et de larĂ©action des causes les unes sur les autres.—-Ordre de succession de ces trois points de vue dans l’intelligence humaine. — IdĂ©e du paganisme- IdĂ©e de la tragĂ©die antique. NĂ©cessitĂ© de reconnaĂźtre la- catĂ©gorie de substance. — L’idĂ©e de substance ou d’infini est aperçue, d’abord obscurĂ©ment sous l’idĂ©e de cause ou de fini. — La catĂ©gorie de substance est nĂ©cessaire pour rendre compte de toutes nos reconnaissances contingentes et absolues, et pour constituer l’unitĂ© du fait de conscience.— Sous- division de la catĂ©gorie de substance ou d’ĂȘtre idĂ©e du * vrai» idĂ©e du beau, idĂ©e du bien. AprĂšs avoir rĂ©duit Ă  deux idĂ©es fondamentales celle de cause et celle de substance, la liste de catĂ©gories fournie par le philosophe Kant, nous avons recherchĂ© l’origine de la catĂ©gorie de causalitĂ©. Il nous reste Ă  faire la mĂȘme recherche sur la catĂ©gorie de substance ; mais auparavant, comme la catĂ©gorie de causalitĂ© a trois points de vue diffĂ©rens , c’est-Ă -dire l’idĂ©e de cause intentionnelle, l’idĂ©e de causĂ© fatale et l’idĂ©e d’action et de rĂ©action , il est bon de savoir dans quel ordre ees trois idĂ©es arrivent Ă  notre esprit. Nous pensons que cet ordre est justement celui que nous venons de sui- 1U VH U. 45 vre en les Ă©numĂ©rant. Le moi est conçu, non-seulement comme cause eĂŒicace , mais comme force libre , qui peut et veut agir dans un but qu elle a dĂ©terminĂ©. L’idĂ©e de la cause moi prĂ©cĂšde l’idĂ©e de la cause non-moi ; car rien ne prĂ©cĂšde l’idĂ©e du moi elle est le centre dont toutes les autres sont les rayons. C’est Ă  la condition de l’idĂ©e du moi que celle du non-moi se manifeste; et l’homme, qui s’est d’abord trouvĂ© lui-mĂȘme, ne renonce pas sur-le-champ Ă  cette dĂ©couverte il la transporte et l’applique mĂȘme au dehors de lui ; quand il aperçoit le non-moi, il le conçoitd’abord Ă  l’image du" moi; il lui impose le caractĂšre de cause intentionnelle. Le moi et le non-moi Ă©tant ainsi tous deux animĂ©s d’intelligence et de volontĂ©, le rapport de rĂ©ciprocitĂ© n’est pas d’abord ce qu’il devient par la suite il comprend l’action et la rĂ©action de deux forces semblables. Dans ce point de vue, la vie, qui est toujours l’action et la rĂ©action du moi et du non- moi , apparaĂźt comme un combat entre deux intelligences , entre deux forces volontaires et libres. Voyez l’enfant accuser l’intention des objets extĂ©rieurs qui s’opposent Ă  son action, et se retourner contre eux avec colĂšre. Si de la conscience individuelle nous passons a la -conscience de l’humanitĂ© entiĂšre, c’est-Ă - dire de la psychologie Ă  l’histoire, nous retrouvons les mĂȘmes conceptions primitives. Quelle idĂ©e les Grecs se faisaient-ils de la nature extĂ©rieure, 46 SIXIÈME LEÇON. etcomnaent concevaient-ils la vie? A leurs jeux, la nature extĂ©rieure Ă©tait libre, intentionnelle; la vie Ă©tait la lutte entre deux forces animĂ©es. La puissance extĂ©rieure se rĂ©alisait pour eux eu dieux , en gĂ©nies, en dĂ©mons , etc. Si l’action de la nature Ă©tait funeste, ils suppliaient cette divinitĂ© malfaisantesi elle Ă©tait salutaire, ils rendaient des actions de grĂące Ăą cette divinitĂ© propice. C’est ainsi que l’Olympe se peupla de divinitĂ©s supĂ©rieures ; c’est, ainsi que la terre , l’air, l’eau et le feu reçurent des dieux d’un ordre moins Ă©levĂ©, qui communiquaientdirectement avec les hommes; cest ainsi quau- dessus des dieux infĂ©rieurs et des dieux de l’Olympe, rĂ©gnait le destin , non pas le destin aveugle comme le hasard , mais un destin intentionnel, marchant Ă  un but prĂ©cis , inĂ©vitable , parce qfi’aucune puissance 11e pouvait se soustraire Ăą son pouvoir, fatal pour les dieux et pour l'humanitĂ©, mais libre en lui-niĂ©me ; n’étant aveuglĂ© et sourd que pour les larmes et les sanglots des victimes , ruais voyant et comprenant la lin qu’il s’était posĂ©e. Le combat contre ledes- tin Ă©tait dortc une lutte d’une intelligence contre une autre intelligence. C’était une guerre facile Ă  comprendre, et qui 11e m'anquait pas de noblesse, mente de la part de l’intelligence qui succombait. Chez nous, au contraire, au point de vue rĂ©flĂ©chi de l’humanitĂ© , la nature extĂ©rieure est un ensemble de forces aveugles. Plus de dieux sous l’é- DU VRAI. 4? corne des arbres, dans le mouvement des Ilots, dans la coijrse des vents, mais des forces purement physiques, qui n ’înt point conscience de leur action, et contre lesquelles la lutte serait sans dignitĂ© et la colĂšre absurde. Cherchez dans le drame ancien l’idĂ©e que l’antiquitĂ© se faisait de la vie ; vous verrez que cette vie Ă©tait elle-mĂȘme un drame entre deux acteurs qui pouvaient se comprendre, entre deux libertĂ©s. INos critiques modernes, et Schlcgel Ă  leur tĂȘte, ont dĂ©iini le drame antique une luttĂ© de la nature aveugle et fatale contre la libertĂ©. C’est une erreur, il ne peut y avoir d’actions entre deux, Ă©lĂ©mens, dont l’un est sans vie ce qui est fatal ne lutte pas, et on ne combat pas contre ce qui est fatal. Telle n’est pas l’idĂ©e qu’il faut se former de la tragĂ©die antique ; elle Ă©tait pour les GrĂ©es l’école de la vie. Us avaient prĂȘtĂ© Ă lana-’ ture l’intelligence et la libertĂ© , et ils en avaient fait ainsi un personnage dramatique. Mais lorsque la raison est venue arracher la libertĂ© Ă  la nature, dĂ©truire cette analog’e primitive qui nous fait transporter le moi dans le non-moi, la nature est devenue fatale, le destin s’est appelĂ© hasard. Or, le hasard n’a pas d’intention , il accable sans vote loir accabler c’est une puissance aveugle , contre laquelle l’homme ne peut lutter avec dignitĂ©; le hijsard ne peut donc pas ĂȘtre un Ă©lĂ©ment de la tragĂ©die; c’est ce que n’a pas compris Sclilegel, SIXIÈME non plus que Werner, dans son Ɠuvre intitulĂ©e Le Vingi-Quatre fĂ©vrier. Cet auteur inet en scĂšne une famille qui, Ă  certain jour marquĂ©, doit commettre un crime ; mais il no suppose pas de Destin qui veuille ce crime comme chez les Grecs, et contre, lequel on puisse s’indigner, lancer'l’imprĂ©cation , lutter enlin; un hasard incomprĂ©hensible plane sur cette destinĂ©e ; connue il n’a rien voulu, on ne peut rien lui reprocher, pas plus qu’aux forces inertes de la nature Ă  l’attraction et Ă  la rĂ©pulsion. C’est pourquoi la piĂšce de Werner , qui prĂ©tendait donner une idĂ©e du systĂšme antique, est Ă©minemment moderne. Dans ƒdipe, un homme lutte contre le destin, mais ce destin est une force active et volontaire on peut le maudire comme tout ce qui est intentionnel, ou peut faire ellort, quoiqu’avec pen d’espĂ©rance, ‱pour changer ses rĂ©solutions. Les anciens luttaient donc jusqu’il la mort, et ils le pouvaient avec gloire ; nous, au contraire, d’aprĂšs l’idĂ©e que nous nous formons de la nature extĂ©rieure, nous ne pouvons que nous rĂ©signer, et la rĂ©signation n’est pas dramatique. Tel est donc l’ordre de dĂ©veloppement entre tous les Ă©lĂ©mens de la catĂ©gorie de cause i°la cause intentionnelle, qui est d’abord transportĂ©e du moi au non-moi ; 2° l a cause purement Ă©llicace, mais aveugle’, Ă  laquelle h* nature extĂ©rieure se trouve dĂ©finitivement ramenĂ©e par le principe de DU VRAI. 49 causalitĂ© i ; 3° le rapport entre le moi et le non- moi, qui est d’abord un combat entre'deux forces libres, et ensuite un rapport entre la libertĂ© et la fatalitĂ©. . Mais la catĂ©gorie de causalitĂ© n’épuise pas toutes les notions de l’intelligence humaine. Comment de l’idĂ©e de cause faire sortir celle du beau , du bien, du saint, etc..? Quelle morale , quelle religion , peut-on faire Ă©clore du rapport entre le moi et le non-moi tel qu’il apparaĂźt, soit chez les anciens , soit chez les modernes ? Je combats le non- moi pour quel motif? parce que je crains qu’il ne m’écrase. Je me rĂ©signe Ă  son action pourquoi? parce que je ne puis la changer., car autrement je la modifierais pour mon utilitĂ© personnelle. VoilĂ  donc toute la morale rĂ©duite Ă  l’intĂ©rĂȘt particulier. Cet objet me paraĂźt empreint d’un caractĂšre de beautĂ© pour quelle raison ? Si je suis rĂ©duit Ă  la catĂ©gorie de causalitĂ© , je devrai rechercher l’impression qu’il produit en moi j’y trouve une sensation agrĂ©able ; voilĂ  donc la beautĂ© rĂ©duite Ă  l’agrĂ©ment , et l’esthĂ©tique ramenĂ©e aussi Ă  l’intĂ©rĂȘt. J’assons Ă  la religion comme il n’y a dans l’in- te higence que deux Ă©lĂ©mens i° la cause intentionnelle Unie, que je suis moi-mĂȘme ; 2 ° lu cause aveugle, mais Ă©galement finie que j’appelle le non- moi , il faut q UĂŒ ] j eu soit l’une ou l’autre de I i ! " ez ’ Î^ ist °ire un u\ philosophie du dis-heitiĂ©me SIÈcle, ", dix-iieiiviĂšine leçon. philosophie / 4 5ĂŒ SIXIÈME ces deux causes, ou le- rappurL entre l’une et l’autre , et voilĂ  Dieu ramenĂ© Ă  la mesure du relatif et du fini. La catĂ©gorie de causalitĂ©, si elle Ă©tait seule , rĂ©trĂ©cirait donc le champ de l’intelligence humaine ; il nous faut en consĂ©quence , pour retrouver tout ce qu’elle nous ravirait, nous rĂ©fugier au sein d’une idĂ©e plus vaste et plus complĂšte. Nous avons dĂ©montrĂ© qu’il n’y avait point de catĂ©gorie de cause sans catĂ©gorie de substance ou d’ĂȘtre. Ces deux catĂ©gories se supposent, se pĂ©nĂštrent point de phĂ©nomĂšne sans substance, de cause sans ĂȘtre, de multiple sans unitĂ©, d’évĂ©ne- rnens sans temps , d’objets sans espace, de relatif sans absolu, de limitĂ© sans illimitĂ©, en un mot de fini sans infini. Nous avons distinguĂ© deux points de vue, ou plutĂŽt deux mornens dans la conception de cause le montent spontanĂ© et le moment rĂ©ilĂ©chi. Nous aurons la mĂȘme distinction Ă  faire dans la conception de substance. Le point de vue rĂ©flĂ©chi est celui du philosophe ; on peut dire que les sciences sont filles de la libertĂ©, puisque l’attention n’est qu’une application de la libertĂ© elle- mĂȘme ; mais avant l’attention ou la rĂ©flexion, se dĂ©veloppe la V ue spontanĂ©e. Primitivement, sous le moi , cause intentionnelle et finie, et sous la nature , cause aveugle 5 mais Ă©galement finie, nous concevons un ĂȘtre, non pas positivement infini , mais dont nous ne pouvons assigner les limites, 11! V K A l. DI et qui est Ă  110s yeux plutĂŽt indĂ©fini qu’infini. Mais, Ă  l’aide de la rĂ©flexion , tout s’éclaircit et se prononce. Cet ĂȘtre, d’abord si vaguement posĂ©, se distingue nettement des causes finies , et apparaĂźt comme ne pouvant pas avoir de limites, en un mot, comme absolu. La rĂ©flexion iie crĂ©e rien , elle ne fait qu’éclaicir l’idĂ©e de l’absolu Ă©tait dĂ©jĂ  dans le point de vue spontanĂ© ou primitif, mais elle y Ă©tait enveloppĂ©e. C’est parce que l’humanitĂ© s’est endormie d’abord dans le point de vue spontanĂ©, quelle n’a pas dĂ©gagĂ© sur-le-champ l’ĂȘtre absolu et infini des formes du moi et de la nature, et que, s’arrĂȘtant Ă  l’idĂ©e dĂ© cause, elle s’est fait des religions incomplĂštes. Quand la rĂ©flexion se dĂ©veloppe, sous le moi humain et sous la nature apparaĂźt un ĂȘtre qui les contient tous les deux, et qui n’est lui-mĂȘme contenu par aucun autre ; et ainsi se pose le fondement de la vĂ©ritĂ© complĂšte et aussi delĂ  vĂ©ritable religion i. Revenons un instant sur nos pas, jetons un coup d’Ɠil sur la route que nous avons dĂ©jĂ  parcourue. Nous sommes partis des donnĂ©es actuelles de la conscience humaine , et sur les indications qu’elles oous ont f ĂŒuvn ies, nous avons essayĂ© de ressaisir * ° n gine de ces donnĂ©es, c’est-Ă -dire l’état primi- 1 e i intelligence. Nous avons constatĂ© que le piemiei fait de conscience se composait de deux f 7 j^ 0 ^ ez ^ RAGMEN5 philosophiques Du premier et, du dernier at dc conscience. pasfe 3 ;j ? et suiv . premiĂšre Ă©ditiou. 4 - 52 SIXIÈME LEÇON. Siemens variables, et d’un troisiĂšme aussi rĂ©el que les deux autres, mais immuable c’est-Ă -dire du moi , de la nature extĂ©rieure, et de l'ĂȘtre universel et absolu. Nous avons dit que la philosophie se plaçait au point de vue rĂ©flĂ©chi, et en consĂ©quence dĂ©butait par la rĂ©flexion ; mais que la vie intellectuelle de l’humanitĂ© entrait en jeu par la spontanĂ©itĂ© , et que la spontanĂ©itĂ© et la rĂ©flexion ne contenaient ni plus ni moins d’élĂ©mens l’uneque l’autre. Donnons quelques dĂ©veloppemens Ă  cette proposition, et achevons de la dĂ©montrer. Le fait le plus clair et le plus approfondi auquel puisse parvenir la philosophie, c’est-Ă -dire la rĂ©flexion, c’est la conscience, immĂ©diate , i° de deux ternies huis le moi et la nature extĂ©rieure, phĂ©nomĂšnes variables, se limitant l’un l’autre ; 2 ° d’un ĂȘtre infini. L’aperception de ce dernier terme rend seule possible l’aperception du fini, comme Ă  son tour la vue du l'un est la condition indispensable de la vue dĂ© l’infini. Le premier comme le de rnier fait de la vie philosophique se partagera toujours pour nous en deux parties l’une renfermant le moi et la nature, en un mot, le fini; l’autre comprenant un troisiĂšme Ă©lĂ©ment l’infini ou l’absolu, qui est le fondement et la raison ontologique des deux autres, et qui trouve ert eux l’occasion de son apparition dans l’intelligence humaine , ou si l’on veut sa base psychologique. Tout fait intellectuel rĂ©flĂ©chi peut donc s’exposer sous DU VRAI. 53 cette formule pas de. fini sans infini, et rĂ©ciproquement; et dans le sein du fini, pas de moi sans non-moi, pas de non-moi sans moi. Tel est le commencement et la fin de la vie philosophique. Mais avant celle-lĂ  est la vie humaine, la* vie non distincte, obscure, spontanĂ©e. La rĂ©flexion prĂ©suppose l’existence d’un objet sur lequel tombe la rĂ©flexion , et qui par consĂ©quent - lui est antĂ©rieur i . Il semble contradictoire qu’un philosophe parle de l’état spontanĂ© car il ne peut le saisir qu avec l’instrument philosophique-, c’est-Ă -dire avec la rĂ©flexion , et la rĂ©flexion est destructive de la spontanĂ©itĂ©. Mais cette difficultĂ© n’est pas insurmontable u nous pouvons ressaisir le fait spontanĂ© par les inductions logiques les plus lĂ©gitimes ; etde plus, nous le retrouvons dans notre mĂ©moire au moment oĂč il expire. Primitivement le moi, par sa force naturelle , accomplit un acte qu il n a ni prĂ©vu ni voulu ; dans cet acte le moi ne peut pas ne pas s’apercevoir lui-mĂȘme, mais il se trouve sans se chercher. Dans l’acte rĂ©flĂ©chi, non-seulement le moi agit, mais il veut agir ; il se cherche, il veut s opposer au non-moi; en un mot, il ne se'trouve Pffis seulement, il se pose. Te fait rĂ©flĂ©chi contient apercepti 0n e t libertĂ©, le fait spontanĂ© ne com- piend que l’aperception seulement. Le moi, en se trouvant hu-mĂȘiue 5 trouve aussi la sensation qu il Vcvyez Fhagmens philosophiques Du premier el du dernier J unSciknĂ c . page 33g, Ăą la BH premiĂšre Ă«di- 56 SIXIÈME LEÇON, l'individu- Quand nous disons que la raison rĂ©vĂšle l'ĂȘtre , nous ne voulons pas dire que l'ĂȘtre n’existe que par la rĂ©vĂ©lation de la raison nous parlerions plus philosophiquement en disant que l’ĂȘtre se rĂ©vĂšle Ă  la raison, ce qui impliquerait que l’ĂȘtre est antĂ©rieur Ă  la raison. Nous remplissons aussi la troisiĂšme condition, c’est-Ă -dire que nous rendons compte de toutes les connaissances contingentes et absolues nous constatons que le moi se connaĂźt comme une force libre, qu’il connaĂźt le non-moi comme une force passive ; qu’il prend connaissance aussi des rapports entre le moi et le non-moi , et qu’il acquiert ainsi 1 idĂ©e de cause. Toutes ces connaissances sont contingentĂ©s, parce quelles sont relatives Ă  des phĂ©nomĂšnes contingens. Mais s’il n’y a pas de phĂ©nomĂšne sans ĂȘtre, de propositions possibles sans unitĂ©, c’est-Ă -dire sans la rĂ©vĂ©lation de l’ĂȘtre un et identique, la connaissance contingente elle- mĂȘme suppose l’ĂȘtre ou l’absolu. Loin donc qu’on puisse tirer l’ĂȘtre absolu de l’idĂ©e-exclusive du moi ou de celle du non-moi , et expliquer ainsi la connaissance de l’ĂȘtre nĂ©cessaire, on doit dire que la connaissance contingente elle-mĂȘme ne serait pas possible sanS l’ĂȘtre et sans la connaissance de l’ĂȘtre, ou si l’on veut de l’absolu. En reconnaissant la catĂ©gorie de l’ĂȘtre au sein de l’intelligence humaine , nous rendons compte fie toutes les connaissances contingentes et de Dll VH AI. 07 toutes les connaissances absolues. Nous avons donc rĂ©pondu aux trois objections que les deux Ă©coles exclusives laissaient sans rĂ©ponse nous avons posĂ© le moi et le non-moi; en posant limitĂ© de l’ĂȘtre, nous avons expliquĂ© l’unitĂ© de conscience ; enfin, nous avons trouvĂ© le contingent et l’absolu la connaissance contingente est devenue possible par la connaissance absolue, et celle-ci par l’existence antĂ©rieure de letre universel et identique. Letre se manifeste sous trois formes 1° le vrai, qui comprend la cause comme la substance ; 2 0 le beau; 3 ° le bien. DelĂ  catĂ©gorie de cause l’esprit humain ne passe pas toujours clairement et explicitement Ă  la catĂ©gorie d’ĂȘtre, et de lĂ  le paganisme et les fausses philosophies. Mais, quand il est arrivĂ© Ă  la catĂ©gorie d’ĂȘtre, il 11e peutpas 11e pas y renfermer la catĂ©gorie de cause, car elle fait partie du vrai ou de l’ĂȘtre. La catĂ©gorie de substance est donc plus comprĂ©hensive que la catĂ©gorie de cause, non pas dans le point de vue obscur et spontanĂ© oĂč elles se pĂ©nĂštrent lune l’autre, mais dans le point de vue rĂ©flĂ©chi. On va sans doute lancer contre cette doctrine accusation de mysticisme . nous reviendrons sur tous ce s dĂ©veloppemens dans les leçons prochaines, et nous espi rons dĂ©montrer qu’il 11’y a rien de mystique dans l e systĂšme tue nous venons cl exposer. 58 SEPTIÈME LEÇON. wi»Miivwvvi'W^''vv%wWMMivi\mvummvwwuv\ SEPTIÈME LEÇON. Le moi , la nature et l’absolu sortt les trois Ă©lĂ©ritens dĂ© Irf vie intellectuelle i. — Divers points le vue des Ă©coles philosophiques point de Vue Ă©picurien, point de vue stoĂŻcien, point de vue platonicien, point de vue chrĂ©tien 2. — DiffĂ©rentes sortes de mysticismes qui peuvent naĂźtre de ces divers points de vue. Nous avons dit qu’il ne pouvait y avoir aucune proposition , ou pour mieux dire aufcun jugement, car le langage n’est que le rellet de la pensĂ©e y sans trois Ă©lĂ©mens constitutifs le sujet, l’olijet et l’étrĂš qui les rĂ©unit. En d’autres termes, il n’y a point de pensĂ©e sans le moi et le non-moi fini, c’est-Ă -dire sans une dualitĂ© phĂ©nomĂ©nale y et sans une substance infinie qui est leur condition d’existence. Nous avons reconnu que lĂ© moi et le non- moi, soit pris sĂ©parĂ©ment, soit pris ensemble, et envisagĂ©s dans leurs rapports rĂ©ciproques, ne peuvent nous donner aucune conception dii vrai, 1 Voyez, Fbagmen» philosophiques > prĂ©face, pages xxxviij et xxxii.premiĂšre Ă©dition. 2 Voyez ., philosophiques , religion , mj'sticisthc; stoĂŻcisme , pages i83-j 88 iV/cm, nu vrai. 5g du bien , du beau. Nous avons dit que c’é§t sous ces derniĂši'es formes que nous apparaĂźt l’infini, car nous ne saisissons pas l’infini en lui-mĂȘme. Le moi , le non-moi et l’ĂȘtre absolu , tels sont donc les Ă©lĂ©mens de la vie intellectuelle. La combinaison diverse, le mĂ©lange plus ou moins complet de ces trois Ă©lĂ©mĂ«ns, aux-dillĂšrentes Ă©poques dĂ© la philosophie , nous donnera la vie intellectuelle telle quelle a Ă©tĂ© conçue par les diffĂ©rentes Ă©coles. Nous obtiendrons ainsi quatre points de vue diffĂ©rais de la vie humaine. Si nous n’envisageons que les deux, Ă©lĂ©mens variables de la vie, le' moi et .le non-moi, .nĂ©gligeant l’ĂȘtre ou l’absolu, dĂšs lors toute la vie est dans le relatif, dans le rapport du moi avec la nature rien n’est vrai, rien n’est bien, rien n’est beau absolument ; il n’y a pour l’homme que le probable, l’utile et l’agrĂ©able; est bornĂ©e au point de vue terrestre, ou si l’on veut au point de vue d’Epicure. Si l’on reconnaĂźt que le vrai, le bien , le beau , nous Sont donnĂ©s dans le moi et le non-moi, niais qu’ils n’en tirent pas. leur origine, On porte dĂ©jĂ  ses regards hors des limites de la vie terres- bĂš. Mais si l’on s’arrĂȘte Ă  ces formes sans pĂ©nĂ©trer jusqu a leur fond commun, on n’est pas encore en possession j a v j e intellectuelle tout entiĂšre. n s est placĂ©'.au-dessus du point de vue terrestre, mais on n est pas encore parvenu an point de vue 6q septiĂšme leçon. divin. Si de plus on confond le vrai et le beau dans le bien, on arrive au point de vue stoĂŻque. Les stoĂŻciens ne voulaient point qu’on s’occupĂąt du vrai, cherchĂ© parles autres philosophes , du beau, rĂ©alisĂ© par les poĂštes et les artistes le vĂ©ritable artiste, le vĂ©ritable philosophe, c’était pour eux l’homme de bien. Les stoĂŻciens ne' dĂ©rivaient le bien ni du moi ni du non-moi, mais ils ne le rattachaient pas Ă  l’ĂȘtre ou Ă  l’infini ils Ă©taient au-dessus du point de vue terrestre, mais ils auraient pu s’élever plus haut encore. Supposons donc qu’aprĂšs avoir reconnu que ce n’est ni du monde extĂ©rieur ni du moi que nous viennent les idĂ©es du vrai , du bien , du beau, une philosophie plus Ă©levĂ©e les rapporte Ă  leur principe lĂ©gitime, c’est-Ă -dire Ă  la substance ab- solue dont elles sont les manifestations nous aurons le point de vue platonicien. Platon , comme Epieure, reconnaĂźt que le vraisemblable, l’utile et l’agrĂ©able sont des modifications du MOI et du non-moi ; comme les- stoĂŻciens, il reconnaĂźt les trois formes Ă©ternelles, du vrai, du beau et dii bien; mais il n’enferme pas les deux premiĂšres dans les limites de la troisiĂšme , et, de plus , il remonte jusqu Ă  l’ĂȘtre absolu, qui se rĂ©vĂšle Ă  nous parles trois idĂ©es absolues. Ces trois idĂ©es, suivant Platon, se concentrent en une sorte d’unitĂ© , qu’il appelle XĂŽyoç. Ce XĂŽyoç n’existe pas par lui-mĂȘme, mais seulement dans son rapport avec la sub- DV VRAI stance absolue ,‱ dont il est la manifestation ou la forme visible, et il sert de mĂ©diateur entre l’homme et Dieu. C’est un poht jetĂ© sĂ»r l’abime qui sĂ©pare le moi phĂ©nomĂ©nal de l’ĂȘtre substantiel, le fini de l’infini, Le point de vue platonicien contient les prĂ©cĂ©dons , et il y ajoute ; mais il n’embrasse pas encore toute la vie humaine. Platon, qui s est Ă©levĂ© aux plus sublimes hauteurs de la mĂ©taphysique, ne compose la vie que de raison pure . il n a- perçoit pas cette autre partie de l’homme , le sen tinrent, qui est le satellite fidĂšle de la raison. Ainsi tombe de lui-nrĂȘme le reproche fait Ă  ce philosophe de se plonger trop avant dans le mysticisme, puisqu’il se renferme obstinĂ©ment dans la lumiĂšre de la pure raison. . Il faut donc essayer de parvenir Ă  un point de vue plus complet encore. C’est la raison , et la raison seule qui conçoit le vrai, le beau et le bien, et sous ces images, elle conçoit Dieu , . qu’elle ne pourrait envisager face Ă  face sans en ĂȘtre Ă©blouie. Par une loi de la nature humaine , en xĂ©nie temps que la raison conçoit l’une de çes xdĂ©es ? au jugement sĂ©vĂšre et froid delĂ  raison vient se .joindre un sentiment agrĂ©able, qui se n g e en un sen timent contraire dĂšs que la xaison saisit l e contraire dix vrai, du beau et du W Ainsi le beau et le laid, conceptions abso- Ues de la raison , sont toujours acconipagnes de f>2 SEPTIÈME LEÇON. plaisir ou de peine, sentiment purement subjectif. Qu’un acte conforme Ă  la loi du devoir s ! accom- plissesous nos yeux , non-seulement nous portons un jugement Ă  ce sujet, mais encore nous Ă©prouvons une Ă©motion agrĂ©able. Si l’acte est notre ouvrage, le plaisir est plus vif- H en est de mĂȘme quand nous saisissons le vrai outre le jugement qui nous avertit de notre dĂ©couverte , nous ressentons une douce Ă©motion, Ă  laquelle; nous pouvons reconnaĂźtre que nous sommes dans le champ de la .vĂ©ritĂ©. Plus le beau est fidĂšlement reproduit, plus le bien Ă©tait dillicile Ă  rĂ©aliser, plus la vĂ©ritĂ© a coĂ»tĂ© de peine, plus le sentiment de plaisir est profond ; mais tel est le rapport de la sensibilitĂ© et de, la raison , que mĂȘme Ă  la vue de la beautĂ© la plus vulgaire , de la bonne action la plus facile, et de la vĂ©ritĂ© la plus simple, la sensibilitĂ© morale reçoit d’une maniĂšre immanquable le contre-coup de la raison. J’appelle du nom gĂ©nĂ©ral d’amour et de liaine les. phĂ©nomĂšnes de la sensibilitĂ©. Ces phĂ©nomĂšnes - s’accomplissent Ă  propos de toutes les conceptions intellectuelles, mĂȘme h propos des connaissances - coptingentes. La sensibilitĂ© est une force d expansion ou une force de concentration. Ainsi que son nom mĂȘme l’indique, la force d’expansion a pour but le monde, extĂ©rieur Ă  la vue 4 ’00 objet-agrĂ©able, je sens aussitĂŽt naĂźtre en moi le phĂ©nomĂšne du dĂ©sir, etlo dĂ©sir est un be- DU VRAI. 63 soin si vil', qu’il ne peut quelquefois se satisiaire que parle mĂ©langĂ© le plus intime du moi et du non-moi. Ce besoin de l’union est uneloi souslaquelletombent tous les objets du dĂ©sir, soit animĂ©s, soit inanimĂ©s. La force dĂ©concentration est Ă  la fois semblable et opposĂ©e k la premiĂšre elle lui ressemble, parce qu’elle cherche Ă  s’assimiler l’objet extĂ©rieur ; mais elle endillĂšre en ce que, partant du moi comrne la force d’expansion, elle revient sur le moi. Dans 1 septiĂšme c’était lĂ  le poiirt de vue terrestre ou le point de vue Ă©picurien. Secondement, l’homme s’est Ă©levĂ© Ă  la conception du bien, dans lequel il a renfermĂ© le beau et ' le vrai ; mais sans rapporter aucune de ces trois idĂ©es Ă  leur fond commun , et sans dĂ©velopper ni haine ni amour ; c’eĂ t le point de vue stoĂŻcien. TroisiĂšmement, l’hoimme passĂ© [des trois idĂ©es ĂŻatiohnelles Ă  la conception de l’ĂȘtre absolu ; mais, arrivĂ© au plus haut dĂ©veloppement de la raison, il a oubliĂ© d’y joindre l’amour c’est le point de vue platonicien. . ' QuatriĂšmement enfin, l’amour s ? est joint Ă  la raison , et l’on a obtenu l’idĂ©e complĂšte de la vie c’est le point de -vue chrĂ©tien. C’est pour avoir mal saisi ces dillerens points de vue quon s’est plongĂ© dans le mystioisme, dont nous aurons Ă  prĂ©senter plus tard la rĂ©futation. Toutes les’ catĂ©gories ayant Ă©tĂ© rĂ©duites par nous Ă  celles du phĂ©nomĂšne et de l’ĂȘtre > nous prĂ©senterons l’histoire du mysticisme dans ses rapports avec ces deux idĂ©es, et nous aurons ainsi Ă  examiner le mysticisme phĂ©?iumenai et le mysticisme substentiel, ainsi que les sous-divisions auxquelles l’un et 1 autre peuvent donner lieu. JNous espĂ©rons montrer que la thĂ©orie complĂšte de la' vie, telle que nous l’avons prĂ©sentĂ©e, no ventre dans aucun de ces mysticismes. Ou s’est sĂ©parĂ© dç toute doctrine mystique lorsqu’on a posĂ©, comme nous l’avons fait, que ce n’est pas. la raison qui dĂ©rive du sentiment, mais le sentiment qui dĂ©rive de la raison. G8 HUITIÈME W*V\*V^\VV\V\\WWV\%A\V\\\V HUITIÈME LEÇON. La sensibilitĂ© joue le principal rĂŽle dans tous les mysticismes. — ThĂ©orie de la sensibilitĂ©. — ParallĂ©lisme de la vie intellectuelle et delĂ  vie sensible.— Vie rĂ©llĂ©- chie, vie spontanĂ©e. Avant d’aborder la longue et dillicile histoire du mysticisme, nous-iivnns besoin de nous Ă©tendre sur l’analyse de la sensibilitĂ©, qui joueuusi grand rĂŽle dans toutes les thĂ©ories mystiques. Nous avons dit que la sensibilitĂ© est parallĂšle Ă  l’intelligence tous nos jugemens se rĂ©flĂ©chissent dans nos senti- niens ; et autant il y a de points de vue diĂŒĂ©rens dans la - vie intellectuelle, autant il s’en trouve dans la vie sensible. Ce qui fait la dillicultĂ© des recherches philosophiques, c’est la complexitĂ© des faits humains, complexitĂ© qu’il laut pourtant rĂ©soudre si l’on veut saisir ces faits avec clartĂ©. Tout nous est donnĂ© il la fois; il i au t donc dissoudre par l'abstraction ce qui est composĂ© dans la nature, et le problĂšme que' nous devons nous proposer, c’est de sĂ©parer sans dĂ©truire, d’observer les dĂ©tails, DU VRAI. 6 9 sans perdre de vue l’ensemble et le jeu simultanĂ© de toutes les parties. L’intelligence et la sensibilitĂ© sont unies dans la rĂ©alitĂ© ; il faut que nous les divisions, si nous voulons les connaĂźtre ; il faut morceler la vie pour l’étudier. Nous avons prĂ©sentĂ© d’abord le tableau de la vie intellectuelle toute seule, et nous l’avons fait saisir dans son double mouvement le mouvement spontanĂ© et le mouvement rĂ©flĂ©chi. Le moi. n’est d’abord qu’une force de dĂ©veloppement, qui se dĂ©ploie pour ainsi dire en ligne droite, apercevant involontairement et confusĂ©ment son action. Mais avec la facultĂ© dĂ© penser, il a aussi celle dĂ© vouloir, c’est-Ă -dire la libertĂ© de revenir sur lui-mĂȘme, et de considĂ©rer sa pensĂ©e par la rĂ©flexion. SpontanĂ©itĂ©, activitĂ© pure, eon- .science; libertĂ©, activitĂ© volontaire, rĂ©flexion, telles sont les deux grandes formes de l’intelligence ; l’une n’est pas l’autre, mais la seconde sort de la premiĂšre tout ce qui est dans le rĂ©flĂ©chi se trouve dans le spontanĂ©. L’homme Ă  beau faire reculer devant sa libertĂ© les bornes des sciences humaines, jamais il ne dĂ©passera les limites du premier acte vital, du premier fait spontanĂ©. 11 s’arrĂȘte Ă  la borne infranchissable des Ă©lĂ©mens contenus dans la spon tanĂ©itĂ©. En un-mot, l’homme ne voit ultĂ©rieure ment que ce qu’il a vu primitivement, mais la vue libre est claire et distincte, la vue spontanĂ©e est obscure et confuse. Le point de vue le plus Ă©levĂ© de la vie intellectuelle est la connaissance du rapport ÇO HUITIÈME LEÇON, qui rattache les idĂ©es absolues Ă  l’ĂȘtre infini, c’est- Ă -dire Ă  la source et au fondement de toute vĂ©ritĂ©, c’est la conception de l’ĂȘtre infini, par delĂ  ses formes absolues. L’infini ou l’ĂȘtre est cet inconnu au delĂ  duquel la pensĂ©e ne conçoit et ne cherche rien. La pensĂ©e ne peut ni comprendre ni imaginer letre lui-mĂȘme, mais en deçà de l’infini sont les formes sous lesquelles il se rĂ©vĂšle ces formes sont les idĂ©es du vrai, du beau, du bien. La raison humaine atteint et conçoit ces idĂ©es lorsqĂŒâ€™en les apercevant elle reconnaĂźt qu’elle ne les constituepas, lorsqu’elle ne s’arrĂȘte pas Ă  ces formes visibles, mais les rattache Ă  l’ĂȘtre invisible et infini, qui est leur fondement, elle touche la derniĂšre limite de la vie intellectuelle; elle est arrivĂ©e au plus haut point de la vie rĂ©flĂ©chie. Mais entre les idĂ©es de beautĂ©, de vĂ©ritĂ©,, de vertu, et l’ĂȘtre qui en est la substance, s’ouvre un abĂźme infranchissable ; car cette substance ne peut ĂȘtre conçue par la raison, qui conçoit seulement la nĂ©cessitĂ© de son existence. Elle sait qu’au delĂ  decet abĂźmerĂ©sidĂ© l’ĂȘtre absolu et infini, qui est la source et le fondement de toute chose, parce qu’il faut nĂ©cessairement que le beau , le vrai et le bien aient une origine et une base; mais c’est lĂ  tout ce qu’elle en sait. Ainsi, la raison humaine ne peut comprendre l’ĂȘtre infini elle n’en connaĂźt queles formes pour ainsi dire visibles. Le dernier point de vue de la rĂ©flexion est donc que la raison sache quelle ne constitue pas le beau, le vrai et le bien en les DU VRAI. 7 1 apercevant, .que ce n’est pas l’homme qui crĂ©e la vĂ©ritĂ© absolue, le type idĂ©al et Ă©ternel du beau, la loi souveraine du devoir ; niais que si ces trois idĂ©es sont immuables, c est parce qu elles sont le reflet de l’ĂȘtre immuable , Ă©temel, universel, infini. Rappelezr-vous maintenant qu’il ne peut y avoir, dans ce point de vue Ă©levĂ© de la rĂ©flexion , rien qui ne se retrouve en germe au dĂ©but de la spontanĂ©itĂ© ; que le point de vue primitif et le point de vue ultĂ©rieur sont entiĂšrement semblablesquant Ă  leurs Ă©lĂ©mens, et que la seule diffĂ©rence qui existe entre les deux extrĂ©mitĂ©s, c’est que l’une est claire, tandis que l’autre est obscure. Que trouvons-nous dans le dernier vue rĂ©flĂ©chi? l’idĂ©e du moi, du non-moi et de l’ĂȘtre absolu. Or, nous avons vu qu’il ne pouvait pas se trouver un Ă©lĂ©ment de moins dans le premier point de vue spontanĂ© ; car la pensĂ©e la plus vague contient un sujet, un objet , et une idĂ©e indĂ©terminĂ©e de l’ĂȘtre. Entre le dernier terme de la rĂ©flexion et la spontanĂ©itĂ© sont des points de’ vue rĂ©flĂ©chis intermĂ©diaires le premier est le point de vue du moi, du non-moi, et des rapports qui les unis- sent ou les sĂ©parent, rapports qui forment les lois de la pensĂ©e et les lois de la nature; le second point de vue ce ] u j o Uj pies nous ĂȘtre Ă©levĂ©s au-dessus du coutingept, nous concevons le bien, le beau et le vrai, comme indĂ©pendans du moi et du On-moi ; le troisiĂšme, qui est le dernier degrĂ© 72 huitiĂšme leçon. de !a rĂ©flexion , rapporte ces idĂ©es absolues Ă  leur origine derniĂšre et fondamentale, Ă l'Ă©tre infini. Tout ce qui est dans l’intelligence se retrouve dans la sensibilitĂ© on peut aussi diviser en deux Ă©poques l’exercice de cette derniĂšre l’époque spontanĂ©e et l’époque rĂ©flĂ©chie ; et celle-ci, en trois momens parallĂšles aux trois momens de la vie intellectuelle rĂ©flĂ©chie. De mĂȘme que pour l’intelligence , il n’y aura rien* dans la sensibilitĂ© rĂ©flĂ©chie qui n’ait Ă©tĂ© d’abord dans la sensibilitĂ© spontanĂ©e. Le dernier point de vue rĂ©flĂ©chi de l’intelligence comprend l’idĂ©e du moi et du non-moi-, et la conception du vrai, du beau et du bien, rapportĂ©s Ă  hĂȘtre absolu le point de vue sensible parallĂšle dĂ©veloppe des sentimens appropriĂ©s Ă  chacune' de ces phases. Dans le point de vue intellectuel, je suis, et quelque chose existe hors de moi, puis, par un jugement delĂ  raison, j’aperçois le bien , le vrai, Je beau , et je les rapporte Ă  leur origine premiĂšre et substantielle. Dans, le point de vue sensible, j'e suis heureux d etre un sentiment dĂ©licieux s’attache Ă  la conscience de mon individualitĂ©; le non-moi .m’est agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able; la cou ceptiondu bien, du beau et du vrai est toujours accompagnĂ©e dĂ©plaisir, et la conception contraire produit toujours un sentimentde peine. L’intelligence, avons-nous dit, ne s’arrĂȘte pas aux idĂ©es absolues, elle aspire Ă  la substance absolue. Nous savons IJ U VU AI. 7 3 * que le moi est un phĂ©nomĂšne pĂ©rissable , que souvent il vient Ă  dĂ©faillir ; que le non-moi est instable et varie perpĂ©tuellement ; que les idĂ©es du beau, du vrai et du bien cessent d’exister, lorsque nous n’existons plus nous-mĂȘmes , et nous sentons le besoin d un fondement qui ne pĂ©risse pas nous nous Ă©levons jusqu’à letre oĂč l’intelligence se repose en paix, et fait Ă©prouver Ă  la sensibilitĂ© le ravissement le plus durable. Le sentiment de plaisir , attachĂ© Ă  l’existenee du moi , ' est agitĂ© j parce que le moi est bornĂ© et pĂ©rissable la jouissance causĂ©e par le cĂŽtĂ© agrĂ©able du non- moi est mĂȘlĂ©e de regret et de crainte , parce que le non-moi est variable et bornĂ© , et parce que nous ne pouvons pas ne pas en recevoir quelque mal. L’émotion, suscitĂ©e par la vĂ©ritĂ© , la beautĂ© , la vertu, est plus calme h la fois et plus vive ; mais toutes les sources de la sensibilitĂ© ne viennent Ă  s’ouvrir que si nous arrivons jusqu’à l’idĂ©e de la substance, de l’inconnu au delĂ  duquel il n’y a rien. LĂ  est le calme absolu, le repos sans agitation , la joie sans mĂ©lange de peine. Mais nous ne faisons qu’entrevoir ces dĂ©lices ; car, ainsi que nous l’avons dit, nous ne comprenons pas l’ĂȘtre lui-mĂȘme , et nous ne concevons que la nĂ©cessitĂ© de son existence. Nous venons de voir l’intelligence rĂ©dĂ©chie ac- ompagnĂ©e d un dĂ©veloppement parallĂšle de la sen- SibihtĂ© ; l’intelligence spontanĂ©e nous offrira le 74 HUITIÈME UEÇON. mĂȘme spectacle. Qu’avons-nous trouvĂ© dans le premier point de vue intellectuel ? le moi , le non- moi, et la conception vague de l’ĂȘtre. De mĂȘme dans le premier mouvement de la sensibilitĂ©, un plaisir confus et indĂ©terminĂ© s’attache S chacun de ces trois termes.. Ai nsi, l’çnfant est satisfait d’exister; le monde extĂ©rieur lui agrĂ©e ou lui dĂ©plaĂźt ; l’enfant sourit oĂč pleure aux objets de la nature, et le sentiment. agrĂ©able de l’ĂȘfre en gĂ©nĂ©ral traverse, quoique d’une maniĂšre fugitive , sa frĂȘld* organisation. Tel est le point de vue primitif sensible dans son parallĂ©lisme avec le point de vue primitif intellectuel. Pour mieux constater le progrĂšs parallĂšle de la raison et de la sensibilitĂ©, reprenons les points intermĂ©diaires qui se trouvent sur la route, depuis le premier Ă©veil spontanĂ©, jusqu’au terme final de la rĂ©flexion. Le vrai, le bien et le beau ne sont que des formes de l’infini qu’aimons-nous donc en aimant la vĂ©ritĂ©, la beautĂ© et la vertu ? nous aimons l’iniini lui-mĂȘme. L’amour de la substance infinie est cachĂ© sous l’amour de ses formes. C’est si bien l’infini lui-mĂȘme qui vous charme dans le beau , le bien et le vrai, que ces manifestations ne vous suffisent pas. L’artiste languit Ă  la vue de ses chefs-d’Ɠuvre il aspire a s’élever plus haut. L’bovnme de bien et le philosophe se dĂ©goĂ»tent de leurs, vertus et de leurs vĂ©ritĂ©s imparfaites. Tant que l’infini n’est pas atteint, l’amour n’est DXT VR/VI.' 70 pas satisfait. La vĂ©ritĂ© est un intermĂ©diaire qui sĂ©pare le philosophe de l’ĂȘtre absolu, comme la nature extĂ©rieure est un obstacle qui sĂ©pare l’enfant de l’ĂȘtre des ĂȘtres ; mais c’est Ă  la substance infinie que tend le philosophe Ă  travers la vĂ©ritĂ© ; de mĂȘme c’est Ă  la substance infinie que l’enfant aspire, sans le savoir, Ă  travers les phĂ©nomĂšnes de la nature. L’enfant ne s’élĂšve pas de prime-abord aux idĂ©es de beautĂ© , de vertu et de vĂ©ritĂ© ; il s’attache aux formes sensibles ; il s’arrĂȘte au monde extĂ©rieur, qu’il prend pour l’Etre lui-mĂȘme; il sourit Ă  la nature ; il se joue sur le sein de sa nourrice qui le regarde avec compassion et le laisse dans cette heureuse ignorance. Mais bientĂŽt ce inonde extĂ©rieur ne peut contenter ses dĂ©sirs la rose qu’il a aimĂ©e lui devient indiflĂȘrente ou lui' dĂ©plaĂźt ; il l'effeuille , la sĂšme sous ses pieds, et court Ă  d’autres plaisirs; il espĂšre trouver dans cette nature, infinie h ses .yeux, quelque bien oĂč se reposera son amour. Mais la rĂ©flexion arrive , elle dĂ©truit ses illusions et son innocente espĂ©rance il comprend que la nature ne peut pas lui donner ce qu’elle n’a pas , et qu’elle n’est point ce qu’il dĂ©sire ; il la dĂ©passĂ© ; il tend volontairement ;m mĂȘme but vers lequel l’entraĂźnait une tendance spontanĂ©e;, sa fin est la mĂȘme, mais il 1 ignorait l’heure, et maintenant il la connaĂźt. L amour dans l’enfant est pur parce l u 11 est spontanĂ© il ^ rĂ©pand tout entier s ’jb huitiĂšme leçon. l’objet agrĂ©able; sa sensibilitĂ© ne se partage pas elle se dĂ©verse sur le non-moi , sans retour sur le moi. La sensibilitĂ© spontanĂ©e ne se divise pas en expansion et en concentration cette division ne s’accomplit que dans le point de vue rĂ©flĂ©chi. Ainsi l’enfant aime l’objet extĂ©rieur Sans s’aimer lui-mĂȘme c’est l’amour dĂ©sintĂ©ressĂ©; mais ce n’est pas le dĂ©voĂ»ment, car on ne se dĂ©voue pas quand on s’ignore. L’amour innocent, tant qu’il se mĂ©connaĂźt lui-mĂȘme, perd son innocence, quand il commence Ăźi se connaĂźtre. DĂšs que la rĂ©flexion prend naissance , la force sensible se divise , et une moitiĂ© revient sur le MOI il y a concentration. L'amour de l’objet extĂ©rieur s’affaiblit ou s’envole ; tel est le sens nie la poĂ©tique fable de PsychĂ©. Tant que PsychĂ© ne connut pas son cĂ©leste amant, sa joie noeenteet vive ; mais dĂšs qu’elle approcha sa lampe, l’Amour s’envola, et son. bonheur se perdit avec son innocence.. En passant de la spontanĂ©itĂ© Ă  la rĂ©llexion, l’amour cesse d’ĂȘtre un, et par consĂ©quent d’ĂȘtre pur le, moi , qui se nĂ©gligeait lui- mĂȘme dans la spontanĂ©itĂ© , se prend, dans la rĂ©flexion , pour l’un des termes de son amour. La rĂ©flexion enfante f Ă©goĂŻsme , mais elle peut enfanter aussi le dĂ©voĂ»ment. A peine sommes-nous arrivĂ©s Ă  ce premier degrĂ© de la rĂ©flexion oĂč le moi revient sur lui-mĂȘme , que nous le franchissons , et nous Ă©levons Ă  l’amour du beau , du bien et du DU VRAI. 77 vrai la sensibilitĂ© reprend ici .une partie de sa puretĂ© et de sa vivacitĂ© premiĂšre. Ce .second degrĂ© est franchi encore , et nous arrivons au troisiĂšme aspect de la rĂ©flexion, Ă  ] amour de letre infini. Mais, Ă  ce dernier terme, l'amour n’a pas d’autre but qu’à son origine ; car c’était l’infini qu’il cherchait d’abord sans le savoir. A travers .les formes finies , l’enfant dĂ©jĂ  poursuivait l’infini ; Ă  travers le moi et le non-moi 7 la reflexion poursuit les idĂ©es absolues, et Ă  travers les idĂ©es elles- mĂȘmes , elle aspire Ă  la substance infinie. La vie intellectuelle et la vie sensible ne sont donc qu’une marche vers l’infini. La raison conçoit l’infini dans le fini; l'amour tend Ă  l’infini par le fini. La raison et l’amour sont les deux grandes formes de la vie humaine quand la vie s’arrĂȘte au sein de la spontanĂ©itĂ© , elle est belle et pure ; quand elle arrive sur le seuil de la rĂ©flexion , elle se dĂ©grade, si elle ne passe sur-le-champ Ă  la conception de l’idĂ©al, et de la conception de l’idĂ©al Ă ,celle de la substance infinie. ArrivĂ©e Ă  ce terme, elle reprend sa puretĂ© et sa beautĂ© premiĂšre. Comme l’amour et la raison constituent la vie humaine, ils constituent aussi la religion et l’art, , - V *~*ÂŁ>*-^ . A» J qui sont les expressions de cette vie. Je m’explique raison conçoit l’infini; l’amour aspire Ă  l'infini qu y a-t-il de p , U; ni con ception, ni religion. L’art n , iryme*s ele; l’ieleh*? La philoso- 1 U VRAI. 99 phie du sentiment est donc incomplĂšte , fausse et illĂ©gitime incomplĂšte, en ce qu’elle fait abstraction d’un phĂ©nomĂšne aussi certain que celui qu’elle reconnaĂźt ; fausse, eu ce qu’elle attribue au sentiment un rĂŽle qu’il ne peut remplir ; illĂ©gitime, en ce qu’elle parle du'vrai , du bien et du beau , qu’elle est condamnĂ©e Ă  toujours ignorer. Cette philosophie appelle cause substantielle l'objet idĂ©al de l’amour ; mais comment l’amour a-t-il pu fournir l’idĂ©e de cause- et l’idĂ©e de substance ? Jaeobi avance que la cause substantielle est une rĂ©vĂ©lation dit sentiment sans aucun doute l’ĂȘtre substantiel nous est rĂ©vĂ©lĂ©, n’est pas par l’amour ; la rĂ©vĂ©lation de l’ĂȘtre absolu se fait Ă  la raison et sous les formes du beau, du vrai et du bien. De deux choses l’une ou il faut anĂ©antir la substance, ou il faut y ; si vous l’anĂ©antissez vous vous mettez en contradiction avec le genre humain et avec vous-mĂȘme, car tout parle de substance, et le moindre de vos mots en fait l’aveu si vous la conservez et que vous veuillez y arriver par une voie lĂ©gitime , n’en laites pas un objet de sentiment, mais tout Ă  la fois un objet de raison et d’amour ; ne la soumettez pas Ă  une facultĂ© subjective?, variable d’individus Ă  individus. Que Vous partiez du moi. p ar 1 analyse pour vous Ă©lever jusqu’à Dieu, ou q\ie vous partiez de Dieu pour redescendre par la synthĂšse jusqu’au moi, vous trouverez toujours la 7 - IOO DIXIÈME LEÇON. raison comme un . anneau indispensable de la chaĂźne le moi aperçoit dans sa conscience le sentiment avec la raison ; la raison lui rĂ©vĂšle la vĂ©ritĂ© , la beautĂ© et la vertu, et. sur ces trois formes il s’élĂšve Ă  Dieu ; dans l’ordre contraire , Dieu est au point de dĂ©part, il se manifeste sous trois idĂ©es ; ces trois idĂ©es s’adressent Ă  la raison , la raison Ă©veille le sentiment, et l’un et l’autre se confondent dans la conscience ou dans le moi. La philosophie de Jacobi est donc illĂ©gitime , car toute philosophie qui laisse de cĂŽtĂ© une rĂ©alitĂ© importante , n’est pas une vraie philosophie. Nous avons commencĂ© aujourd’hui le tableau du mysticisme dans son excursion au delĂ  des phĂ©nomĂšnes la prochaine fois nous achĂšverons cette histoire. DU VRAI. IOI ONZIÈME LEÇON. Continuation du mĂȘme sujet. Dernier degrĂ© du mysticisme relatif Ă  la substance tentative de contempler l’ĂȘtre infini, par-delĂ  les idĂ©es du vrai, du beau et du bien. — Plotim — FĂ©nelon , quiĂ©tisme. Nous avons distinguĂ© trois degrĂ©s dans La vie intellectuelle et sensible, c’est-k-dire, dans la vie humaine i 0 l’aperception de l’homme et de la nature, avec une conception vague et indĂ©terminĂ©e de l’ĂȘtre ; 2 ° l’aperception de la beautĂ©, de la vĂ©ritĂ© et de la vertu conçues en elles-mĂȘmes ; 3° la beautĂ©, la vĂ©ritĂ© et la vertu rapportĂ©es Ă  leur origine premiĂšre, c’est-Ă -dire Ă  l’ĂȘtre absolu. Ne croyez pas cependant que l’ĂȘtre, qui dans le premier degrĂ© enveloppe l’homme et la nature, qui dans 1 second comprend la beautĂ©, la vĂ©ritĂ© et la bontĂ©, apparaisse toujours Ă  la raison avec la mĂȘme clartÂŁ. Primitivement nous concevons surtout le phĂ©nomĂšne en lui-mĂȘme, nous ne le rapportons que vaguement et implicitement ĂŻ\ l’ĂȘtre 102 ONZIÈME absolu. La vin, Ă  son premier degrĂ©, n’ost guĂšre pour nous qu’une dualitĂ© phĂ©nomĂ©nale, ainsi que nousl’avonsdĂ©jĂ dit, ou, en d’autres termes, unevue du moi et du non-moi, plus une conception obscure, de la substance. Dans le deuxiĂšme degrĂ© nous entrevoyons bien le rapport de la vĂ©ritĂ©, de la bontĂ© et de la beautĂ©, avec l’ĂȘtre absolu; mais l’ĂȘtre n’est encore aperçu qu’indistinctemont sous ces formes qui le dĂ©robent tout en le manifestant. Ce n’est donc qu’au troisiĂšme degrĂ© que la substance est conçue avec clartĂ©. Mais aucun degrĂ© de la vie n’est .rivĂ© de l’aperception de l’ĂȘtre ' c’est la substance entrevue ;'i tous les degrĂ©s qui forme ce que j’appelle l’unitĂ© de la vie. La vie n’esi. qu’un dĂ©veloppement, et cette expression indique, que-tous les Ă©lĂšmens de 1 Ă©tat de maturitĂ© Ă©taient dĂ©jĂ  contenus dans le germe; la vie est donc une en mĂȘme temps que diverse. Si l’homme, dans les diliĂ«rens Ă©tats et aux diverses Ă©poques de sa vie, s’attache plus spĂ©cialement, soit au moi et Ă  la nature , soit aux formes absolues, soit enfin Ă  l’ĂȘtre absolu lui-mĂȘme, il n’y a pas pour cela de sĂ©paration complĂšte entre chacun des degrĂ©s de la- vie humaine. Puisqu’il y a unitĂ© dans le dĂ©veloppement rĂ©gulier de l'humanitĂ©, il y a aussi unitĂ© dans Je dĂ©veloppement erronĂ© que nous avons appelĂ© mysticisme. Le mysiicisiiie peut ĂȘtrĂ©^dĂ©fini-d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale ] l prĂ©dominance accordĂ©e au sentiment. Tout en aspirant vers l’ĂȘtre infini, le DU VRAI. io3 sentiment pourra s’arrĂȘter d’abord aux phĂ©nomĂšnes , ou bien aux idĂ©es absolues; enfin, il essaiera d’atteindre directement et immĂ©diatement Ă  l’ĂȘtre lui-mĂȘme. Le mysticisme aura donc trois degrĂ©s correspondant aux trois, divisions de la vie intellectuelle, mais qui garderont toujours entre eux une sorte d’unitĂ©. $ous avons dĂ©crit le mysticisme du premier degrĂ© ou le mysticisme phĂ©nomĂ©nal; nous avons montrĂ© comment il donnait au json-moi tous les caractĂšres du moi ; nous sommes passĂ©s ensuite au mysticisme du second degrĂ© , Ă  celui qui prĂ©tend atteindre par le sentiment les idĂ©es absolues' du beau,. et du vrai; il nous reste-Ă  suivre le mysticisme jusqu’à sa plus haute Ă©lĂ©vation ; en d’autres termes, il nous reste Ă  le considĂ©rer dans son rapport avec le troisiĂšme point de vue de la vie intellectuelle c’est ici surtout que se montre toute sou ambition, tous ses dangers, et nouspoumous presque ajouter tout son dĂ©lire ; et cependant *ce dernier degrĂ© de mysticisme, quoiqu’il puisse ĂȘtre Ă©vitĂ©, a encore sa racine dans la nature humaine, comme il est facile de le montrer. Quand nous sommes arrivĂ©s sur les hauteurs des idĂ©es absolues, quand nous-avons dĂ©passĂ© la sphĂšre sensible et terrestre, un horizon plus vaste se dĂ©roule Ă  nos yeux Ă  l’agrĂ©able succĂšde le beau, au probable le vrai, Ă  l’utile le juste; mais la. scĂšne devient plus grande et plus majestueuse encore lorsque, tourmentĂ©s de cette 10/f ONZIÈME LEÇON. inquiĂ©tude qui ne nous permet de nous reposer nulle part, nous aspirons Ă  percer les formes de l’absolu, et h pĂ©nĂ©trer jusqu'au fondement de tout ce qui existe. L’homme voudrait pouvoir contempler .l’ĂȘtre face h face mais il n'e lui a Ă©tĂ© donnĂ© que de concevoir la nĂ©cessitĂ© de l’infini, et non d’en comprendre la nature. L’imagination a beau s’échauffer et se travailler, en vain elle redouble et multiplie le fini, elle ne se fait jamais une image de l’infini. Maisla sensibilitĂ©, plus impatiente^ que la raison, aspire Ă  la contemplation de l’ĂȘtre, que la raison renonce Ă  contempler. La sensibilitĂ© excite la raison Ă  connaĂźtre ce qu’elle doit ignorer; la raison reste en arriĂšre,. l'imagination seule se met en ayant, et delĂ  le mysticisme le plus-Ă©levĂ©, mais aussi le plus dĂ©plorable; de lĂ  ces mĂ©thodes extatiques, inventĂ©es pour satisfaire ce besoin d’aperception immĂ©diate, et calmer les agitations delĂ  sensibilitĂ©. Il faut en prendre son parti jamais l’homme ne pourra connaĂźtre la substance infinie qu’il s’arme donc d’une Ă©nergique fermetĂ© pour rĂ©sister au dĂ©sir d’une sensibilitĂ© aveugle, et qu’il rejette tous ces procĂ©dĂ©s extatiques qui no satisfont la sensibilitĂ© qu’aux dĂ©pens de la raison; que l’homme consente Ă  ĂȘtre homme le moi , le non- moi et leurs rapports, le. vrai’, le beau et le bien comme idĂ©es absolues et formes d’un ĂȘtre invisible et infini, voilĂ  ce qu’il lui a Ă©tĂ© donnĂ© de connut- 1U VH AI. IOO tr-e; qu’il ne veuille plus haut, sous peine de tomber, au-dessous de lui-mĂȘme. Au reste, je le rĂ©pĂšte, ce besoin d’apercevoir l’inlini est naturel k l’humanitĂ© ; il n’est point de philosophe qui n’ait tentĂ© de parvenir Ă  l’intuition immĂ©diate de l’ĂȘtre ; j’aurais mĂȘme mauvaise opinion de celui qui n’aurait' pas lait cette tentative. La philosophie n’est pas. philosophie si elle ne touche Ă  l’abĂźme; mais elle cessĂ© d’ĂȘtre philosophie si elle y tombe. Parmi les philosophes qui ont eu la prĂ©tention dĂ© saisir directement l’ĂȘtre absolu au lieu de concevoir seulement la nĂ©cessitĂ© de son existence, les uns, comme nous le voir, ont voulu rĂ©aliser cette' entreprise par le sentiment, les autres par la raison. .Nous - avons montrĂ© que le sentiment est tout-Ă -fait incapable de nous mener Ă  1 absolu si je veux conclure de ma sensibilitĂ© Ă  l’ĂȘtre infini, je conclus du moi Ă  cç qui n’est pas moi , du’ variable Ă  l’invariable*,' du contingent au nĂ©cessaire, en un mot, pour parler le langage philosophique, je subjective l’objectif. Une fois reconnue l’impossibilitĂ© d’apercevoir l’absolu par le sentiment, on a eu recours Ă  la raison. Nous avons vu comment 1 homme s’aperçoit qu’il y a autre chose que du variable et du contingent dans ses connaissances ; comment il ne peut se refuser Ă  la conception des idĂ©es de bien, de beau et de vrai-; comment il est contraint de rapporter ces idĂ©es Ă  un ĂȘtre substan- JOfi OSZlKMIi tiel dont i] conçoit, l'existence sans en comprendre la nature ce n’est pas ainsi que procĂšde le ibys- ticisme rationnel ; il accorde bien que ce n’est pas le sentiment qrii conçoit l’ĂȘtre, mais il suppose que la raison l’aperçoit face h faceabstraction faite des formes du vrai, du beau et du bien, et qu’elle le prend,, pour ainsi dire, corps Ă  corps. Plotin, chez les anciens, et quelques-uns des mo’dernes ont rĂ©alisĂ© ce mysticisme, rationnel. Plotin y mĂȘle cependant un peu de senti ment non-seulement, dit-il, j’aperçois immĂ©diatement l’infini, mais quelquefois encore je le sens. Le systĂšme du mystique d'Alexandrie se distingue encore par un autre point de vue qui lui est particulier ; aux yeux de Plotin, la pensĂ©e de l’homme est elle-mĂȘme l’infini ; quiconque de sa pensĂ©e a conscience de l’infini il n’est donc pas surprenant que l’Alexandrin ait prĂ© tendu voir l’infini face Ă  face. Mais indĂ©pendamment de oette pensĂ©e infinie et absolue, il distinguait une autre pensĂ©e contingente, qui se dessinait pour ainsi dire sur la premiĂšre, et qu il fallait traverser pour arriver Ă  l’infini la premiĂšre Ă©tait le moi absolu , la seconde le moi contingent. Plotin prĂ©tendait donc apercevoir immĂ©diatement l’infini ou Dieu eu lui-mĂȘnte; voilĂ  pourquoi i regardait son Ă©ine et son corps- comme le temple de Dieu ; voilĂ© pourquoi il disait qu’il y a eu nous des pensĂ©es divines, et parce mot il n'entendait pas des pen- DU VRAI. . io 7 sĂ©es qui ont rapport Ă  Dieu, ou qui nous sont inspirĂ©es par lui., car nous aussi nous croyons qu’en ce dernier sens il y a en nous des pensĂ©es divines; mais il entendait qĂ»e nous portions Dieu en nous- mĂȘmes, et qu’ainsi Dieu nous parlait sans intermĂ©diaire. Nous rejetons en consĂ©quence le mysticisme de Plotin, parce qu’il ne nous est donnĂ© de concevoir l’ĂȘtre que sous ses formes ‱ absolues du vrai , du beau et du bien ; mais nous le regardons comme moins dangereux que le mysticisme sentimental, parce qu’il lie dĂ©truit pas la loi-du devoir, qui nous oblige Ă  la recherche de la vĂ©ritĂ© et de la beautĂ©, et Ă  la pratique de la vertu. Le mysticisme sentimental, s’absorbant tout entier dans le sentiment dp l’ĂȘtre, se contente de Ltdo- rer’et renonce Ă  l’action il-nĂ©glige l’accomplissement du devoir , l’étude de la vĂ©ritĂ©, et la reproduction du beau. L’art h’est plus que l’adoration de l’ĂȘtre intini, la logique que la contemplation de Dieu , la morale qu’une rĂ©signation entiĂšre aux passious. Tel est le tableau de ce dangereux mysticisme qifon .appelle quiĂ©tisme, et dont quelques lettres de FĂ©nelon sont malheureusement entachĂ©es. Sans entreprendre un combat en rĂšgle contre la doctrine de ce grand homme, je me contenterai de faire observer qu’elle est. en contradiction ;i\ec la lin du deyoĂŻr- Dette loi moblige, non dabandonner l’empire de 108 ONZliiMli LEÇON. » ‱ ‱> aux passions, ni de leur opposer une rĂ©signation inactive, mais de les abordĂ©e franchement et courageusement, de les combattre et de les vaincre- elle m’ordonne, en un mot, de mettre la sensibilitĂ© sous le joug , et de prĂ©fĂ©rer les conceptions pures et calmes dĂ© la raison aux mouvemens aveugles et impĂ©tueux du sentiment. Sans doute si quelquefois la raison nous conseillait de cĂ©der aux plus violentes de nos passions , pour les laisser s’user elles-mĂȘmes, si elle nous disait Vous pourriez combattre, mais vous succomberiez; laissez donc la passion vous dĂ©chirer les entrailles; gardez-vous seulement de la laisser Ă©chapper au dehors, de lui laisser produire des ellĂšts extĂ©rieurs elle s’épuisera par l’excĂšs mĂȘme de sa violence, et vous rentrerez sous mon empire; sans doute alors la rĂ©signation serait lĂ©gitime, parce qu’elle Ă©manerait de la raison ejlc-mĂȘme. Mais la raison donne-t-elle jamais de tels conseils? Ne serait-il pas moins. convenable Ă  la dignitĂ© humaine do cĂ©der par prudence Ă  la passion que de la combattre avec courage? La rĂ©signation conseillĂ©e par la raison serait dĂ©jĂ  peu glorieuse pour l’homme; que dipons-notis donc si, n’écoutant jamais que de la sensibilitĂ©, tranquille au sein d’un honteux repos, il laisse. toutes ses passions se dĂ©velopper paisiblement'sans essayer de les cohibattre?. N est-ce pas courber la libertĂ© de l’homme sous la fatalitĂ© de la nature? nĂŒ VRAI. 109 Maintenant que nous avons exposĂ© les dangereuses erreurs du mysticisme, on peut reconnaĂźtre comment il se distingue de la doctrine que nous ayons professĂ©e. Nous admettons que la vie lmmaine, c’est-Ă -dire cette libertĂ© douĂ©e de raison et d’amour, se renferme d’abord dans le point de vue du moi et du non-moI, avec une conception vague de l'ĂȘtre absolu ; que bientĂŽt elle s elĂšve aux idĂ©es absolues de vrai, de beau et de bien, et qu’enlin elle rapporte ces idĂ©es Ă  un ĂȘtre substantiel, premier et infini, dont 611e conçoit l’existence, et dont il lui est interdit Ă  jamais de comprendre l’essence. 11 n’y a dans tout ceci ni personnification de la nature extĂ©rieure , ni invocation , ni ‹évocation des forces contingentes, ni surtout tentative de contempler ou de sentir l’ĂȘtre infini sans voile et sans obstacle. .Entre le moi libre, phĂ©nomĂšne individuel et fini, et Dieu, substance absolue et infinie, existe un intermĂ©diaire qui nous apparaĂźt. sous trois formes le vrai, le beau et le bien c’est- par ce mĂ©diateur seulement que nous arrivons Ă  la conception de Dieu ; le seul moyen qui nous soit offert pour nous Ă©lever jusqu’il l’ĂȘtre des ĂȘtres, c’est de nous rendre , le plus qu’il nous est' possible , semblables au mĂ©diateur, c’est-Ă -dire de nous consacrer Ă  la recherche de la vĂ©ritĂ©, Ă  la reproduction du beau, ĂȘt surtout Ă  la pratique du bien. I IO > DOUZIÈME LEÇON. ' l vvv v\ivw "vvw n uwihiva v\vmwvwWM vvyt'wyvvwYvv^ wv DOUZIÈME LEÇON. ProblĂšme de in vĂ©ritĂ© absolue i.— pour le rĂ©soudre ‱. partir de l’état primitif de l’intelligence et descendre Ă  l’état actuel , ou partir de l’état actuel et remonter Ă  l’état primitif. -— LĂ  seconde mĂ©thode est prĂ©fĂ©rable 2. —Du critĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ© au de la nĂ©cessitĂ©. — Du critĂ©rium absolu de la vĂ©ritĂ© ou de son unit ersalitĂ© et tfe son indĂ©pendance 3 . INious avons franchi les divers degrĂ©s dont se compose la vie intellectuelle ; nous avons l’ait remarquer les diversitĂ©s qui les distinguent, et l’uni tĂ© cpii se cache sous cctj apparentes diversitĂ©s. L’un de ces 'degrĂ©s est lit couception des idĂ©es absolues du vrai, çlu beau et du bien mon but maintenant est d’approibudh' ce point de vue. 1 Voyez, F fi *r, mkn s i' programme de 1818, pages Ăźli'Ă f »G 4 premiĂšre Ă©dition. s Voyez, Fhagmen* 1 ujlosopiiiulbs, programme de 1817, pages a»8 et 22i it VH AI. I I I Les irois idĂ©es absolues peuvent se comprendre* sous le litre gĂ©nĂ©ral .de vĂ©ritĂ© absolue le beau c'est le vrai sous des formes visibles, le bien c’est le vrai transportĂ© dans les actions humaines. Pour qu’il y ait de 1 absolu dans les beaux-arts etdaiisla morale, il faut quil y ait de la vĂ©ritĂ© absolue. La question de l’absolu, en mĂ©tu- pbysique, doit prĂ©cĂ©der la question de l’absolu dans les arts et dans la morale, et nous devons commencer par ce problĂšme y a-t-il ou ny a-t-il pas de la vĂ©ritĂ© absolue? Quelle niĂ©tlipde employons-nous dans cette recherche ? iNous avons Ă  mĂ©nager non-seulement l’intĂ©rĂȘt delĂ  vĂ©ritĂ©, mais encore l’intĂ©rĂȘt de la science, e’est-Ă -dire qu’il ne nous convient pas de rencontrer la vĂ©ritĂ© par hasard , et comme par une sorte de bonne fortune, mais que nous devons parvenir Ă  la vĂ©ritĂ© par des procĂ©dĂ©s scientifiques, par ce que nous appelons une mĂ©thode. 11 y a deux mĂ©thodes usitĂ©es en philosophie pour Ă©tudier les faits de l’entendement l’une les prend Ă  leur origine, cherche ce qu’ils ont dĂ» ĂȘtre primitivement, et passe de lĂ  Ă  leur Ă©tat actuel; l’autre Ă©tudie d’abord l’état actuel, et de lĂ  remonte Ă  l’état primitif ; elle essaie de connaĂźtre ce qui est, avant de se demander ce qui a pu ĂȘtre- L Ă©tat primitil est loin de nous nous ne pouvons plus le ramener sous nos yeux et le ^soumettre a notre observation; l’état actuel, au contraire, est I I 2 DOUZIÈME toujours Ă  notre disposition il nous sullit de rentrer en nous-mĂȘmes, de fouiller dans notre conscience, et de lui faire rendre tout ce qu’elle contient. La mĂ©thode qui commence par l’étude du primitif ne peut pas Ă©tudier cet Ă©tat, puisqu’il n’est pas h sa portĂ©e, et qu’il n’y a pas de commerce possible entre le. prĂ©sent et le passĂ©. Que lui reste-t-il donc Ă  faire? C’est de construire des hypothĂšses, de s’appuyer sur ces hypothĂšses comme sur quelque chose de rĂ©el, et d’en tirer des consĂ©quences qui ne pourront ĂȘtre qu’hypothĂ©tiques. Voulons-nous donner Ă  nos recherchĂ©s un fondement solide, rĂ©el, inĂ©branlable, ayons recours Ă  la seconde mĂ©thode Ă©tablissons-nou* Lus l’état prĂ©sent, et cet Ă©tal bien Ă©clairci , paSSOUS , -s’il est possible, h 1 Ă©tat antĂ©rieur; Quand nous aurons constatĂ© le caractĂšre que possĂšde aujourd'hui tel ou tel phĂ©nomĂšne de eoriscieneĂ©, nous chercherons quel a dĂ» ĂȘtre son caractĂšre primitif; puis, lorsque nous tiendrons les deux extrĂ©mi tĂ©s delĂ  chaĂźne, nous pourrons songer Ă  saisir les anneaux interi nĂ©diaires nous nous occuperons du passage de l’état primitif h l’état actuel. Cette mĂ©thode est la plus sĂ»re, elle rĂ©pond 'a celle qud l’on suit dans les sciences d’observation. Comme elle part d’un principe certain, incontestable, elle n’est pas exposĂ©e Ă  errer d’hypothĂšse en hypothĂšse; Si,. en remontant vers l Ă©tal primitil, elle se jette dans quelque fausse spĂ©culation, si elle se trompe en dĂ©crivant la Iran- DU VRAI. 113 sition du primitif Ă  l’actuel, ses observations sur l’état prĂ©sent n’en sont pas moins lĂ©gitimes. Nous pourrons ou rĂ©parer ses erreurs, ou les rejeter , et nous en tenir Ă  ses vĂ©ritables dĂ©couvertes, Ă  celles qui regardent l’état prĂ©sent de nos connaissances. Nous appelons vĂ©ritĂ© absolue une vĂ©ritĂ© indĂ©pendante de toutes les circonstances de temps et de lieux, et dont le caractĂšre fondamental est l’universalitĂ© toute vĂ©ritĂ© universelle est une vĂ©ritĂ© absolue. Outre ce caractĂšre fondamental , c’est-Ă -dire, l’universalitĂ© et l’indĂ©pendance, l’ai>- solu en a un second par rapport Ă  l’intelligence, c’est la nĂ©cessitĂ© ce caractĂšre est donc simplement relatif. Les vĂ©ritĂ©s absolues sont Ă  la fois universelles et nĂ©cessaires ; universelles en elles-mĂȘmes, nĂ©cessaires relativement Ă  l’intelligence. On a donnĂ© au premier caractĂšre le nom de critĂ©rium absolu , et au second le nom de critĂ©rium relatif. Nous allons vĂ©rifier d’abord le second caractĂšre y a-t-il actuellement pour nous des vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires? Adressons-nous au gĂ©omĂštre peut- il , suivant son caprice, croire ou ne pas croire aux vĂ©ritĂ©s mathĂ©matiques? Ces vĂ©ritĂ©s sont-elles nĂ©cessaires ou contingentes ? Si nous interrogeons le mĂ©taphysicien, ne nous parlera-t-il pas de notions marquĂ©es du caractĂšre de nĂ©cessitĂ© ? Prenons un exemple commun Ă  la mĂ©taphysique et Ă  la gĂ©omĂ©trie le gĂ©omĂštre et le mĂ©taphysicien ne PHILOSOPHIE. I I /J DOUZIÈME LEÇON. reconnaissent-ils pas l'existence d’un espace pur , dont ils 11 e peuvent rejeter la notion, ou regardent-ils l’espace comme une liction de l’esprit, avec laquelle ils peuvent jouer Ă  leur grĂ© ? 11 est hors de doute que les gĂ©omĂštres et les mĂ©taphysiciens croient Ă  un espace Ă©ternel et sans bornes, indĂ©pendant des corps qui se meuvent dans son sein , et qu’ils avouent en mĂȘme temps la nĂ©cessitĂ© oĂč ils sont d’y croire. La notion de l’infini n’est-elle pas aussi admise par la gĂ©omĂ©trie et la mĂ©taphysique , et ne regardent-elles pas cette notion comme nĂ©cessaire? Enfin, l’idĂ©e de temps ne leur apparaĂźt-elle pas encore comme marquĂ©e d’un caractĂšre de nĂ©cessitĂ© ? Peuvent- elles h lour grĂ© allirmer ou nier l’existence du temps ? Ainsi nous avons dĂ©jĂ  suflisapuuent constatĂ© la rĂ©alitĂ© du critĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ©, et cependant nous n’avons encore empruntĂ© Ă  la mĂ©taphysique que des notions qui lui sont communes avec la gĂ©omĂ©trie. Parmi celles qui lui sont particuliĂšres se trouvent le principe de substance et le principe de causalitĂ© nous est-il possible de comprendre une qualitĂ© sans sujet, un phĂ©nomĂšne sans substance ? Concevons-nous la forme sans quelque chose de formĂ© , la pensĂ©e sans quelque chose qui pense ? Si nous ne pouvons pas nous prĂȘter Ă  de pareilles suppositions, nous sommes donc en droit de regarder comme nĂ©cessaire la notion de substance ? N’est- OU VRAI. I l5 il pas vrai, d’tme autre part * que, si nous voyous un phĂ©nomĂšne commencer d’exister, nous sommes irrĂ©sistiblement portĂ©s Ă  croire que ce phĂ©nomĂšne a une cause?Car, comme nous l’avons dit, le vrai comprend Ă  la Ibis la catĂ©gorie de substance et la catĂ©gorie de cause. De lai mĂ©taphysique descendons aux pratiques de la vie tout le monde au rĂ©cit d’un Ă©vĂ©nement n’est-il pas curieux d’en rechercher la cause, et le sceptique le plus hardi n’admet-il pas comme le'vulgaire le principe de la raison sullisante ? Ces exemples sulliseut pour constater le critĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ©; occupons-nous maintenant du critĂ©rium absolu , toujours sans dĂ©passer les limites de l’actuel. L’espace, le temps, l’iniini, la substance, la cause, tout cela nous apparaĂźt-il uniquement comme idĂ©e nĂ©cessaire, ou comme objet subsistant par soi-mĂȘme et indĂ©pendant de notre esprit ? Ne faut-il pas reconnaĂźtre que si nous ne pouvons nous refuser Ă  de pareilles notions, les objetsde ces notions sontindĂ©pendans des idĂ©es qui les reprĂ©sentent*, et aprĂšs avoir comptĂ© des connaissances nĂ©cessaires, ne faut-il pas admettre des vĂ©ritĂ©s absolues? Tel est le critĂ©rium absolu de la vĂ©ritĂ©. Quand l’objet peut subir cette epreuve, se dĂ©gager pour ainsi dire des liens de 1 esprit et subsister eu dehors de l'intelligence, il passe de lĂ©tat de notion nĂ©cessaire Ă  celui de vĂ©ritĂ© universelle ; il a su bi l’épreuve du critĂ©- 8 . ^CĂŻBL'.OTHEK der H. iCH I I G DOUZIÈME LEÇON. rium absolu. Deux philosophes, Reid et Kant, ont proclamĂ© des principes absolus ; mais ils ont fait reposer le vrai sur l’impossibilitĂ© oĂč nous sommes de le rejeter. C’est faire tomber l’absolu dans le relatif ; d’aprĂšs leur thĂ©orie, rien ne m’assure que la vĂ©ritĂ© ait une existence propre et qu’elle soit hors de notre esprit. Ces prĂ©tendus principes absolus ne sont plus que des formes du moi , des .lois de l’entendement, c’est- Ă -dire , des notions subjectives, qui doivent aboutir infailliblement au scepticisme. Ainsi la mĂ©taphysique, rĂ©duite par le sensualisme de Locke Ă  de simples notions contingentes , Ă©levĂ©e par les philosophes allemands et Ă©cossais jusqu’aux notions nĂ©cessaires, n’a cependant pas dĂ©passĂ© les limites d’un critĂ©rium relatif ,J et est retombĂ©e avant d’atteindre le critĂ©rium absolu , qui se cache sous le premier ; il ne fallait cependant qu’un lĂ©ger ellort de plus pour le dĂ©gager et le mettre en lumiĂšre. Nous avons vu dans cette leçon la mĂ©thode que l’on doit suivre pour les recherches philosophiques ; elle consiste Ă  opĂ©rer sur l’actuel comme le physicien , Ă  l’épuiser en lui faisant produire toutes les consĂ©quences qu’il peut engendrer, Ă  n’aborder le primitif qu’aprĂšs l'analyse complĂšte de l’actuel, et Ă  jeter ensuite un pont entre ces deux rives, entre le prĂ©sent et le passĂ©. Appliquant cette mĂ©thode Ă  l’étude de la vĂ©ritĂ© ab- nu VRAI. "7 sol lie 1 , nous avons fortement sĂ©parĂ©, la question de son Ă©tat actuel dans l’intelligence d’avec la question de son origine et de sa gĂ©nĂ©ration ; n’abordant que la premiĂšre question , nous avons essayĂ© de montrer qu’il J a des notions nĂ©cessaires , et de plus des vĂ©ritĂ©s indĂ©pendantes de la notion que nous en possĂ©dons, et que si le caractĂšre de nĂ©cessitĂ© est le critĂ©rium relatif ou subjectif de la vĂ©ritĂ©, l’indĂ©pendance et l’universalitĂ© forment son critĂ©rium absolu. I I 8 TREIZIÈME LEÇON. W HHVHVX VVViW'' V v %WVV\ V\VWVW WWVWWwi wu\t TREIZIÈME LEÇON. NĂ©cessitĂ© d’une bonne mĂ©thode en mĂ©taphysique. —VĂ©-' rites contingentes, vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires. — La nĂ©cessitĂ© est le signe de l’absolu i.— Avant la croyance nĂ©cessaire est l’aperception pure de la vĂ©ritĂ© 2 . —Raison spontanĂ©e, raison rĂ©flĂ©chie. — La vĂ©ritĂ© absolue est en dehors de toute dĂ©monstration. — Elle fait son apparition dans l’homme et dans la nature, mais elle n’est ni l’un ni l’autre , c’est une manifestation de Dieu. — ImpossibilitĂ© de l’athĂ©isme 3. Je devais dans cette leçon passer des caractĂšres actuels des connaissances humaines aux caractĂšres primitifs de ces connaissances, c’est-Ă -dire , entrer dans un des problĂšmes les plus dilliciles de la mĂ©taphysique ; mais comme je n’ai pas parcouru dans tous les sens la sphĂšre que je me suis 1 Voyez. Fragmens PufLosopmouEs > programme de 1818, page 2G9. 2 Voyez, Iragmens philosophiques, prĂ©face , pages xxj et xxij premiĂšre Ă©dition, et programme de 1818 , page 270 et suivautes. 3 Voyez, ibid., prĂ©face, page xlj, elle fragment intitulĂ© Religion, mysticisme, stoĂŻcisme, pages 189,190, et le programme de 1818, page 278 et suivantes. DU VRAI. ”9 tracĂ©e , je dois y revenir , et essayer de prĂ©senter l’état actuel sous toutes ses faces. Je sens ici plus que jamais le besoin de vous rĂ©pĂ©ter que mon but n’est pas seulement d’enseigner un systĂšme dĂ©terminĂ© , mais encore de donner l’exemple d’une mĂ©thode sĂ©vĂšre, qui s’appuie sur des bases solides, en un mot, d’une mĂ©thode experimentale. Car si l’on veut faire sortir la philosophie’de 1 Ă©tat d enfance oĂč elle est encore aujourd hui, si 1 on veut l’élever au niveau des autres sciences, . il faut la ranger sous le joug de l’expĂ©rience, et par expĂ©rience n’entendez pas l’observation grossiĂšre et facile des sens, mais l’exercice intĂ©rieur de la pensĂ©e cjui se replie sur elle-mĂȘme, de la conscience qui considĂšre et constate tous les faits intellectuels. 11 est temps qu’oh se dĂ©lie de ces procĂ©dĂ©s arbitraires qui ont mis la philosophie au service de l’esprit de systĂšme, et l’ont conduite Ă  un but dĂ©' sirĂ© et prĂ©vu d’avance. La mĂ©thode que je vous propose est de poser d’abord les diffĂ©rentes espĂšces possibles de recherches , et de choisir celle qui est la plus accessible. Je trace trois grandes divisions dans l’intelligence le prĂ©sent, le passĂ© et la transition de l’un Ă  l’autre Ă©tat, et j’aborde la premiĂšre de ces divisions. Dans les limites de l’actuel nous avons reconnu un Ă©lĂ©ment remarquable par sa lixitĂ© et sa puretĂ© c’est l’absolu ; les caractĂšres qu’il manifeste ont Ă©tĂ© dĂ©crits, mais tout n a pas Ă©tĂ© lait, et la science de factuel n’est pas achevĂ©e. 120 TTlETZIÈME LEÇON. Avant de nous engager dans les tĂ©nĂšbres du passĂ© , il faut demander au prĂ©sent tout ce qu’il peut donner. Je sais qu’il y a de la vĂ©ritĂ© absolue; je sais qu’il y a des propositions marquĂ©es du caractĂšre de vĂ©ritĂ© ou de faussetĂ© parmi les propositions vraies, j’en’dĂ©couvre quelques-unes marquĂ©es du caractĂšre de nĂ©cessitĂ© , et quelques autres du caractĂšre de contingence,- en d’autres termes , il y a des propositions ‱ que non-seulement je reconnais pour vraies, mais que je ne puis rĂ©voquer en doute, qui'entraĂźnent, qui ravissent l’assentiment de ma raison ce sont lĂ  les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires ; il en est d’autres qui me paraissent vraies, non plus d’une vĂ©ritĂ© qui leur soit propre , mais d’une vĂ©ritĂ© qu’ils empruntent aux circonstances dont ils sont environnĂ©s , et ces vĂ©ritĂ©s je les appelle contingentes. Les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires se divisent en deux grandes classes , non plus d’aprĂšs leur nature fondamentale , mais d’aprĂšs les objets dans lesquels elles apparaissent les unes sont des vĂ©ritĂ©s physiques, les autres des vĂ©ritĂ©s mĂ©taphysiques les premiĂšres prĂ©sident Ă  la nature matĂ©rielle, les secondes Ă  la nature intellectuelle et morale. On peut Jaire la mĂȘme distinction entre les vĂ©ritĂ©s contingentes, mais nous ne nous occupons ici que des vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires- L’esprit de l’homme ne se contente pas de les concevoir , il veut encore pĂ©nĂ©trer la raison de leur existence. Incapable de briser ses DU VRAI. 131 chaĂźnes, il veut savoir quelles mains les lui imposent. Ici se prĂ©sente la question de l’absolu, dĂ©jĂ  agitĂ©e et rĂ©solue dans la derniĂšre leçon ; nous avons montrĂ© que le nĂ©cessaire, loin d’ĂȘtre l’absolu, n’en est que l’enveloppe. Pour nous convaincre de cette vĂ©ritĂ© , nous n’avons pas eu besoin de sortir des limites du prĂ©sent et de nous enfoncer dans les voies tĂ©nĂ©breuses du passĂ© sous nos croyances nĂ©cessaires nous avons dĂ©couvert l’existence du vrai. Ainsi, non-seulement je suis dans la nĂ©cessitĂ© de reconnaĂźtre une vĂ©ritĂ© qui se prĂ©sente Ă  mon esprit, mais je sais, en outre, que ce n’est pas la nĂ©cessitĂ© qui constitue cette vĂ©ritĂ©. La nĂ©cessitĂ© n’est pour l’entendement que le signe d’une existence antĂ©rieure, lg signe de l’existence de la vĂ©ritĂ©. La nĂ©cessitĂ© n’est pas le terme auquel aboutit la mĂ©taphysique , la nĂ©cessitĂ© n’est pas la raison de 1 absolu ; c’est l’absolu qui est la raison de la nĂ©cessitĂ©. Il faut renverser la mĂ©thode de la philosophie Ă©cossaise et de la philosophie allemande au lieu d’établir la vĂ©ritĂ© sur la croyance, il faut fonder la croyance sur la vĂ©ritĂ©- Tout ceci revient Ă  dire qu’avant la nĂ©cessitĂ© de croire Ă  la vĂ©ritĂ© , nĂ©cessitĂ© qui implique rĂ©flexion , examen., contestation, car il faut s’ĂȘtre interrogĂ© sur la valeur d’une croyance pour en reconnaĂźtre la nĂ©cessitĂ© , il existe une aper- ception pure de la vĂ©ritĂ©. Cest ce phĂ©nomĂšne dĂ©licat , dans lequel toute subjectivitĂ©. expire, que nous allons nous efforcer de mettre en lumiĂšre. Si 122 TREIZIÈME LEÇON. dans toute conception nĂ©cessaire se trouve cette aperception primitive et pure de la vĂ©ritĂ© en elle- mĂȘme, tout l'Ă©chafaudage des idĂ©es subjectives, des lois constitutives de l’esprit se disjoint et s’écroule. La croyance nĂ©cessaire n’est plus que la partie ultĂ©rieure des faits intellectuels ; l’attribut d’existence convient Ă  la vĂ©ritĂ©, et dĂ©gagĂ©e de toutes les enveloppes subjectives elle apparaĂźt dans tout son jour. il s’agit de constater l’intuition spontanĂ©e de la vĂ©ritĂ© , de la surprendre sur le lait avant qu’elle soit rĂ©flĂ©chie dans l'intelligence , de rendre apparente cette premiĂšre aperception de la raison, cet acte fugitif qui passe devant la conscience avec la rapiditĂ© de l’éclair. La question que nous avons k rĂ©soudre est celle-ci l’absolu, soit par exemple la cause absolue, k l’idĂ©e de laquelle nous nous Ă©levons, en assignant une cause k chaque Ă©vĂ©nement, la substance absolue, que je conçois au fond de tous les phĂ©nomĂšnes , tout cela existe-t-il hors de mon entendement, ou tout cela ut* dĂ©passe-t-il*pas le domaine de la psychologie, et ne faut-il y voir T»* des produits de mon intelligence , que des ĂȘtres de raison ? Les deux Ă©colns cĂ©lĂšbres dont-nous avons parlĂ© veulent que notre esprit ne puisse exercer le jugement que sous trois formes l’allirmatioii, la nĂ©gation et le. doute. Je pense qu’elles n’ont pas distinguĂ© la conception pure de l’entendement DU VRAI. 123 d’avec la conception rĂ©flĂ©chie. Nous Ă©cartons de la discussion le jugement dubitatif qui n’est ni une aperception pure , ni une aperception rĂ©flĂ©chie , et nous examinons si le jugement est d’abord nĂ©cessairement affirmatif ou nĂ©gatif. Tout jugement affirmatif est en mĂȘme temps nĂ©gatif, car affirmer qu’une chose existe, c’est nier sa non-existence ; tout jugement nĂ©gatif est en mĂȘme temps affirmatif, car nier l’existence d’un objet, c’est aflirmer sa non-existence. Ainsi, que ait la forme de l’affirmation ou de la nĂ©gation , ces deux formes, qui se renferment l’une l’autre, impliquent qu’on s’est posĂ© la question de l’existence de l’objet, qu’on a rĂ©flĂ©chi, et que Je moi s’est vu contraint d’adopter tel ou tel jugement, de sorte qu’il n’a plus d’autres moyens de .lĂ©gitimer ce jugement que la nĂ©cessite oĂč il s’est trouvĂ© de le porter. Ici reviennent les thĂ©ories des Ă©coles que nous combattons car, disent-elles, si vous n’allirmez la vĂ©ritĂ©* que parce qu’il vous est nĂ©cessaire de la concevoir, vous n’avez toujours pour garant ou pour critĂ©rium de la vĂ©ritĂ© que votre conception , et en consĂ©quence vous ne sortez pas de vous-mĂȘme j vous demeurez dans le subjectif. Mais, rĂ©pondrons- nous , tous nos jĂčgcmens sont-ils nĂ©cessairement affirmatifs ou nĂ©gatifs ? sont-ils tous marquĂ©s de cette nĂ©cessitĂ© qui subjective la vĂ©ritĂ© ? En d’autres termes, notre entendement n’agit-il que sous la loi de la rĂ©flexion ? Consultons l’expĂ©rience qui 12 ^. TJIEIZTKMG doit ĂȘtre notre seul guide , quand il s’agit de con stater ries phĂ©nomĂšnes internes elle nous apprend que l’exercice de la raison spontanĂ©e , non rĂ©flĂ©chie , prĂ©cĂšde celui de la raison repliĂ©e sur elle- mĂȘme. Ainsi, le premier acte de ma raison en lace d’une vĂ©ritĂ© , de cette proposition par exemple deux et deux valent quatre, est. un acte irrĂ©flĂ©chi, sans prĂ©mĂ©ditation, sans retour dii moi sur lui- mĂȘme , un acte qui ne se met pas en question , et qui, par consĂ©quent , n’est ni affirmatif ni nĂ©gatif ; un acte enfin qui saisit du premier bond la vĂ©ritĂ© en elle-mĂȘme, et qui ne l’appuie pas sur la nĂ©cessitĂ© oĂč l’esprit se trouve de la concevoir. Si l’on contredit Ce premier acte, notre intuition se rĂ©flĂ©chit alors sur elle-mĂȘme, Ă©tonnĂ©e qu’elle est d’ĂȘtre combattue elle se donne elle-mĂȘme pour preuve de la vĂ©ritĂ© qu’elle affirme , et alors , mais alors seulement , apparaissent les formes subjectives, les lois ou les catĂ©gories de la pensĂ©e. Le systĂšme de llcid et de Kant est dĂ©tr uit par la distinction de la raison spontanĂ©e et de la raison rĂ©flĂ©chie. Le double procĂ©dĂ© de l’intelligence humaine ouvre Ă  nos yeux deux sphĂšres dillĂ©ren- tes, dans lesquelles apparaissent des phĂ©nomĂšnes, entiĂšrement diffĂ©rons l’une est le théùtre des contestations, des combats que la raison soutient contre elle-mĂȘme; l’autre, est un sĂ©jour de silence et de paix; rien ne peut en altĂ©rer la puretĂ©. LĂ  , l’esprit, n’invoque que la nĂ©cessitĂ© de ses croyances; 1U VT AI. ici, la raison aperçoit l’absolu, parce qu’il ' existe et non parce quelle y est contrainte. Nous sommes arrivĂ©s maintenant au terme que l’observation 11e peut franchir dans le champ de l’actuel, mais nous devons tirer les consĂ©quences du principe que nous venons de poser ; i° la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de croire Ă  une vĂ©ritĂ© quand elle apparaĂźt Ă  notre intelligence, n’est que la forme extĂ©rieure de la vĂ©ritĂ© , son caractĂšre relatif, caractĂšre qui en prĂ©suppose un autre sur lequel le premier repose, et sans lequel il n’existerait pas. Lors donc que nous nous sentons dans la nĂ©cessitĂ© inĂ©vitable de reconnaĂźtre une vĂ©ritĂ© , tenons- nous pour avertis qu’il y a hors de nous de la vĂ©ritĂ© ; 2° toutes les fois que nous voulons dĂ©montrer 1 existence d’une vĂ©ritĂ© par la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de l’apercevoir, nous nous renfermons dans le moi , nous subjectivons l’absolu ; 3 ° aller de la nĂ©cessitĂ© Ă  l’absolu, c’est aller du signe Ă  la chose signifiĂ©e, c’est conclure du dedans au dehors. Ici le cercle vicieux est Ă©vident comment, en eflĂȘt, dĂ©molrtrcr l’absolu par le nĂ©cessaire ? toute dĂ©monstration suppose un principe , mais le principe ici serait justement ce qu’il faudrait dĂ©montrer, savoir ; que de l’idĂ©e nĂ©cessaire on peut conclure l’absolu. L’absolu est donc hors de la portĂ©e de la dĂ©monstration. . L’argumentation Ă©puisera ses formes et son langage avant de le prouver ; c’est Ă  l’observation, Ă  l’intelligence 126 TREIZIÈME LEÇON. pure et non rĂ©flĂ©chie qu’il appartient de le dĂ©couvrir. Nous avons montrĂ© jusqu’il prĂ©sent l’absolu en loi-mĂȘme et daiis son rapport avec l’intelligence, il nous reste Ă  faire voir son application li la nature extĂ©rieure. L’absolu, quoiqu’également indĂ©pendant du monde interne et du monde externe, fait toutefois son apparition dans l’un et dans l’autre ; il descend et se repose sur la nature en mĂȘme temps qu’il se rĂ©flĂ©chit dans l’intelligence si l’homme tient de l’absolu les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires, l’univers en a reçu les lois qui le rĂ©gissent. L’absolu plane sur l’humanitĂ© et sur la nature, les domine et les gouverne Ă©ternellement, avec cette seule diffĂ©rence qn l’une le sait et que l’autre l’ignore; mais il en est Ă©galement indĂ©pendant i. L’absolu est le fond sur lequel se dessinent tous les phĂ©nomĂšnes de ce double tableau. Dirait-on que si l’homme n’aperçoit l’absolu que dans son intelligence et dans la nature physique, l’absolu est constituĂ© par lu nature et par l’homme? Sans doute l’absolu ne nous est pas donnĂ© comme une abstraĂštion; sans doute il n’existerait pas pour nous s’il n’était appliquĂ© ou rĂ©flĂ©chi ; mais l’esprit sait qu’il ne porte en lui-mĂȘme, et qu’il ne voit dans la nature que la copie d-un modĂšle rĂ©el, qui existe hors de la i Yoytz, Fhagmens philosophiques, programme de 1818» page k U fl» premiĂšre Ă©dition. DU VK AĂŻ. nature et hors do l’esprit. Mais si l'absolu n’est renfermĂ© ni dans la nature 1 ni dans l’homme, oĂč rĂ©side-t-il et qu’est-il? S’il est vrai que la gĂ©omĂ©trie existe indĂ©pendamment des objets auxquels elle s’applique, si d’un autre cĂŽtĂ© elle n’est pas un tissude conceptions fantastiques produites par notre raison , oĂč est donc la gĂ©omĂ©trie ? Qu’est-ce que l’espace pur ? Qu’est-ce que le temps absolu ? Ainsi l'infatigable curiositĂ© humaine, aprĂšs avoir Ă©puisĂ© les connaissances contingentes, aprĂšs avoir fait l’analyse des connaissances nĂ©cessaires, aprĂšs avoir entrevu l’absolu qui est le fond de ces. connaissances , aspire encore plus haut, et veut savoir quel est le fond de l’absolu. Il faut quelle rencontre la raison suffisante et derniĂšre de toutes choses, dĂ»t-elle la poursuivre Ă  l’infini. Mais oĂč rĂ©side cette raison suffisante et derniĂšre? OĂč l’esprit humain trouvera-t-il ce fondement qui n’en suppose derriĂšre lui aucun autre, et dont la possession doit terminer notre inquiĂ©tude et nos efforts? Si nous remontons l’histoire de la plnlor saphie, nous y verrons un homme s’élever par les Ă©lans de son gĂ©nie au-dessus de ses contemporains, et chercher la solution du problĂšme qui nous occupe c’est Platon. 11 a regardĂ© fixement et sans en ĂȘtre Ă©bloui fo vĂ©ritĂ© trop Ă©clatante pour les yeux de la plupart des hommes ; il a vu la vĂ©ritĂ© libre des enveloppas grossiĂšres quelle revĂȘt dans le sein du monde physique et du monde intellectuel. 128 TREIZIÈME LEÇON. C’est cette vĂ©ritĂ© dans son essence,, cette vĂ©ritĂ© substantielle qĂŒâ€™il appelle vovç,, ĂȘtre dont notre esprit ne sait rien, sinon qu’il existe, ĂȘtre qui ne peut se manifester audehors que par les vĂ©ritĂ©s absolues qu’il projette de ßßoii sein et qui s’appliquent Ă  la nature ou se rĂ©flĂ©chissent dans notre esprit. Le voûç de Platon qu’est-il sinon l’entendement divin , centre dans lequel se rĂ©unissent toutes les vĂ©ritĂ©s Ă©ternelles? Si les idĂ©es absolues sont les manifestations de l’ĂȘtre infini, comme la parole est 'l’interprĂšte de la pensĂ©e, les idĂ©es absolues forment ce que Platon appelle le liyo'. Le XĂŽyo; est le mĂ©diateur entre l’Etre suprĂȘme , fa souveraine intelligence, et l’ĂȘtre fini, l’intelligence humaine. Dieu n’est donc autre chose que la vĂ©ritĂ© dans son essence, il est partout oĂč se montre la vĂ©ritĂ©. Celui-lĂ  le reconnaĂźt nĂ©cessairement qui ne peut concevoir de phĂ©nomĂšne sans substance, d’évĂ©nement sans cause. L’athĂ©isme t esl impossible pour rejeter la croyance en Dieu, il faudrait refuser sa loi Ă  toutes ces vĂ©ritĂ©s. Ainsi Dieu compte autant d’adorateursqu’il y a d’hommes qui pensent; car on ne peut penser sans admettre quelque vĂ©ritĂ©, ne fĂ»t-ce qu’une seule; et loin que les sciences dĂ©truisent la religion, la physique, les mathĂ©matiques, la psychologie, la logique sont comme autant de temples oĂč l’on rend un culte Ă  Dieu. Le dernier problĂšme"de l’actuel est rĂ©solu, nous sommes arrivĂ©s au fondement des idĂ©es absolues Dieu DU VRAI. . 129 est le centre et la source de toutes les vĂ©ritĂ©s ; lui seul nous donne une base au-dessous de laquelle nous n’avons plus rien Ă  chercher; c’est en lui seul que nous trouvons une vraie source de lumiĂšre et un inaltĂ©rable repos. PHILOSOPHIE. 9 i3o QUATORZIÈME LEÇON. V^UH\V*UVAAUVMUUW\AMMIM»M\ QUATORZIÈME LEÇON. Trois ordres de faits de conscience sensations, voĂ»tions, aperceptions rationnelles t. —Le scepticisme ne peut attaquer ces derniĂšres. —LibertĂ©, sensibilitĂ©, raison. — Retour sur l’aperception pure. — Affirmation sans nĂ©gation. —La vĂ©ritĂ© n’apparaĂźt pas d’abord comme nĂ©cessaire /mais seulement comme vraie. — FatalitĂ© et libertĂ© de l’aperception pure. — L .litre absolu est la substance de la vĂ©ritĂ© absolue. — La vĂ©ritĂ© est un mĂ©diateur entre Dieu et l’homme ?.. Je me suis proposĂ© deux buts dans ma derniĂšre leçon le premier, de revenir sur les caractĂšres que nous prĂ©sentent les connaissances humaines dans l’état actuel; le second, de m’avancer progressivement jusqu'aux limites des connaissances 1 Voyez , Liugmens piuLosopmgi Ks , programme de 8i8, page 26G premiĂšre Ă©dition. 2 Voyez ,* t kaomens paiLosopinoirEs, prĂ©face^ pages xxiij , xxiv et xliij premiĂšre Ă©dition, P programme de 1818, page 29a. lĂŒ VRAI. 1 31 nĂ©cessaires , de saisir l’absolu sous le relatif et d’ar- river jusqu’au fondement de l’absolu lui-mĂȘme. Je n’ai point abandonnĂ© la mĂ©thode que je m’étais prescrite cette mĂ©thode consiste Ă  ne jamais se sĂ©parer de l’expĂ©rience, soit en recueillant ses donnĂ©es immĂ©diates soit en recherchant les consĂ©quences qui en dĂ©rivent lĂ©gitimement. J e n’entends par expĂ©rience, ni l’observation extĂ©rieure sensible qui ne nous donne que des sensations diverses , multipliĂ©es et- variables , ni mĂȘme l’observation intime dirigĂ©e sur des phĂ©nomĂšnes in* ternes, aussi variables , aussi passagers, aussi fugitifs que les phĂ©nomĂšnes du monde externe. Outre le moi et le non-moi , outre le monde intĂ©rieur et le monde extĂ©rieur , il y a un troisiĂšme monde qui fait son apparition dans l’intelligence ; il se compose deces notions nĂ©cessairesque des Ă©coles fameuses appellent lois ou formes de l’entendement, mais qui impliquent, comme nous l’avons vu, des vĂ©ritĂ©s absolues, indĂ©pendantes de la nature et de l’homme comme la conscience, qui est la lumiĂšre de l’intĂ©rieur, dĂ©couvre et Ă©claire 110s sensations, c’est-Ă -dire, ce qui apparaĂźt en nous du monde extĂ©rieur, comme elle dĂ©couvre et Ă©claire nos voĂ»tions, once qui apparaĂźten nousde nous-mĂȘmes, elle dĂ©couvre et Ă©claire aussi les manifestations de J a raison. Le moi, le non-moi, et laraison qui plane sur 1 un et sur 1 autie , tel est le triple objet de. la conscience la raison a ses aperceptions pures, comme 9 - l3?. QUATORZIÈME TlEÇON. lessensonl leurs sensations, comme le moi a ses voĂ»tions. L’expĂ©rience, dont le tĂ©moignage est irrĂ©cusable, lorsqu’elle atteste les sensations et les voli- ti ons, sera-t-elle moi ns lĂ©gitime lorsq u’elle nous prĂ©sentera les aperceptions rationnelles? 11 est clair que l’expĂ©rience est valable partout oĂč elle se trouve , ou qu’elle ne l’est nulle part. Si l’on donne comme on le doit au mot expĂ©rience la signification comprĂ©hensive que nous venons d’indiquer, on peut dire avec confiance qu’il n’y a pas d’autre philosophie lĂ©gitime que celle qui dĂ©rive de ‱ l’expĂ©- i'ience i. La question relative Ă  la rĂ©alitĂ© du monde rationnel est donc celle-ci Y a-t-il ou n’y a-t-il pas un ordre de laits qui se distingue; des phĂ©nomĂšnes du moi et des phĂ©nomĂšnes du non-moi , des sensations et des voĂ»tions, et qui soit aussi rĂ©el que les uns et les autres? Cet ordre de laits se distingue des deux premiers par le caractĂšre de nĂ©cessitĂ©. Lorsque je presse un corps, l’expĂ©rience me dĂ©couvre en moi-mĂȘme une sensation ; lorsque je dĂ©ploie mou activitĂ©, l’expĂ©rience m’avertit de ma voli- t'on ; lorsqu’un lait commence d’exister, l'expĂ©rience me montre que je ne puis pas ne pas lui concevoir une; cause,- mais ce dernier l'ait, c’est-Ă - dire , cette apercepiion de la raison dillĂšre des premiers eu ce qu’il est immuable. Je puis suspen- i Voyez, Fiucmens , prĂ©face, page xv premiĂšre Ă©dition. DU VRAI. i33 dre , changer, dĂ©naturer mes volitions ; daus les phĂ©nomĂšnes du moi, tout est contingent et variable ; d’une autre part, si je ne suis pas libre d’éprouver telle ou telle sensation , j e sa is que la sensation que j’éprouve ne durera qu’autant que je serai en prĂ©sence de l’objet qui me la donne , que cet objet peut changer ii chaque instant, et que dĂšs qu’un autre lui succĂ©dera , ma sensation sera anĂ©antie ; je sais erflin que si le monde extĂ©rieur venait Ă  disparaĂźtre, il n’y aurait pas mĂȘme la sphĂšre des sensations est donc variable et contingente , comme celle des volitions ; il n’en est pas de mĂȘme de la sphĂšre rationnelle les faits qu’elle renferme ne peuvent pas changer. Ainsi, je pense que toute apparence suppose une substance ,' que tout ce qui commence d’exister a une cause cette aperception est nĂ©cessaire , je ne puis m’y dĂ©rober ; vainement essaierais-je de me figurer qu’il peut y avoir un changement sans cause , un phĂ©nomĂšne sans substance, une multiplicitĂ© sans unitĂ© , etc. Jamais on ne pourra faire descendre ces principes Ă  la simple contingence de nos sensations et de nos volitions. J’en appelle ii l’expĂ©rience des autres, je leur demande-si leur conscience interrogĂ©e ne leur fournit pas la mĂȘme rĂ©ponse, .le suis tellement convaincu de la nĂ©cessitĂ© de ces principes, que si je puis prĂȘter mon intelligence aux prĂ©jugĂ©s les plus absurdes, aux labiĂ©s les plus grossiĂšres, sur tout autre sujet que sur 134 QUATORZIÈME UEÇON. les principes rationnels, je ne puis admettre, mĂȘme pour un .instant, qu’il y ait des phĂ©nomĂšnĂšs sans cause et sans substance. Le scepticisme, qui est tout puissant lorsqu’il attaque le momie matĂ©riel, qui est dĂ©jĂ  moins redoutable lorsqu’il s’en prend Ă  la volontĂ© ou Ă  la libertĂ©, demeure sans aucune prise sur les principes rationnels. Ainsi il n’est pas aisĂ© de dĂ©fendre la nature contre les argmnens de berkeley etde David Hume ; c’est lĂ  que triomphe le scepticisme; lorsqu’il veut dĂ©truire la volontĂ© et la libertĂ©, il ne perd pas encore toute chance de succĂšs ; mais il se brise devant les principes rationnels. En vain il discute, il argumente, puisqu’il cherche Ă  prouver , ii reconnaĂźt donc une base sur laquelle s’appuient les arguments et les preuves', en un mot il reconnaĂźt des principes. . AprĂšs avoir Ă©tabli qu’il y a des principes nĂ©cessaires , il fallait tenter d’aller plus loin il fallait s’élever contre les thĂ©ories qui regardent les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires comme des formes de l’esprit humain ; c’ést ce que, nous avons essayĂ© de aire. L’esprit humain n’est pas enfermĂ© dans certaines formes il est douĂ© de raison , comme de sensibilitĂ© et de libertĂ© la libertĂ© est le moi lui-mĂȘme ; la sensibilitĂ© limite le moi, car c’est par elle que nous sentons les obstacles lu mom le extĂ©rieur ; la raison au contraire agrandit la sphĂšre du moi , parce qu’elle lui ouvrit un immense horizon. Lestons ne me montrent qu’une partie de l’univers; la raison nu VRAI. 135 me rĂ©vĂšle le reste elle me dĂ©voile les lois suprĂȘmes qui gouvernent le monde intĂ©rieur et le monde extĂ©rieur. Bien plus, elle lue transporte dans une sphĂšre supĂ©rieure aux deux autres, elle me fait saisir l’absolu; dans Son essor elle dĂ©passe tellement le moi et la nature-, qu’elle ne les aperçoit plus , quelle se met face ;i face avec la vĂ©ritĂ© , et s’élĂšve ainsi Ă  une rĂ©gion oĂč toute subjectivitĂ© expire. Maisla raison est Ă  sonpointde dĂ©part une table rase elle ne contient pas plus de principes innĂ©s que la sensibilitĂ© et que la libertĂ© dĂšs que la sensibilitĂ©, est en contact avec les objets qui lui sont propres, il en rĂ©sulte une sensation; de mĂȘme , dĂšs que la raison est en rapport avec l’objet qu’elle doit saisir, il en rĂ©sulte une aper- ception. La vĂ©ritĂ© n’est donc pas une forme innĂ©e de la raison, mais elle impose h la raison ces formes qui deviennent ensuite ce qu’on appelle les nĂ©cessitĂ©s de la raison. Primitivement donc il n’y a pas de lois nĂ©cessaires , de principes purement psychologiques, il y a des vĂ©ritĂ©s la raison les acquiert ; elle ncpeut plus s’en sĂ©parer; mais on ne doit pas la confondre avec elles. C’est ainsi que nous avons essayĂ© d’établir les aperceptions ou intuitions pures de la raison , et de prouver qu’avant la raison mise en possession dĂ©s vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires, et ayant reçu de son commerce avec la vĂ©ritĂ© des formes qui engendrent ] a logique, il y » , P" 1 "' ainsi dire, une raison vide , sans formes arrĂȘtĂ©es I 36 QUATORZIÈME d’avance , qui marche librement et qui reconnaĂźt l’absolu sans y rien mĂȘler de subjectif. Cette thĂ©orie de l’aperception pure a Ă©tĂ© attaquĂ©e; et il Ă©tait difficile, en effet, qu’un premier exposĂ© la fit admettre nous ne pouvons que la reproduire, en en variant un peu l’expression, afin de la prĂ©senter sous plusieurs faces , et de la rendre ainsi plus saisissable. . . Suivant la thĂ©orie des Ă©coles Ă©cossaise et allemande, il n’y a que trois sortes de jugemens le jugement dubitatif, le jugement affirmatif et le jugement nĂ©gatif. Laissons de cĂŽtĂ© , comme nous l’avons fait dĂ©jĂ , le jugement dubitatif, qui n’a rien Ă  faire dans une discussion sur l’existence de la vĂ©ritĂ© ; nous accordons que dans l’état rĂ©flĂ©chi tout jugement affirmatif suppose un jugement nĂ©gatif, et rĂ©ciproquement si l’on Ă©nonce devant moi cette proposition deux et deux valent cinq ; je le nie. Qu’ nier dans Ce cas? IS’est-ee pas affirmer la proposition contraire? Mon jugement est nĂ©gatif, mais seulement dans sa forme. Lorsqu’on veut rĂ©pondre Ă  une proposition fausse , on suppose rapidement la forme qu’aurait dĂ» prendre cette proposition pour ĂȘtre vraie l’esprit se trouve alors placĂ© entre deux partis , dont l’un est absurde et l’autre rationnel ; il se fait donc ici une comparaison. Or, la comparaison repose sur l’attention, d oĂč il suit que tout jugement qui est Ă  la lois affirmatif et nĂ©gatif est profondĂ©ment rĂ©- DU. VRAI. 1 3^ flĂ©chi. Mais n’y a-t-il pas une affirmation primitive qui n’implique pas de nĂ©gation? De,mĂȘme que nous agissons souvent sans songer aux rĂ©sultats de notre action, et qu’il se produit dans ce cas une activitĂ© pure , une libertĂ© non rĂ©flĂ©chie ; de mĂȘme la raison aperçoit souvent par une aperception pure nous affirmons-le vrai sans penser qu’il peut y avoir du faux ; l’affirmation 11’enveloppe pas alors de nĂ©gation. Nous ne pouvons pas nous arrĂȘter dans l’apcrception pure elle brille et s’éteint comme une Ă©tincelle rapide , et elle est remplacĂ©e par l’absence de la pensĂ©e , ou par la prĂ©sence de la rĂ©flexion, de l’affirmation nĂ©gative. Comment donc saisir cette lueur passagĂšre ? Il ne faut pas la demander Ă  la rĂ©flexion qui la dĂ©truit ; mais adressez-vous Ă  la mĂ©moire, et vous vous rappellerez que souvent vous avez exercĂ© cette aperception pure. Cette aperception n’est pas marquĂ©e du caractĂšre de nĂ©cessitĂ© ; car la nĂ©cessitĂ© implique qu’on a cherchĂ© Ă  se soustraire au joug d’une croyance, ce qui ne peut avoir eu lieu primitivement et avant tout retour sur soi-mĂȘme. La vĂ©ritĂ© n’apparaĂźt donc pas d’abord comme nĂ©cessaire , mais seulement comme vraie. Dans cette aperception pure se trouvent rĂ©unies au plus haut degrĂ© la libertĂ© et la fatalitĂ© conmm la raison 11’a pas voulu rĂ©sister Ă  la vĂ©ritĂ©, on ne peut pas dire qu’elle soit asservie ; d’un autre cĂŽtĂ©, elle ne peut pas 11e pas apercevoir cette vĂ©ritĂ© ; 11 y a donc lĂ  ce que j’appelle 1 38 QUATOIIZIÈME LEÇON, activitĂ© pure, c’est-Ă -dire, rĂ©union de la fatalitĂ© et de la libertĂ©. Lorsque je m’ellbrcc en vain de lutter contre le pouvoir qui m'entraĂźne, il y a pure fatalitĂ© ; lorsque je veux lĂ ire Ă©vanouir un obstacle , et que j’y parviens, il y a pure libertĂ© ; lorsqu’enfm je cĂšde volontairentent au pouvoir qui me presse, il y a libertĂ© et fatalitĂ©. L’absolu Ă©tant reconnu comme illimitĂ©, connue remplissant le passĂ©, le prĂ©sent et l’avenir , il ne peut ĂȘtre renfermĂ© dans le rĂ©el, il n’est ni dans le moi ni dans le non-moi , il est supĂ©rieur Ă  l’un et Ă  l’autre; l’absolu plane sur le relatif, l’éternel plane sur le passager. Mais cette vĂ©ritĂ© pure, qui n est contenue ni dans le monde ni dans l’intelligence, oĂč donc est-elle, et quelle en est la substance? A cette question on peut luire deux rĂ©ponses si l’on s’arrĂȘte Ă  une philosophie timide, on dira la vĂ©ritĂ© existe ; elle n’est ni le moi ni le non-moi ; ne m’interrogez pas au delĂ . Mais si l’on ose aller plus loin , et s’enfoncer dans de plus profondes recherches , on trouvera que la vĂ©ritĂ© suppose quelque chose au delĂ  d’elle-mĂȘme , quelque chose dĂ©plus Ă©levĂ©, de plus inaccessible fie mĂȘme que 1 accidenL suppose la substance, que la qualitĂ© suppose le sujet, de mĂȘme la vĂ©ritĂ© absolue suppose l’ĂȘtre absolu. 3Nous obtenons alors un absolu qui n’est plus suspendu dans le vague de l’abstraction , mais un absolu substantiel. Comme nous ne connaissons le sujet que par ses attributs, DU VRAI. i3g nous ne pouvons connaĂźtre de la substance infinie que les vĂ©ritĂ©s absolues dont elle est le soutien. Tout ce qu’on sait de cette substance c’est quelle existe ; au delĂ  de la vĂ©ritĂ© est la substance ; mais au delĂ  de la substance il n’y a rien la substance est le terme aprĂšs lequel on ne peut rien concevoir relativement Ă  l’existence; arrivĂ©e Ă  la substance , toute recherche doit s’arrĂȘter. D’oĂč il suit qu’il ne peut y avoir qu’une substance la substance de la vĂ©ritĂ©, ou la suprĂȘme intelligence - . La vĂ©ritĂ©, qui est absolue par rĂąpportau moi et au non- jwoi , est relative par rapport Ă  la substance. Ainsi elle se trouve placĂ©e entre l’homme et la suprĂȘme intelligence, comme un intermĂ©diaire, comme un mĂ©diateur. C’est ce que Platon , dans sou langage poĂ©tique, appelle le ,dyoc ; c’est pour ainsi dire 1 interprĂšte, la parole de la substance. Comme la substance ne peut exister sansaccidens, il y a coĂ©ternitĂ© entre la vĂ©ritĂ© et la suprĂȘme intelligence, entre le Àdyoç et leyoĂŒĂ§. Mais comment la vĂ©ritĂ© sort-elle de la suprĂȘme intelligence ? C’est un mystĂšre impĂ©nĂ©trable Ă  nos yeux. Si la substance se manifeste, c’est qu’elle a la puissance de se manifester ; voilĂ  tout ce que nous pouvons dire. Telle est la fameuse Triade de Platon i 0 la substance absolue ou la suprĂȘme intelligence ; o° la puissance de se manifester ou la force crĂ©atrice!; -3° la manifestation divine , la mission du Xoyoç. Toute cette thĂ©orie se dĂ©duit des apcrceptions l40 QUATORZIÈME pures de la raison je sais d’abord d’instinct la vĂ©ritĂ© ; je la sais ensuite par rĂ©flexion. -Soit par exemple une vĂ©ritĂ© arithmĂ©tique, d’oĂč me vient-elle? Ce n’est pas du monde extĂ©rieur, car le monde extĂ©rieur n’existe que dans un point du temps et de l’espace, et- la vĂ©ritĂ© arithmĂ©tique est Ă©ternelle et universelle ; l'universel est la raison sulli- sante du particulier, quoique l'universel ne se dĂ©couvre Ă  nous que dans le particulier. Ni la nature; ni mon intelligence ne peuvent me rendre raison de la vĂ©ritĂ© arithmĂ©tique ce n’est pas parce qu’elle est aperçue par ma raison, ni parce qu’elle apparaĂźt dans la nature physique qu’elle est vraie ; elle existe indĂ©pendamment du monde intime et tout ce qui commence d’exister a une cause, et il m’est impossible de ne pas croire Ă  la vĂ©ritĂ© de ce principe? Essayez, tourmentez ce principe, jamais vous ne l’amĂšnerez Ă  une l'orme plus universelle , plus ultĂ©rieure que celle-lĂ . Nous tenons donc les deux extrĂ©mitĂ©s de l’intelligence ; nous possĂ©dons l’état actuel et l’état primitif. Nqu s n’avons, donc plus Ă  rĂ©soudre que la troisiĂšme des questions que nous nous Ă©tions originairement posĂ©es ‱ trouver le lien l68 DIX-SKPTIKM E T/EÇON. des deux sphĂšres, le passage du primitif Ă  factuel. Pour nous garantir de la marche hypothĂ©tique dans cette nouvelle recherche comme dans les deux autres, nous devons nous attacher Ă . ce qui nous est donnĂ©, examiner ce qu’il y a de semblable et ce qu’il y a de dilĂŻerent dans le primitif et dans factuel nous nĂ©gligerons la ressemblance pour ne nous attacher qu’à la diffĂ©rence ; et si nous trouvons une opĂ©ration intellectuelle qui rende compte de la diffĂ©rence, nous aurons ainsi dĂ©couvert la transition du primitif Ă  factuel. Qu’y a-t-il donc de semblable entre les deux Ă©tats de l’intelligence relativement au principe de causalitĂ©, qui jusqu’ici nous a servi d'exemple ? Ce qu’il y a de semblable, c’est la croyance nĂ©cessaire et l’intuition pure. Dans un cas comme dans l’autre , que vous appliquiez le principe, ou que vous le contempliez sous sa forme universelle et indĂ©terminĂ©e, toujours est-il que ce principe vous Ă©claire d’abord , et force ensuite votre croyance. Qu’y a-t-il maintenant de dissemblable? C’est, que dans l’état primitif, fĂ© principe de causalitĂ© est applique et concret, et que dans l’état actuel il est indĂ©terminĂ© et abstrait. J’aurai rendu compte du passage du primitif Ă  factuel, si j’explique comment du principe dĂ©terminĂ© nous nous Ă©levons, au principe indĂ©terminĂ©. Or, ce passage s’opĂšre par l’abstraction ; ce que nous dirons ici de l’idĂ©e du vrai pourra s’appliquer Ă  l’idĂ©e du bien et Ă  celle du DU \KA 1 169 beau 1. Il y a deux genres d’abstraction soit donnĂ©e une suite d’objets particuliers vous examinez les caractĂšres communs de ces objets, vous les rĂ©unissez en un caractĂšre gĂ©nĂ©ral qui les contient tous. Ce caractĂši'e gĂ©nĂ©ral est un caractĂšre absti'ait, une pure idĂ©e, puisqu’il n’existe pas indĂ©pendamment des individus. Nous exerçons dans ce cas une abstraction que j’appelle abstraction comparative et collective ; comparative , parce qu’elle procĂšde par voie de comparaison ; collective , parce qu’elle n’est qu’une collection de cas particuliers. Tel n’est pas le second genre d’abstraction un seul cas Ă©tant donnĂ©, sans comparer ce cas avec aucun autre, sans avoir besoin en consĂ©quence d’une collection de faits particuliers, la seconde abstraction passe Ă  l’instant mĂȘme du concret Ă  l’abstrait. Lorsque le principe de causalitĂ© est appliquĂ© Ă  un cas particulier , il y a d’une part l’objet dĂ©terminĂ©, et de l’autre le principe pur de causalitĂ© aussitĂŽt que vous sĂ©parez celui-ci de ce qui l’individualise, vous le rendez Ă  son universalitĂ©. Or, comme il 11’y a pas de degrĂ©s dans l’universel , il s’ensuit que pour l’obtenir vous n’avez pasbesoin de recourir Ă  une comparaison , ni d’observer plusieurs cas particuliers. C’est ainsi que, par une abstraction immĂ©diate, par une seule opĂ©ration de 1 esprit, on Ă©limine le dĂ©terminĂ©, et Ion obtient le principe pur de causalitĂ©. C’est donc 1 Voyez la villgl-et-uniĂšme leçon. I7O DIX-SEPTIÈME LEÇON, sans le secours d’uni; comparaison et d’une collection que l’on passe du concret Ă  l’abstrait, du rĂ©el au vrai, du dĂ©terminĂ© Ă  l’universel. 11 n’en va pas ainsi dans l’autre genre d’abstraction ; prenons un exemple , examinons comment nous arrivons Ă  l’i- dĂ©e gĂ©nĂ©rale de couleur ; soit placĂ© devant-mes yeux un objet blanc ; avec quelque rigueur que je pousse l’analyse, arriverai-je ici Ă  l’idĂ©e de couleur en gĂ©nĂ©ral ; pourrai-je mettre d’un cĂŽtĂ© la blancheur et de l’autre la couleur; cette sĂ©paration est- elle possible? Que quelqu’un Ă  propos d’un seul objet arrive Ă  l’idĂ©e de la couleur en gĂ©nĂ©ral, je reconnais que ma distinction entre les deux genres d’abstraction est vaine. ]Nous ne pensons pas qu’à l’aspect d’un seul objet l’esprit puisse faire deux parts dans sa couleur, l’une pour le variable, l’autre pour l’invariable. Analysez ce qui se passe en vous Ă  l’aspect d’un objet blanc, vous Ă©prouvez une sensation; ĂŽtez ce que cette sensation a d’iudivi- duel, vous la dĂ©truisez tout entiĂšre vous ne pouvez pas faire Ă©vanouir la sensation de blancheur , et rĂ©server la sensation de couleur. A l’objet blanc dont nous parlions tout Ă  l’heure, joignez un objet bleu , votre position intellectuelle est entiĂšreinent changĂ©e, votre esprit peut laire alors abstraction de la sensation particuliĂšre du blanc , et de lu sensation particuliĂšre du bleu, ne conserver que l’idĂ©e abstraite de la sensation de la vue ou de la couleur en gĂ©nĂ©ral. Mais, dans le cas prĂ©cĂ©dent, nous nions DU VRAI. .171 qu’il soit possible Ă  l’esprit de faire une distinction entre sensation de la blancheur et sensation de la vue. Prenons un autre exemple si vous n’aviez jamais senti qu’une seule Heur, auriez-vous l’idĂ©e de l’odeur en gĂ©nĂ©ral? L’odeur ne vous paraĂźtrait-elle pas un Ă©lĂ©ment spĂ©cial de cette fleur, qui ne se retrouverait nulle part? Si maintenant Ă  l’odeur d’Ɠillet se joint pour vous l’odeur de rose, vous pourrez vous Ă©lever Ă  l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale d’odeur ; mais qu’y a- t-il de commun entre l’odeur d’une fleur et celle d’une autre, sinon quelles ont Ă©tĂ© senties par le mĂȘme individu? Ce qui rend ici la gĂ©nĂ©ralisation possible, c’est prĂ©cisĂ©ment l’unitĂ© du sujet qui se souvient d’avoir Ă©tĂ© modifiĂ© de la mĂȘme maniĂšre par des sensations diffĂ©rentes ; mais ce sujet ne peut opposer quelque chose de semblable et quelque chose de dissemblable, qu’à la condition de la diversitĂ©, et par consĂ©quent de la pluralitĂ© des sensations. Il y a donc dans ce cas comparaison , collection, abstraqtion mĂ©diate; pour arriver au principe de causalitĂ© , nous n’avons pas besoin de tout ce travail. Si vous supposez six cas particuliers desquels vous ayez abstrait ce principe, il ne sera pas chargĂ© de plus d’idĂ©es que si vous l’aviez abstrait d’un seul, ni de moins d’idĂ©es que si vous l’aviez abstrait de dix-mille. En effet, pour arriver Ă  cette formule V Ă©vĂ©nement que je vois sous mes jeux doit avoir une cause', il n’est pas nĂ©cessaire d’avoir vu plusieurs Ă©vĂ©nemens. Le principe Ă©tant 1^2. DIX-SEPTIÈME leçon. indivisible, il est tout entier dans un seul cas, et il y est sous sa forme pure il ne s’agit donc que d’éliminer la particularitĂ© du phĂ©nomĂšne, soit la chute d’une pierre, soit le meurtre d’un homme, et l’on arrive immĂ©diatement Ă  l’idĂ©e de la nĂ©cessitĂ© d’une cause, pour tout ce qui commence d’exister. Ici, ce n’est pas parce que j’ai Ă©tĂ© le mĂȘme , ou affectĂ© de la mĂȘme maniĂšre pendant plusieurs sensations diffĂ©rentes, que j’arrive Ă  l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale et abstraite. Une feuille tombe, je sais Ă  l'instant mĂȘme qu’il doit y avoir une raison Ă  cette chute un homme a Ă©tĂ© tuĂ©, je sais immĂ©diatement qu’il doit y avoir une cause Ă  sa mort L’idĂ©e gĂ©nĂ©rale ne dĂ©rive pas ici de l’identitĂ© du moi, ou de la ressemblance de mes modifications dans des cas diffĂ©rens. Ce qu’il y a de. semblable entre les deux faits que je viens de citer, c’est qu’ils sont doubles, qu’ils renferment quelque chose d’individuel et quelque chose d’universel mais je puis faire le partage entre l’individuel et l’universel, propos du premier fait comme Ă  propos du second. Ût, en effet, si je n’avais pas conçu l’universalitĂ© du principe Ă  propos du premier fait individuel, je ne la concevrais pas davantage Ă  propos du second, ni du troisiĂšme, ni du milliĂšme; car mille ne sont pas plus prĂšs que un de l’infini. Telle est donc la thĂ©orie de 1 abstraction immĂ©diate, abstraction qui diffĂšre, comme on le voit, de l’abstraction mĂ©diate comparative. D li VRAI. i 7 3 Nous avons achevĂ© maintenant ce que nous avions Ă  dire sur l’état primitif de notre esprit relativement aux vĂ©ritĂ©s absolues, et sur le passage de l’état primitif Ă  l’état actuel ; nous avons vu que trouver l’origine du principe de causalitĂ©, ce n’est pas autre chose que saisir la position intellectuelle primitive dans laquelle nous saisissons le principe. Indiquer la gĂ©nĂ©ration du principe de causalitĂ©, c’est montrer le procĂ©dĂ© intellectuel qui Ă©limine le dĂ©terminĂ© , dĂ©gage l’indĂ©terminĂ© et fait passer celui-ci, du concret qu le contenait et le cachait, Ă  l’abstrait et Ă  l’absolu, oĂč il Ă©clate tout entier. Dans le tableau de l’état actuel, nous avons vu que la croyance nĂ©cessaire qui subjective la vĂ©ritĂ© n’est rien autre chose qu’un reflet de l’intuition pure, ou de l’aflirmation non rĂ©flĂ©chie. C’est ainsi que nous avons sĂ©parĂ© l’objectif du subjectif , et que nou6 avons montrĂ© comment l’indĂ©terminĂ© se dĂ©gage du dĂ©terminĂ©, l’universel du particulier. Il s’ensuit donc que l’indĂ©terminĂ© est sous le dĂ©terminĂ© , que l’objectif est sous le subjectif, et que la philosophie ne doit s’arrĂȘter ni dans le sensualisme de l’école de Locke, ni dans l’idĂ©alisme subjectif de l’école allemande. 174 DIX-HUITIÈME LEÇON. DIX-HUITIÈME LEÇON. Les idĂ©es qui composent les principes nĂ©cessaires leur sont antĂ©rieures ou contemporaines. —Ni dans l’un ni dans l'autre de ces deux cas on ne peut faire dĂ©river les principes des idĂ©es Ă©lĂ©mentaires dont ils sont formĂ©s. — Principe de causalitĂ©. —> Principe de substance i. Nous nous sommes efforcĂ©s de constater l’exis- ence des vĂ©ritĂ©s absolues nous les nvĂ»us dĂ©gagĂ©es des formes subjectives qĂŒi les enveloppent sans les dĂ©truire ; nous avons lait voir comment, elles nous apparaissent d’abord, il propos d’un fuit particulier et dĂ©terminĂ©, et comment l’esprit, par une abstraction immĂ©diate , Ă©limine b l’instant mĂȘme 1 Ă©lĂ©ment particulier, pour conserver pur et intact l’élĂ©ment individuel. 11 reste encore une objection contre laquelle nous avons Ă  dĂ©fendre l’existence des vĂ©ritĂ©s absolues. L’énonciation des principes 0 Voyez, fRAGMEiys philosophiques y programme de 1818, page 276 premiĂšre Ă©dition. DU VRAI. 175 nĂ©cessaires se compose d’un certain nombre de termes on a recherchĂ© l’origine des idĂ©es renfermĂ©es sous ces termes, et on a cru par-lĂ  dĂ©truire l’existence des principes, comme vĂ©ritĂ©s simples et primitives. Ainsi, par exemple, dans le principe tout phĂ©nomĂšne suppose une cause ; dans cet autre toute apparition suppose une substance, nous avons les idĂ©es particuliĂšres de phĂ©nomĂšne, de cause, d’apparition, de substance* Quelques philosophes pensent qu’il s’agit uniquement de rechercher sĂ©parĂ©ment l’origine de toutes ces notions ; ils considĂšrent les idĂ©es qui entrent dans les principes comme antĂ©rieures Ă  ces principes. Mais quand nous leur accorderions ce premier point, ils auraient trouvĂ© l’origine de ces idĂ©es particuliĂšres , qu’ils n’auraient rien fait encore pour l’origine des principes eux-mĂȘmes. Trouver, par exemple, l’origine de la notion d une cause particuliĂšre, ce n’est pas trouver l’origine du principe de causalitĂ©. Vous avez dĂ©couvert, je suppose, que la notion de cause est puisĂ©e dans le monde intĂ©rieur je suis libre, jeveux produire certains Ă©lĂŻĂšts et je les produits ; mais de ce fait purement contingent Ă  cet axiome tous les phĂ©nomĂšnes doivent nĂ©cessairement avoir une cause, il y a un abĂźme. Il laut passer des notions Ă©lĂ©mentaires aux principes, et c est-ce qu’aucun philosophe n’a pu faire. Quelques-uns ont senti cette impossibilitĂ©, et, s'attachant Ă  l’origine des notions Ă©lĂ©mentaires, ils ont pris le parti de nier les principes ils ont dit que les no- f7 reprĂ©sentation d’un objet individuel ; plus les objets auxquels la sensation s’applique deviennent nombreux , plus la sensation se gĂ©nĂ©ralise; mais au-dessus de la sensation gĂ©nĂ©ralisĂ©e , il place ce qu’il appelle les idĂ©es ßÎéxi , c’est-Ă -dire des conceptions absolues et indĂ©pendantes de l’expĂ©rience; l’ensemble de ces idĂ©es est ce qu’il appelle le X070;. Ainsi, dans le dialogue intitulĂ© ThéétĂšte, quand Socrate demande Ă  son l88 DIX-NEUVIÈME LEÇON interlocuteur de dĂ©finir la science en gĂ©nĂ©ral, Théé- tĂšte, nourri dans les doctrines de Protagoras, rĂ©pond la science. c’est la sensation ; savoir , c’est sentir ; la sensation est le rapport du - moi au non- moi , de l'homme Ă  la nature ; il n’j a dans la nature que ce qu’il y a dans la sensation ; de lĂ  , le prĂ©cepte fameux de l’école de Protagoras la sensibilitĂ© est l’arbitre suprĂȘme , l’homme est la mesure de toute chose. Dans la thĂ©orie du beau , ces deux Ă©coles se retrouvent en prĂ©sence l’une admet l’idĂ©al , l’autre se borne au rĂ©el ; en gĂ©nĂ©ral, on ente d par rĂ©el tout ce qui n’est pas une crĂ©ation de l’esprit; si l’objet que l’on veut copier d’aprĂšs nature prĂ©sente quelque beautĂ© , l’imitation est belle ; mais on n’a produit qu’une beautĂ© rĂ©elle. Si l’on ne se contente pas d’un seul objet, et qu’on assemble un grand nombre de modĂšles ; si pour peindre une figure humaine on prend’à l’un son front, Ă  l’autre ses yeux , Ă  un troisiĂšme son sourire , on arrivera Ă  une beautĂ© rĂ©elle collective , mais non pas Ă  l’idĂ©al ; car l’Ɠuvre rie contiendra pas un seul trait qui pe se retrouve dans l’nn ou dans l’autre des originaux. De mĂȘme que nous avons distinguĂ© des idĂ©es absolues et des idĂ©es collectives, de mĂȘme nous distinguerons un beau idĂ©al et un beau rĂ©el. Mais les partisans exclusifs du rĂ©el nient l’existence de l’idĂ©al, ou disent qu’il ne consiste qu’à rassembler ou Ă  choisir, ce qui Ă©quivaut Ă  la nĂ©gation de l’idĂ©al. L’école opposĂ©e Ă  celle-ci n’admet , I U B E A l . 189 au contraire, que l’idĂ©al, et fait complĂštement abstraction des modĂšles dĂ© la nature ; il y a des artistes qui travaillent d e-tĂȘte c’est leur expression. La premiĂšre Ă©cole, qui ne veut voir dans l’art que l’imitation du rĂ©el, oublie que tout ce qu’on rencontre dans la nature n’a qu’une beautĂ© imparfaite, et que le beau se cache sous le rĂ©el. La seconde, qui ne s’attache qu’à l’idĂ©al, tombe dans l’excĂšs opposĂ©, et produit des Ɠuvres qui sont inaccessibles Ă  nos sens. L’idĂ©al seul est froid et manque de vie ; il ne faut pas plus nĂ©gliger le rĂ©el dans l’école des arts, que l’idĂ©e collective dans l’école des mĂ©taphysiciens ; mais il 11e faut s'arrĂȘter ni au collectif ni au rĂ©el. Les partisans de la rĂ©alitĂ© nous disent peignez ce qui est animĂ© , ce qui est sensible , l’enfant sur le sein de sa mĂšre, la jeune lille mĂȘlant avec grĂące les trames, d’un tissu, le jeune homme Ă  la fleur de l’àge se prĂ©parant pour le combat ; plus votre imitation sera fidĂšle, votre peinture vivante , votre tableau animĂ©, plus votre Ɠuvre sera belle; l’art, c’est l’imitation, c’est la vie. Nous rĂ©clamons, en faveur de l’autre Ă©cole, contre cette sentence exclusive les tableaux qu’on vient de dĂ©crire seront agrĂ©ables comme les scĂšnes de la nature; mais ilslaisseront au-dessus d’eux unebeautĂ© que la rĂ©alitĂ© n’atteint jamais, et qu’il faut essayer de rĂ©aliser, eu partie car une rĂ©alisation complĂšte est impossible, si l’on veut remplir toutes les conditions de lart. L’idĂ©al sans le rĂ©el manque de igo dix-neuviĂšme leçon. vie, mais le rĂ©el sans l’idĂ©al manque de beautĂ© pure. L’un et l’autre doivent se rĂ©unir; les deux Ă©coles doivent se donner la main et faire alliance les chefs-d’Ɠuvre sont Ă  ce prix. Ainsi, le beau est une idĂ©e absolue et non une copie de la nature imparfaite, finie' et contingente. L’idĂ©e peut faire son apparition au sein de la nature; mais elle y est toujours voilĂ©e et mutilĂ©e ; elle apparaĂźt d’une maniĂšre plus Ă©clatante dans les Ɠuvres humaines , parce que lĂ© bras guidĂ© par l’intelligence, se rapproche davantage du modĂšle conçu par celle-ci ; mais l’idĂ©e ne peut jamais s’y rĂ©aliser tout entiĂšre. Nous continuerons, dans les leçons prochaines, d’approtondir l’idĂ©e du beau, qui est une des manifestations les plus brillantes de l’ĂȘtre absolu, un glorieux intermĂ©diaire entre Dieu, la nature et l’homme. DTJ BEAU. Ï9 1 V\\WlW\WVlV%!tV%UV»\\A ! V VVV\vv\V\ \ VV\W\ W\ VV\ tvv VV^> VINGTIÈME LEÇON. Position des questions relatives Ă  l’idĂ©e de beautĂ©. — Y a-t-il du beau dans la nature; quels en sont les caractĂšres; par quelles opĂ©rations intellectuelles arrivons-nous Ă  le saisir? —Distinction entre la sensation et le jugement. Le problĂšme de la beautĂ© est extrĂȘmement complexe il soulĂšve une multitude de questions que nous devons poser avec prĂ©cision, pour nous tracer d’avance un plan mĂ©thodique et complet. La premiĂšre question qui se prĂ©sente est celle de savoir s’il y a du beau dans la nature, quels sont les caractĂšres du beau naturel, et par quelles opĂ©rations intellectuelles nous atteignons ce genre de beautĂ©. SupposĂ© qu’il y DU BEAL. 193 on s’aperçoit que le point de vue est changĂ©, mais les deux rĂ©gions sont contiguĂ«s , et pour aller de l’une-Ă  l’autre on n’a pas d’abĂźme Ă  franchir. 11 fau- dra'donc indiquer les rapports intimes et essentiels des deux sphĂšres de la beautĂ©. Quand nous aurons connu les liens du beau naturel et du beau idĂ©al, il nous restera la tĂąche d’examiner l’idĂ©al en lui-mĂȘme , d’en dĂ©terminer les caractĂšres, de chercher s’il est susceptible de degrĂ©s. Deux figures idĂ©ales Ă©tant donnĂ©es, sont- elles, au mĂȘme degrĂ© ou Ă  des degrĂ©s divers, la reprĂ©sentation du beau idĂ©al ? La sainte CĂ©cile du Dominicain, et celle de RaphaĂ«l, sont-elles plus ou moins idĂ©ales l’une que l’autre P Si l’idĂ©al admet du pliis ou du moins, il 11 ’est donc pas invariable , il n’est donc pas absolu ? Comment peut-il alors se distinguer du beau naturel ? Si d’un cĂŽtĂ© l’idĂ©al est pour ainsi dire mouvant, et si de l’autre il n’est pas le beau naturel, que peut-il ĂȘtre ? Enfin, quel peut ĂȘtre le rapport du beau idĂ©al avec la substance de toute chose , avec l’ĂȘtre infini ou Dieu? D’une part nous aurons recherchĂ© le rapport de l’idĂ©al avec la nature ou le dernier terme du fini ; de l’autre nous examinerons son rapport avec Dieu , ou le dernier terme de l’infini. La nature nous apparaĂźtra peut-ĂȘtre comme le point de dĂ©part de l’idĂ©al, et Dieu comme le point oĂč il aboutit. Dieu et la nature seront pour ainsi dire les deux mondes entre lesquels l’idĂ©al restera l3 PHILOSOPHIE. ig4 vint, tiĂšmf. leçon. comme suspendu. Il ne serti peut ĂȘtre qu’un rapport entre ces deux termes si Ă©loignĂ©s , et les deux pĂŽles de l’art seront Dieu et la nature, l’iniitii et le lini. » AprĂšs avoir agitĂ© tous ces problĂšmes, nous aurons Ă  examiner en quoi consiste le rĂŽle de l’art, quelle dĂ©linition on en peut donner; quels sont les rapports de l’art et de la religion. Si l’art est la facultĂ© de rĂ©aliser l’idĂ©al, si l’idĂ©al est un pont jetĂ© entre le fini et l’infini ,. et que la religion , comme nous l’avons dit plus haut, soit un regard portĂ© de la sphĂšre du fini vers l’infini , on entrevoit dĂ©jĂ  que l’art doit avoir un cĂŽtĂ© religieux. Nous aurons Ă  montrer depluscomment l’art se compose de raison et d’amour , comment par l’amour il tient au bon- ’ heur, et par la raison Ă  la philosophie et Ă  la vĂ©ritĂ©. Ne la udra-t-il pas nous interroger aussi sĂŒr la nature fie l’enthousiasme et sur celle du gĂ©nie, et terminer toutes ces recherches par un exposĂ© des rĂšgles de l’art, non pas de tel ou tel art particulier, mais de l’art en gĂ©nĂ©ral, envisagĂ©, non comme collection des arts individuels, mais comme principe de tous les arts, ou si l’on veut comme producteur de l’idĂ©al. Si nous ne pouvons parvenir Ă  des solutions complĂštes sur tous ces points, ce sera’ dĂ©jĂ  beaucoup d’avoir attirĂ© 1 attention sur des problĂšmes qui ont occupĂ© toute l’antiquitĂ©, et qui malheureusement ont Ă©tĂ© trop nĂ©gligĂ©s par les philosophes modernes. En France, je ne sache p aS Dl BEAT;. .IqS qu’on ait Ă©crit sur ce sujet une seule ligne avant le pĂšre AndrĂ© et Diderot. Diderot, dont l’esprit Ă©tait souvent traversĂ© par des Ă©clairs de gĂ©nie, n’avait cependant pas la mĂ©thode et la profondeur nĂ©cessaires pour Ă©tablir une thĂ©orie ; le pĂšre AndrĂ© a. traitĂ© la question avec une abondance qui n’exclut pas la rigueur il a tentĂ© dĂ© descendre jusque dans les entrailles de l’art et de saisir le fond de toute beautĂ© ; son ouvrage mĂ©riterait d’étre plus connu.’ Tout rĂ©cemment, M. QuatremĂšre de QuineĂż a jetĂ© beaucoup de lumiĂšre sur la question de l’imitation il a prouvĂ© d’une maniĂšre incontestable , selon moi, que l’art n’est pas seulement copiste, mais crĂ©ateur. Depuis Winckelmann, l’Allemagne s’est occupĂ©e de thĂ©orie sur la sculpture en particulier et sur l’art en gĂ©nĂ©ral, et elle a produit des ouvrages dont on finira par reconnaĂźtre l’importance. Enlin, l’Angleterre a peu Ă©crit sur les beaux - arts ; les observations fines et judicieuses de ses Ă©crivains sont plutĂŽt applicables Ă  tel ou tel art particulier qu’à la thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de l’art. INous allons essayer de rĂ©soudre la premiĂšre des questions que nous avons posĂ©es y a-t-il du beau dans la nature ; quels en sont les ca- ratĂšres ; p ar quelles opĂ©rations intellectuelles arrivons-nous Ă  le saisir ? Lorsque nous jetons les yeux sur la nature vi- i3. igfi VINGTIÈME LEÇON. vante, soit de cette vie spĂ©ciale qu’on appelle la vie humaine, soit de cette vie plus gĂ©nĂ©rale qu’on appelle la vie organique, et la nature inanimĂ©e, soumise aux seules lois de la mĂ©canique , nous rencontrons des objets .qui nous font Ă©prouver de douces ou de pĂ©nibles sensations. Une forme se prĂ©sente Ă  vos yeux en mĂȘme temps que vous jugez qu’elle existe, vous Ă©prouvez une sensation agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able. Si l’on vous demande pourquoi elle vous agrĂ©e, vous ne pouvez en donner la raison si l’on vous reprĂ©sente qu’elle dĂ©plaĂźt h d’autres, vous ne vous en Ă©tonnez pas, parce que Vous savez que la sensibilitĂ© est diverse, et qu’il ne liiut pas disputer des sensations. Jusqu’ici nous n’avons pas mis le pied dans le .domaine de l’art son objet, c’est le beau, et nous ne sommes encore qu’à l’agrĂ©able. Or, n’arrive-t-il pas quelquefois qu’une forme ne nous est pas seulement agrĂ©able , mais que de plus elle nous apparaĂźt comme belle? Quand on nous demandait pourquoi elle nous Ă©tait agrĂ©able, nous n’avons pu rĂ©pondre que par notre propre autoritĂ© je suis le seul juge de ce qui me plaĂźt ou me dĂ©plaĂźt; quand on nous demande pourquoi nous disoi s que cette forme est belle, nous en appelons Ă  une aĂŒtoritĂ© qui n’est pas la nĂŽtre., qui s’impose Ă  tous les hommes, Ă  l'autoritĂ© de la raison. Nous permettons qu’on nous conteste DU BEAU. ' ' 197 l’agrĂ©ment le cette ligure, car le plaisir se renferme dans la spliĂšre individuelle de chacun, et si quelqu’un nous dit qu’il jouit ou qu’il soi lire, il ne nous vient pas Ă  l’esprit de contester son assertion , Ă  moins que nous ne veuillons l’accuser de mensonge. Quand nous jugeons aii contraire qu’une figure est belle, si Ton nous soutient quelle ne l’est pas, il nous semble qu’on s’établit dans le domaine commun Ă  tous les hommes, que chacun ici ai le droit de contestation, et nous ‱ accusons notre adversaire, non pas de mensonge, mais d’ La peine et le plaisir n’ont de rĂ©alitĂ© que dans le sein de celui qui .les Ă©prouve, et quand nous disons cela m’agrĂ©e , cela me dĂ©plaĂźt, nous jugeons comme individu, et nous Ă©puisons d’un seul coup tous les degrĂ©s de juridiction ; mais la vĂ©ritĂ©, et cette partie de la. vĂ©ritĂ© qu’on appelle beautĂ©, n’çst pas enfermĂ©e dans chacun de nous ; c’est comme la patrie commune de l’humanitĂ©, dont personne n’a Je droit de disposer souverainement ; et quand nous disons cela est vrai, cela est beau , ce n’est plus lu sentiment variable et individuel que nous voulons exprimer , mais le jugement uiiiverr sel, la loi objective imposĂ©e Ă  tout homme ; quand je dis ; cela est agrĂ©able, je ne parle que pour moi '1 quand je dis cela est vrai, je parle pour tous les hommes. Prenons un exemple , sinon dans la nature, oĂč la beautĂ© est encore 1^8 VINGTIÈME LEÇON. enveloppĂ©e de nuages, du moins dans l’art, oĂč elle Ă©clate avec plus de puretĂ© devant l’Apollon du BelvĂ©dĂšre, je dis que cette figure, est belle ne suis-je pas convaincu que je parle ici, non d’une impression personnelle, mais du jugement de tout le monde ? Je n’impose ma sensation Ă  personne, mais je me sens le droit d’imposer Ă  tous la. raison. 11 en serait de mĂȘme Ă  la vue d’une beautĂ© naturelle. Nous devons donc reconnaĂźtre qu’il y a dans l’homme de la sensibilitĂ© physique et de la raison ; que tantĂŽt la sensibilitĂ© physiqueagitscule, et qu’a- lors il n’y a lieu Ă  erreur nia dispute ; que tantĂŽt la raison Ă  son tour, et que, dans ce cas, elle est l’expression de quelque chose d’objectif, et par consĂ©quent d’universel ; que si la sensation et le jugement sont rĂ©unis, il existe alors un Ă©lĂ©ment individuel et un Ă©lĂ©ment universel. Nous sentons comme individu, nous jugeons comme humanitĂ©;, ou, en d’autres termes, le jugement a une portĂ©e qui s’étend au dehors de la sphĂšre personnelle. Maintenant quels sont les caractĂšres de 1 agrĂ©able et du beau? Notre rĂ©ponse, que nous dĂ©velopperons et que nous confirmerons dans la suite, c’est que l’unitĂ©, la proportion, simplicitĂ©, la rĂ©gularitĂ© , la grandeur, la gĂ©nĂ©ralitĂ©, apparaissent plus ou moins d ;,ns les objets que nous jugeons beaux, et que les caractĂšres de l’agrĂ©able sont l a DU BEAU. *99 variĂ©tĂ©, le mouvement, la souplesse; l’énergie, l’individualitĂ©. Ainsi, tout ce qui a vie nous agrĂ©e; la dĂ©termination des formes, le mouvement variĂ©, la diversitĂ© des sons, tels sont les faces du joli ou' de l’agrĂ©able , dont les nuances ont Ă©tĂ© saisies par Burke avec beaucoup de finesse et d’habiletĂ©. L’agrĂ©able a deux caractĂšres principaux , qui produisent des impressions diffĂ©rentes et qui ont reçu des noms diffĂ©rons. Par exemple, Ă  la vue d’une rose, je suis affectĂ© d’une sensation agrĂ©able, que j’appelle expansion; Ă  la vue d’une nuĂ©e d’orage, aux contours fortement accentuĂ©s , aux teintes de pourpre et d’argent qui tranchent sur le bleu foncĂ© du ciel, j’éprouve une sensation agrĂ©able, mĂȘlĂ©e de concentration. Quelques philosophes, et Burke Ă  leur tĂšte, ont nommĂ© du nom de beau le premier genre d’agrĂ©able , et ont donnĂ© au second le nom de sublime ; nous ne pouvons voir ici que deux genres d’agrĂ©able l’un flatteur, l’autre sĂ©vĂšre, mais tous deux excitĂ©s par la variĂ©tĂ© et la vie. Au-dessus de ces deux espĂšces d’agrĂ©ment est le beau , qui a pour caractĂšre fondamental l’unitĂ©. Nous avons donc rĂ©solu notre premiĂšre question il est certain en fait que nous concevons du beau dans la nature, et que nous ne sommes pas seule- ment rĂ©duits Ă  sentir de l’agrĂ©able ; que le beau et l'agrĂ©able ont des caractĂšres diffĂ©rĂ©es ; que le second est l’objet d’une sensation individuelle qui n’a J200 VINGTIÈME LEÇON, plus de valeur hors de la sphĂšre de chacun , et que le second appartient Ă  un jugement universel, Ă  un monde supĂ©rieur aux hommes, Ă  la souveraine raison i 0X1 U EAU. - 201 VVYVVV\VVVW\ vwvwwvwwwWM/wfcvviwvvtaiw v wvw V\v AV VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. Du beau idĂ©al. — Comment arrivons-pous Ă  le concevoir. .-—De l’imitation. — De la crĂ©ation.— L’esprit dĂ©bute par le concret et l’abstrait, par l’individuel et l’absolu. — L’art doit exprimer l’individuel et l’absolu, plaire Ă  la sensibilitĂ© physique, et satisfaire la raison, unir le rĂ©el et l’idĂ©al. — SimultanĂ©itĂ© de l’idĂ©e individuelle et de l’idĂ©e absolue. — SpontanĂ©itĂ© et rĂ©flexion ; vue concrĂšte et vue abstraite. —> Abstraction immĂ©diate i> Nous avons vu dans la leçon derniĂšre. qu’il y a du beau naturel, qu’il se distingue de l’agrĂ©able; quel est. le caractĂšre de l’un et de l’autreet par quelles opĂ©rations psychologiques nous arrivons Ă  les saisir. Nous devons aujourd’hui insister * Voyez, Fragmens philosophiques, du beau rĂ©el et du beau ideai 7 de ]a page 3 27 M la page 336 premiĂšre Ă©dition. 302 VINGT-ET-UNIÈME LEÇON, sur le beau idĂ©al, et considĂ©rer dans quel ordre' lĂ©s deux genres de beauté’se manifestent Ă  notre esprit. . INous. nous sommes dĂ©jĂ  demandĂ© si le beau idĂ©al n’est qu’une gĂ©nĂ©ralisatiĂŽn appliquĂ©e aux objets de la nature, ou s’il diflĂšre des donnĂ©es expĂ©rimentales ; nous avons ramenĂ© la question Ă  celle-ci le cercle gĂ©omĂ©trique n’est-il que la collection des divers cercles imparfaits que nous trouvons dans la nature, ou doit-il ĂȘtre regardĂ© coi unie quelque choso d’absoju et d’indĂ©pendant de au te collection expĂ©rimentale? J’ai essayĂ© de montrer que si le cercle n’est cercle qu'en vertu de la dĂ©finition , la ligure qui ne satisfait pas aux conditions demandĂ©es par cette dĂ©finition n’est pas un cercle. C’est ce qu’on peut dire des cercles de la nature ; de sorto que nul cercle naturel, et mĂȘme nul cercle artificiel, n’est un cercle. Si le cercle gĂ©omĂ©trique , avons-nous dit, n’est que la collection de plusieurs cercles naturels, if ne peut y avoir dans cette collection que. ce qu’il y a dans les individus; car une collection n’est qu’une somme, et ne contient que ce qui se. trouve dĂ©jĂ  dans les parties additionnĂ©es^ Or , si chaque cercle, considĂ©rĂ© isolĂ©ment, est dilĂŻĂ©rent du cercle gĂ©omĂ©trique, la somme les cercles naturels, de quelque façon qu’on la considĂšre, ne pourra jamais donner le cercle de la gĂ©omĂ©trie. Comment arrive-t-il donc que l’intelligence conçoive le* cercle? quelle est’ DU BEAU. ao3 cette opĂ©ration de l’esprit qui nous fait imposer la notion de cercle parfait, Ă  une figure imparfaite, ou transformer la figure naturelle en figure parfaite? ‱‱ Une acadĂ©mie i a ouvert un concours sur la question suivante Quelles sont les principales rait- sons qui produisirent chez les Grecs les grandes Ă©poles de sculpture et de peinture ? par quel moyen pourrait-on les reproduire? L’auteur couronnĂ©, M. EmĂ©ric David, prĂ©tendit que c’était par la contemplation et l’étude assidue des formes rĂ©elles, par la reproduction exacte des objets naturels, que les anciens avaient Ă©levĂ© les arts au plus haut degrĂ© de la perfection ; qu’aiusi l’imitation pouvait seule faire parvenir Ă  cette beautĂ© grecque , .vĂ©ritable expression de la vie. M. QuatremĂ©re de Quincy 2 combattit l’opinion du laurĂ©at; il avança que ce n’était pas par l’étude des formes naturelles, mais par la rĂ©alisation du beau idĂ©al, que les Grecs tirent au jour ces Ɠuvres qu’on rie retrouve pas dans la nature ; il montra qu’il, y a deux grands principes dans les arts, l’un individuel et d’imitation, l’autre gĂ©nĂ©ral., abstrait, absolu et de crĂ©ation. Le prç- niier ne saurait produire que des portraits ; le second atteint Ă  la beautĂ© pure. M. EntĂ©riç David 1 L»a troisiĂšme classe de Hnsfitut AcadĂ©mie des inscriptions et belles-lĂšttres T en 1807. 2 Voyez Archives littĂ©r, et philos, m! l’Eusope , tomes 2 , 304 VINGT-ET-UJN1ÈME LEÇON, avait soutenu que le beau idĂ©al est dans le modĂšle, et le modĂšle dans la nature; i\I. QuatremĂšre Ă©tablit que le modĂšle, si beau qu’il soit, n’est toujours que le moins imparfait des individus humains. L’art, suivant M. de QuincĂż, exprime le gĂ©nĂ©ral ou l’absolu; suivant M. EmĂ©ric David, il exprime l’individuel. On peut concilier ces deux thĂ©ories, car nous ne procĂ©dons dans les arts nipar l’individuel tout seul, ni uniquement par l’absolu. Nous livrons-nous exclusivement k la contemplation d’un seul individu, ou concevons-nous un modĂšle tout- Ă -fait idĂ©al dont on ne trouve aucun vestige dans la nature vivante ? La question se ramĂšne encore ici Ă  celle du cercle gĂ©omĂ©trique. ÎYlon opinion est que nous commençons-Ă  la fois par l’individuel et par l’absolu. A la vue d’une ligure naturelle qui affecte grossiĂšrement certaine propor tion , l’esprit douĂ© de la facultĂ© de concevoir l’absolu, Ă  propĂŽs dii particulier , construit cette figure grossiĂšre -en un cercle parfait ; mais jamais l’homme ne pourra rĂ©aliser matĂ©riellement un cercle gĂ©omĂ©trique ; il ne produira qu’un cercle naturel, et par consĂ©quent un cerclĂ© imparfait. C’est ainsi que l’idĂ©e du vrai, du beau et du bien est toujours mĂȘlĂ©e de deux Ă©lĂ©- mens, 1 un concret et particulier, l’autre abstrait et absolu. * Comme nous 1 avons dĂ©jĂ  dit, il y a deux espĂšces d’abstraction t° nous examinons plusieurs individus ; nous Ă©cartons leurs diilĂšrenccs, pour n r nu BEAU. 2Ă»5 saisir que leur ressemblance , dont nous lbrmous une sorte d’unitĂ© collective ; cette opĂ©ration de l’esprit peut se nommer abstraction comparative ; 2° par une abstraction d’un, autre genre, un individu Ă©tant donnĂ©, sans avoir recours Ă  aucune comparaison, nous dĂ©gageons du Soin de l’individuel un point de vue gĂ©nĂ©ral et absolu j’appelle ce procĂ©dĂ© de l’esprit absti’action immĂ©diate. Ce n’est pas .seulement au vrai gĂ©omĂ©trique et Ă  la conception du beau dans les arts que cette opĂ©ration s’applique, c’est aussi Ă  la conception du bien moral. Ainsi, sommes tĂ©moins d’une bonne action , notre intelligence laisse de cĂŽtĂ© tous les Ă©lĂ©mens particuliers, toutes les circonstances individuelles , pour s’élever sur-le-champ Ă  la conception du bien absolu. Quelques philosophes prĂ©tendent qu’avant dĂ©juger l’acte le plus simple., il faut possĂ©der les idĂ©es absolues de mal et de bien ; les autres pensent qu’il est absurde de placer le gĂ©nĂ©ral et l’absolu au dĂ©but des connaissances humaines, et que l’esprit doit commencer par l’indi- duel. La solution de la dillicultĂ© se prĂ©sente quand on ne; la cherche pas dans un parti extrĂȘme tout fait primitif est Ă  la fois individuel et gĂ©nĂ©ral. Si vous dites que l’on dĂ©bute par l’absolu , vous placez l’esprit dans une condition incomprĂ©hensible ; si vous avancez quil dĂ©bute par l’individuel, j e dĂ©lie que vous eu puissiez jamais tirer l’absolu. Cest de la mĂȘme façon que nous nous Ă©levons au prin- 206 VINGT-ET-UNIÈME LEÇON, eipe le causalitĂ© je veux mouvoir mon liras; je le meus, et au meme instant j’ai la perception immĂ©diate de cause et d’effet moi cause ; mouvement effet. Rien n’est plus individuel que chacun de ces deux termes, et cependant, aussitĂŽt que ce rapport s’est placĂ© sous les yeux de la conscience , les deux termes disparaissent pour ainsi dire, et il ne reste plus que le rapport cause et effet, ou le principe de causalitĂ© qui peut se formuler ainsi tout commencement d’existence suppose unecause. C’est ainsi que s’opĂšre le passage de l’individuel au gĂ©nĂ©ral, du rĂ©el au nĂ©cessaire on va de l’un Ă  l’autre par une opĂ©ration naturelle et simple nulle idĂ©e individuelle sans idĂ©e gĂ©nĂ©rale , nul contingent sans absolu. L’homme ne voit Dieu que dans ces formes . le vrai, le bien et le beau ; et il ne voit ces formes absolues que dans le relatif, dans le contingent, dans le moi et le non-moi. Le beau idĂ©al se tire donc du beau rĂ©el par une abstraction' immĂ©diate qui aperçoit l’un dans l’autre. L’opĂ©ration est double ; si elle ne l’était pas, on n’obtiendrait que l’individuel tout seul, ou l’absolu sans l’individuel, c’est-Ă -dire la vie sans!’idĂ©al-, ou 1 idĂ©al sans la vie. L’art doit s’attadber Ă  reproduire Ă©galement l’idĂ©al et la nature. Le beau idĂ©al ayant Ă©tĂ© sĂ©parĂ© du beau naturel, qu’est-ce maintenant que le beau idĂ©al ? Le beau est identique avec le bien et le vrai nous avons dit, dans une leçon prĂ©cĂ©dente i qu’il n’y avait p-'S DU BEAU. 207 une seule- vĂ©ritĂ© , mais plusieurs vĂ©ritĂ©s. Donnez- moi, disais-je, une ventĂ©, je me charge d’en trouver une plus Ă©levĂ©e et plus, vaste ; donnez-moi une belle action , j’en trouverai une encore plus belle. 11 en est de mĂȘme de l’idĂ©al il reste indĂ©terminĂ© ; c’est un point qui recule sans cesse, et qui fuit jusqu’à l'infini. Toute Ɠuvre de l’art, quelque, idĂ©ale qu’elle soit, est encore individuelle l’Apollon affecte certaines formes, prĂ©sente telle ou telle attitude T il est dĂ©terminĂ©, il n’est donc pas l’idĂ©al lui-mĂȘme ; autrement il n’y aurait qu’un seul genre d’idĂ©al, et toutes les statues devraient ĂȘtre jetĂ©es dans le mĂȘme moule. Toute Ɠuvre de l’art n’est donc qu’une approximation le dernier terme de l’idĂ©al est dans l’infini ou en Dieu. Depuis la limite oĂč les efforts humains expirent jusqu Ă  Dieu, existe un intervalle qui ne peut se combler. Il en L. t ainsi pour le vrai jamais voiis n’atteignez l’ĂȘtre vrai en lui-mĂȘme ; il en est ainsi pour le bien vous avez beau Ă©purer le rĂ©el, l’élever Ă  la plus grande hauteur, le bien absolu est toujours plus haut et plus pur , et nous ne l’atteignons jamais.. L’infini est l’origine et le fondement de tout cĂ© qui est il sc rĂ©vĂšle Ă  nous par le vrai, le bien et le beau; en descendant de cet ĂȘtre suprĂȘme , on arrive Ă  tuie suprĂȘme beautĂ©, qui est la moins Ă©loignĂ©e du type infini, mais qui en est dĂ©jĂ  bien loin; de lĂ  , de dĂ©gradation en dĂ©gradation , vous descendrez Ă  la beautĂ© rĂ©elle ; vous aurez parcouru 208 Y IX G T - F. Ăź - U N1È M E LEÇON. une multitude de degrĂ©s intermĂ©diaires, vous aurez rencontrĂ© l’art et tous les degrĂ©s de l’art, l’Apollon, la VĂ©nus, le Jupiter, etc., et au- dessous de l’art, la .nature , et tous les degrĂ©s de la beautĂ© naturelle. Souvenez-vous cependant cpie toutes ces sphĂšres diffĂ©rentes se touchent et se pĂ©nĂštrent pour ainsi dire. Au-dessous du beau, enfin, vous trouverez l’agrĂ©able, c’est-Ă -dire, aprĂšs les objets du jugement, les objets de la sensation. N’oubliez pas surtout que le beau et l’agrĂ©able, pour ĂȘtre divers, n’en sont pas moins quelquefois simultanĂ©s, et que dans ce cas le jugement et la sensation s’aceompagnent. Nous pouvons entreprendre maintenant la dĂ©finition de Tait. L’art est-il au service de la sensibilitĂ© physique ou de la raison, ou, en changeant les expressions du problĂšme, sans en changer la nature, l’art reprĂ©sente-t-il l’individuel ou l’absolu , l’idĂ©al ouĂŻe rĂ©el, l’infini ou le fini? Je rĂ©ponds que l’art reprĂ©sente la vie humaine tout entiĂšre or, la vie se compose d’invisible et dĂš visible, d’infini et de fini, de jugement et de sensation. L’art doit donc, se proposer deux buts plaire Ă  la sensibilitĂ© physique , satisfaire la raison. Quand l’art ne reproduit que la rĂ©alitĂ© vivante, il est incomplet; s’il voulait rĂ©aliser le beau idĂ©al sans la vie, sans la forme rĂ©elle, ses ellorts seraient vains. Le gĂ©nie, c’estl’aperception vivent rapide delaproportion dans laquelle doivent s’unird'idĂ©al et le naturel. L’artiste 1> li HUAI. a°9 veut reprĂ©senter ]a vie il faut donc qu’il s’attache au dĂ©terminĂ© , Ă  l’individuel, qu’il soit imitateur ; d’autre part, il veut idĂ©aliser son Ɠuvre il faut qu’il l’approche autant que possible de l’inlini, de l’unitĂ©. Le phĂ©nomĂšne et l’ĂȘtre se partagent toutes les idĂ©es, le phĂ©nomĂšne est variĂ© , l’ĂȘtre est unique, l’art qui reprĂ©sente l’unitĂ© et la variĂ©tĂ© reprĂ©sente donc aussi la substance et le phĂ©nomĂšne. UnitĂ© et variĂ©tĂ©, telles sont donc les deux rĂšgles suprĂȘmes de l’art. D’aprĂšs cette thĂ©orie, quelle mĂ©thode doit-on suivre dans l’enseignement des beaux-arts ? Les Ă©lĂšves doivent-ils commencer par l’idĂ©al ou par le rĂ©el?par l’unitĂ© ou pur la variĂ©tĂ©? M. QuatremĂšre se dĂ©clare en faveur de l’idĂ©al. Pour moi, je pense que les Grecs n’ont dĂ©butĂ© ni par le rĂ©el ni par 1 idĂ©al tout seul , mais par l’un et l’autre Ă  la fois. La nature ne commence ni par l’un ni par l’autre, c’est-Ă -dire qu’elle n’offre jamais le gĂ©nĂ©ral sans l’individuel, ni l'individuel sans le gĂ©nĂ©ral. Pourquoi ne mettrait-on pas les Ă©lĂšves aux prises avec la variĂ©tĂ© et avec l’unitĂ© en mĂȘme temps, et ne les ferait-on pas marcher comme les Grecs et comme la nature ? Nous avons dĂ©jĂ  rĂ©solu les questions les plus importantes sur l’idĂ©e de la beautĂ©. Nous avons vu qu’il y a du beau dans la nature; que le beau idĂ©al diffĂšre du beau naturel; qu’il est impossible de dĂ©terminer l’idĂ©al ; que c’est pour ainsi I/ 310 VINGT- ET -UNIÈME LEÇON, dire un plan mobile entre la nature et l’infini. Nous avons cherchĂ© comment l’esprit saisit le beau rĂ©el et le beau idĂ©al, enveloppĂ©s pour ainsi dire l’un dans l’autre. Dans tout objet qui rĂ©flĂ©chit plus ou moins la beautĂ© , se rencontre l’élĂ©ment indi viduel et l’élĂ©ment gĂ©nĂ©ral. Toute figure humaine est composĂ©e d’un certain nombre de ' traits individuels qui la distinguent de toutes les autres , et en mĂȘme temps elle offre des’ traits gĂ©nĂ©raux qui en font ce qu’on appelle x non pas la physionomie de tel ou tel individu, mais la figure humaine. Ce sont'ces linĂ©amens constitutifs qu’on fait tr acer Ă 'l’élĂšve qui dĂ©bute dans l’art du dessin. Nous ne voulons pas dire que les traits gĂ©nĂ©raux ou communs de; l'humanitĂ© soient le type de la beautĂ©, mais que sous chaque figure naturelle l’esprit saisit la proportion , la rĂ©gularitĂ©, l’unitĂ© , ou en un mot l’absolu. L’essence et l’individualitĂ©, voilĂ  pour ainsi dire les deux pĂŽles de tout objet observable. L’essence ne peut changer, car la changer ce serait la dĂ©truire; l’individualitĂ©, au contraire, peut subir une multitude de variations. Aux termes d’essence et d’individualitĂ© , nous pouvons substituer ceux de substance et de phĂ©nomĂšne, et nous obtiendrons ces axiomes , dĂ©jĂ  bien connus de nous ; dans tout objet il y a la substance et le phĂ©nomĂšne; le phĂ©nomĂšne constitue le variable, la substance constitue l’invariable. Tout ce qui existe participe donc Ă  l'absolu ; tout ce qui est n’est pas UU BEAU. 21 ĂŻ Dieu, mais doit avoir quelque chose de Dieu. Maintenant comment nous sont donnĂ©s la substance et le phĂ©nomĂšne ? laquelle des deux idĂ©es germe la premiĂšre au sein de l’intelligence ? Ni l’une ni l’autre, mais toutes les deux Ă  la fois. L’esprit ne commence ni par une analyse, ni par une synthĂšse, si ce mot signifie une recomposition , fille de l’analyse, mais par ce que je pourrais appeler une thĂšse , une composition , ou plutĂŽt un fait 'complexe. Cet Ă©tat primitif est obscur, confus nous n’en distinguons pas les deux Ă©lĂ©mens ; complexitĂ© et obscuritĂ© sont synonymes; il faut dĂ©composer et recomposer le complexe pour l’éclaircir. Or, comme tout spontanĂ© est complexe, tout spontanĂ© est obscur. L’analyse seule enfante la lumiĂšre, et l’analyse suppose la rĂ©flexion , qui n’est, comme vous le savez, qu'un second point de vue de l’esprit. L’îbjet extĂ©rieur nous est donc donnĂ© d’abord comme un composĂ©, un ensemble de deux Ă©lĂ©mens la substance et le phĂ©nomĂšne, l’invariable et le variable, l’absolu et le relatif. L’opĂ©ration interne qui s’applique Ă  cet objet est Ă©galement composĂ©e ; c’est le jugement et le sentiment , l’intelligence et l’amour. Tel est le dĂ©but de l’humanitĂ© , telle est la base sur laquelle doit tra= vailler la philosophie. En effet, qu’est-ce que la philosophie? Un Ă©claircissement, et l’éclaircissement suppose des tĂ©nĂšbres antĂ©rieures. La lumiĂšre sort donc de la nuit, c’est-Ă -dire que la philosophie 14. A I A UiUiT-El-UUÈMK LEÇON. ou Ja rĂ©llexion part de la spontanĂ©itĂ©. La rĂ©flexion dĂ©compose, divise les parties pour les Ă©clairer, puis elle les recompose et les rĂ©unit dans, leur ensemble; la complexitĂ© n’exclut pas alors la clartĂ©. C’est dans cet Ă©tat que l’on distingue nettement, et que l’on peut contempler l’un aprĂšs l’autre le gĂ©nĂ©ral et le particulier, l’absolu et le relatif, la substance et le phĂ©nomĂšne ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, vous divisez alors le composĂ©, vous ne le crĂ©ez pas, vous n’ajoutez pas un terme Ă  un autre, vous allez de l’un Ă  l’auti'c, mais ils coexistaient primitivement tous les deux. L’analyse n’a rien créé, elle n’a fait que dĂ©gager des Ă©lĂ©mens existans. L’analyse procĂšde par abstraction ; mais, je le rĂ©pĂšte encore, l’abstraction est de deux espĂšces. Par l’une on parcourt une sĂ©rie d’individualitĂ©s , on dĂ©gage les caractĂšres communs, et on arrive ainsi, aprĂšs une attention minutieuse , Ă  une idĂ©e abstraite collective. Telle est l’abstraction mĂ©diate ou comparative, mĂ©diate parce qu’elle naĂźt de l’observation de plusieurs objets , comparative para que son instrument est la comparaison. L’aut -e espĂšce d’abstraction saisit, immĂ©diatement ce que le premier objet soumis Ă  son inspection renferme de gĂ©nĂ©ral, ou plutĂŽt d’absolu. Et en eflĂšt, si dans chaque objet il se trouve de l’absolu, nous n’avons p as besoin de comparer successivement plusieurs objets pour dĂ©gager un Ă©lĂ©ment Dti BEAI’. 3 1 3 qui se rencontre aussi bien dans le premier que dans le dernier. Lors donc que dans un objet complexe je nĂ©glige le variable, le contingent, le dĂ©terminĂ©, pour ne considĂ©rer que l’invariable, l’indĂ©terminĂ© , le nĂ©cessaire , j’obtiens une idĂ©e absolue, abstraite et immĂ©diate, absolue parce qu’elle n’a plus rien d’individuel, abstraite parce qu’elle a Ă©tĂ© recueillie dans les enveloppes de l’individualitĂ© , immĂ©diate parce qu’elle n’a pas eu besoin de la comparaison d’un grand nombre d’objets , mais quelle s’est dĂ©gagĂ©e Ă  l’inspection d’un seul. Ainsi nous commençons par le complexe et nous finissons par le simple. Dans la nature, les parties et l’ensemble, le simple et le composĂ©, les sons et l’harmonie, les instrumeus et le concert, tout cela est contemporain ; il n’en est pas de mĂȘme dans l’esprit, de l’homme, oĂč le simple ne vient qu’a- prĂšs le* complexe, parce que la rĂ©flexion est postĂ©rieure Ă  la spontanĂ©itĂ©. Appliquons toutesces rĂ©flexions Ă l’idĂ©e de beau tĂ©. Primitivementle beau naturel nous apparaĂźt comme composĂ© d’individuel et d’absolu ; c’est un complexe obscur, confus, indistinct. UltĂ©rieurement 1 abstraction immĂ©diate dĂ©gage l’absolu du sein de l’individuel, et l’élĂšve Ă  l’état de puretĂ© et de simplicitĂ©. Ainsi, aprĂšs avoir perçu d’abord le beau mixte, nous obtenons le vrai beau , le beau pur, et l’idĂ©al est trouvĂ©. Au point de dĂ©part il n’y a pas d’idĂ©al, mais le beau rĂ©el, le beau nature], le 214 vingt —ET—U NIÈME leçon. beau renfermĂ© dans un concret, enfoui dans la complexitĂ©. Quand l’abstraction l’en a dĂ©gagĂ© * il brille de toute sa simplicitĂ©. LS beau idĂ©al dillere du beau naturel, en ce que le second tombe Ă  la fois sous la perception des sens et de fesprit, tandis que le premier n’est jamais vu par les yeux , et demeure toujours une pure conception de l'intelligence. Le beau naturel peut ĂȘtre vu> le beau idĂ©al ne peut ĂȘtre que pensĂ©. V ♩ ‱ n > , ! . .xi * » ‱ /fur ; DU BEAU, ai5 \>W»W»V\V VINGT-DEUXIÈME LEÇON. Du sentiment du beau qui accompagne le jugement de de beautĂ© i. — Ce sentiment se distingue i°'de la sensation et du dĂ©sir de possession. — 2 0 De la pitiĂ© et la terreur.—3° De la recherchedel’intĂ©rĂȘt, soit particulier, soit gĂ©nĂ©ral. — 4° De l’illusion. — 5° Du sentiment moral et religieux. —- L’art est sa propre fin Ă  lui- mĂȘme , comme la religion et la morale sont leur propre fin. Nous avons accompli dĂ©jĂ  unegrandepartiedela tĂ clie que nous nous Ă©tions imposĂ©e dans nos recher- chessuiTidĂ©edubeau ; nous avons examinĂ© en quoi consistelebeaurĂ©eletle beauidĂ©al, etcommentnous passons de l’un Ă  l’autre ; nous avons indiquĂ© les caractĂšres extĂ©rieurs du beau naturel et du beau absolu ; nous avons vu qu’au double caractĂšre du l Voyez, FrIGMEns philosophiques . du beau rĂ©el et du beauidĂ©al^ page 324* 216 VIN G T - D E C X 1ÈTVI E LEÇON, beau, c’est-Ă -dire Ă  l’absolu et-Ă  riiulividuel, Ă  l’unitĂ© et Ă  la variĂ©tĂ©, correspondent deux phĂ©nomĂšnes intimes un jugement et une sensation. Nous devons signaler maintenant un Ă©lĂ©ment dont nous n’avons pas encore parlĂ©, qui est intermĂ©diaire entre la sensation et le jugement; tenant de la premiĂšre, parce qu’il est aussi un plaisir, une expansion , un amour ; tenant du second, parce qu’il en est toujours prĂ©cĂ©dĂ© , et qu’il lui doit son origine c’est le sentiment du beau. La sensation est variable, nous ne prĂ©tendons l’imposer Ă  personne ; nous laissons chacun maĂźtre de sa sensibilitĂ© physique, comme on nous laisse entiĂšrement maĂźtres de la nĂŽtre ; mais le sentiment, fils du jugement , emprunte Ă  celui-ci son caractĂšre d’universalitĂ©. Placez-vous devant un objet de la nature, dans lequel tous les hommes reconnaissent de la beautĂ©; examinez le phĂ©nomĂšne total qui se passe en vous Ă  cet aspect, et cherchez Ă  en dĂ©gager les Ă©lĂ©mens . il est certain que vous prononcez que l'objet est beau, et que vous prononcez ce jugement d’une maniĂšre absolue; vous savez que ce n’est pas vous qui laites votre jugement, mais qu’il vous est imposĂ© du dehors ; et si l’on vient vous contredire, vous allumez qu on se trompe ; qu’il ne s’agit pas ici d’un fait qui vous soit personnel, mais d’une lumiĂšre objective qui Ă©claire tous les esprits- Il est encore certain qii’aprĂšs avoir jugĂ© que l’objet DU IiE VI. 31'J est beau, vous sentez sa beautĂ©, c’est-Ă -dire que vous Ă©prouvez une Ă©motion dĂ©licieuse, et que vous ĂȘtes attirĂ© vers l’objet par l’amour, suite inĂ©vitable du sentiment de plaisir. Si au contraire l’objet en prĂ©sence duquel vous vous trouvez est en opposition avec le beau, vous jugezde sa laideur, et vous Ă©prouvez un sentiment contraire Ă  celui que nous dĂ©crivions tout Ă  l’heure. De ce sentiment naĂźt l’aversion ou la haine la haine accompagne toujours le jugement du laid comme l’amour le jugement du beau. Ainsi, la beautĂ© et la laideur sont Ă  la fois en rapport .avec le jugement et avec le sentiment. Le jugement et le sentiment, tels sont les deux vrais Ă©lĂ©mens internes dĂ© l’idĂ©e du beau. Nous avons insistĂ© sur la nature du jugement, sur sa nĂ©cessitĂ© absolue, sur sa valeur objective, niĂ©e par Kant et par Fichus; nous prĂ©senterons aujourd’hui quelques considĂ©rations sur la nature du sen liment qui se joint au jugement du beau. Plusieurs thĂ©ories ont Ă©tĂ© mises en avant sur la nature de ce sentiment. Nous parlerons d’abord d’une doctrine nĂ©e en France au dernier siĂšcle, et plus ou moins adoptĂ©e par les sectateurs de la philosophie qui lui a donnĂ© naissance. D’aprĂšs cette thĂ©orie, le sentiment excitĂ© en nous par la vue du beau exteneur est une pure sensation suivie du dĂ©sir de la possession. À la vue d’un vase antique, par exemple, vous vous sentez Ă©mu d’urĂźe sensation agrĂ©able; vous dĂ©sirez la possession de cette 218 vingt-deuxiĂšme leçon. Ɠuvre de l’art, et c’est pour cela cpie vous l’appelez Icelle. Nous pensons que la vĂ©ritĂ© est prĂ©ciser ment dans le contraire de cette opinion, et que le sentiment du beau est entiĂšrement dĂ©sintĂ©ressĂ© ; que loin d’éprouver le moindre dĂ©sir de nous emparer de l’objet, d’en jouir, de l’assimiler Ă  nous- mĂȘmes par ime rĂ©union intime, notre sentiment reste pour ainsi dire sur lui-mĂȘme, et se mĂȘle d’une sorte de vĂ©nĂ©ration qui retient le moi dans sa sphĂšre intĂ©rieure. Loin que le sentiment du beau soit le dĂ©sir de possession, je dis que partout oĂč naĂźtce dĂ©sir, le sentiment du beau n’existe pas ou s’évanouit. Prenons un exemple oĂč le dĂ©sir de possession se montre dans son plein dĂ©veloppement; plaoons- nous en prĂ©sence d’une table chargĂ©e de mets dĂ©licieux le dĂ©sir de jouissance ou de possession s’éveille, mais non*pas le sentiment du beau. Le dĂ©sir de possession est. un besoin d’assimiler l’objet Ă  nous-mĂȘmes, le sentiment du beau n’est pas un besoin ; il ne nous demande rien au dehors ; il est satisfait par cela seul qu’il existe. Si au lieu de songer Ă  la saveur des mets, j’ùnvisage l’ordonnance et la symĂ©trie des vases et des coupes, le sentiment du beau pourra naĂźtre, niais ce ne sera pas le besoin de m’approprier cette symĂ©trie. C’est de lĂ  probablement que ilurke a Ă©tĂ© conduit Ă  cette remarque, dont il n a pas aperçu lui-mĂȘme loule la portĂ©e ; le propre de la beautĂ© est, non pas d’exciter le dĂ©sir, mais de tendre Ă  l'Ă©touffer. OU BEAU. 2ig En effet plus la femme est belle, plus, Ă  son aspect, le dĂ©sir est remplacĂ© par un sentiment pur, par un culte dĂ©sintĂ©ressĂ©. Tel est le langage d’un vĂ©ritable ami de l’art. Si la vue d’une belle statue rĂ©veille en vous le dĂ©sir de la possession, 11e vous mĂȘlez pas du beau, vous n’ĂȘtes pas fait pour le sentir, vous n’ĂȘtes pas artiste. Le sentiment du beau n’étant pas le dĂ©sir, que dirons-nous de ces peintres qui cherchent Ă  faire illusion aux sens , Ă  reproduire exactement le rĂ©el, Ă  reprĂ©senter les formes qui peuvent rĂ©veiller l’appĂ©tit sensuel, le dĂ©sir de la possession ? le but de l’art est manquĂ© par eux, rien de cĂ© qui est dĂ©sirĂ© n’fest beau , et rien de ce qui est beau n’excite le dĂ©sir. Je passe Ă  une seconde thĂ©orie, plus spĂ©cieuse et plus difficile Ă  combattre, parce qu’elle s’appuie sur un ordre de sentimens plus relevĂ© que le dĂ©sir de possession. Je veux parler de celle qui confond le beau avec le pathĂ©tique , et ramĂšne le sentiment du beau Ă  la pitiĂ© et h la terreur. Remarquez que la question n’est pas de savoir si le beau ne peut pas Ă©veiller des sentimens de ce genre, ou si le sentiment du beau ne peut pas ĂȘtre accompagnĂ© de quelque Ă©motion dilfĂ©rentĂš de lui-mĂȘme, mais si- l’objet propre de ce sentiment est le pathĂ©tique. Dans cette derniĂšre hj-pothĂȘse , tout objet naturel , excitant la pitiĂ© . ou la terreur , serait appelĂ© S 20 VINGT-DEUXIEME LEÇON. beau. Or, que je rencontre .sur ma route des malheureux mourant de froid et de misĂšre, ma pitiĂ© s’émeut vivement, et cependant je ne dis pas que ce soit lĂ  un beau spectacle. De mĂȘme un animal hideux peut rĂ©pandre la terreur, et. cependant il ne sera pas beau, parce qu’il sera terrible. De la nature passons Ă  l’art. Sx les objets -dont xxous pallions tout Ă  l’heure ne sont pas beaux dans la nature, sullira-t-il que l’art les imite pour les revĂȘtir de beautĂ© ? Dans ce cas , rien ne serait plus beau que l’imitation du supplice capital. pas que nous sommes quelquefois plus vivement Ă©mus de terreur et de pitiĂ© par un drartie informe que par la plus parfaite des .Ɠuvres du théùtre? Je dis plus la pitiĂ© ou la terreur,, portĂ©e Ă  un degrĂ© trop Ă©levĂ©, Ă©touflb le sentiment du beau. LucrĂšce a' dit que ce n’est pas le plaisir de voir la souffrance des naufragĂ©s qui constitue la beautĂ© d’un naufrage; ne la cherchez pas non plus dans la pitiĂ© ou la terreur, car de pareils sentimens nous Ă©loigneraient de ce spectacle ; il faut une Ă©motion diffĂ©rente de celles-lĂ , et qui en triomphe pour nous attacher au rivage cette Ă©motion, c’est le pur sentiment du beau, causĂ© par la grandeur du spectacle , par la vaste Ă©tendue des flots, par les mouvemens majestueux des vagues et du navire. Si nous songeons un instant que sous ces vastes propor- 1H BEAL. 32i tions se cachent l’agonie et le rĂąle des mourans, nous ne pouvons plus supporter ce spectacle, le sentiment du beau a disparu. C’est pour cela que la reprĂ©sentation scĂ©nique d’un naufrage est plus belle qu’un naufrage rĂ©el le sentiment du beau n’est pas alors Ă©touffĂ© par la pitiĂ© ou la terreur; il peut en ĂȘtre accompagnĂ©, mais il les domine c’est donc un sentiment tout spĂ©cial, et dont l’objet n’est pas le pathĂ©tique. il existe un troisiĂšme systĂšme qui veut ramener le beau ii l’utile il a quelques rapports avec la premiĂšre thĂ©orie. Le dĂ©sir de la possession s’applique Ă  un objet immĂ©diatement agrĂ©able ; l’utile est un objet qui nous deviendra plus tard agrĂ©able, ou qui doit nous procurer un autre objet agrĂ©able par lui-mĂȘme ; l’utile est donc de l’agrĂ©able Ă  _ venir. Mais l’utile n’est pas plus que l’agrĂ©able, une seule et mĂȘme chose avec le beau. Voyez un levier, une poulie assurĂ©ment rien de plus utile ; cependant vous n’ĂȘtes pas tentĂ© de dire que cela soit beau. Battu de ce cĂŽtĂ©, le systĂšme se retranche dans l’utilitĂ© gĂ©nĂ©rale. S’il n’est pas vrai, dit-on , qu’une chose , envisagĂ©e comme utile Ă  vous seul ,’ soitinarquĂ©e parcela mĂȘme du caractĂšre de beautĂ©, vous ne pourrez refuser le nom de beau Ă  ce qui est utile Ă  tous. L’utile, avons-nous dit, n’est que le chemin de l’agrĂ©able; or, si l’agrĂ©able n’est pas beau, mĂȘme quand il est goĂ»tĂ© par tous les hommes, pourquoi l’utile serait-il mieux partagĂ©? Si 1 utile 222 VINGT-DEUXIÈME LEÇON. n’est pas le beau, que dire de l’artiste qui se met au service de l’utilitĂ© ? Le peintre n’est plus qu’un dĂ©corateur ; le musicien devient un artisan. Le vĂ©ritable artiste n’a d’autre but que d’exciter le pur sentiment du-beau. Une quatriĂšme doctrine a pensĂ© que le beau n’était ni l’agrĂ©able, ni l’utile, ni le pathĂ©tique, mais l’imitation de tout cela, et de quelque chose de plus encore , c’est-Ă -dire la copie de toute rĂ©alitĂ©; elle identilie le sentiment du beau avec l’illusion. L’art est ainsi rĂ©duit Ă  un trompe-l’Ɠil. Mais alors il ne contiendra pas plus de beautĂ© que la nature ; et si tout ce qui est dans la nature n’est pas beau , vous n’aurez rien fait pour' la dĂ©linition delĂ  beautĂ©, quand vous aurez dit qu’elle est une imitation du .naturel. Que vous transportiez sur le théùtre français la place publique d’AthĂšnes, ou l’intĂ©rieur du sĂ©nat romain; que vous me montriez J3rutus avec son costume vĂ©ritable, que vous ayez ramassĂ©, s’il est possible, le niĂȘme poignard qui lut l'instrument de son meurtre ; si le rĂŽle de Bru tus n’a pas Ă©tĂ© beau dans la nature, il ne sera pas beau sur la scĂšne. L’illusion n’est donc pas I e Sentiment du beau. Si je croyais qu’lpbigĂ©nie lĂ»t une jeune lille innocente, sur le point d’ĂȘtre immolĂ©e par son pĂšre, je sortirais de la salle en lrĂ©missant d’horreur; si je croyais qu’Ariane fĂ»t une amante abandonnĂ©e , dans cette scĂšne pathĂ©tique oĂč elle demande qui lui a ravi son amant, je rĂ©pondrais DU BEAU. 223 comme cet Anglais, sous le joug le l’illusion qu’on rĂ©clame ; c’est PhĂšdre ! c’est PhĂšdre ! Que l’on eĂ»t demandĂ©, sur le moment mĂȘme, Ă  cet Anglais, si ce qu’il voyait Ă©tait beau , il aurait rĂ©pondu que c’était coupable, et rien de plus. Je ne dis pas que l’illusion ne puisse accompagner le sentiment du beau; mais je soutiens qu’elle nĂ© le constitue pas. J ’examinerai enfin une derniĂšre thĂ©orie qui confond le beau avec la religion et la morale, et par consĂ©quent le sentiment du beau avec le sentiment moral et religieux. Dans cette opinion, le but de l’art est de nous rendre meilleurs, et d’élever nos cƓurs vers le ciej. Que ce soit lit un des rĂ©sultats de l’art, je ne le conteste pas, puisque le beau est une des formes de l’infini comme le bien ; et que nous Ă©lever vers l’idĂ©al, c’est nous Ă©lever vers 1 infini ou vers Dieu. Mais je prĂ©tends que la lorme du beau est distincte de la forme du bien ; et que si l’art produit le perfectionnement moral, il ne le cherche pas, il ne le pose pas comme son but. Le beau dans la nature et dans l’art ne se rapporte qu’à lui-mĂȘme; aiusi, dans uneoucert, Ă  l’audition d’une haute et belle symphonie, je demande si le sentiment que j’éprouve est toujours un sentiment moral ou religieux. Je saisis l’idĂ©al qui se cache sous la diversitĂ© et la variĂ©tĂ© clos sons qui frappent mon oreille; cet idĂ©al est ce que j’appelle le beau , mais ce n’est dans ce cas uj la vertu ni la saintetĂ©. Je lie dis pas que le sentiment pur et dĂ©sintĂ©resse du beau VINGT-DKIj XIÈ1ME LEÇON. ne soit un noble alliĂ© du sentiment moral et du sentiment religieux, et que le premier ne puisse rĂ©veiller les deux autres ; mais il ne faut pas les confondre. Le beau excite un sentiment interne , distinct, spĂ©cial, qui ne relĂšve qĂčb de lui-mĂȘme ; l’art n’est pas plus au service de la religion et de la morale qu’au service de l’agrĂ©able et de l’utile ; l’art n’est pas un instrument, il est sa propre fin Ă  lui-mĂȘme. Et ne croyez pas que je le rabaisse, quand je dis qu’il ne doit pas servir la religion et la morale, je l'Ă©lĂšve, au contraire, Ă  la hauteur de la morale et de la religion. La dĂ©fense que je viens de prĂ©senter en laveur de l’art pourrait ĂȘtre reproduite en laveur de la religion et. de la morale elle-mĂȘme. On a voulu aussi les donner toutes deux comme des instrumens, comme des moyens, et la fin qu’on leur assignait, c’était l’intĂ©rĂȘt ou l’utilitĂ©. 11 faut, dit-on, de la religion et de la morale pour la sĂ»retĂ© de l’état. Rien de plus immoral, rien de plus athĂ©e qu’une pareille doctrine. La religion et la morale sont ce qu’il y a de plus Ă©levĂ© ; il ne. faut donc les mettre'au service d’aucune autre chose que d’elles-mĂȘmes, ni surtout an service de l’intĂ©rĂȘt. 11 faut de la religion pour la religion , de la morale pour la morale , comme de l’art pour l’ai t. Le bien et le saint ne peuvent ĂȘtre la route de l’utile, ni mĂȘme du beau ; de mĂȘme que le beau ,,e Ut! BEAU. 225 peut ĂȘtre la voie ni de l’utile, ni du bien , ni du saint; il ne conduit qu’à lui-mĂȘme. Rappelez-vous ce que nous avons dit des trois formes de l’inlini , et vous reconnaĂźtrez Ă  quelle hauteur l’art s’élĂšve dans cette thĂ©orie,. Dieu se manifeste Ă  nous par trois formes accessibles Ă  notre faiblesse par l’idĂ©e du vrai, par l’idĂ©e du bien et par l’idĂ©e du beau; ces trois idĂ©es sont toutes trois filles du mĂȘme pĂšre, et Ă©gales entre elles, toutes trois contemporaires dans l’esprit humain comme dans la vĂ©ritĂ© Ă©ternelle ni l’une ni l’autre ne doit ĂȘtre mise au service de ses sƓurs. On a dit que les Grecs avaient conçu la poĂ©sie comme un moyen politique quand ils cĂ©lĂ©braient sur le théùtre l’hĂ©roĂŻsme fie leurs ancĂȘtres, ils Ă©taient portĂ©s, dit-on, Ă  imiter ces modĂšles. Je l’accorde; mais ce patriotisme , enfantĂ© par l’art , n’était que sa crĂ©ation mĂ©diate. Le poĂ«te avait d’abord excitĂ© le sentiment du beau. Il en est de tous les arts comme de la poĂ©sie. La peinture, la sculpture, la musique, peuvent concourir Ă  la production du sentiment moral et du sentiment religieux ;. mais d’abord elles ont causĂ© un sentiment spĂ©cial, parce que 1 idĂ©e du beau est une idĂ©e irrĂ©ductible Ă  aucune autre. La morale et la religion peuvent gagner Ă  la compagnie des beaux-arts; l’art peut aussi s’embelhr du cortĂšge' de la religion et de la ‱i ° “ morale, mais n y a une grande diffĂ©rence entre se secourir mutuellement et se produire l’an i5 m i i osoi»niĂŻ!. 226 VINGT-DEUXIÈME LEÇON. l’autre, et, ce qui est plus encore, s’identifier. - Je me rĂ©sume le sentiment du beau, excitĂ© par la prĂ©sence d’un objet, soit naturel, soit artificiel , est pur et dĂ©pouillĂ© de toute idĂ©e Ă©trangĂšre. Il ne se rapporte ni Ă  l’agrĂ©able, ni au pathĂ©tique, ni Ă  l’utile, ni Ă  l’imitation , ni Ă  la religion , ni Ă  la morale. L’art ne doit avoir pour but que d’exciter le sentimeut'du beau, il ne doit servir Ă  aucune autre fin ; il ne tient ni Ă  la religion ni k la morale, mais comme elle il nous approche de l’infini, dont il nous manifeste une des formes. Dieu est la source de toute beautĂ©, comme de toute vĂ©ritĂ©, de toute religion, de toute morale. Le but le plus Ă©levĂ© de 1 art est donc de rĂ©veiller Ă  sa maniĂšre le sentiment de l’infini. DU BEAU. 22*7 b wwwwvvm vwvwvww m v'vW'V'wwwwv^ wwwwwwvvwwv'WW\vv>AW / V\ VINGT-TROISIÈME LEÇON. Retour sur la sentiment du beau et du dĂ©sir de possession.—Le beau est immĂ©diat, l’utile ne l’est pas — Le beau comme beau est inutile. — Le sentiment du beau se place entre le jugement absolu qui le dĂ©termine et le prĂ©cĂšde d'une part, et de l’autre la' sensation qui le prĂ©cĂšde et. qui peut encore 1 accompagner et le suivre, mais avec laque, leil ne se confond pas.— ThĂ©orie de l’imagination. — Premier Ă©lĂ©ment de l'imagination mĂ©moire imaginative ou reprĂ©sentative. — DeuxiĂšme Ă©lĂ©ment abstraction ou choix rationne et volontaire. — 1 roisiĂšme Ă©lĂ©ment jugement et sentiment du beau» — L’imagination n’est ni la sensibilitĂ© physique toute seule, ni la raison toute seule, ni la simple rĂ©union de ces deux facultĂ©s; il faut y joindre l’amour pur et dĂ©sintĂ©ressĂ©, c’est-Ă -dire, le jugement et le sentiment’du beau. Nous avons essayĂ© de montrer que le sentiment du beau est un sentiment spĂ©cial, nous voulons indiquer maintenant comment il se mĂȘle Ă  l’iina- gination, phĂ©nomĂšne complexe dont il constitue l’élĂ©ment le plus important. Mais auparavant nous i5. au8 . V liNGt-TKOISIÈWE LEÇON, reviendrons en quelques mots sur la distinction du sentiment du beau et du dĂ©sir de possession, avec lequel il a Ă©tĂ© le plus souvent confondu. Pour que le seutimentdu beau soit pur et dĂ©sintĂ©ressĂ© , il faut que le beau ne soit ni l’agrĂ©able ni l’utile. Nous avons dit que si le beau n’était que l’agrĂ©able, tout agrĂ©able serait beau. Or, en fait, est-il vrai que toute forme agrĂ©able, c’est-Ă -dire excitant le dĂ©sirde possession, soit marquĂ©e du caractĂšre de beautĂ©? Nous avons prouvĂ© que d’une part le dĂ©sir est souvent excitĂ© en nous par des objets que la raison rejette du rang de la beautĂ©, et de l’autre que si un objet excite Je dĂ©sir d’assimilation , ce n’est pas par le cĂŽtĂ© que les hommes appellent beau. Le sentiment du beau et le dĂ©sir d’appropriation se repoussent mutuellement. Ce que nous disons des objets de la nature s’applique aux objets de l’art . si celui-ci, par une imita Lion ii- dĂšle, excite le dĂ©sir de possession, il dĂ©truit par cela mĂȘme la beautĂ©. Nous accordons toutefois que la sensibilitĂ© physique peut se mĂȘler Ă  la sensibilitĂ© morale, c’est-Ă -dire que le mĂȘme objet excitera par un de ses cĂŽtĂ©s le sentiment du beau , et par l’autre la sensation agrĂ©able Ainsi 1 homme, en prĂ©sence de la beautĂ© de la femme , Ă©prouvera rarement un sentiment pur et unique. Cette beautĂ©, reproduite et Ă©purĂ©e par l’artiste, causera peut-ĂȘtre encore chez quelques-uns un mĂ©lange de sentiment et de sensation ; mais la sensation est dĂ©jĂ  beau- DTJ deau. 229 coup plus rare en prĂ©sence des productionsdel’art, et Ăąi elle se dĂ©veloppe, elle trouble et altĂšre le sen- timentdu beau. DemĂȘmcquenous avons distinguĂ© l’agrĂ©able d’avec le beau , de mĂȘme nous en avons distinguĂ© l’utile. L’utile, avons-nous dit , estce qui doit nous procurer plus tard l’agrĂ©able, ou .c’est un genre d’agrĂ©able dont la jouissance est peut-ĂȘtre moins vive, mais dont la perte entraĂźnerait plus de souffrance que tel autre agrĂ©ment plus immĂ©diat ou plus doux; l’utile n’est donc toujours qu’un agrĂ©able plus ou moins dĂ©guisĂ©, et montrer que le beau 11’estpas l’agrĂ©able , c’est montrer qu’il n’est pas l’utile. Mais nous pourrions, sans analyser l’utile, poser la question comme nous l’avons fait pour l’agrĂ©able, et nous demander si tout objet utile est beau, en ajoutant cette autre question tout objet beau est-il utile? jNous avons montrĂ© qu’il y a une multitude de choses utiles qui 11e sont pgs belles ; nous avons empruntĂ© Ă  la mĂ©canique des exemples qui nous ont paru convaincans. Maintenant tout objet beau est-il marquĂ© du caractĂšre d’utilitĂ©? Je ne veux pas nier que'le beau ne puisse ĂȘtre quelquefois en mĂȘme temps beau et utile , mais je prĂ©tends que la beautĂ© est aperçue indĂ©pendamment delutditĂ©. Ainsi, la symĂ©trie et l’ordre sont des choses belles, et eu mĂȘme temps ce sont des choses utiles, soit parce qu’elles mĂ©nagent l’espace, soit parce que les objets disposĂ©s symĂ©triquement sont plus faciles Ă  observer et Ă  trouver quand le besoin 2 3o vingt-troisiĂšme LEÇON, s’en fait sentir; mais je nie que nous ayons besoin de ce retour sur l’utilitĂ© delĂ  symĂ©trie pour la proclamer belle; je dis que nous la saisissons directement, immĂ©diatement, comme belle, et que c’est ultĂ©rieurement que nous la jugeons utile. Ainsi le beau est immĂ©diat, l’utile ne l’est pas; et il arrve mille fois qu’aprĂšs avoir proclamĂ© la beautĂ© d’un objet, nous ne pouvonseux divers objets coin- 2 \\\^vwvt \VV\WAVV> UX VVA\\\IWW»W%W>VV>\%WAlAV\\\%V\\\A'A'^V*V\wv\v VINGT-SEPTIÈME LEÇON. Retour sur le goĂ»t et le gĂ©nie. — Une pensĂ©e de Plotin —- Les hommes beaux sont seuls juges de la beautĂ©. — Ecole de Locke. —Ecole de Kant; — LĂ© beau n’est ni matĂ©riel ni subjectif; il est absolu, indĂ©pendant de la nature et de l’homme. — RĂšgle de la composition. — Le critĂ©rium de l’art n’est ni le plaisir ni la clartĂ© , mais l’expression. -— La poĂ©sie est le premier des arts. Puissance symbolique du mot. — L’éloquence, la philosophie et l’histoire ne font point partie des beaux- arts. — Le second des arts est la musique. — Viennent ensuite la peinture, la sculpture, l’architecture et la construction des jardins. Nous avons dit que l’art est la reprĂ©sentation libre du beau, que le gĂ©nie est le goĂ»t mis en action, que l e goĂ»t renferme trois Ă©lĂ©mens qnt correspondent aux trois Ă©lĂ©mens du beau. Reprenons toutes ces propositions pour qu’un objet soit beau il doit, i “ exprimer une idĂ©e ; 2° prĂ©senter t 272 VINGT-SEPTIÈME LEÇON, une unitĂ© qui lasse briller l’idĂ©e exprimĂ©e ; 3 ” ĂȘtre composĂ© de parties diffĂ©rentes dĂ©terminĂ©es ; en' d’autres ternies, idĂ©e morale, unitĂ© et variéÚé , telles sont les trois conditions du beau. L’esprit doit offrir trois phĂ©nomĂšnes correspondant Ă  ces trois Ă©lĂ©mens l’esprit doit saisir l’idĂ©e qui est renfermĂ©e dans l’objet, apercevoir l’unitĂ© sous laquelle l’idĂ©e pure se rĂ©flĂ©chit, et enfin les parties diverses dont cette unitĂ© est le lien. Le' sentiment du beau, la raison et la facultĂ© de reprĂ©sentation, telles sont les trois conditions du goĂ»t. Mais ces trois facultĂ©s peuvent rester improductives, elles reçoivent et 11e rendent pas; pour former le gĂ©nie, il leur faut un plus haut degrĂ© d’énergie. Le goĂ»t apprĂ©cie l’idĂ©e, l’unitĂ© et la variĂ©tĂ©; le gĂ©nie produit la variĂ©tĂ© , l’unitĂ© et sous elles l’idĂ©e. L’élĂ©ment le plus important de la beautĂ©, c’est l’idĂ©e morale ; l’unitĂ© et la variĂ©tĂ© doivent en ĂȘtre empreintes, et lui servir seulement de manifestation, 9 et, en consĂ©quence , l’élĂ©ment le plus important k du goĂ»t et du gĂ©nie, c’est le sentiment du beau moral. L’intĂ©rieur de l’homme peut seul percevoir l’intĂ©rieur de la nature c’est mon aine qui sent l’ñme de l’univers. Dans les ouvrages d’un philosophe d’Alexandrie, il y a un chapitre cĂ©lĂšbre qui porte ce titre Les hommes beaux sont seuls juges de la heaute. Rien de plus Ă©trange au premier coup d’Ɠil, rien de plus vrai quand on y rĂ©flĂ©chit. L’ñme seule juge l’ñme; le beau est dans les DU BEAU. 273 formes sans ĂȘtre constituĂ© par elles il faut l’en dĂ©gager ; le beau n’est qu’une beautĂ© morale , une idĂ©e, un sentiment; il. n’y a donc que l’homme beau, c’est-Ă -dire celui qui possĂšde en lui, soit constamment, soit Ă  un moment donnĂ© , l’idĂ©e ou le sentiment empreint dans la nature, qui puisse juger le beau, c’est-Ă -dire , retrouver dans le symbole extĂ©rieur l’idĂ©e dont il est lui-mĂȘme pĂ©nĂ©trĂ©. Toutes les fois que nous saisissons le beau Ă  l’extĂ©rieur , c’est que nous le portons dĂ©jĂ  dans notre esprit, c’est par notre cĂŽtĂ© moral seul que nous pouvons nous mettre en rapport avec le moral de la nature. YoilĂ  ce que Plotin a voulu dire par cette expession singuliĂšre les hommes beaux sont seuls juges de la beautĂ©. Mais il ne suffit pas que l’homme porte le beau moral en lui-mĂȘme , il faut encore qu’il soit douĂ© d’une facultĂ© qui perçoive ce beau. Personne ne s’est avisĂ© de voir dans les ĂȘtres inanimĂ©s, et mĂȘme dans les animaux, des juges de la beautĂ© ; l’animal est beau , cependant il ne peut ni reconnaĂźtre ni juger la beautĂ©. Quoiqu’il contienne , comme la nature, le beau moral, ni lui ni la nature 11e sympathisent l’un avec l’autre, parce que, tout semblables qu’ils sont, ils ne connaissent pas, cette ressemblance. L’homme seul reconnaĂźt en lui le heau moral, comme dans la nature, connne dans 1 auimal, comme dans ses semblables., et voila pourquoi il sympathise avec l'homme , avec l’animal et avec la nature. Pour comprendre rnitosoruiE. 1 s 274 VIN G T -SEPTIÈME LEÇON. l;i Sympathie do l'homme, il faut s’élever jusqu’à latĂ©rite siiprĂȘrhfe, jusqu’à l’ĂȘtre unique et universel, jusqu’il Dieu. Dieu, c’est le fond du vrai , du bien fct du beau c’est l’absolu , qui S e rĂ©flĂ©chit tout entier dans foutes ses manifestations, ou, comme bti dit oi’dinairement, dans toutes ses crĂ©ations. DicĂŒ Ă©st dbric Ă  la fois dans la nature et. dans ü’hbtnme, et c’est altisi que s’explique la sympathie de l’ironlme pour la nature. Àiilsi il nĂ© fliĂŒtpas dire, avec une certaine Ă©cole^ jue l’homiitĂ© est une pu Ce rĂ©ceptivitĂ© frappĂ©e par la beautĂ© de la nature -, mais ne possĂ©dant pas en lui-mĂȘme l’idĂ©e du beau. Cette thĂ©orie a son principe dans les ouvrages de Locke et de Condillac. Si rhbmnie n etaitpas par lui-mĂȘme une crĂ©ature morale , comment pdiirrait-il concevoir le moral de la nature extĂ©rieure? S’il n’avait pas une intelligence , comment trouverait-il les lois qui gouvernent le monde? L’honunĂ« n’est pas , en naissant, une tablcrase sur laquelle l’univers vient graver la beaĂŒtĂ© des objets extĂ©rieurs. Sotte beautĂ© serait ignorĂ©e dĂ© l’homme, connue elle l’est de la nature , si l’homme n’était douĂ© d’une facultĂ© morale qui saisĂźt le beau en lui-mĂȘme comme Ă  l’extĂ©rieur. L’école de Kant s’est jetĂ©e dans l’excĂšs opposĂ© ; elle a pensĂ© qu’il n’y avait dans la nature lien de vrai, de bon et de beau , si ce n’est le vrai, le beau et le bon que l'homme trouvait dans son Ă me, et D TI BEAL'. 2^5 qu’il rĂ©alisait illĂ©gitimement au dehors de lui ; ainsi, le philosophe allemand a fait sortir l’extĂ©rieur de l’intĂ©rieur, l’univers de l’Ame, le non- moi du moi ? comme le philosophe anglais avait produit l’intĂ©rieur par l’extĂ©rieur , l’homme par la nature, le moi par le non-moi. Tels sont, les deux rivages entre lesquels Hotte la philosophie. L’intelligence humaine, c’est-Ă -dire, la vĂ©ritable existence de l’homfne est engagĂ©e et compromise tout entiĂšre dans la question. Si l’intelligence n’est qu’un reflet de la nature, l’homme n’est pas seulement l’écolier de lĂ  nature, il en est encore la production , il n’est que ce qu’elle le fait. D’un autre cĂŽtĂ©, si la nature n’est qu’une induction de la pensĂ©e, elle n’est que ce que nous la faisons, qu’un fantĂŽme que nous pouvons dĂ©truire. Telles ont les deux opinions exclusives qu’il faut ljriser 1 une contre l’autre, sans cependant dĂ©truire ce qu’elles peuvent contenir dĂ© vĂ©ritĂ©. A mon avis, la vĂ©ritĂ© n’est ni lille de l’homme , ni fille de la nature; la vĂ©ritĂ© existe par elle-mĂȘme ; mais elle se trouve en moi comme elle se trouve dans la nature. Ainsi la nature est soumise Ă  certaines lois; moi-mĂȘme je subis des lois qui correspondent Ă  celles de l’univers ; il y a donc de la vĂ©ritĂ©, de l’absolu daiis la nature et dans .l’homme, quoique l’absolu ne dĂ©pende ni de 1 homme, ni de la nature. Ainsi , par exemple, 1 aiiLhnietique est tout-Ă -lait indepfen- dante de la nature et de l’homme; cependant on 18 . 2^6 VINGT-SEPTIÈME LEÇON, trouve clans l’un et l’autre toutes les vĂ©ritĂ©s dont l’arithmĂ©tique se compose ; le rappolt des nombres peut se reconnaĂźtre dans l'homme l’homme est une unitĂ©; il est aussi une diversitĂ© ; il peut compter ses allĂšctions, et saisir l’unitĂ© de sa substance. On retrouve pareillement dans la nature l’unitĂ© et la diversitĂ© Pythagore avait conçu le projet de ramener toutes les sciences aux mathĂ©matiques ; il faisait rentrer dans leur sein, uon-seulemCnt l’astronomie , mais encore la religion , la morale et la politique. La tentative de Pythagore a Ă©tĂ© reprise de; nos jours; M. llerbart, successeur de Kaiit dans la chaire de philosophie de KƓnigsberg, a publiĂ© des ouvrages oĂč il essaie l’alliance de la psychologie et des mathĂ©matiques. M. Wagner se propose de publier des ouvrages sur toutes nos connaissances, en les soumettant au calcul. On sait que Condillac, mĂ©content de la science humaine dans laquelle il ne trouvait pas une assez grande exactitude, forma le projet de construire une encyclopĂ©die des connaissances, Ă  laquelle il aurait donnĂ© les mathĂ©matiques pour londement, et il a rĂ©alisĂ© une partie Ăźle ce projet dans son ouvrage intitulĂ© ; La Langue, des calculs. Comme il n’y a pas de phĂ©nomĂšne sans substance, toute diversitĂ© suppose l’unitĂ©, et les lois psychologiques et physiques, qui ne sont que des phĂ©nomĂšnes, contiennent toutes quelque chose d’absolu. Ainsi, aprĂšs deux ou trois mille ans, l’humanitĂ©, dans ses esprits d’é- DU BEAI. 2 77 lite, revient Ă  la philosophie grecque ; et, en efĂŻĂȘt, on n’a jamais agitĂ© les grands problĂšmes de la philosophie avec plus de profondeur et plus de fQrce que dans la GrĂšce. Seulement les philosophes, qui cherchent Ă  saisir un point d’appui fixe et inĂ©branlable, immotum cfidd et inconcussum , qui aspirent Ă  saisir l’absolu, devraient s’attacher plutĂŽt Ă  Platon qu’à Pythagore. Platon, en mĂȘme temps qu’il a saisi l’absolu, a tenu compte du contingent et du variable, et il n’a pas enfermĂ© l’absolu dans une seule idĂ©e, mais il en a] embrassĂ© toute l’étendue. Reconnaissons donc que le beau comme le vrai plane sur la nature et sur l’homme, etque l’homme ni la nature ne son Lie fondement de l’absolu. Si le beau est purement subjectif, s’il dĂ©pend simplement de l’homme, il n’y a plus de beautĂ© dans la nature, et rien n’est alors plus variable que le beau. Si le beau est purement objectif, s’il dĂ©pend de la nature , il n’y a plus de beautĂ© en l’homme ; si, au contraire, le beau est absolu, s’il se retrouve dans l’homme et dans la nature, il n’est pas Ă©tonnant que l’homme sympathise avec elle, qu’il soit juge, et Ă  son tour crĂ©ateur de la beautĂ©. L Ă©lĂ©ment capital de la beautĂ©, c’est l’idĂ©e morale ; 1 idĂ©al diffĂšre du rĂ©el en ce qu’il se rapproche beaucoup plus de l’idĂ©e morale. Dans toute chose il y a du gĂ©nĂ©ral et du particulier, de l’unitĂ© et de la variĂ©tĂ© deux objets et deux objets font quatre ob- 3j8 vingt-septiĂšme leçon. jets, voilĂ  mie vĂ©ritĂ© ; mais dĂ©gagez l’unitĂ© de la variĂ©tĂ©, vous aurez deux et deux font quatre , c’est- Ă -dire la forme la plus pure de l’idĂ©al. L’idĂ©al, c’est donc ce qui rĂ©flĂ©chit le plus purement l’idĂ©e renfermĂ©e dans l’objet; le rĂ©el, c’est le particulier, c’est ce qui frappe les sens. Le but de l’art est donc d'arriver Ă  l’idĂ©al, c’est-Ă -dire d’épurer assez lĂ  variĂ©tĂ© et l’unitĂ© pour qu’elles reflĂštent le plus purement possible l’idĂ©e morale. Nous arrivons donc Ă  ce prĂ©- uepte fondamental que l’expression est la loi la plus haute de l’art. Tout art qui n’exprime rien n’est pas un art. La seconde loi de l’art, c’est la composition , c’est-Ă -dire l’emploi des moyens matĂ©riels pour arriver Ă  l’expression. Je ne comprendrais rien Ă  une composition qui n’aurait pas ce but. Si, par exemple, j’avais Ă  peindre la femme au moment oĂč elle met un enfant au jour, je disposerais tous les traits de sa ligure, toute l’attitude de son corps, de maniĂšre Ă  exprimer la joie et la douleur qui saisissent son Ă me ; je forais concourir tbus lesindividus qui l’entourent Ă  la mĂȘme unitĂ© d’expression; je ne verrais en eux comme en elle, que des formes symboliques, que des signes hiĂ©roglyphiques qui me seraient donnĂ©s pour faire luire sur toute la scĂšne l’idĂ©e morale, dont elle doit ĂȘtre la manifestation. Ou comprend par-lĂ  toute l’importance de la composition. Mais si elle se borne Ă  placer des ombres prĂšs de la lumiĂšre, Ă  disposer des lignes pour plaire seulement Ă  l’Ɠil , la composition 0 l . BEAU. 2 79 est la mort de l’art. L’expression, la manifestation de l’idĂ©e morale, voilĂ  le but suprĂȘme de l’artiste. On peut essayer une classification des arts d’aprĂšs cette grande loi de l’expression. On a fait reposer sur d’autres bases la classification des arts, mais on n’est parvenu Ă  aucun rĂ©sultat satisfaisant. D’aprĂšs l’opinion que ce qui constitue l’art c’est Iç plaisir, on a Ă©tabli une hiĂ©rarchie des arts, Ă  la tĂȘte de laquelle se trouvait la musique. La musique est en eilet celui des arts qui parait produire la plus vive Ă©inotipp de plaisir. Les Jjarbarcs qui ont inondĂ© notre capitale en i Bi4, sont restĂ©s insensibles aux beautĂ©s ,dfe la sculpture et de l ^r- cluteeture, et ont prĂȘtĂ© nue oreille attentive aux mĂ©lodies de nos .théùtres lyriques. Une autre dĂ©finition de 1 art a produit une autre classification lç propre de l’art, a-t-on dit, est dette Ă©minemment clair, jet sur cette rĂšgle le premier rang s’est trouvĂ© assignĂ© Ă  la peinture.. Quoi de plus clair, en effet? ÎS'exprime-t-elle pas non-seulement les formes et les actions visibles, mais encore les sentimens les plus cachĂ©s de l’àm,e ? A l’aspect du beau tableau feprcsentaut le sommeil d’Agamemnon, qui peut §e mĂ©prendre sur les passions de Clytemnestre? C’est ainsi que la musique et la peinture ont Ă©tĂ© tour Ă  tour elevĂ©es au premier rang, siuvant qu on a pris pour principes de l’art le plaisir ou la clartĂ©. Mais nous avons? vu que le beau n’est pas syno- 280 VINGT-SEPTIÈME LEÇON . nyme 'de l’agrĂ©able, et qu’en consĂ©quence le plaisir n’est pas le sentiment du beau ; le plaisir 11e peut donc servir de base Ă  la hiĂ©rarchie des arts. D’un autre cĂŽtĂ©, il ne sullit pas qu’une forme soit facile- ment saisie par l’Ɠil pour qu’elle soit belle, il faut encore que cette forme soit expressive. Nous sommes donc toujours ramenĂ©s Ă  l’expression comme au principe suprĂȘme de l’art. L’art qui sera le plus expressif sera donc le premier. Or, celui de tous qui me paraĂźt le mieux rĂ©flĂ©chir la beautĂ© universelle, qui la reproduit sous toutes les formes et de toutes les maniĂšres, c’est la poĂ©sie. C’est J’art par excellence il exprime la beautĂ© d’une maniĂšre Ă  la fois dĂ©terminĂ©e et indĂ©terminĂ©e , finie et infinie. Deux ou trois mots lui sulljsent pour exciter dans l’ñme les Ă©motions les plus profondes. Aussi les artistes ne s’y trompent-ils pas ils savent bien, sans cependant l’avouer , que la poĂ©sie l’emporte sur tous les arts, et lorsqu’ils veulent Ă©lever un tableau au-dessus de tous les autres., ils disent que c’est de la pure poĂ©sie. Le peintre a des couleurs, le statuaire et l’architecte des lignes, le musicien des sons, mais le poĂ«tç a des mots. Le mot est Ă  la fois visible et invisible, matĂ©riel et immatĂ©riel que d’idĂ©es, que desentimens, rĂ©veille en nous le mot patrie ; que de choses ne rappelle pas Ă  l’esprit ce mot si brĂ©f et si immense Dieu ! Qu’un peintre essaie de reprĂ©senter Dieu ou la patrie, et voyez s’il pourra produire des Ă©motions aussi vives 0 1 u is a i. 28! et aussi profondes. Le mot est donc le symbole le plus vaste et le plus clair ; il . est aussi dĂ©terminĂ© que les lignes et les couleurs, mais il est mille fois plus comprĂ©hensif ; c’est la manifestation la plus simple et la plus riche de l’absolu, liurke l’a bien senti, et vous trouverez Ă  la fin de son ouvrage un admirable chapitre sur la puissance mystĂ©rieuse des mots. Comme je refuse aux beaux-arts tout but d’utilitĂ© , comme l’art ne doit servir qu’à lui-mĂȘme, c’est-Ă -dire Ă  l’expression du beau , je dois effacer l’éloquence de la liste des arts. Elle a pour but de persuader, de dĂ©fendre celui dont 'lie a pris en main les intĂ©rĂȘts. Si 'lie ne se proposait que de plaire , on pourrait la regarder comme un art. Mais 1 Ă©loquence est-elle et doit-elle ĂȘtre un jeu ? Le malheureux, sur la tĂȘte duquel s’appesantit une accusation capitale, regarde-t-il l’éloquence comme un amusement, comme un moyen d’exprimer purement et simplement le beau ? La philosophie ne figure pas non plus parmi les arts elle ne se propose que d’instruire. Si le philosophe ne s’occupe que de plaire, que d’exprimer la beautĂ© , il est arr tiste, niais il cesse d’ĂȘtre philosophe, il en est de 1 histoire comme de la philosophie le principal but de 1 histoire doit ĂȘtre d’instruire les gĂ©nĂ©rations Ă  venir, et de leur faire mettre Ă  profit les fautes des gĂ©nĂ©rations passĂ©es ; elle ne peint pas pour peindre, mais pour prouver . Ayant Ă©cartĂ© l’é- 282 VINGT-SEPTIÈME leçon. loquence, la philosophie et l’histoire, qui se servent des mots comme la poĂ©sie, mais qui les tournent vers un but d’utilitĂ©, quel est celui des arts que nous mettrons en seconde ligne; t ;ii d’autres termes, quelle est la forme la plus expressive aprĂšs le mot ? c’est la mĂ©lodie. Sous une lonne dĂ©terminĂ©e, la mĂ©lodie est, aprĂšs la parole, l’expression qui altĂšre le moins l’idĂ©e universelle et infinie que nous appelons le beau. Aussi, quelle vivacitĂ© d’éiiiotion ne produit pas la musique ? Elle change eu un instant les senti mens de notre Ă  me, ejle nous fait passer de la tristesse Ă  la joie , et de la joie Ă  la tristesse, et par son vague mĂȘme elle ouvre une vaste carriĂšre aux jeux de l’imagination, Sans doute les effets de la musique sont quelquefois les mĂȘmes que ceux de l’éloquence elle nous arraclie les armes des. mains , ou elle nous fait voler au combat; mais ce sont lĂ  les rĂ©sultats de la musique, et non le but qu’elle se propose, et en consĂ©quence , on ne peut l’accuser de se mettre au service de l’intĂ©rĂȘt. En appliquant aux autres arts la masure dont nous nous sommes servis pour la poĂ©sie et la musique , c’est-Ă -dire en examinant ceux dont la forme est la plus expressive, et se rapproche le plus du beau, en s’écartant le plus de 1 utilitĂ© , nous arriverions Ă  ranger la peinture immĂ©diatement aprĂšs la poĂ©sie et la musique, et ensuite viendraient s’échelonner Ă  des distances diverses la sculpture, l’architecture et la construction des jardius. nu BEAU. 283 llVnUMUA tVVW\Wt\VV VVIVWVVIVA AVA WVWVWWWWV W\ W\ VWVNV VINGT-HUITIÈME LEÇON. S Les arts ne diffĂšrent pas par leur fin , mais par leurs moyens. — les sens considĂ©rĂ©s dans leurs rapports avec l’art et le beau. —IncapacitĂ© du toucher, de l’odorat etdu ÂŁOÛt pour nous transmettre le beau.— PrĂ©rogative de l’ouĂŻe et de la vue. —Arts de l’ouĂŻe ; poĂ©sie et musique ; arts de la vue peinture , sculpture , architecture et construction des jardins. — Les arts de 1 ouĂŻe ne doivent pas chercher Ă  usurper la forme des arts de la vue’, ni rĂ©ciproquement. — Retour sur la supĂ©rioritĂ© de fa poĂ©sie. LEcaractĂšre constitutif et fondamentalde loutart, nous lavons dĂ©jĂ  dit, c’est l’expression; un second caractĂšre auquel l’art ne peut renoncer sans se dĂ©truire, cest d’ĂȘtre libre, en d’autres termes, c est de ne se service que de lui-mĂȘme. L’indĂ©pendance est dans le but de l’art et non pas 284 . MA JT-HUITIÈME LEÇON, dans ses moyens , c'est-Ă -dire que ses moyens doivent toujours ĂȘtre en rapport avec la lin qu’il s’impose Ă  lui-mĂȘme. Ceci reconnu, combien doit-on distinguer d’arts dillerens? Pour rĂ©soudre cette question, ilfaut bien concevoir ce que c’estque le beau. Le beau, c’est le vrai et le bien manifestĂ©s Ă  l’homme sous une forme sensible. Le beau ne serait que le vrai et le bien, s’il 11’avait des formes encore une fois, c’est la forme sensible du vrai et du bien qui les fait devenir ce que nous appelons la beautĂ©. Le beau a donc pour ainsi dire deux parties une partie morale et une partie sensible. La partie morale, c’est le bien et le vrai, dont le beau est la manifestation ; la partie sensible c’est la forme , sous laquelle le vrai et le bien se. manifestent Ă  nos organes. Ce que nous venons de dire du beau s’applique exactement Ă  l’art il faut Ă©galement distinguer dans l’art le fond et la forme, l’idĂ©e morale et l’expression de cette idĂ©e, 011 la matiĂšre par laquelle l’idĂ©e est rendue sensible. ConsidĂ©rĂ©s dans leur fond, dans l’idĂ©e morale qui les anime, tous les arts sont Ă©gaux, similaires, identiques. Il ne peut y avoir qu’un seul art, parce que l’idĂ©e morale est paPtoutla mĂȘme. Mais si l’on examine la iorilie sous laquelle cette idĂ©e nous apparaĂźt, alors on reconnaĂźtra des arts dillerens; ainsi 1 idĂ©e morale identilie les arts, la forme de l’expression les sĂ©pare. L’idĂ©e morale s’a- dresse Ă l’àme, lafonues’adresseaux sens; pour trouver la diflĂ©rencedes arts, il faut donc nous tourner vers DU BEAU. 205 Jeurs formes ce n’est pas dans leurs rapports avec l’ànie que les arts sont dilfĂ©rens, c’est dans leurs rapports avec les sens. Par les sens le beau s’introduit jusqu’à l’ànie, centre oĂč se confondent dans un eflĂšt unique les dilfĂ©rens effets que l’art produit sur notre sensibilitĂ©. Une fois arrivĂ©s Ă  l’ñme , les arts s’identifient, mais ils prennent diffĂ©rentes voies pour y arriver. Combien donc y a-t-il de voies qui fassent parvenir le beau jusqu’à l’ñme ? en d’autres termes, par combien de sens pouvons-nous percevoir le beau ? Des cinq sens qui ont Ă©tĂ© donnĂ©s Ă  l'homme, trois, le goĂ»t, l’odorat et le toucher, sont incapables de nous transmettre le beau, et si l’on prĂ©tend que, joints aux deux autres, ils peuvent contribuer Ă  Ă©tendre le sentiment de la beautĂ©, du moins lĂ ut-il reconnaĂźtre que, laissĂ©s Ă  eux- mĂ©mes, ils sont incapables de servir Ă  la transmission du beau. Le goĂ»t, par exemple, juge de l’agrĂ©able et non du beau ; il sert un intĂ©rĂȘt, celui de l’estomac ; et tout sens qui ne juge pas d’une maniĂšre dĂ©sintĂ©ressĂ©e ne peut pas juger du beau. L’odorat est un peu moins au service du corps, mais, abandonnĂ© Ă  lui-mĂȘme, il ne peut pas non plus transmettre l’idĂ©e du beau ‱' jamais on n e s’est avisĂ© de dire qu’une odeur soit quelque chose de beau. Si quelquefois I odorat semble participer au sentiment et au jugement du beau , c’est que; l’odeur s’exhale d’un objet 286 vingt-huitiĂšme leçon. qui puise sa beautĂ© autre part que dans Podeur telle est la rose, dont la beautĂ© se manifeste par des lignes et des couleurs. Ce que nous ayons dit du goĂ»t et de 1 odorat, nous le dirons du toucher le toucher ne jugĂ© que de la duretĂ© et de la mollesse , or, il u’y a lĂ  ni beautĂ© ni laideur; Ce n’est pas le toucher seul qui juge dĂ©s formes rĂ©guliĂšres , c’est le toucher agrandi par la vue. Il ne reste donc que deux sens qui soient juges du heau , c’est la vue et l’ouĂŻe. Si I on cherche la raison de cette noble prĂ©rogative attachĂ©e Ă  ces deux sens, on trouvera qu’ils 11 e sont pas aussi indispensables que les autres Ă  lu conservation de l’individu, ils servent Ă  l’embellissement, mais non au soutien de la vie; ils nous procurent des plaisirs, dans lesquels l’homme se perd de vue, et le moi se dĂ©verse sur le non- mOi. C’est donc Ă  la vue et Ă  l’ouĂŻe que Part doit s’adresser pour pĂ©nĂ©trer jusqu’à PĂąme; de lĂ  cette grande division des arts en deux classes art de l’ouĂŻe , art de. la viie L’ouĂŻe renferme deux arts la parole et le chant , la poĂ©sie et la musique, dont la forme sensible est le son ; la vue contient tous les arts dont la matiĂšre se dĂ©veloppe dans l'espace la peinture, la sculpture, 1 architecture et Part des jardins. Nous avons Ă©cartĂ© dĂ©jĂ  de la liste des arts la philosophie et l’histoire, qui ne se servent pas de but Ă  elles-mĂȘmes, et qui ne tendent DU BEAU. 287 qu’à instruire; nous avons 'carte l’éloquence, dont la fin est de persuader, et non de toucher et de plaire l’émotion et le plaisir ne sont pas des argumens ; lorsque l ocateur les rencontre , c’est une bonne fortune dont il doit profiter, mais qu’il 11 e doit pas chercher sous peine de fraude et d’imposture. C’est, ainsi que Socrate comprenait l’éloquence. Nous Ă©carterions de mĂŽme l’architecture et l’art des jardins, si on les faisait servir il d’autres lins que le beau. Ainsi, c’est tuer l’architecture que de lit subordonner Ă  la commoditĂ© de l’édifice. Voyez l’architecte lorsqu’il est obligĂ© de sacrifier la coupe gĂ©nĂ©rale de son bĂątiment Ă  telle ou telle fin particuliĂšre il se rĂ©fugie dans les dĂ©tails, dans ‱es frontons ^ dans les .frises, dans toutes les parties- qui n’ont pas futilitĂ© pour but spĂ©cial, et lĂ  il redevient vraiment artiste. La poĂ©sie et la musique, la peinture et la sculpture, sont plus libres que l’architecture et l’art des jardins. Sans doute on peut aussi leur donner des chaĂźnes , mais ils s’en dĂ©barrassent pins facilement , ce sont donc les arts vraiment libĂ©rant, les arts qui vont librement Ă  leur lin. Ces arts, semblables par le fond, diffĂšrent par les procĂ©dĂ©s qu’ils emploient. 11 est clair que la sculpture etla peinture mettent enusage desmoyens dilĂŻerens de ceux qu’emploient la poĂ©sie et la musique. Est-il aussi incontestable que les uns et les y88 vinot-i/uitiĂšme leçon. autres produisent le mĂȘme ellĂ«t? Est-il vrai que le musicien puisse causer les mĂȘmes Ă©motions que le peintre ? sans aucun doute; mais il ne faut pas pour cela que les arts empiĂštent sur la forme les uns des autres. Us peuvent arriver au mĂȘme rĂ©sultat, mais chacun par les voies qui lui sont propres. Un directeur de théùtre, aux gages duquel s’était mis l’illustre Haydn, pour donner du pain Ă  sa famille, voulut que le compositeur exprimĂąt les dillĂ«rentes scĂšnes d’une tempĂȘte ; le sifflement des vents et le bruit du tonnerre Ă©taient faciles Ă  imiter ; mais comment rendre la lueur des Ă©clairs dĂ©chirant tout Ă  coup le voile immense delĂ  nuitPComment reproduire surtout ce qu’il y a de plus formidable dans la tempĂȘte, le moruvement des Ilots , qui tantĂŽt s’élĂšvent comme une montagne et lancent le navire dans les airs , tantĂŽt s’abaissent, se dĂ©robent sous lui, et semblent le prĂ©cipiter dans des abĂźmes sans fond? Haydn voulait reprĂ©senter cette alternative , qu’il regardait comme le plus puissant Ă©lĂ©ment de terreur dans la peinture d’un naufrage. 11 s'efforça de mettre en saillie ce soulĂšvement et cette chute des vagues, il combina des sons, il dĂ©ploya toutes les ressources de son art et de son gĂ©nie ; tous ses ellorts furent inutiles, il dut renoncer Ă  rĂ©soudre ce problĂšme. Environ dix annĂ©es aprĂšs , il reprit la dillicultĂ© et l’examina en philosophe; il reconnut qu’elle Ă©tait insoluble dans un sens , et que dans l’autre elle pouvait se rĂ©soudre ; du beau. ^ 8y c’est-Ă -dire qu’il s’aperçut que des sons ne pour- raient jamais rendre des formes; que si la musique est expressive, elle exprime des idĂ©es, des senti- mens, mais non pas des figures, et qu’elle doit chercher Ă  produire les mĂȘmes Ă©motions que celles qui rĂ©sultent des formes, mais par les moyens propres Ă  la musique. La mĂ©lodie doit renoncer Ă  peindre le mouvement des vagues qui s’élĂšvent et qui s’abaissent ; mais avec des sons elle pourra produirele sentiment qui nous saisit en prĂ©sence de ce grandspectacle. Haydn s’attacha donc Ă  produire la douleur et l'effroi, et il devint ainsi non-seulement le rival, mais mĂȘme le supĂ©rieur du peintre, parce qu’il est donnĂ© Ă  la musique , comme nous l’avons dĂ©jĂ  dit, d’ĂȘtre expressive Ă  un plus haut degrĂ©, et en consĂ©quence d’émouvoir plus profondĂ©ment que la peinture. Ainsi le problĂšme fut Ă  la fois rĂ©solu et non rĂ©solu non rĂ©solu pour la forme , mais rĂ©solu pour le fond. Ce que nous venons de dire sur la musique peut se rĂ©pĂ©ter pour tous les autres arts les mĂȘmes effets seront produits par tous, mais sous des formes diffĂ©rentes. Nous sommes donc ramenĂ©s Ă  ce que nous avons dĂ©jĂ  posĂ© en principe tous les arts sont identiques par le fond et diffĂ©rons par la forme. On doit regarder comme faux , sous un certain çapport, l’axiome ut pictura*poesis. La peinture ne peut pas tout ce que peut la poĂ©sie , ni la poĂ©sie tout ce que peut la peinture. Tout le monde admire le rnii-osoniiE. 39O VINGT-HUITIÈME LEÇON portrait. do ln fienommw , tracĂ© par Virgile, 1 mais qu’un peintre s’avise de rĂ©aliser cette figure symbo lique ; qu’il nous reprĂ©sente un monstre Ă©norme , avec cent yeux, cent boudins et cent oreilles, et qui des pieds touchant la terre , cache sa tĂȘte dans les deux ; le sentiment causĂ© par un pareil tableau ne serait-il pas celui du ridicule ? Tous les arts peuvent produire les mentes sen- timens, mais par des symboles divers. INous ne prĂ©tendons pas dire qu’il telle phrase musicale s’attache immanquablement telle ou telle idĂ©e morale. La musique n’a guĂšre que deux expressions bien tranchĂ©es celle de la tristesse et celle de la gaietĂ© ; hors de lii son expression est vague ; mais c’est pour cela quelle se prĂȘte avec une facilitĂ© merveilleuse h la disposition de chacun , et que nous berçons, pour ainsi dire, au mouvement de la mĂ©lodie les idĂ©es favorites de notre imagination. Si les arts doivent respecter la forme les uns des autres, il en est un, pourtant, qui semble profiter des ressources de tous, et celui-lĂ  , c’est encore la poĂ©sie. Avec la parole , la poĂ©sie arrive Ă  peindre et Ă  sculpter; elle construit des Ă©difices comme l’architecte ; elle imite , jusqu’il un certain point, la mĂ©lodie de la musique. Elle est, pour ainsi dire , le centre oĂč se rĂ©unissent tous les arts c’est l’art par excellence; c’est la facultĂ© de tout exprimĂ©e, avec un symbole universel. Ainsi, pour nous rĂ©- Ut BE4C. 29 1 sumer, ]e lond de la poĂ©sie est le mĂȘme que celui des autres arts, et sa forme est presque Ă©gale Ă  leurs formes. C’est que la parole est Ă  la fois de la peusĂ©e et de la matiĂšre, de l’interne et de l’externe. En mĂȘme temps qu’elle est plus prĂ©cise que toute autre forme , Ă  peine fait-elle partie du monde physique. VoilĂ  pourquoi la poĂ©sie Ă©gale Ă  elle seule presque tous les autres arts rĂ©unis, et qu’elle est bien supĂ©rieure Ă  chacun d’eux en particulier. 19 - 292 VINGT-NEUVIÈME LEÇON. vt V>XV\VVW»V\VVV\V\VV»W»VV\lVVVVVV\\VV\tt\lWV\VVV\VV\W\\Mli\VV\%\i>V\* VVW» v VINGT-NEUVIÈME LEÇON. RĂ©sumĂ© de Ja thĂ©orie du beau, tant sous le point de vue subjectif que sous le point de vue objectif. . Je me propose dans cette leçon de revenir sur la thĂ©orie de l’idĂ©e du beau, et de lier ensemble toutes les parties de cette doctrine, avant de passer Ă  la thĂ©orie de l’idĂ©e du bien. PrĂ©senter l’esquisse d’une thĂ©orie sur le beau , considĂ©rĂ© dans la nature et dans l’art, tel est le plan que je m’étais tracĂ©. 11 m’a paru que, pour le remplir, il fallait rĂ©soudre toutes ces questions particuliĂšres i“ qu’est-ce que le beau dans la rĂ©alitĂ©, c’est-Ă - ‱ . L’objet de ce cours est de montrer que les deux grandes Ă©coles du dix-huitiĂšme siĂšcle ont Ă©tĂ© exclusives et incomplĂštes, en voulant renfermer toutes les connaissances humaines ? l’une dans les donnĂ©es delĂ  sensation, l’autre dans les donnĂ©es de la rĂ©llexiou. iSous avons voulu montrer qu’il y a une sphĂšre d idĂ©es supĂ©rieure Ă  celle de la matiĂšre et Ă  celle du moi lui-mĂȘme; qu’au-dessus DD BIEN. 3o3 de la sensibilitĂ© et de la conscience il faut poser encore la raison. Pour arriver Ă  ce but, nous avons entrepris l’analyse des donnĂ©es de la raison, et nous avons vu que. ces donnĂ©es se rĂ©solvent en trois idĂ©es absolues celles du vrai, du beau et du bien. Le beau, avons-nous dit, est le vrai sous des formes visibles, le bien est le vrai manifestĂ© dans les actions humaines. Nous avons tentĂ© d’épuiser la discussion sur les-rapports du vrai et du beau; nous arrivons aujourd'hui Ă  la relation du vrai et du bien, h ce qu’on appelle proprement la philosophie pratique,, qui est le "corollaire de la philosophie spĂ©culative. Nous pourrions traiter la question par la mĂ©thode synthĂ©tique prendre pour point de dĂ©part l’ĂȘtre absolu lui -mĂȘme ; montrer comment il se manifeste sous la forme du vrai , du beau, du bien , et traiter ainsi la morale du haut de la mĂ©taphysique. Mais nous prĂ©fĂ©rons prendre la voie analytique , nous adresser directement Ă  l’idĂ©e du bien et du mal, telle qu’elle se trouve dans toutes les intelligences , en indiquer soigneusement le caractĂšre , nous rĂ©servant de la faire remonter ensuite dans la sphĂšre supĂ©rieure d’oĂč elle descend. J’entre de suite en matiĂšre. Tout le monde comprend l’importance d’une discussion sur l’idĂ©e du bien et du mal moral ; tout le monde sait que delĂ  solution qu’pu obtiendra il rĂ©sultera de graves consĂ©quences pour la pratique de la vie. Car la 3t>4 TRENTIÈME LEÇON, morale est une science d’application elle n’est pas condamnĂ©e Ă  reposer dans les livres des philosophes , elle est destinĂ©e Ă  prendre un corps pour ainsi dire, Ăš passer dans les lois, Ă  rĂ©gner sur les actions des hommes. D’oĂč il suit que tel systĂšme de morale donne tel systĂšme de politique ; car le droit naturel est le fondement du droit social. Le droit naturel est cette partie de la morale qui traite des actions des hommes les uns Ă  l’égard des autres la solution de la question morale se rĂ©flĂ©chit, dans le droit naturel, etpar-lii dans le droit politique. Si, dĂ©plus, le droit civil se rattache au droit politique, et si le droit criminel tient au droit politique et au droit, civil, toutes les questions de droit appliquĂ© se lient Ă  ce' problĂšme fondamental quel est le principe du bien et du mal ? AprĂšs avoir reconnu l’importance de cette question , essayons de la rĂ©soudre. Elle ne peut admettre que deux solutions, et par consĂ©quent il ne peut y avoir que deux thĂ©ories de droit naturel, de droit politique et civil, et de droit criminel. En d’autres ternies, il y a en morale deux principes contraires qui engendrent deux sĂ©ries parallĂšles de consĂ©quences opposĂ©es. Par les consĂ©quences on peut juger le principe. Quels sont aujourd’hui, par exemple, les rĂ©sultats politiques, auxquels nous avons besoin d’ĂȘtre conduits par le principe moral ? Les idĂ©es politiques sont de nos jours fermes et arrĂȘtĂ©es. Tout principe moral qui ne conduirait DU BIEN. pas Ă  la libertĂ© politique serait par cela mĂȘme rejetĂ©. Nous pouvons donc poser la question en ces termes quel est le principe moral qui dans ses consĂ©quences engendre la libertĂ©, ou une politique libĂ©rale ? Nous avons Ă  signaler ici chez quelques philosophes une inconsĂ©quence singuliĂšre tout en acceptant les rĂ©sultats politiques dont je viens de parler, ils yrattachentunethĂ©orie morale qui en est essentiellĂ©ment diffĂ©rente. Il n’y a qu’une seule des deux solutions morales qui fonde la libertĂ© en politique, et c’est justement cette solution qu’ils rĂ©prouvent. Que nous reste-t-il donc Ă  faire? Toute notre tĂąche se rĂ©duit Ă  une question de logique les consĂ©quences politiques Ă©tant admises par tout le monde de la mĂȘme maniĂšre , nous n’avons qu’à examiner si ces consĂ©quences dĂ©rivent de tel ou de tel principe. Nous avons dit qu’il y a deux solutions Ă  cette question qu’est-ce que le bien? qu’est-ce que le mal? ou quel est le principe de la morale? Une de ces solutions est celle d’HelvĂ©tius, qui ramĂšne toute la morale Ă  l’intĂ©rĂȘt privĂ©. Or je puis annoncer tout de suite que la thĂ©orie morale d’HelvĂ©tius ne produit dans ses consĂ©quences que la thĂ©orie politique de Hobbes, c’est-Ă -dire le despotisme. Suivant le principe d’HelvĂ©tius, l’homme est emportĂ© par une tendance naturelle vers son plus grand bien-etre possible, soit physique, soit intellectuel, soit moral; il ne doit donc reconnaĂźtre d’au- Ort 3o6 THKNTIÊME LEÇON. trĂšs lois que l'obligation de fuir la douleur et de rechercher le bien -ĂȘtre le bonheur individuel., telle est la fin unique de tout individu. Tonte fin suppose des moyens les moyens fournis Ă  l’homme pour parvenir au bonheur sont ses facultĂ©s; elles ne lui ont Ă©tĂ© donnĂ©es que pour Ă©carter ce qui nuit et atteindre ce qui plaĂźt. Voifii donc l’homme au sein de Tunivers, etparmi ses semblables, occupĂ© uniquement de la recherchĂ© du plus grand bonheur possible, et d’un bonheur toujours relatif ĂŒ l’individu qui le cherche. Le mal moral, suivant cette doctrine, est cequi Ă©loigne l’individu de son bonheur ; ce qui au contraire l’y conduit directement ou indirectement, c’est le bien moral. Mettons maintenant les individus en rapport les uns a vec les autres. Comme la fin derniĂšre, le devoir unique de chacun est de se procurer son bien-ĂȘtre individuel, comme chacun s’occupe de cette recherche , et qu’ils sont sans cesse en contact les uns avec les autres, il arrive nĂ©cessairement que leurs intĂ©rĂȘts se croisent, que leurs plaisirs se limitent et se dĂ©truisent rĂ©ciproquement ; il s’ensuit que dans une telle sociĂ©tĂ© chaque homme doit etre ennemi riĂ© de tous les autres, et que le seul Ă©tat possible entre eux, c’est l’état de guerre. Quedeviendront dans ce cas les notions de droit et de devoir ? Si le but de l’individu est d ĂȘtre heureux Ă  quelque prix que ce soit, son droit sera dĂ©fini par sa force et son devoir par son d’antres termes, il aura droit DU BIEN. ÔO'j de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour parvenir Ă  son bonheur, et son unique devoir sera d’user de ce pouvoir le plus utilement qu’il lui sera possible, et de ne s’arrĂȘter, dans la poursuite de tout ce qui lui est agrĂ©able , que lorsqu’il ne pourra plus aller au delĂ . Danseette thĂ©orie, les mots droit, devoir et force sont exactement synonymes, tout se rĂ©sout dans la loi du plus fort. Toutes ces consĂ©quences sont avouĂ©es par les partisans de la doctrine; mais, poursuivent-ils , les hommes reconnaissent quecet Ă©tat de guerre, d’abord inĂ©vitable entre gens qui recherchent tous leur plus grand bonheur individuel, loin de les conduire Ă  ce but, les en Ă©loigne sans cesse ; ils font donc une transaction chacun consent Ă  faire quelque concession, dans l’intĂ©rĂȘt de sa propre tranquillitĂ©; il s’impose alors des devoirs , et il icconnaĂźt des droits Ă  tous les autres. AntĂ©rieurement Ă  cette transaction, Hobbes reconnaĂźt qu’il n’existait ni droits ni devoirs rĂ©ciproques ; l’homme n’était limitĂ© dans son action que par les bornes de son pouvoir. Mais la transaction n’est intervenue que pour mieux assurer ce pouvoir c’est dans votre intĂ©rĂȘt mĂȘme que vous en sacrifiez une partie. Si donc la transaction, fai ted’abord pour votreplusgrandbien-ĂȘtre,luideve- nait contraire, si votre pouvoir ne trouvai tpi us d’obstacle , qui vous empĂȘcherait de violer la transaction? Mais, dira-t-ou, vousavez donnĂ© votre parole, 1 honneur vous oblige Ă  la tenir qu’est-ce que la 30 . 3o8 TRENTIÈME LEÇON, parole et l’honneur dans le systĂšme que nous combattons ? L’honneur, c’est suivre mon intĂ©rĂȘt; la parole, c’est stipuler pour moi, mais non contre moi; toute parole qui me nuit je la rĂ©voque, tout honneur qui m’enchaĂźne je l’abjure. Si vous voulez une parole qui oblige, un honneur qui fasse loi, il faut que vous transportiez la morale autre part que dans mon intĂ©rĂȘt, il faut que vous me parliez d’une loi de la raison, il faut que vous vous Ă©leviez jusqu’à une idĂ©e absolue. Ainsi, dans la doctrine de llohbes, toutes les fois quemon intĂ©rĂȘt m’y engage, je recommence le combat, et l’état de guerre est cachĂ© sous la paix apparente et menteuse du systĂšme. Ou prĂ©voit facilement le droit politique qui va dĂ©couler d’une pareille morale tout sujet est ennemi nĂ© du gouvernement, tout gouvernement est ennemi nĂ© des sujets. Quelle est aussi la formule du droit civil ? La voici tous les particuliers sont ennemis les uns des autres. Enlin, que devient le droit criminel? Une vengeance plus ou moins atroce, dĂ©terminĂ©e par l’intĂ©rĂȘt de ceux qui Fexercent. Le souverain, soit un, soit multiple, agit dans son intĂ©rĂȘt individuel etpoursuit ceux qui lui nuisent. Sa force fait son droit, il n’a point de compte Ă  rendre de son despotisme. Telles sont les consĂ©quences produites par la morale de l’intĂ©rĂȘt. Mais, comme nous l’avons dit, plusieurs des philosophes qui posent l’intĂ©rĂȘt en principe de morale, et Rousseau entre autres, sont fort Ă©loignĂ©s DU BIEN. 309 d’adopter le despotisme dans leur thĂ©orie politique. Ils n’ont pas aperçu le li^n continu qui rattache la tyrannie Ă  la morale intĂ©ressĂ©e. Hobbes et Spinoza sontles seuls qui aient aperçu les consĂ©quences du principe intĂ©ressĂ© qu’ils donnaient Ă  la morale, et ils n’ont pas reculĂ© devant les conclusions d’une logique sĂ©vĂšre r ils ont consacrĂ© le despotisme, soit dans les mains d’un seul, soit dans celles de la multitude. Telle est la premiĂšre solution delĂ  question du bien et du mal, et tel est le droitpolitique, civil et criminel qui en dĂ©coule. Passons maintenant h la seconde thĂ©orie, et suivons-la dans ses consĂ©quences pratiques. Cette doctrine place la rĂšgle morale, non dans la sensibilitĂ©, mais dans la raison ; elle reconnaĂźt des vĂ©ritĂ©s universelles, indĂ©pendantes des temps et des lieux , et de l’intelligence qui les conçoit. ReconnaĂźtre ces vĂ©ritĂ©s, c’est proclamer une loi qui n’est pas individuelle, mais absolue ; ces vĂ©ritĂ©s obligent la raison de chacun, et ne sont pas constituĂ©es par elle, ce sont donc de vĂ©ritables lois, ou, en d’autrĂšs termes, des vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires. NĂ©cessitĂ© et universalitĂ©, tels sont les deux caractĂšres de l’élĂ©ment absolu. La vĂ©ritĂ© absolue, considĂ©rĂ©e dans les actions humaines, engendre les idĂ©es spĂ©ciales de juste et d’injuste ; elle commande Ă  chaque individu l e sacrilice de son bien- ĂȘtre , s’il ne peut le conserver sans porter atteinte Ă  la justice. C’est alors que les notions pures et sin- 3lO TRENTIÈME LEÇON, cĂšres de devoir et de droit prennent naissance. Ma raison m’impose le devoir de reconnaĂźtre le vrai et de le reprĂ©senter par mes actions, et elle me donne le droit de rappeler les autres Ă  ce vrai lorsqu’ils s’en Ă©cartent. Sans doute je ne fais jamais complĂštement abstraction de moi-mĂȘme , je tends Ă  mon bonheur individuel ; mais aussi je m’élĂšve Ă  la conception cl’une idĂ©e pure et absolue, de l’idĂ©e de justice , devant laquelle ma raison me dit que tout intĂ©rĂȘt individuel doit se taire. AussitĂŽt que de l’idĂ©e morale absolue on a dĂ©duit le devoir et le droit, on peut descendre aux actions humaines et leur imposer cet idĂ©al,-de mĂȘme que dans les mathĂ©matiques on applique l’abstrait au concret. L’idĂ©e absolue de justice est la seule, souveraine lĂ©gitime de la sociĂ©tĂ© , e'. c’est Ă  tort que certains publicistes ont voulu placer la souverainetĂ©, les uns dans le monarque, les autres dans le peuple tout pouvoir humain 'expire devant la souverainetĂ© lĂ©gitime de la justice. Quel est le droit naturel qui dĂ©coule de l’idĂ©e absolue de justice? C’est un ensemble de droits et de devoirs, devant lesquels tout pouvoir humain est annulĂ©; ces devoirs et ces droits sont aperçus par la raison ; ils se rĂ©sument en un petit nombre de maximes universelles, devant lesquelles l’intĂ©rĂȘt particulier doit se taire. Le droit naturel est antĂ©rieur au droit _ " \ ! Ăź tout Ă©tablissement social doit obĂ©ira un principe supĂ©rieur et inviolable donnĂ© par la morale, prescrit par le DU BIEN. 3lI droit naturel. Toutes les sociĂ©tĂ©s se ressemblent en tant qu’elles sont rĂ©gies par une rĂšgle qu’elles n’ont pas faite, mais Ă  laquelle elles ne peuvent se soustraire sans cesser d’ĂȘtre sociĂ©tĂ©s ; elles ne diffĂšrent que par des formes accidentelles, qui laissent briller plus ou moins l idĂ©e Ă©ternelle de justice leur type et leur modĂšle. Le droit civil, qui rĂšgle les rapports des particuliers enLre eux , contient aussi, sous des formes accidentelles, des principes invariables qui font sa lĂ©gitimitĂ©. Enfin , le droit criminel, consĂ©quence d’une thĂ©orie qui fait reposer la morale sur des idĂ©es rationnelles absolues , n’est plus une vengeance brutale, une simple reprĂ©saille de la force ; il se rattache au principe absolu du mĂ©rite et clu dĂ©mĂ©rite qui se formule en ces termes tout homme de bien mĂ©rite d’ĂȘtre heureux ; tout mĂ© chant mĂ©rite le malheur. En Ă©tablissant le droit pĂ©nal sur cette base , vous lui donnez par cela mĂȘme des limites il ne peut dĂ©passer le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite, sans tomber dans l’immoralitĂ© , et alors il n’est plus un droit, il devient un brigandage fondĂ© sur la force , et que la force elle- mĂȘme dĂ©truira bientĂŽt ; ainsi, dans cette thĂ©orie, tout se lie et s’enchaĂźne l’idĂ©e de moralitĂ© ou de bien moral est absolue ou nĂ©cessaire ; elle engendre le droit naturel ou l’ensemble des devoirs et des droits des hommes les uns Ă  l’égard des autres ; le droit naturel, Ă  son tour, engendre le droit Ă©crit, qui se divise en droit politique , droit civil et droit 3l 2 TRENTIÈME EEÇON. criminel. Ce systĂšme nous offre donc deux intĂ©rĂȘts un intĂ©rĂȘt scientifique par la suite rigoureuse et facile des consĂ©quences, un intĂ©rĂȘt patriotique, parce qu’il enchaĂźne la force dans quelque main quelle rĂ©side, parce qu’il met au-dessus de tout pouvoir humain la souverainetĂ© pure et dĂ©sintĂ©ressĂ©e de l’éternelle justice. HU BIEN. 313 i^u^vwinuuwuvvwwxwvvwivwwwxiwv'UiwVivvMvwvvUUtwivuwvvM TRENTE-ET-UNIÈME LEÇON. L’idĂ©e absolue du bien est le seul contre-poids de l’arbitraire.—CaractĂšre obligatoire de l'idĂ©e absolue du bien. — Deux motifs d’action l’intĂ©rĂȘt et le .devoir. —La sociĂ©tĂ© n’est pas rĂ©gie par l’idĂ©e de l’intĂ©rĂȘt individuel, mais par celle de la justice absolue. — CorrĂ©lation du devoir et du droit. Nous sommes arrivĂ©s Ă  la philosophie pratique, c’est-Ă -dire, Ă  la philosophie appliquĂ©e Ă  la vie humaine. De combien de parties se compose cette philosophie? Elle contient i° la mĂ©taphysique de la morale, dans laquelle il s’agit de dĂ©terminer scientifiquement s’il y a ou s’il n’y a pas une idĂ©e spĂ©ciale de moralitĂ©, produisant l’idĂ©e du devoir 3 l 4 TRENTE-ET-UNIÊME eeçox. et l’idĂ©e du droit ; 2 0 elle renferme la morale appliquĂ©e ou la morale spĂ©ciale , en d’autres termes, la division de nos devoirs et de nos droits. Devoirs de l’homme envers Dieu, devoirs de l’homme envers lui-mĂȘme, devoirs de l’hoinme envers ses semblables, telle est la division ordinaire de la morale spĂ©ciale. Les devoirs de l'homme envers Dieu sont le principe de toute religion. Les devoirs de l’homme envers lui- mĂȘme composent la morale individuelle, et consistent dans les rapports du moi avec la raison. Les devoirs de l'homme envers ses semblables constituent le droit naturel. Lorsque ce droit est Ă©crit dans les codes, il donne naissance i°au droit civil, qui rĂšgle les rapports des particuliers entre eux ; 2 ° au droit politique, qui Ă©tablit les rapports des citoyens et du pouvoir public ; 3 “ au droit criminel , qui se charge d’appliquer le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite. Tonte la philosophie pratique repose donc sur l’idĂ©e de moralitĂ©. Si l’on admet cette idĂ©e comme pure et absolue, 011 obtiendra un droit Ă©crit tout diliĂšrent de celui qui s’appu^ erait sur la base de l’intĂ©rĂȘt individuel. La question est de savoir si l’arbitraire doit ĂȘtre chassĂ© du droit civil, du droit politique et du droit criminel. Or, sur quoi repose l’arbitraire ? Sur le- droit du plus fort. Bannissons donc le droit du plus fort du sein de la philosophie pratique. Pour dĂ©truire l’arbitraire, DL BIEN 315 il n’y a qu’un moyen, c’est de lui opposer quelque cliose de lixc et d’immuable ; pour ellaeer le droit du plu» fort, il faut lui substituer le droit de la justice. Si nous reconnaissons quelque chose d’absolu en morale, nous aurons le point d’appui qu’il nous faut pour dĂ©truire l’arbitraire et le prĂ©tendu droit de la force. De cet absolu dĂ©couleront des devoirs et des droits ; deux choses qui ne peuvent se sĂ©parer, car vos droits sont les devoirs des autres , et les droits des autres sont vos devoirs. L’arbitraire repose sur la thĂ©orie qui ne reconnaĂźt en morale que l’intĂ©rĂȘt individuel; nous devons dope dĂ©montrer que l’intĂ©rĂȘt individuel n’est pas le fondement de la morale. Sans doute il faut faire une large part Ă  l’égoĂŻsme dans la conduite des hommes; mais l’égoĂŻsme ne peut pas suilire Ă  tout expliquer. Les partisans de la doctrine tle l’intĂ©rĂȘt nous disent Le besoin du bonheur n’abandonne jamais l’humapitĂ© ; qu’on jette les yeux sur l’enfant au berceau ses gestes , son regard, ses pleurs, ses cris, tout annonce qu’il, rĂ©clame le bien-ĂȘtre ; interrogez le jeune homme et le vieillard s’ils sont de bonne loi, ils vous rĂ©pondront que leur bonheur est l’unique soin qui les occupe, » Admettons ce principe, et marchons dun pas ferme dans la route de la dialectique ; sHe bonheur est la lin de l’homme, les actions de la. vie n’emprunteront leur qualitĂ© que de leur rapport miOTHEK 3 I 6 TREiVTE-ET-tINIÈME LEÇON, avec cette fin ; si elles conduisent au bonheur, elles seront bonnes ; si elles nous en Ă©loignent, elles seront mauvaises. Qu’on me propose une action faire tout ce que je dois examiner , c’est uniquement si elle conduit au bonheur. Ayant Ă©tĂ© placĂ© sur la terre pour ĂȘtre heureux, je serais bien insensĂ© de nĂ©gliger quelque moyen de le devenir. Ainsi, que l’on me conseille d’abandonner mon ami malheureux si je cours quelque risque Ă  lui rester fidĂšle, ou si je trouve quelque avantage Ă  me sĂ©parer de lui, je dois l’abandonner sur-le-champ. Nous accordons que ces conseils de l’intĂ©rĂȘt sont trop souvent suivis ; mais est-il sans exemple qu’un ami soit restĂ© fidĂšle Ă  son ami dans le malheur ; si l’on peut citer un seul fait de ce genre, il faudra donc reconnaĂźtre que l’homme obĂ©it il un autre principe que son intĂ©rĂȘt individuel. Mais ici nos adversaires nous attendent, et ils nous disent si vous songez Ă  l’incertitude des choses humaines, si vous pensez que le poids du malheur peut vous accabler un jour comme il accable aujourd’hui votre ami, vous ne l’abandonnerez pas, dans la crainte qu’il ne vous abandonne un jour. Cest ainsi que l’égoĂŻsme ne se manque jamais il lui-mĂȘme ; exilĂ© du prĂ©sent, il se rĂ©fugie dans l’avenir ; ce qui paraĂźt un sacrifice n est qu’un heureux calcul; mais ne peut-il passe rencontrer des occasions oĂč l’égoĂŻsme n’ait d’asile ni dans le prĂ©sent ni dans l’avenir? Qu’on m’impose l’alternative de trahir mes sermens Dl B1E .\ . 31 ” J J ou de mourir pour ma patrie, et que j’accepte la mort, il n’y a plus lĂ  de calcul les calculs ne sont que pour la vie. L’homme ne sacrifie-t-il pas ici son intĂ©rĂȘt individuel Ă  quelque autre chose que je 11e veux pas dĂ©terminer maintenant. On va rĂ©pondre encore que le chrĂ©tien fait dans ce cas le sacrifice d’une vie passagĂšre et mĂȘlĂ©e de peine, pour gagner dans une autre vie un Ă©ternel bonheur. Mais n’y a-t-il pas eu des hommes qui, sans croire Ă  une vie future , sont morts pour leur pays ? Sans nier les rĂ©compenses Ă  venir, il suffit de les mettre en oubli un seul moment, pour- que le sa- crilice de notre vie soit fait Ă  un autre principe que celui de l’intĂ©rĂȘt. Or, nous disons que cet autre principe, c’est l’idĂ©e absolue du bien moral, d’oĂč dĂ©rivent Je devoir et le droit. Je soutiens qu’une observation attentive ne pourra manquer de reconnaĂźtre cet Ă©lĂ©ment moral absolu qui prĂ©side Ă  la conduite humaine, au moins aussi souvent que l’intĂ©rĂȘt individuel. MalgrĂ© les prĂ©tentions et les prĂ©jugĂ©s de la doctrine de l’intĂ©rĂȘt, la vĂ©ritĂ© morale 11e diffĂšre en rien de la vĂ©ritĂ© mathĂ©matique. Nous 11e sommes pas libres d’admettre ou de ne pas admettre une proposition arithmĂ©tique ou gĂ©omĂ©trique; nous ne pouvons pas davantage adopter ou rejeter Ă  notre grĂ© une proposition morale, celle- ci, par exemple il 11e faut pas trahir ses sermens. Mais la vĂ©ritĂ© morale a plus de pouvoir sur l’homme que la vĂ©ri tĂ© mathĂ©matique ; la premiĂšre lui im- 3l8 T R E S T K - E T - C NI È M E LEÇON. jOse l’obligation, non-seulement de la reconnaĂźtre, mais encore de la mettre en action ; de mĂȘme que nous ne pouvons pas ne pas reconnaĂźtre qne deux et deux font quatre , bien que notre intĂ©rĂȘt puisse s’y opposer, ainsi, nous ne pouvons pas rejeter cette vĂ©ritĂ© morale il ne faut pas trahir ses sermens; des deux parts il y a un jugement de la raison. Si au jugement moral se joignent des sentimens, des Ă©motions plus ou moins dĂ©licates, il ne s’ensuit pas pour cela que la morale repose sur ces sentimens, sur ces Ă©motions. La vĂ©ritĂ© se lĂ©gitime toute seule, elle est sa base Ă  elle-mĂȘme; en un mot, elle est absolue. 11 fuit donc reconnaĂźtre deux motifs des actions humaines le bonheur individuel et le devoir, principes qui sont presque toujours d’accord , mais qui se contrarient quelquefois. Si vous n’admettez pour mobile* que le bonheur individuel, tous les actes, quels qu’ils soient, sont lĂ©gitimes , pourvu qu’ils servent l’intĂ©rĂȘt privĂ©. L’homme qui a rĂ©pandu le sang de son semblable , parce que celui-ci s’opposait Ă  son bonheur, n’est pas coupable; le mal que vous lui inf ligez n’est pas une peine, c’est une cruautĂ©. Bien , mal, vertu, vice, crime , sont des expressions vides de sens ; touLes nos institutions sont hypocrites, toutes nos lois sont absurdes ; le Code pĂ©nal n’est qu’un tissu d’iniquitĂ©s , puisqu’il ordonne de sacrifier l’intĂ©rĂȘt individuel Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Le pouvoir public ne doit frapper que dans soh propre intĂ©rĂȘt, et ne pas s’occuper de DU BIEN. 3*9 punir des actes qui ne portent pas contre lui. On ne comprend plus rien Ă  la justice distributive ; les peines quelle dĂ©cerne sont comme des orages dont il faut savoir se garder; et Fontenelle, en voyant conduire un homme au supplice , peut dire froidement, et sans aucune indignation morale voilĂ  un homme qui a mal calculĂ©. Si Un logicien rigoureux faisait sortir toutes les consĂ©quences du principe de l’intĂ©rĂȘt, on en serait effrayĂ© ; vous ne verriez dans la sociĂ©tĂ© qu’une troupe d’individus qui, dĂ©vouĂ©s uniquement Ă  la satisfaction de leur Ă©goĂŻsme, devraient se dĂ©tester et se dĂ©chirer l’état de nature serait l’état de guerre. De ce droit naturel passez au droit civil, au droit politique et au droit pĂ©nal, vous les trouverez en proie Ă  l’arbitraire , vous n’y verrez de rĂšgle que la force. Il serait curieux de mettre , d aprĂšs ce systĂšme , un citoyen devant un lĂ©gislateur, un accusĂ© devant un juge, et d’entendre lesdiscours qu’ils s’adresseraient on invoquerait de part et d’autre l’intĂ©rĂȘt individuel ; mais le lĂ©gislateur et le juge ne pourraient parler que de leur force , et ne reprocher au sujet et Ă l’accusĂ©que de la faiblesse. 11 n’y aurai tpas lĂ  d’autre rapport que celui qui existe entre des vainqueurs et des vaincus. Or nous en appelons Ă  la conscience de tout homme est-ce ainsi que 1 on comprend un tribunal et une assemblĂ©e de lĂ©gislateurs? n’existe-t-il pas des principes de moralitĂ© qui dominent les lois Ă©crites et les arrĂȘts? les lois 320 TRENTE-ET-t NIÈM E LEÇON, et les arrĂȘts i»e sont-ils que des blessures faites Ă  un trop faible combattant ? Sans doute il y a. de l’égoĂŻsme dans la vie; mais n’y a-t-il que de l’égoĂŻsme? ne peut-on pas citer des exemples de dĂ©sintĂ©ressement? Si l’on en trouve un seul, notre cause est gagnĂ©e ; car je ne prĂ©tends pas prouver qu’il y ait plus de bons que de mĂ©chans, plus de dĂ©sintĂ©ressement que d’intĂ©rĂȘt ; il me suffit de poser scientifiquement un motif rationnel diffĂ©rent de l’intĂ©rĂȘt privĂ©. Je reconnais deux buts dans la vie l’intĂ©rĂȘt et le devoir ; deux tendances de l'humanitĂ© , l’une au bonheur, l’autre Ă  l’accomplissement des prĂ©ceptes de la raison. DĂšs que nous reconnaissons un Ă©lĂ©ment absolu , une vĂ©ritĂ© Ă©ternelle qui n’est pas constituĂ©e par la raison , mais qui s’impose Ă  la raison , nous avons trouvĂ© cette rĂšgle fixe qui peut s’opposer Ă  l’arbitraire. L’absolu se lĂ©gitime par lui-mĂȘme si l’on me demande pourquoi il y a des devoirs, je rĂ©pondrai parce qu’il y a des devoirs. H n’y a point de raison Ă  donner de la raison. Il est vrai en soi qu’il ne faut pas trahir ses sermens, quelque soit le rĂ©sultat de cette fidĂ©litĂ©. Notre morale est donc une morale absolue qui n est soumise Ă  aucune variation, qui ne dĂ©pend ni des lieux, ni des temps, ni des circonstances. Chose remarquable, moi qui ne suis qu’un individu, qu’un phĂ©nomĂšne passager , je conçois quelque chose d’universel et d’éternel ; mais ce n’est pas assez d’avoir reconnu la vĂ©ritĂ©, il faut la mettre en pratique. DU BIEN. Ainsi, par exemple, j’ai le devoir de dire la .vĂ©ritĂ©, et vous avez le. droit d’exiger que je la dise, de mĂȘme que vos devoirs fondent mes droits. Nous n’avons de droits les uns sur les autres que parce que nous avons des devoirs c’est dans cette corrĂ©lation que rĂ©side la paix de la sociĂ©tĂ©. philosophie. 21 trente-deuxiĂšme leçon. \xx vv>a>vyx TH E NTE DEUX ! ÈME LEÇON. S’il y a de la vĂ©ritĂ© absolue en gĂ©nĂ©ral, il peut y avoir, de la vĂ©ritĂ© absolue en morale. — Position des questions relatives Ă  l’idĂ©e du bien. — De la vĂ©ritĂ© spĂ©culative et de la [vĂ©ritĂ© pratique. — De l’obligatioi^ morale, — DĂ©finition de l’acte moral et de l’acte immoral. — Le devoir suppose la libertĂ© r. Nous avons dit que la thĂ©orie de l’idĂ©e du bien compose la philosophie pratique , nous avons l'ait voir l’er^haĂźnement de tous les principes que comprend la morale gĂ©nĂ©rale, nous nous sommes ellorcĂ©s de dĂ©montrer que les consĂ©quences politiques , admises aujourd’hui par tout le monde , appartiennent Ă  un autre principe que la doctrine de l’intĂ©rĂȘt. Je sais que .cette i Voyez, Fregmens philosophiques, programme de 1817, page J 45 et suiv. premiĂšre Ă©dition. 1U BIEN. doctrine est lu plus rĂ©pandue, et je me mets en opposition avec la plupart des philosophes de nos jours ; mais j’ai la ferme conviction que l’homme n est-pas renfermĂ© tout entier dans ses appĂ©tits, que sa destination n’est pas remplie quand il a poursuivi son bien-ĂȘtre. Si je descends dans ma conscience, je trouve, au milieu des changemens et des vicissitudes auxquelles je suis sujet, un point fixe et ' immobile,. des vĂ©ritĂ©s immuables, en un mot, de l’absolu. La morale ne me stĂźmble pas l’ouvrage de mon caprice, un produit de mon imagination , elle a des bases que je ne puis Ă©branler. De lĂ  l’universalitĂ© du droit naturel, du droit civil, du droit politique et criminel, qui sont comme les rameaux de cette tige unique que j’appelle l’idĂ©e du bien et du mal moral. Pour vĂ©rifier ces principes avec impartialitĂ© , ‱ Ă©cartons' un instant l’intĂ©rĂȘt patriotique qui s’y attache., oublions notre qualitĂ© de citoyens, tenons-nous en Ă  notre rĂŽle de philosophes. Afin de ne tourner aucune dillicultĂ©, signalons toutes les objections qu’il est possible d’élever contre cette thĂ©orie , et passons eu revue tous les systĂšmes de morale qui lui ont Ă©tĂ© contraires- Mais, avant de nous livrer Ă  cet examen, il nous importe d’insister sur les principes avons posĂ©s; Existe-t-il ou n’existe-t-il pas de vĂ©ritĂ© ? Telle Ă©tait la premiĂšre de toutes les questions Ă  rĂ©soudre , et 21. 324 trente-deuxiĂšme leçon, dont nous avons prĂ©sentĂ© la solution. Etablir que tout n’est pas apparence ou phĂ©nomĂšne, que lĂ© philosophe n’a rempli que la moindre partie de sa tĂąche quand il a enregistrĂ© les faits qui lui apparaissent dans le monde intĂ©rieur et dans le monde physique, qu’il existe un autre monde au sein duquel rĂ©side l’immuable et l’étemel, telle est la tĂąche que nous avons entreprise , et peut-ĂȘtre accomplie. Nous avons recherchĂ© ce qu’est la vĂ©ritĂ© absolue, non plus dans l’intelligence dĂ©wjoppĂ©e , mais dans l’intelligence Ă  ses premiers dĂ©buts ; comment, et sous quelles formes apparaĂźt pour la premiĂšre fois h notre esprit cette vĂ©ritĂ© , qui est aujourd’hui pour nous universelle et absolue ? quel est d’abord son caractĂšre? AprĂšs avoir indiquĂ© l’état actuel de l’idĂ©e ab- solue et son Ă©tat primitif, nous avons montrĂ© comment elle a fait route de l’un Ă  l’autre. Nous appliquerons la thĂ©orie du vrai Ă  la morale, comme nous l’avons appliquĂ©e Ă  la thĂ©orie des beaux-arts. La vĂ©ritĂ© est une, et si elle prend le - nom de vĂ©ritĂ© mathĂ©matique quand elle s’applique au nombre et Ă  la grandeur, elle prend celui de vĂ©ritĂ© morale quand elle s’applique aux actions de l’humanitĂ©. Je dĂ©montrerai qu’en morale comme en inathĂ©mati-’ ques il y a des vĂ©ritĂ©s qui sont Ă©videntes d’elles- mĂȘmes, universelles et absolues ; je chercherai DU BIEN. 325 ce que la vĂ©ritĂ© morale, a d’abord Ă©tĂ© pour l’intelligence, et comment elle a passĂ© de l'Ă©tat primitif Ă  l’état actuel. J’appliquerai donc Ă  la vĂ©ritĂ© morale les mĂȘmes Ă©preuves qu’à la vĂ©ritĂ© absolue, c’est-Ă -dire que j’examinerai aussi la nature , l’origine et la gĂ©nĂ©rationi de la vĂ©ritĂ© morale. La vĂ©ritĂ© morale n’est autre que la vĂ©ritĂ© absolue engagĂ©e dans les actions humaines ; cette vĂ©ritĂ©, comme nous l’avons dit mille fois, apparaĂźt Ă  la raison humaine, mais elle n’est pas constituĂ©e parla raison; cette simple remarque suffit pour faire Ă©crouler l'Ă©difice bĂąti par les philosophes Ă©cossais et par les philosophes allemands. L’école Ă©cossaise pose des principes constitutifs de l’esprit humain, et l’école allemande pose des formes subjectives de l’entendement de ces deux systĂšmes il est difficile de faire ressortir une vĂ©ritĂ© extĂ©rieure çt objective. Au dessus de la nature physique , comme au-dessus de la nature humaine, planent des vĂ©ritĂ©s absolues qui se reflĂštent dans l’un ÂŁt l’autre monde, mais qui existent par elles-mĂȘmes. L’intelligence conçoit l’unitĂ© , l’espace , le temps, le vrai, le faux, le bien et le mal; mais ce ne sont pas lĂ  de pures fonctions de l’esprit ou des lois constitutives de l'intelligence, ou enfin des formes de l’entendement ; s’il en Ă©tait ainsi, ces vĂ©ritĂ©s n existeraient pas en dehors del esprit humain ; et cependant, que l’on suppose toutes les intelligences anĂ©anties, la vĂ©ritĂ© subsistera 3a6 tkente-decxiĂšme leçon. encore. La connaissance est uir rapport dont l’un des. termes est l’intelligence et l’autre la vĂ©ritĂ©; ainsi, la vĂ©ritĂ© est indĂ©pendante rie l’homme d’une pari, et de l’autre l’homme ne peut pas Ă©viter de l'apercevoir. Ce n’est pas moi qui Tais la vĂ©ritĂ©, dĂšs que je l’aperçois je ne puis pas n’y pas croire. Si c’est ce dernier fait qu’on veut dĂ©signer par loi constitutive de l’esprit, je ue m’y oppose pas, pourvu qu’il soit bien entendu que c’est l’acte de connaĂźtre qui fait partie de notre constitution., et non pas la vĂ©ritĂ©. Si l’homme n’était qu’une intelligence, il n’y aurait-pour lui que des. vĂ©ritĂ©s-spĂ©culatives ; mais il est aussi un ĂȘtre actif et volontaire; les vĂ©ritĂ©s deviennent donc morales et pratiques le vrai devient le Lien. Ainsi, par exemple. il ne faut pas trahir ses sermetis, voilĂ  une vĂ©ritĂ© spĂ©culative en tant qu’elle apparaĂźt Ă  la raison, et une vĂ©ritĂ© morale en tantqii’ellese rapporte;'» l’ trahir vps sermons, mais vous n’en ĂȘtes pas moins obligĂ© de croire ;'» cette maxime, et vous conrprene/. qu’on pourrait en exiger de vçus l'accomplissement, qu’on pourrait vous contraindre Ă  taire sortir cette vĂ©ritĂ© du monde idĂ©al, pour la aire passer dans le pionde rĂ©el. Tels sont les .rĂ©sultats de la vĂ©ritĂ© morale i° nĂ©cessitĂ© d’y croire ; a° nĂ©cessitĂ© de la pratiquer. Cette derniĂšre nĂ©cessitĂ© est ce qu’on appelle l’obligation morale. L’obligation morale possĂšde tous les caractĂšres de la vĂ©ritĂ© , dont elle est un rĂ©sultat ; elle est universelle et absolue, elle pĂšse sur DU BIEN. 327 tons les hommes, aucun ne peut s’y soustraire ; de l’obligation ainsi imposĂ©e Ă  tous naissentlesdroits et les devoirs sociaux. La vĂ©ritĂ© morale est obligatoire ce n’est pas moi qui l’ai faite ; ce n’est pas moi non plus qui pose l’obligation , je la dĂ©couvre ; mais, puisqu’elle pĂšse sur tous , je ne suis pas seul obligĂ© vous l’ĂȘtes tous autant que moi. Si je suis obligĂ© Ă  respecter mes 1 sermens, si vous avez le droit de me contraindre Ă  les accomplir, vous ĂȘtes obligĂ©s au mĂȘme devoir, et j’ai le mĂȘme droit sur vous. Droit et devoir sont deux termes corrĂ©latifs, dont l’un ne peut exister sans l’autre. Etant constatĂ©e non-seulement la nĂ©cessitĂ© de croire aux vĂ©ritĂ©s morales, mais encore l’obligation de les rĂ©aliser par des actes , nous devons nous demander ce que c’est qu’un acte en gĂ©nĂ©ral. C’est un moyen bon ou mauvais, selon qu’il se rapporte Ă  la fin qu’on se propose. Tout acte qui a pour but de rĂ©aliser la vĂ©ritĂ© morale-, est un acte bon ; tout acte fait sans aucun dessein de cette nature , qui n’est qu’un produit de notre sympathie , ou une consĂ©quence de notre organisation physique, est un acte indiffĂšrent dont la morale 11e s’occupe pas. Tout acte qui a pour but d’enfreindre la vĂ©ritĂ© morale, est au ii tte mauvais, quand bien mĂȘme cet acte eĂ»t couvert son auteur de. gloire, quand bien mĂȘme il eĂ»t sauvĂ© l’univers. Ainsi, de meme que les actes rapportĂ©s Ă  la sensibilitĂ© sont utiles ,. nuisibles ou seulement mutiles, de mĂȘme , rap- 328 TRENTE-DEUXIÈME LEÇON. portĂ©s Ă  la lin obligatoire de l’homme, ils sont moraux, immoraux ou indiffĂ©rons. S’il y a des vĂ©ritĂ©s morales obligatoires j il faut qu’il y ait dans l’homme une facultĂ© d’exĂ©cution , une libertĂ© d’agir comme il lui plaĂźt. Lo devoir suppose le pouvoir ; l’homme serait un monstre s’il n’était pas libre car. il serait obligĂ© d’une part Ă  l’accomplissement d’une loi , et de l’autre il n’aurait pas le pouvoir de l’accomplir librement. On peut donc, suivant les rĂšgles de la plus sĂ©vĂšre logique, raisonner de cette maniĂšre l’homme a des obligations dont il est libre. La raison n’est jamais contraire aux faits si nous observons ce qui se passe en nous, il nous sera impossible de ne pas reconnaĂźtrela libertĂ© la libertĂ© c’est le moi lui-mĂȘme. La sensibilitĂ© et la raison se dĂ©veloppent en moi sans mon concours; par elles je ne vis que d’une vie commune; par la libertĂ© je me pose comme indi'vidu. La libertĂ© est donc la personnalitĂ© humaine. C’est au dĂ©veloppement de cette vĂ©ritĂ© que nous consacrerons la derniĂšre partie de la morale. En rĂ©sumĂ©, voici les points sur lesquels nous nous proposons d’insister puisqu’il existe une vĂ©ritĂ© absolue, indĂ©pendante de la nature physique et de la nature humaine, et que je ne puis,ni la dĂ©truire, ni la modifier, ni me soustraire Ă  son aperception., le bien moral peut aussi ĂȘtre absolu, et en effet le bien moral n’est autre chose que la vĂ©ritĂ© absolue, qui de notre intelligence passe dans nos actions, qui DU BIEN. 32 9 s’impose Ă  l’agent aprĂšs s’ĂȘtre imposĂ© au penseur, cpii est Ă  la fois nĂ©cessaire et obligatoire. L’obligation est absolue comme la vĂ©ritĂ© d’oĂč elle dĂ©rive. De l’obligation imposĂ©e Ă  tous les hommes naissent les devoirs et les droits rĂ©ciproques. L’acte est un moyen il est moral quand il a pour but de rĂ©aliser la vĂ©ritĂ©, immoral quand il Ăą pour but de la violer, indillĂ«rent lorsqu’il est accompli saiis aucune pensĂ©e relative Ă  la vĂ©ritĂ© morale. L’obligation suppose la libertĂ©. La libertĂ© est donc une vĂ©ritĂ© de raison comme une rĂ©alitĂ© d’observation. 33o TRENTE-TROISIÈME LEÇON. mixnv^^vxi^iWivvwnvuwvuiWAWwuvHu vwvvvvw w» vv'vvww'v wvvw trente-troisiĂšme leçon. La vĂ©ritĂ© absolue , eu passant dans les actions humaines, constitue la vĂ©ritĂ© morale absolue. — Sans l’absolu point de science. — La vĂ©ritĂ© morale absolue nous est manifestĂ©e par la raison , et elle s’adresse Ă  la libertĂ©. —' Double devoir-de la libertĂ©. —Distinction entre la souverainetĂ© et le pouvoir. — Le pouvoir ne peut ĂȘtre sa rĂšgle Ă  lui-mĂȘme. — SouverainetĂ© de la raison. — Devoirs envers Dieu ; devoirs envers nous-mĂȘmes; devoirs envers autrui. — Droit civil ; droit politique.— — La sociĂ©tĂ© est la rĂ©alisation de la vĂ©ritĂ© morale, elle existe donc Ă  priori. — L’idĂ©e de sociĂ©tĂ© est antĂ©rieure Ă  celle de gouvernement. — RĂ©futation de la doctrine du despotisme et de celle de l’anarchie. —La mission du gouvernement est de aire respecter la doctrinĂš sociale et d’appliquer le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite. L’oaiuine, la gĂ©nĂ©ration et la nature des idĂ©es absolues ont Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©es. Les vĂ©ritĂ©s absolues, en passant dans les actions humaines, donnent DU BIEN. 331 naissance aux vĂ©ritĂ©s morales absolues, sur lesquelles repose la science moralĂ©. Rechercher un principe au-dessus duquel il n’y ait pas de principe possible , et arriver Ă  des consĂ©quences qui soient les dĂ©rnjĂšres applications du principe , tel est le rĂŽle de la science. Les sciences ne doivent pas ĂȘtre une combinaison arbitraire et factice d’idĂ©es obtenues par l’expĂ©rience externe ouinterne, et par consĂ©quent aussi variables que les phĂ©nomĂšnes de la nature ou que les volitions humaines. Ily a'un certain nombre de vĂ©ritĂ©s non relatives ,* qui subsisteraient quand mĂȘme il ne resterait plus une seule intelligence pour les comprendre, quand mĂȘme l’humanitĂ© et la nature seraient anĂ©anties. Ce sont elles qui nous prĂ©sentent un point lixe et inĂ©branlable , une base vraiment scientilique sans l’absolu point de science , dus qu’il y a vĂ©ritĂ© absolue il y a science possible. Un traitĂ© sur l’absolu est la science des sciences, la science premiĂšre, la philosophie fondamentale, le point central duquel partent tons les rayons qui forment la diversitĂ© des sciences. . Parmi les vĂ©ritĂ©s absolues , il en est qui s’adressent Ă  la libertĂ© ce sont les vĂ©ritĂ©s morales. La vĂ©ritĂ© morale, comme toutes les vĂ©ritĂ©s absolues, nous est manifestĂ©e par la raison si nous ne voulons pas sortir des limites du monde intĂ©rieur, nous dirons que la raison est le fondement de la morale. C’est Ă  la raison qu’il appartient Ăźle dĂ©ter- 33 ?. T RENTE-TROISIÈME LEÇON, miner le caractĂšre de l’action ; mais l’action suppose nĂ©cessairement quelque clioso qui agit, ce qui agit c’est l’activitĂ©. Or, pour rĂ©aliser les conseils de la raison, l’activitĂ© doit ĂȘtre libre. La libertĂ© suppose le choix le choix s’établit entre les vĂ©ritĂ©s de la raison d’une part, et les passions de l’autre. Lorsque la libertĂ© se dĂ©cide pour les passions et non pour les vĂ©ritĂ©s absolues , elle est en dehors de la morale. Dans le sein de la morale j le rĂŽle de la libertĂ© est donc de se mettre au service de la raisoi'i. Ce rĂŽle se divise en deux parties i° n’obĂ©ir Ă  aucun autre motif qu’à la raison; ?° lui obĂ©ir toujours, quelles que puissent ĂȘtre les consĂ©quences de l’obĂ©issance. Ces deux parties ont Ă©tĂ© quelquefois confondues nous montrerons qu’elles sont distinctes ; c’est l’accomplissement de cette double loi qui constitue la dignitĂ© de la libertĂ©. Vous ĂȘtes un agent moral toutes les lois cpie la libertĂ© et la raison concourent ensemble Ă  votre acte; c’est-Ă -dire toutes les fois que la libertĂ©, par un dĂ©sintĂ©ressement gĂ©nĂ©reux et par une abdication entiĂšre de la passion, accomplit le devoir, o l cĂšde au motif d’agir posĂ© par la raison. Vous ĂȘtes un agent immoral toutes les fois que la raison çt la libertĂ© ne sont pas d’accord ; en d’autres termes, toutes les fois que la- libertĂ©, dominĂ©e par la passion, mĂ©connaĂźt les ordres de la raison. Enfin, votre action n’a aucun caractĂšre de moralitĂ© ni d’immoralitĂ©, si la libertĂ© obĂ©it Ă  un autre motif que DU BIEN. 333 la vĂ©ritĂ© absolue, mais sans se mettre en contradiction avec elle. Tel est donc Ă  priori le devoir ou l’absolu moral ; devoir qui n’est point une sorte d’idĂ©e collective rĂ©sultant de nos devoirs particuliers envers Dieu, envers autrui et envers nous- mĂȘmes; mais devoir Ă©minent , supĂ©rieur et antĂ©rieur Ă  tous les autres, dĂ©rivant du rapport essentiel de la libertĂ© et de la raison ; Etant posĂ© le double devoir, d’une part,- de n’obĂ©ir qu’à la raison , et de l’autre, de lui obĂ©ir, quoi qu’il arrive; l’ordre scientilique assigne la prioritĂ© Ă  celui de n’obĂ©ir qu’à la raison; devoir immĂ©diat qui impose Ă  l’individu l’obligation de respecter sa propre libertĂ©, et aussi l’obligation de respecter la libertĂ© des autres. Quiconque sait que l’homme est libre, sait que^bt libertĂ© est sainte, et n’est qu’au service de la raison, et qu’il ne doit afĂŻĂ iblir ni en lĂŒi- mĂȘme, ni en autrui, l’alliance de la libertĂ© et de la raison ; de lĂ  le devoir de n’exercer aucun prĂšs-’ tige, aucune influence sur l’intelligence d’autrui, pour dĂ©tourner sa libertĂ© du seul but auquel elle doit tendre. La libertĂ©, ou l’homme moral, est inviolable de sa nature, antĂ©rieurement Ă  tout contrat c est donc Ă  priori que la libertĂ© est sainte- Cette premiĂšre partie du devoir peut se formuler ainsi respect de la libertĂ©. La seconde partie du devoir, celle qui consiste Ă  suivre la raison quoi qu’il arrive, n’est postĂ©rieure que dans l’ordre scientilique, oĂč. il faut des divisions et des classili- 334 LEÇON. cations; en rĂ©alitĂ©, elle est. contemporaine de la premiĂšre. Quand la raison conçoit la vĂ©ritĂ©, elle ordonne Ă . la libertĂ© d’accomplir cette vĂ©ritĂ© qui n’est encore qu’idĂ©ale. En mĂŽme temps que m’est imposĂ© le devoir de repousser tout ce qui n’est pas marquĂ© au coin de l’alliance entre la raison et la libertĂ©, en mĂȘme temps m’apparaĂźt le devoir d’exĂ©cuter tout ce qui porto le caractĂšre de cet accord; ce double devoir m’est, rĂ©vĂ©lĂ© parla raison, loi suprĂȘme, souveraine. Ici se .trouve Ă©tablie d’elle-rnĂȘhie la distinction entre la souverainetĂ© et le pouvoir; on dispute encore sur le sens qu’on doit Ăźrttacher Ă  ces deux mots, parce qu’on n’a pas rĂ©ilĂ©chi sur la nature de l’idĂ©e rie souverainetĂ©, parce qu’on agite ordinairement ces problĂšmes sociaux avec des opinions arrĂȘtĂ©es d’avancej et, ce qiii est pire, avec des passions. La souverainetĂ© et le pouvoir ne sont pas une seule et mĂȘme chose, *Ă  moins qu’on ne confonde ce qui est avec ce qui doit ĂȘtre. La souverainetĂ© rĂ©side dans la raison ; le pouvoir rĂ©side dans la libertĂ©. Le pouvoir a donc besoin d’une loi, il ne peut ĂȘtre sa rĂšgle it lui- mĂȘme cette loi, cette rĂšgle , c est la vĂ©ritĂ© morale proclamĂ©e par la souveraine raison. La raison est donc l'unique souverainetĂ©; elle se divise; si l’on peut parler airçsi, en autant de souverainetĂ©s particuliĂšres qu’il y a de devoirs ddlĂȘreus ces souverainetĂ©s n’ont d’aulresdimites que celles qu’elles dĂ©terminent entre elles. Telle est l’essence de nos DU bien. 335 dilĂŻĂ©rens devoirs- qu’ils se limitait naturellement et sans combat, l’un apparaissant comme supĂ©rieur Ă  l’autre. Le premier devoir Ă©tant dĂ© ne pas aliĂ©ner sa libertĂ©, ou, en d’autres termes, de n’obĂ©ir qu’à la raison, le second est d’obĂ©ir en toutes circonstances Ă  ce souverain primitif. Nous sortons ici de la morale gĂ©nĂ©rale, nous entrons dans la morale particuliĂšre ou dans la division des devoirs; on les divise ordinairement en trois classes devoirs envers Dieu , devoirs envers nous-mĂȘmes , devoirs envers autrui. Ainsi que le devoir absolu, dont ils sont comme autant de dĂ©rivations, ces devoirs particuliers sont antĂ©rieurs Ă  tout contrat. Les devoirs envers Dieu constituent la morale religieuse ces devoirs peuvent rentrer dans les autres, car tout devoir est religieux de sa nature, en ce sens quil est l’obĂ©issance h la vĂ©ritĂ© morale absolue, c’est-Ă -dire, Ă  Dieu lui- mĂȘme. Quant Ă  l’existence de Dieu, elle est rĂ©vĂ©lĂ©e en morale par l’idĂ©e de la justice absolue, comme en mĂ©taphysique par l’idĂ©e de l’absolue vĂ©ritĂ©. Les devoirs se rĂ©duiront donc pour nous Ă  deux classes les devoirs envers nous-mĂȘmes et les devoirs envers autrui,' d’une part respect de la vĂ©ritĂ© morale en nous-mĂȘmes ou .morale proprement dite; de l’autre, respect de de la vĂ©ritĂ© morale en autrui ou droit naturel. 336 trente-troisiĂšme leçon. On a prĂ©tendu qu’il n’y avait pas de devoirs envers nous-mĂȘmes, on a dit que le moi ne pouvait obliger le moi, et que la morale individuelle tombait devant cet axiome de droit nul n’est obligĂ© envers soi-mĂȘme. Nous rĂ©pondrons Ă  cette objection que dans la morale individuelle c l est moi qui suis obligĂ© , mais ce n’est pas moi qui oblige. Les adversaires font ici une Ă©quation de la raison humaine et de la raison universelle. Ce n’est pas Ă  la raison dans le moi, c’est Ă  la raison en elle-mĂȘme que je dois obĂ©issance., c’est la libertĂ© qui le moi, ce n’est pas la raison , et de lĂ  les rapports de la raison et de la libertĂ© , ou l’obligation que la premiĂšre impose Ă  la seconde i. Les devoirs prescrits. par le droit naturel peuvent ĂȘtre regardĂ©s comme le simple rellel, pour ainsi dire, des devoirs prescrits par la morale proprement dite. Tout ĂȘtre intellectuel qui reconnaĂźt en lui le rapport de la raison et de la libertĂ© , le re- oonnaĂźten autrui, et doit le respecter comme en. lui-mĂȘme. Ainsi, ce n’est pus par mie dĂ©duction,, ni par une induction , que nous allons du devoir envers nous-mĂȘmes au devoir envers les autres c’est par une Ă©quation. 11 n’y a ici qu’une mĂȘme aperception intellectuelle. Comme la morale proprement dite est antĂ©rieure Ă  tout contrat, le droit i Voyez , Fragmens viiilosohiiqtjes, programme de 18-17, page 2&o premiĂšre Ă©dition,. DU BIEN. 3^7 naturel est donc aussi antĂ©rieur Ă  toute espĂšce de convention; la libertĂ©, de sa nature, est sainte et ne doit obĂ©ir qu’à la raison ; il s’ensuit que nous ne devons porter aucune atteinte Ă  la libertĂ© en autrui. Le droit naturel est donc la base de tout droit positif. Le droit positif n’est que la classification complĂšte des droits de la libertĂ© d un individu par rapport Ă  la libertĂ© d’un autre individu , droits qui reposent tous sur le droit naturel, comme le droit naturel se rattache Ă  la morale, comme la morale Ă  la notion du rapport de la raison et de la libertĂ©, comme cette notion Ă  la vĂ©ritĂ© absolue. Le droit positif comprend les rapports des individus entre eux, comme membres de la mĂȘme sociĂ©tĂ©. La sociĂ©tĂ© existe Ă  priori , elle est lĂ© dĂ©veloppement de la morale proprement dite et du droit naturel, la consĂ©cration des vĂ©ritĂ©s absolues. Les rapports de l’homme en sociĂ©tĂ© sont doubles rapports de l’homme comme habitant, rapports de l’homme comme citoyen. Les premiers donnent naissance au droit civil. Quelle que soit la diversitĂ© des circonstances, le droit civil n est pas arbitraire; il rĂ©sulte du rapport invariable de la libertĂ© Ă  la raison il n’est donc qu’une application du droit naturel et de la morale. On peut le dĂ©terminer Ă  priori, il porte le caractĂšre de l’absolu, et nul n’a le droit de s’élever contre sa souverainetĂ©. IndĂ©pendamment du rapport des particuliers entre eux, existe le rapport des citoyens envers l’état, ;t de PHILOSOPHIE. 22 338 TKENTK-TWOISIÈME LEÇON. l’état envers les citoyens ; c’est' le choit politique-. L;i base cle ce droit est la mĂȘme que celle des autres , l’inviolabilitĂ© de la libertĂ© par la libertĂ© , la soumission de la libertĂ© Ă  la raison.'Une constitution ne sera lĂ©gitime qu’à la condition de s’appuyer sur cette base. Le droit politique est donc aussi invariable que le droit civil, que le droit, naturel, et que la morale proprement dite ; il dĂ©rive de l'idĂ©e de sociĂ©tĂ©, qui n’est elle-mĂȘme qu’une rĂ©alisation de l’idĂ©e morale. L’idĂ©e de sociĂ©tĂ© est donc antĂ©rieure et supĂ©rieure Ă  celle de gouvernement, c’est ce tpte n’ont pas aperçu certains publicistes ; les uns ont voulu construire la sociĂ©tĂ© pour le gouvernement , les autres anĂ©antir le gouvernement, comme nĂ©cessairement ennemi de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, Hobbes et Spinoza , oubliant la morale Ă  priori , ont créé dans le gouvernement une force Ă  laquelle ils soumettent la sociĂ©tĂ© ; et d’un antre cĂŽtĂ©, God- win , elirayĂ© des consĂ©quences d’une semblable doctrine, a voulu Ă©tablir une sociĂ©tĂ© sans gouvernement. La mission du gouvernement est de surveiller l’accomplissement des devoirs de chacun ; le gouvernement ne lait point la doctrine sociale, elle lui est antĂ©rieure, il n’en est que le dĂ©positaire, et il empĂȘche, par sa force, les infractions matĂ©rielles des devoirs et des droits. Le gouvernement est donc indispensable ce qui fait la lĂ©gitimitĂ© du pouvoir, c’est que, dans toute sociĂ©tĂ©, la libertĂ©, oubliant sa loi suprĂȘme, peut attenter Ă  la libertĂ© DU BIEN. ijy d’autrui. Le gouvernement se fonde sur la nĂ©cessitĂ© de la rĂ©pression , et en mĂȘme temps sur l’idĂ©e moraledu mĂ©rite et du dĂ©mĂ©rite, c’est-Ă -dire, du rap ‱ port naturel qui existe entre une bonne action et le bonheur, une mauvaise action et le malheur. La peine et la rĂ©compense sont donc lĂ©gitimes. Maintenant , comment faire correspondre le degrĂ© de rĂ©compense et de chĂątiment avec le mĂ©rite et le dĂ©mĂ©rite? Cette question ne peut recevoir une solution absolue. Tout ce qu’il y a ici d’immuable, c’est que l’acte qui est contraire Ă  la sociĂ©tĂ© mĂ©rite punition, et que plus l’acte a Ă©tĂ© funeste , plus la punition doit ĂȘtre grave. Mais Ă  cĂŽtĂ© de la nĂ©cessitĂ© de punir se place le devoir d’amender sous ce dernier rapport, le coupable doit avoir la possibilitĂ© de rĂ©parer son crime. L’homme n’est pas criminel par nature ; ce n’est pas une chose dont on doive se dĂ©barrasser dĂšsqu’elle est nuisible, une pierre qui tombe sur notre tĂȘte, et que nous jetons dans l’abĂźme pour quelle ne nuise plus Ă  personne. L’homme est un . ĂȘtre rationnel qui comprend le bien et le mal, qui peut se repentir et redevenir un membre utile de la sociĂ©tĂ©. Ces vĂ©ritĂ©s ont donnĂ© naissance Ă  des ouvrages qui honorent la lin du dix-huitiĂšme siĂšcle- et le commencement du dix- neuviĂšme. Beccaria, Filangieri, Bentham, ont rĂ©clamĂ© contre la rigueur du droit pĂ©nal ; le dernier surtout, par la crĂ©ation des maisons de pĂ©nitence , rappelle les premiers temps du christia- 32 , 340 TRENTE-TROISIÈME LEÇON. nisme, oĂč le chĂątiment n’était jamais irrĂ©vocable, et consistait en une expiation qui faisait remonter le repenti au rang des justes. Les peines doivent donc ĂȘtre mesurĂ©es sur le mal commis et sur la possibilitĂ© du repentir. C’est la double nĂ©cessitĂ© de surveiller et de punir qui fonde le gouvernement. Porter atteinte au gouvernement, c’estdonc porter atteinte Ă  la sociĂ©tĂ©. Le gouvernement, ainsi Ă©tabli, a donc ses droits et ses devoirs, qui tous sont relatifs Ă  la dĂ©fense de la sociĂ©tĂ©. C’est ici que s’arrĂȘte la philosophie pratique aprĂšs avoir mis la sociĂ©tĂ© en prĂ©sence du gouvernement , elle s’interdit toute recherche sur les formes particuliĂšres qui conviennent Ă  celui- ci ; car elle descendrait du domaine de l’absolu dans celui du relatif l’absolu, c’est le rapport de la forme du gouvernement Ă  la lin sociale ; le relatif, c’est le rapport de cette forme avec les dilfĂ©rentes localitĂ©s. Elle dĂ©termine Ă  priori que le droit et le devoir du gouvernement est de maintenir l’ordre social par la surveillance., la punition et l’amĂ©lioration du coupable. Mais il lui est impossible d’appliquer une forme de gouvernement t> la variĂ©tĂ© infinie des populations et des circonstances. Elle doit mĂȘme renoncer Ă  cette Ă©tude dans la crainte de transporter quelque chose d’absolu au sein du variable , et de compromettre , par la prĂ©tention de rĂ©gler ce qui ne peut pas l’ĂȘtre , le sort DU BIEN. 34, des rĂšgles vĂ©ritables et absolues. Tel est le ca-, dre de la philosophie pratique ; on voit comment toutes les parties s’enchaĂźnent les unes avec les autres, comment l’idĂ©e morale absolue se rĂ©flĂ©chit dans toutes les parties du droit positif, depuis le droit civil jusqu’aux derniĂšres consĂ©quences du droit politique, et comment le bien et le mal ne sont, comme nbus l’avons dit, que la vĂ©ritĂ© absolue contemplĂ©e dans les actions humaines. 11 nous reste maintenant Ă  dĂ©velopper toutes les propositions qui se pressent dans cette leçon prĂ©liminaire , et Ă  remplir le cadre que nous venons de tracer. 34s TRENTE-QUATRIÈME leçon K Y* »Y» YYY »YY\\\\' YYYYYVYV YYYV*W TR E STE-QD/TRI EM E LEÇON. ' Ăź; RĂ©latioh dĂ© l’idĂ©e du bien et de l’idéÚ de l’obligation. — PostĂ©rioritĂ© de » ette derniĂšre. — Le droit »e dis- tingue du fait, en pratiiue comme en thĂ©orie. —Le devoir ne dĂ©rive pas i" dĂ© l’éducation ; 2° de la volontĂ© divine ni des peines et rĂ©compenses Ă  venir. Reconnaissons la position Ă  laquelle nous sommes arrivĂ©s jetons un coup d’Ɠil sur ce que nous avons fait, et indiquons ce qu’il nous reste Ă  faire. L’ordre de dĂ©duction demande que l’on aille du plus gĂ©nĂ©ral au moins gĂ©nĂ©ral, jusqu’à ce que, de degrĂ© en degrĂ©, l’on parvienne Ă  ce qu’il y a de plus particulier. Le point de dĂ©part ne peut pas ĂȘtre plis plus liant que dans la vĂ©ritĂ© absolue considĂ©rĂ©e en elle-mĂȘme le premier degrĂ©, dans l’ordre de la dĂ©duction , est DU BIEN, 343 donc l’idĂ©e de la vĂ©ritĂ© absolue. Le second .est l’idĂ©e de la vĂ©ritĂ©., non plus considĂ©rĂ©e, en elle- mĂȘme, mais dans l’action humaine en gĂ©nĂ©ral, c’est-Ă -dire, de la vĂ©ritĂ© morale. Le troisiĂšme degrĂ© est la vĂ©ritĂ© morale, envisagĂ©e dans le dĂ©tail des actes humains, dans le rĂ©el de la vie. La morale particuliĂšre repose sur la vĂ©ritĂ© des rapports que lĂ©s hommes soutiennent entrĂ© eux ; mais, avant de rechercher cette vĂ©ritĂ© par- * ticuliĂšre, il lĂ ut Ă©tablir qu’il y a de la vĂ©ritĂ© morale absolue, ou, en d’autres termes, que l’idĂ©e du bien et du mal' moral est absolue. En traitant de la vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©ral, nous avons dit qu’il fallait d’abord rechercher l’état actuel de cette vĂ©ritĂ© dans l’intelligence , passer ensuite Ă  la recherche de son Ă©tat primitif, et enfin Ă©tudier le passage de l’état primitif Ă  l’état actuel. Nous allons donc nous occuper de constater la vĂ©ritĂ© morale, telle qu’ apparaĂźt dans l’intelligence dĂ©veloppĂ©e. Existe-t-il ou n’existe - t- il pas une vĂ©ritĂ© morale absolue , telle quelle puisse servir de fondement Ă  une science morale ? L’idĂ©e d’une science est l’idĂ©e d’un principe fixe, immuable , absolu. La question de l’absolu en morale est la question de la morale elle-mĂȘme. Si aous ne trouvez pas 1 absoluvous n’aurez qu un ensemble mobile de laits plus ou moins liĂ©s entre eux. Vous 11’aurez pas de science. La question 344 TRENTK-Q i leçon. de l’absolu moral se sous-divise en deux autres 10 y a-t-il une vĂ©ritĂ© morale absolue? 2° cette vĂ©ritĂ© morale est-elle conçue comme devant ĂȘtre nĂ©cessairement rĂ©alisĂ©e par les actions humaines ? Une troisiĂšme question sera celle de savoir si l’idĂ©e du devoir ou de l’obligation morale dĂ©rive de l’dĂ©e du bien et du mal moral , ou si l’idĂ©e du bien et du mal dĂ©rive de la loi du devoir. On se rappelle que l’école allemande, en prenant pour point de dĂ©part la croyance nĂ©cessaire, au lieu de l’aperception pure de la vĂ©ritĂ© ,‱ a subjectivĂ© la vĂ©ritĂ©, et est tombĂ©e dans le scepticisme. On commettrait la mĂȘme faute si l’on plaçait la conception nĂ©cessaire et obligatoire de la vĂ©ritĂ© morale avant l’a- perception pure et simple de cette vĂ©ritĂ© ; tel est donc l’ordre que nous Ă©tablirons i° intuition pure de la vĂ©ritĂ© ; 2° conception nĂ©cessaire ; 3 ° obligation de mettre la vĂ©ritĂ© en pratique. Pour dĂ©montrer la rĂ©alitĂ© de cet ordre psychologique, je partirai de l’idĂ©e du devoir, comme le philosophe de KƓnigsberg; mais je montrerai qu’elle prĂ©suppose la conception nĂ©cessaire, et que la conception nĂ©cessaire prĂ©suppose l’intuition pure*. Je suppose qu’un dĂ©pĂŽt vous ait Ă©tĂ© confiĂ©, que la pauvretĂ© vous presse de l’employer Ă  votre usage, et que vous succombiez Ă  la tentation. Regardez- vous comme impossible de poser cette question ai-je fait mon devoir ? si vous admettez cette ques- m; BfBiN. 345 tion, vous en appelez d’un fait Ă  un droit, vous avez l’idĂ©e de quelque chose de supĂ©rieur au fait. La distinction du droit et du fait existe donc dans l’esprit humain. Je vais plus loin , je prĂ©tends que non-seulement on distingue en thĂ©orie le droit du fait, le devoir de l’intĂ©rĂȘt, mais que dans la pratique l’égoĂŻsme est souvent sacrifiĂ© Ă  quelque autre motif. Il y a des hommes qui, chargĂ©s d’un dĂ©pĂŽt, ne l’ont pas dĂ©robĂ©, quoiqu’ils y fussent sollicitĂ©s par de pressons intĂ©rĂȘts. L’histoire et la raison sont ici souvent d’accord. La conscience humaine sex’end l’éclatant tĂ©moignage qu’elle agit souvent sans intĂ©rĂȘt personnel. Si vous conseillez Ă  l’homme de bien une action dĂ©shonnĂȘte, il vous rĂ©pondra par une colĂšre qui a sa beautĂ© morale, et dont les poĂ«tes s’emparent pour en composer les plus belles scĂšnes de leurs draines. On parle de l’orgueil de la vertu c’est que la vertu sait qu’elle a rĂ©sistĂ© aux sollicitations de l’égoĂŻsme. Si vous admettez que la libertĂ© rĂ©siste au dĂ©sir ; vous reconnaissez par-lĂ  deux vĂ©ritĂ©s 1 0 que la libeitĂ© n’est pas une modification du dĂ©sir puisqu’elle le combat ; 2" que la libertĂ© admet un autre motif que le dĂ©sir le devoir. Passons en-revue quelques principes avec lesquels ‱on a essayĂ© de confondre le devoir. On a voulu 1 attribuer au pouvoir de l’éducation est-ce parce qu’on a façonnĂ© ma raison que je. crois devoir sacrifier , en certains cas, mon intĂ©rĂȘt personnel? 346 TRENTE-QUATRIÈME LEÇON. L’éducation est-elle crĂ©atrice ou ne fait-elleque dĂ©velopper , et les dĂ©veloppement qu elle apporte supposent-ils pas quelque germe antĂ©rieur? En admettant que, comme le veut Montaigne, notre raison ait Ă©tĂ© formĂ©e par nos instituteurs , oĂč nos instituteurs ont-ils pris les enseignemens qu’ils uoiis donnent Plis les ont empruntĂ©s, dira-t-on* h d’autres instituteurs. Notre question se reproduira encore. Si l’on nous dit enfin que les maĂźtres de nos maĂźtres ont pris leurs prĂ©ceptes dans les lois , si l’on allĂšgue que les lĂ©gislateurs ont Ă©tabli qu’il faut sacriĂŒer l’intĂ©rĂȘt personnel Ă  la justice , je demanderai, encore Ă  quelle source les lĂ©gislateurs ont puisĂ© l’idĂ©e du dĂ©sintĂ©ressement. On a prĂ©sentĂ© une autre solution l’homme, a- t-on dit, se croit obligĂ© de faire le bien parce que l’intelligence suprĂȘme l’ordonne ainsi-, etqu’fcllerĂ©com- pensera les botts comme elle pimira les méçhans. Mais est-il vrai que nul homme n’ait Ou l’idĂ©e de l’obligation morale sans l’idĂ©e d’une autre vie. Ke- marquezquecettesolution n’est qu’une modification de la doctrine de l’intĂ©rĂȘt l’homme qui nĂ© rend un dĂ©pĂŽt que par la crainte d’ĂȘtre puni dans une autre vie n’obĂ©it qu’k l’égoĂŻsme. La volontĂ© de Dieu posĂ©e comme principe unique des dĂ©terminations motales, la crainte des chĂątimens cĂ©lestes, fiu- Üueuce de l’éducation, tous ces principes sont donc impuissans k expliquer ce qui se passe soit dans l’intelligence de l’homme, soit dans la pratique delĂ  vie, nu BIEN. 347 au milieu des circonstances. diverses qĂč nous nous trouvons engagĂ©s. Il faut donc en revenir Ă  la conception spĂ©ciale du devoir ou de l’obligation morale. Les sciences morales, comme toutes les autres sciences, doivent reposer surcertains principes vrais en tous temps et en tous lieux, parce qu’ils sont vrais en eux-mĂȘmes- L’absolu est l’élĂ©ment scientifique. Sans l’absolu point de science, avons-nous dĂ©jĂ  dit ; sans l’absolu moral point de science morale. La premiĂšre question de la morale est donc de savoir s’il y a un absolu moral. Une vĂ©ritĂ©, pour ĂȘtre absolue , doit exister indĂ©pendamment de son aperceptiou,. c’est-Ă -dire exister Ă  priori ,- mais il faut en mĂȘme temps que la vĂ©ritĂ© Ă  priori ait Ă©tĂ© recueillie par l’observation , c’est-Ă -dire reconnue Ă  posteriori. Comme il faut de l’absolu pour que la science soit vraie, il faut de l’observation pour quelle soit Ă  la portĂ©e de l’homme. Le problĂšme de la science morale est donc de trouver Ă  posteriori une vĂ©ritĂ© morale Ă  priori ; si vous omettez l’une de ces deux conditions, vous n’aurez pas de science , ou la science que vous obtiendrez ne sera qu’une abstraction qui pourra manquer de rĂ©alitĂ©. Il n’y a de rĂ©alitĂ© que dans le champ de l’observation. C’est pour avoir confondu le vrai et le rĂ©el, le fondement et l’instrument de la science > que la philosophie, dans ses oscillations perpĂ©tuelles , a inclinĂ© tantĂŽt vers des abstractions sans rĂ©alitĂ© , tantĂŽt vers des rĂ©alitĂ©s sans vĂ©ritĂ© absolue. La dif- 348 TRENTE-QbATIUÈME LEÇON. ficultĂ© rĂ©side donc entiĂšrement dans la conciliation de ces deux Ă©lĂ©mens de toute science lĂ©gitime, dans le concours de 1VV priori et de l’Ăč posteriori. Il faut que nous trouvions un absolu moral, et c’est sur le chemin de l’observation que nous devons le chercher. Il y a deux mondes sans cesse ouverts Ă  l’observation, et qu’il faut parcourir pour savoir s’ils contiennent ce que nous cherchons le monde interne et le monde externe. La sphĂšre de l’externe est celle de la sensibilitĂ© par laquelle l’univers tangible et visible arrive jusqu’il nous. La sphĂšre de l’interne est celle du moi , ou de la libertĂ© qui n’est pas autre chose que le moi ; la sensibilitĂ© et la libertĂ© , tels sont donc les deux pĂŽles de l’observation. Il suffit d’examiner attentivement les sensations, de rĂ©soudre le nƓud des idĂ©es sensibles gĂ©nĂ©rales, pour Ă©puiser "tout ce qu’on peut savoir de la sphĂšre sensible ; il suffit aussi d’une rĂ©flexion attentive pour connaĂźtre de la libertĂ© tout ce qu’il est possible d’en connaĂźtre. Commençons par entrer dans la sphĂšre extĂ©rieure, et voyons si elle peut nous donner l’absolu q ue nous cherchons. ‱ Il y a une vĂ©ritĂ© morale absolue, si nous pouvons dire d’une action soumise h notre examen , qu’elle est bonne ou mauvaise d’une maniĂšre absolue , de telle sorte que nulle circonstance de temps ni de lieux ne puisse la lĂ©gitimer si elle est mauvaise, ou la faire condamner si elle est bonne, ut bien. 34y et que tous les hommes soient obligĂ©s, non- seulement dela juger ainsi, mais encore de reconnaĂźtre l’impossibilitĂ© oĂč ils sont de porter un autre jugement. Maintenant y a-t-il dans la sensibilitĂ© des sentimens et par suite des idĂ©es sensibles qui soient marquĂ©es de ce caractĂšre. Sachons bien ce que nous cherchons , et oĂč nous le cherchons ; Ă©vitons de confondre des idĂ©es appartenant Ă  des sphĂšres differentes. Nous sommes dans la sensibilitĂ© ; mais nos sensations ou nos idĂ©es dites sensibles sont trĂšs-souvent mĂȘlĂ©es d’élĂ©mens fort dif- fĂ©rens; en sorte que nous distinguons mal ces derniers d’avec les premiĂšres. Ainsi les phĂ©nomĂšnes qu’on appelle appĂ©tits, dĂ©sirs , affections , et qui paraissent ressortir entiĂšrement de la sensibilitĂ© , se trouvent quelquefois mĂȘlĂ©s de certaines idĂ©es rationnelles, et. il en rĂ©sulte un complexe demi-intellectuel et demi-sensible. Par exemple, l’amour de la patrie, la compassion, la vanitĂ© , l’ambition, l’émulation, ont Ă©tĂ© mis Ă  tort au nombre des phĂ©nomĂšnes purement sensibles. L’amour de la patrie contient l’idĂ©e du devoir ; la compassion suppose l’idĂ©e du mĂ©rite, ou tout' au moins d’un malheur non mĂ©ritĂ© ; la vanitĂ©, l’ambition , 1 Ă©mulation, impliquent Ă  tort ou Ă  raison i’idĂ©ednn droit. Nousdevonsdonc rejetercesphĂ©no- mĂšnes hors de la sphĂšre purement sensible. Que dĂ©couvrons-nous dans les limites rĂ©elles de celle- ci? Nous avons cinq sens tout ce qui vient immĂ©- 350 TBENTE-yi ATR1ÈME LEÇON, diatement Ă  la conscience, par l'intermĂ©diaire des sens, est appelĂ© sensation simple, primitive. Tout ce qui rĂ©sulte de ces sensations primitives, sans mĂ©lange d’aucun autre clĂ©ment, lait encore partie du domaine de la sensibilitĂ© car il n’y a rien de plus dans les consĂ©quences que dans le principe. Ainsi, en analysant tout ce qui nous vient par les sens, nous pouvons dĂ©couvrir s’ils nous fournissent l’idĂ©e du bien et du mal absolu. Nous devons Ă  nos cinq sens la connaissance des odeurs, des saveurs , des sons, de la lumiĂšre des couleurs, de la tempĂ©rature et de la rĂ©sistance. Il est clair que la loi morale n’est pas darĂźs tout cela en effet, la vĂ©ritĂ© morale n’est ni une odeur ni une saveur, etc. ; mais toutes nos sensations ont ce caractĂšre commun qu’elles produisent du plaisir ou de la peine. La seule loi morale que puisse fournir la sensibilitĂ© envisagĂ©e sous ce dernier point de vue, c’est la fuite de la peine sensuelle, et la recherche du plaisir des sens. Quelques philosophes ont en effet posĂ© cette rĂšgle comme principe de la conduite humaine. Examinons si elle porte le caractĂšrç de l’absolu ? Le plaisir et la peine sensibles reprĂ©sentent l’aise ou le malaise d’un de nos sens, soit du goĂ»t, soit de l’odorat, soit de la vue, etc., ou par une gĂ©nĂ©ralisation , la jouissance ou la souffrance de tous les sens. L’homme, dit-on, est ‱ destinĂ© au bonheur; c’est donc pour lui un devoir de le rechercher, et le bonheur n’est que la plu» DU BIEN. 351 haute gĂ©nĂ©ralisation delĂ  jouissance sensible. Nous prĂ©tendons d’abord qn’on ne peut faire Ă©quation entre bien-ĂȘtre sensible et bonheur ; le bonheur ne se compose pas seulement de jouissances sensibles, et trĂšs-souvent mĂȘme il leur est opposĂ©. Outre les peines et plaisirs physiques, il faut compter les peines et plaisirs de la sensibilitĂ© morale ; et si l’on analyse ces derniers phĂ©nomĂšnes, on s’apercevra que, comme nous l’avons dit plushaut, ils renferment des idĂ©es rationnelles qui sont tout- Ă -fait en dehors de la sphĂšre sensible. Nous u’in- sistons pas pour le moment sur cette prĂ©tendue obligation de rechercher le bonheur, nous la supposons vĂ©ritable ; nous supposons de plus, que le bonheur se compose uniquement de bien-ĂȘtre sensible , et nous voulons voir si ce bien-ĂȘtre pourra contenir 1 absolu que nous cherchons. J] faut que ce bien-ĂȘtre soit marquĂ© des caractĂšres suivans i° qu’il n’ait point de degrĂ©s, qu’il persiste toujours le mĂȘme dans son intensitĂ©, qu’il soit indĂ©pendant des circonstances de temps et de lieux; 2 ° que tous les individus de l’espĂšce humaine reconnaissent en lui ce caractĂšre. Or, il est manifeste que les phĂ©nomĂšnes de la sensibilitĂ© sont susceptibles de variation l’aise et le malaise augmentent ou diminuent en un seul instant, et quelle diffĂ©rence ne trouve-t-on pas entre deux allĂšetions Ă©prouvĂ©es Ă  des Ă©poques diffĂ©rentes. Comment le bien-ĂȘtre et le malaise physiques ne 35a ‱ TRENTE-y l ATRIKME seraient-ils pas dans une perpĂ©tuelle variation, puisqu’ils rĂ©sultent d’un rapport entre deux termes variables le monde sensible et les organes de la sensibilitĂ©. La nature physique n’est pas quelque . chose de stable qu’on puisse fixer et dĂ©crire au moment oĂč vous en faites le tableau, elle change de figure et ne ressemble plus Ă  l’image que vous tracez. Voyez l’aspect mobile des paysages le foyer de la lumiĂšre se dĂ©place perpĂ©tuellement, mĂȘme dans un ciel pur ; et dans un ciel chargĂ© de nuages, il est tour Ă  tour voilĂ© ou dĂ©couvert , ravivĂ© ou amorti par la densitĂ© changeante de l’atmosphĂšre. Observez la composition et la dĂ©composition perpĂ©tuelle des minĂ©raux, la formation et la dissolution des plantes, la naissance, l’accroissement, le dĂ©pĂ©rissement et la mort des animaux. Ne peut-on pas dire de la nature ce qu’on a dit de la fortune, qu’elle n’est constante que dans son inconstance; c’est pour cela que les Latins disaient Fit naturel , non est; la nature n’est qu’un perpĂ©tuel devenir, et c’est sans doute dans ce sens qu’il laut entendre la doctrine d’HĂ©- raclile sur t Ă©coulement des choses. D’un autre cĂŽtĂ©, noire nature physiologique, dans laquelle le monde sensible se rĂ©fracte, varie de toutes les variations de la vie animale on sait que l’animal n’est qu’un llux et rellux perpĂ©luel de molĂ©cules qui entrent et pii sortent. Trouvez-vous dans tout cela la base fixe d’une loi morale? Le monde physique DU BIEN. 353 et notre systĂšme sensible sont dans une mobilitĂ© continuelle, de telle sorte que si la nature devenait par hypothĂšse immuable, elle retrouverait sa mobilitĂ© , en se rĂ©fractant dans notre organisme , et que notre organisme aurait beau se fixer dans un Ă©tat constant en rĂ©flĂ©chissant le monde sensible, il ne produirait qu’un spectacle toujours divers. La sensibilitĂ© physique peut se dĂ©finir le variable et le multiple; l’absolu a pour caractĂšre l’immuabilitĂ© et la fixitĂ© ; il est doncimpossible de tirer une loi morale absolue du sein de ,1a sensibilitĂ© physique. PHILOSOPHIE. 23 354 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. nH"^\unv\u\wvwuu\vn\\iv\ TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. La loi morale absolue ne peut ĂȘtre donnĂ©e ! i“par le sentiment de la vie. — 2 ° Par le sentiment de l’activitĂ© spontanĂ©e du moi. — 3° Par le sentiment de son' activitĂ© rĂ©flĂ©chie. — 4° Par le plaisir du dĂ©veloppement intellectuel. — 5° Par la satisfaction morale et le remords , qui prĂ©supposent eux-mĂȘmes un principe moral. J l doit ĂȘtre prouvĂ© maintenant que dans les limites de la sensibilitĂ© physique on ne peut rencontrer d’élĂ©ment qui puisse jouer le rĂŽle de vrai absolu; elle ne ‱contient donc aucun Ă©lĂ©ment scientilique ; car , comme nous l’avons dit souvent, lĂ  seulement, est la science oĂč est l’immuable et l’absolu. Si nous ne nous adressons pas Ă  une autre partie de la nature humaine, il faudra renoncer Ă  la science morale. Examinons si, eh pĂ©nĂ©trant dans une sensibilitĂ© plus intime Ă  1>Ü BIEN. 355 l’homme', nous dĂ©couvririons la loi morale que nous cherchons. Nous allons parcourir tous les dĂ©tours de la sensibilitĂ©, entrer dans ses replis les plus secrets, et nous Ă©liminerons tour Ă  tour les Ă©lĂ©mens qui ne pourront pas donner la loi, de telle sorte que nous nous trouverons contraints d’aller la demander enfin Ă  la raison. Outre cette vie que les physiologistes appellent la vie de relation, et dont les organes sont les sens, ces instrumens intermĂ©diaires entre le dedans et le dehors, il y a une vie plus intime Ă  l’homme, vie encore physique, mais diffĂ©rente de la vie de relation. C’est le sentiment qu’on appelle sentiment de la vie, excitĂ© en nous par le dĂ©ploiement du principe vital. Nous aurons Ă  examiner si ce sentiment peut fournir l'Ă©lĂ©ment scientifique. Au delĂ  de cette vie intime, il y a dans l’homme, ce qui fait l’homme, l’élĂ©ment sans lequel il serait une chose et non une personne cet Ă©lĂ©ment c’est le moi. Le mode d’existence du moi c’est l’activitĂ©. Le moi n’est jamais passif ; il est actif ou il cesse d’ĂȘtre. Or, cette activitĂ© se dĂ©ploie avec plus ou moins d’aisance, et par consĂ©quent avec plus ou moins de plaisir. Le dĂ©ploiement de l’activitĂ© spontanĂ©e du moi serait-il donc la base absolue de la loi morale? c’est ce que nous aurons Ă  chercher. Dans 1 activitĂ© du moi il faut distinguer l’activitĂ© spontanĂ©e et l’activitĂ© rĂ©flĂ©chie, et il f;m_ 23 . 356 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON, dra voir si le sentiment de l’activitĂ© rĂ©flĂ©chie est plus absolu, plus immuable que tous les autres. Enfin, outre 1 activitĂ© libre dont l’homme est douĂ©, il participe encore de l'intelligence. LĂ  aussi peuvent se trouver des plaisirs plus, ou moins vifs que noiis devrons analyser. Tels sont tous les degrĂ©s que nous avons Ă  parcourir dans la sensibilitĂ©, et auxquels nous adresserons la question que nous avons faite Ă  la sensibilitĂ© physique. Tous ces degrĂ©s sont compris dans le domaine du moi et du non-moi , or , il est facile de montrer que ces deux mondes ne nous donneront jamais l’élĂ©ment scientifique j en effet, la plus haute formule sous laquelle on puisse rĂ©sumer je noçß-moi, c’est la multiplicitĂ©; d’une autre part, la plus haute formule du moi, c’est l’individualitĂ©. Or, le multiple et l’individuel sont l’extrĂ©mitĂ© opposĂ©e de l’universel, et par consĂ©quent de l’absolu. Comme au-dessus du moi et du non-moi il n’existe que le monde de la raison , et que le mĂ»i et le non-moi ne peuvent donner l’absolu qu’ils ne contiennent pas, il s’ensuit que c’est Ă  la raison qu’il faut aller le demander. Mais au lieu le trancher ainsi d’un mot la dillicultĂ©, nous devons suivre pas Ă  pas le moi et le non-moi jusque dans leur dernier retranchement, les presser, les atteindre et les convaincre de ne pouvoir fournir un fondement Ă  la science. INous avons dit qu’il y a entre les nu BIEN. 35 7 impressions organiques qui rĂ©sultent de l’application des sens aux objets correspondans de la nature, d’une part, et de l’autre le dĂ©ploiement de l’activitĂ© du moi, entre la sensation extĂ©rieure et la conscience, un sentiment singulier, mais rĂ©el, que l’observation ne confond ni avec la sensibilitĂ© extĂ©rieure, ni avec le sentiment du mot c’es't le sentiment de la vie. Il est impossible de dĂ©crire la vie, il faut la surprendre mĂȘme pour la connaĂźtre en l’absence de» toute action du moi et de- toute sensation, je demande s’il ne nous reste pas un sentiment, une jouissance vague, qu’on appelle plaisir d’exister ou sentiment de la vie. Ceux qui Ă©prouvent Ă  un trĂšs-haut degrĂ© le sentiment des actes libres, comme ceux qui sont trĂšs-sensibles Ă  la souffrance physique, savent trĂšs - bien distinguer ces deux genres de sentiment davec celui de la vie. Comme dans la philosophie du dernier siĂšcle, le sentiment de l’activitĂ© libre s’est trouvĂ© affaibli, on l’a confondu avec le sentiment de la vie. Cabanis a parfaitement distinguĂ© le sentiment de la vie, d’avec le rĂ©sultat collectif des sensations externes , mais il l’a confondu avec le sentiment de la personnalitĂ©. Le sentiment de la vie u’est pas celui de notre personnalitĂ© , mais le premier accompagne toujours le second; de plus, le sentiment de la vie persiste en nous alors mĂȘme que s’interrompt la sensibilitĂ© organique. Des propo- 358 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON, sitions que je viens d’avancer on peut tirer une objection contre moi. En ellĂ©t, puisque le sentiment de la vie est permanent, puisqu’il accompagne celui de la personnalitĂ©, et qu’il survit Ă  celui de la vie organique, ce sentiment ne pourrait-il pas donner le point fixe que nous cherchons pour y appuyer la morale? Deux, raisons s’opposent Ă  la lĂ©gitimitĂ© de cette conclusion i° le sentiment de la vie n’existerait pas sans le sentiment parallĂšle du moi humain ; cette relation fait qu’il devient individuel et qu’il est ainsi en opposition avec l’absolu; 2" le sentiment de la vie intime est modifiĂ© par celui de la vie de relation. Si la vie extĂ©rieure trouble la vie intime , j’éprouve de la souffrance ; si furie facilite le dĂ©ploiement de l’autre, j’éprouve du plaisir; le sentiment de la vie intime est donc variable dans le mĂȘme individu. Observez-le dans un autre,, vous le trouverez plus Ă©nergique ou plus faible que dans le premier. Le sentiment de la vie est donc convaincu de ne pouvoir fournir un Ă©lĂ©ment absolu. Passons au sentiment du moi , nous arrivons ici Ă  une rĂ©gion diffĂ©rente c’est celle de l’activitĂ©. Le mol agit-il sans obstacle , sans que la vie de relation arrĂȘte le dĂ©veloppement de la personne il y a plaisir ; trouve-t-il quelque rĂ©sistance il y a dĂ©plaisir. La vie de relation fait son apparition dans le sentiment delĂ  vie intime, et nous ne pouvons sentir la vie intime qu’autant que le moi se connaĂźt lui- nu bien. 35o mĂȘme ; car s’il ne se connaĂźt pas, rien n’existe pour lui. Ai nsileplaisir et la peine supposent la conscience du moi, quelle que soit l’originedu sentiment agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able, c’est-Ă -dire, qu’il provienne du principe vital, ou qu’il dĂ©rive de la vie de relation. Serait-ce donc dans le sentiment de 1 activitĂ© spontanĂ©e du moi quese trouverait leprincipedelamorale? ‱Nous l’avons dĂ©jĂ  dit, l’individuel ne peut pas donner l’absolu ; de sorte que plus vous puiserez le bonheur Ă  une source voisine du moi, l’épurer en le rendant immĂ©diat, plus vous le rendrez individuel, et l’éloignerez du caractĂšre de l’absolu. L’absolu et l’individuel se repoussent. Continuons notre route l’activitĂ© du moi peut de spontanĂ©e devenirrĂ©ilĂ©chie il peutdĂ©libĂ©rer et ne se rĂ©soudre qu’aprĂšs dĂ©libĂ©ration. Ici le phĂ©nomĂšne commence Ă  se compliquer il contient un Ă©lĂ©ment absolu, mais qui ne ressort pas de la sensibilitĂ© et qu il importe d’en sĂ©parer. j’ai rĂ©solu d’agir; un obstacle s’oppose au dĂ©veloppement de ma rĂ©solution, voici alors ce qui se passe i° sensation pĂ©nible; 2 ° sentiment dĂ©sagrĂ©able Ă  l’idĂ©e d’une force supĂ©rieure qui me fait obstacle ; 3° indignation de ma nature libre contre la force qui la gĂšne. Dans les deux premiers Ă©lĂ©inens tout est sensible, dans le troisiĂšme est renfermĂ© le blĂąme, qui est' un Ă©lĂ©ment rationnel. Si nous ne distinguons'pas le blĂąme de l’élĂ©ment-sensible, nous croirons trouver 1 absolu au sein de la sensibilitĂ© ; car le blĂąme se rattache 360 TRENTE-CINQ C IÈME I^EÇOK. Ă  l’idĂ©e de droit; et l’idĂ©e ’de droit Ă  l’idĂ©e de bien ; il est clair quĂš nous empiĂ©tons ici sur un autre terrain que sur celui rie la sensibilitĂ© ‱ ce n’est pas Ă  cause du sentiment pĂ©nible que nous nous indignons , mais Ă  cause de 1 indignation que nous Ă©prouvons le sentiment pĂ©nible. Mais ce sentiment sera tantĂŽt faible, tantĂŽt Ă©nergique; >1 variera d’individu Ă  individu, et il ne pourra porter encore l’édifice de la morale. Voyons maintenant si le plaisir qui s’attache au dĂ©veloppement del’intelligenee pourra nous fournir les fondemens de la morale. J’ai rĂ©solu un problĂšme compliquĂ© de gĂ©omĂ©trie le moi agit dans l’intelligence, car sans l’activitĂ© du moi point de faits intellectuels ; le moi a donc ici la conscience de son activitĂ© et de son activitĂ© non limitĂ©e par des obstacles c’est lĂ  un premier plaisir. Un second plaisir vient de la perception de la vĂ©ritĂ© ; jusqu’ici nous sommes dans la sphĂšre sensible, et les plaisirs que nous venons de citer partagent la mobilitĂ© de tous les phĂ©nomĂšnes sensibles. Si l’on me dit que la possession de la vĂ©ritĂ© ennoblit le moi , que la vĂ©ritĂ© a une valeur absolue, et que le plaisir qui en rĂ©sulte est Ă©galement absolu , j’accorderai que la dignitĂ© de la vĂ©ritĂ© est absolue, que tous les hommes lui reconnaissent ce caractĂšre, et ne peuvent pas ne pas le lui reconnaĂźtre ; mais je nierai que le plaisir rĂ©sultant de la dĂ©couverte du vrai soit Ă©galement absolu , c’est-Ă -dire, le mĂȘme chez tous les hommes, DU BIEN. 36l et toujours identique dans un seulindividu. En consĂ©quence, d ne peut pas plus que les phĂ©nomĂšnes prĂ©cĂ©dons engendrer de rĂšgle morale ni de base scientifique. Un Ă©lĂ©ment rationnel et absolu Ă©tait mĂȘlĂ© dans les deux derniers phĂ©nomĂšnes Sensibles que nous venons de parcourir ; dans le sentiment de notre activitĂ© rĂ©flĂ©chie, et dans celui du dĂ©ploiement de l’intelligence. Nous avons vu qu’il Ă©tait important de distinguer ces principes opposĂ©s, pour ne pas nous imaginer que nous trouvions dans la sensibilitĂ© ce qu’elle ne peut fournir. Il est un autre phĂ©nomĂšne sensible plus voisin encore de l'Ă©lĂ©ment rationnel et absolu. Je veux parler de la satisfaction morale et du remords. Telle action nous a paru obligatoire et nous l’avons accomplie ; il y a ici double plaisir celui de l’exercice de la libertĂ© et celui de l’accomplissement du devoir Si au contraire nous n’avons pas mis Ă  exĂ©cution ce que nous croyions devoir faire , nous Ă©prouvons encore le plaisir de la libertĂ© ,mais enmĂȘme temps le dĂ©plaisir de la violation du devoir, c’est-Ă -dire le remords. La satisfaction morale et le remords ont Ă©tĂ© pris pour base de la morale. 11 y a. en effet quelque chose d’absolu au fond de ces deux sentimens ; mais ce ‱ quelque chose est justement ce qu’on refuse de reconnaĂźtre c’estl’idĂ©e Ă  priori de devoir ou de bien moral. La satisfaction et le remords ne pouvaient pas prendre naissance sans l’idĂ©e spĂ©ciale de nio- 362 TRENTE-CINQUIÈME LEÇON. ralitĂ©; ils prĂ©supposent donc un principe d’oĂčilssor- tent eux-mĂȘmes. De plus, la satisfaction morale etle remords, bien quodĂ©rivĂ©s d’un principe absolu, n’en dĂ©coulent cependantpas toujoursavecla mĂȘme abondance. La mĂȘme action morale nous transportera unjourd’enthousĂźnsme, et nouslaisseralelendemain dans la plus complĂšte indiffĂ©rence. Voyez aussi comme les hommes sont divers dansles Ă©rnotionsque leur cause le bien ouĂŻe mal'moral. Cette prĂ©tention d’identilier, d’une part, le bien mon. et le bonheur, parla satisfaction morale, et de l’autre, le mal moral et le malheur, par le remords, avait poussĂ© les stoĂŻciens Ă  nier le bien et lĂ© mal physique. INous pensons qu’il ne faut pas se mettre en contradiction avec la languedu genre humain, sous peine de se mettre en opposition avec la rĂ©alitĂ© ; qu’il faut continuer Ă  distinguer le bien et le mal physique des jouissances et des peines morales, et que dans ces derniĂšres, il faut faire la part de l’intelligence ou de la raison, qui voit ce qui est bien et ce qui est mal eu soi- mĂȘme , et de lĂ  sensibilitĂ© qui se borne, lĂ  comme partout ailleurs, k ce simple fait je jouis, je souffre. Ainsi, nous concluons que la sensibilitĂ© dans toutes ses phases, prise Ă  la limite extĂ©rieure de l’organisme ou dans le sanctuaire le plus rapprochĂ© du moi, ne fournit toujours qu’une mesure individuelle et variable, et qu’il faut chercher .ailleurs la vĂ©ritĂ© mortde absolue. DU BIEN. 363 WW V^VWIVV VXVVWX WVVVVVVWVWVW-WWVWWVWV^/WVWW VV'.VYV\V\ kVVl\%V\* TRENTE-SIXIÈME LEÇON. Retour sur la satisfaction morale, ou le contentement de soi-mĂȘme.— De la doctrine des peines et rĂ©compenses Ă  venir. —L’idĂ©e de peine et de rĂ©compense prĂ©suppose i° l’idĂ©e de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite, et par consĂ©quent celle de bien et de mal moral ; 2° 1 idĂ©e d un Dieu souverainement juste, et par consĂ©quent celle de justice. — La loi morale, qui ne peut venir de la sensibilitĂ©, ne provient pas davantage de la libertĂ©. — — Il faut donc raison Ă  ces deux facultĂ©s,. — La raison se rĂ©flĂ©chit dans la conscience comme les deux autres, et nous trouvons ainsi par l’observation une rĂšgle absolue. — Les langues contiennent la preuve d’une vĂ©ritĂ© morale absolue. Nois avons traversĂ© les diffĂ©rentes sphĂšres de la sensibilitĂ© , depuis la sensation la plus extĂ©rieure josqu au sentiment le plus intime, et nous avons trouvĂ© que jouir par l’action des organes extĂ©rieurs, ou jouir par le dĂ©veloppement 364 trente-sixiĂšme leçon. de l'activitĂ© ou de l’intelligence, c’est toujours jouir, c’est-Ă -dire, subir uhe impression variable, fugitive, passagĂšre, qui ne peut donner la rĂšgle absolue dont nous besoin en morale. Nous avons rencontrĂ© dans cette analyse dillĂ«rens phĂ©nomĂšnes complexes, oĂč la raison se mĂȘle Ă  la sensibilitĂ©, et oĂč il est important de distinguer ce qui appartient Ă  l’une de ce qui appartient Ă  l’autre. Nous sentons le besoin d’y revenir en peu de mots. La peine et le plaisir naissent de la dillicultĂ© ou de la'facilitĂ© que le moi Ă©prouve dans son action. Quand le moi s’exerce seulement. pour s’exercer, .l’obstacle qu’il .rencontre lui cause’ une soulliance qui est simple. Mais si le moi dĂ©ploie son activitĂ© pour parvenir Ă  la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ©, la dillicultĂ© qu’il Ă©prouve lui procure une peine complexe ‱ il souffre d’abord, parce qu’il est gĂȘnĂ© dans son activitĂ© libre; il souffre ensuite, parce qu’il se trouve blessĂ© dans son rapport nĂ©cessaire avec la vĂ©ritĂ©. Cette souffrance- a dĂ©jĂ  un caractĂšre de moralitĂ©, mais ce n’est pas en tant que soulliance, c’est parce qu’elle se rapporte Ă  l’obligation imposĂ©e Ă  l’liomme'de rechercher la vĂ©ritĂ©. Si ce n’est pas par un empĂȘchement extĂ©rieur, niais par la faiblesse de notre volontĂ©, que nous sommes Ă©loignĂ©s de la vĂ©ritĂ© , la souffrance est plus vive encore, car il y a gĂȘne du moi qui n’a pas fait ce qu’il aurait voulu faire, et dĂ©- in .BIEN. 3’>5 plaisir de n’avoir pas accompli ce qu’il savait devoir accomplir. Si, au contraire, le philosophe est parvenu Ă  la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ©, il Ă©prouve une jouissance Ă©galement complexe , au sein de laquelle nous devons soigneusement distinguer l’élĂ©ment qui n’est qu’une sorte de contre-coup de la rajson ou de l’absolu. Mais c’est surtout lorsqu’il a mis en pratique la vĂ©ritĂ© morale que sa jouissance prend un caractĂšre remarquable. Elle est d’abord contre-balancĂ©e par une douleur , car' le moi souffre en triomphant de ses passions combattre est dur, vaincre est triste. Le contentement de l’homme de bien est donc grave et sĂ©rieux ce n’est pas de la gaietĂ©. Ce contentement est si pur et si dĂ©sintĂ©ressĂ©, qu’on a peine k le confondre avec les autres phĂ©nomĂšnes de la sensibilitĂ©, et cependant il est aussi un phĂ©nomĂšne sensible, susceptible de degrĂ©s et de variations. Il prĂ©suppose une vue de la raison , . c’est-Ă -dire , quelque chose d’absolu , mais il n’est pas lui-mĂȘme absolu. Épicure ne pouvait connaĂźtre ce contentement de soi-mĂȘme, qui implique la connaissance de la loi morale , et cependant il le donnait pour but au sage. Il voulait faire prĂ©dominer les plaisirs de l’ñme sur les plaisirs du corps ; mais, en conseillant la recherche des premiers, il nĂ©gligeait d’indiquer Ă  quelle source on pouvait les puiser ; il mĂ©connaissait 1 absolu, qui est le seul fonde- 366 TRENTE-SIXIÈME LEÇON. ment du contentement de soi - mĂȘme , et sa doctrine Ă©tait un paralogisme. Il me reste Ă  parler d’un systĂšme par lequel on a tentĂ© dĂ© donner au bonheur la fixitĂ© qui lui manque. Il s’agit de la doctrine qui fait consister la vertu dans la recherche des rĂ©compenses Ă  venir. Les plaisirs des sens et les plaisirs de l’ñme qui se goĂ»tent sur cette terre, Ă©tant variables et fugitifs, on a cru pouvoir leur substituer le bonheur immuable de la vie future. Cette doctrine est supĂ©rieure Ă  lu doctrine commune de l’intĂ©rĂȘt bien entendu ; vous voulez m’attirer Ă  la vertu en me parlant de la paix dĂȘ l’ñme, que je recueillerai demain , quand les passions seront .apaisĂ©es ; mais le lendemain n’est pas sĂ»r, le plaisir assurĂ© du prĂ©sent vaut mieux que le plaisir incertain de l’avenir. Lorsqu’à l’avenir fortuit de la vie terrestre on substitue l’avenir inĂ©vitable de l’autre vie , on donne sans doute au bonheur'une base plus certaine; toutefois ce bonheur n’est l’objet ni de la raison ni de la libertĂ©, mais de la sensibilitĂ© ; or, nous le savons, la sensibilitĂ© est variable; les hommes seront diversement affectĂ©s de ces joies immortelles que vous leur promettez, et que vous ne pouvez pas mĂȘme dĂ©crire sans leur donner une ressemblance avec les joies terrestres. Vous n’ĂȘtes donc pas encore ici en possession d’un principe absolu et invariable de conduite. DU BIEN. ‱ 36^ Cette doctrine est encore sujette Ă  une autre objection. Les peines et les plaisirs dĂ© la vie future sont instituĂ©s Ă  titre de chĂątiment et de rĂ©compense. Or, punir et rĂ©compenser suppose des actions bonnes et des actions mauvaises. Il faut donc connaĂźtre le bien et le mal moral pour connaĂźtre celles de nos actions qui seront rĂ©compensĂ©es et celles qui seront punies. Le systĂšme des peines et des rĂ©compenses Ă  venir repose sur ce principe il y a une connexion nĂ©cessaire entre le bien moral et le bonheur , entre le mal moral et le malheur ; il suppose donc l’intelligence des premiers termes aussi bien que celle des seconds. Il admet ce qu’il voudrait nier l’idĂ©e absolue du bien et du mal, d’oĂč dĂ©rive l’idĂ©e du bonheur et du malheur Ă  venir; il ne peut, sans cercle vicieux, donner pour premier but Ă  la conduite humaine un bonheur Ă  venir qui n’est Ă©videmment qu’une consĂ©quence. Ce n’est pas tout les joies de la vie future sont une rĂ©compense. Qui est-ce qui rĂ©compensera? ce sera Dieu. Mais sera-ce Dieu comme toute-puissance ou Dieu comme toute-justiee? Si Dieu punit parce qu’il est juste, il y. a donc une rĂšgle de punition, et par .consĂ©quent une rĂšgle absolue de nos actions ? Ce ne sont pas les peines et les rĂ©compenses qu il faut placer comme rĂšgle dans l’autre vie, c’est la justice de Dieu ? Si Dieu punissait, non en vertu de sa justice, mais en vertu de sa 368 TR ENTB-SIXIÈME puissance, on ne saurait comment saisir la volontĂ© capricieuse de ce Dieu, eÂŁelle ne pourrait nous servir de rĂšgle. Ce n’est donc ni le plaisir ni la peine qui est la loi de notre conduite, c’est l’idĂ©e du bien et du mal moral ; c’ést l a justice punissant ou rĂ©compensant. Quand on affirme que c’est la volontĂ© de Dieu qui est la loi morale, je rĂ©ponds oui et non. Non, si l’on entend parler d’une volontĂ© ar bitraire ; non encore, si l’on ne considĂšre Dieu que comme tout-puissant; oui., si l’on entend parler d’une volontĂ© juste, si l’on fait Ă©quation de justice et de Dieu. Celui qui se prĂ©tend athĂ©e, et qui reconnaĂźt la justice, se lrappe lui-mĂȘme de contradiction , comme celui qui se pique de religion et qui nie la justice. La sensibilitĂ© est donc impuissante Ă  nous fournir le bien moral absolu , soit qu’on s’arrĂȘte aux plaisirs sensuels, ou qu’on s’élĂšve au plaisir qui accompagne le dĂ©veloppement du moi , ou qu’enfin on parvienne jusqu’à, ces plaisirs plus nobles et plus purs, qu’on appelle le plaisir d’avoir bien fait, ou les rĂ©compenses de l’autre vie. Si la sensibilitĂ© ne peut produire l’absolu, la libertĂ© , qui est le fond du moi lui-mĂȘme, serait-elle plus fĂ©cohde? Le moi est individuel, et la vĂ©ritĂ© morale est universelle. Le moi esL libre et changeant , la vĂ©ritĂ© morale est nĂ©cessaire eL immuable. L’arbitraire et l’absolu se contredisent. Si le moi se posait lui-mĂȘme son but, . il pourrait le changer, UH BIEN, 36g et il ne se prescrirait pas ainsi de vĂ©ritable rĂšgle. Nul ne s’oblige soi-mĂȘme. Le moi ne peut donc ĂȘtre obligĂ© qu’envers quelque cliose d’impersonnel et d’absolu. La sensibilitĂ© et la libertĂ© ne contiennent que du contingent il faut chercher ailleurs la vĂ©ritĂ© morale absolue. Montrons d’abord que cette vĂ©ritĂ© existe ; et, pour en faire ressortir le caractĂšre de nĂ©cessitĂ©, opposons-lui une vĂ©ritĂ© contingente. Si je dis, par exemple abstiens-toi, et tu seras heureux, admettra-t-on cet axiome comme une vĂ©ritĂ© nĂ©cessaire ? Le bonheur n’est-il pas reconnu comme quelque chose de trĂšs-incertain? Quand j’aurai accompli mon sacrilice, et que viendra le moment d’en recueillir le prix, la mort ne pourra- t-elle pas me frapper. Le rapport entre la modĂ©ration et le bonheur ne constitue donc qu’une vĂ©ritĂ© Ă©minemment contingente. Mais si je dis il est bien de modĂ©rer ses passions, y a-t-il ici quelque chose de contingent ? Cette proposition peut-elle souffrir quelque exception ? y a-t-il pour elle un prĂ©sent et un avenir? peut-elle ĂȘtre vraie aujourd’hui et ne pas l’ĂȘtre demain? Le problĂšme que nous avons Ă  rĂ©soudre, c’est de trouver une vĂ©ritĂ© qui impose Ă  l’agent une obligation absolue, c’est-Ă -dire, qui lui commande d’agir contre son intĂ©rĂȘt mĂȘme. Un homme a reçu un dĂ©pĂŽt doit- il le garder ou le rendre ? Quelle est la rĂ©ponse de l’humanitĂ© Ă  ce sujet? Que pense aussi l’humanitĂ© PHILOSOPHIE. 3^0 trente-sixiĂšme leçon. du magistrat, dont le devoir est de veiller sur la loi, et qui la vend au poids de l’or? Il y a donc des vĂ©ritĂ©s morales absolues, jusque-lĂ  mĂȘme que les moralistes, ennemis de l’absolu, parlent de devoir. Or, pesez bien cette expression de devoir , et examinez si le bonheur peut constituer une obligation. A. la sensibilitĂ© et Ă  la libertĂ© , il faut donc, comme nous l’avons dit, ajouter la raison. La 'raison est la facultĂ© par laquelle nous saisissons l’universel et l’absolu, et comme la raison se reflĂšte dans la conscience!, nous trouvons ainsi par l’observation une vĂ©ritĂ© absolue. L’aperception de l’absolu est un fait rĂ©el et observable , quoique l’absolu lui-mĂŽme dĂ©passe de tous cĂŽtĂ©s les limites de 1 observation. Nous avons donc rĂ©solu le problĂšme que nous nous Ă©tions posĂ© remplir la condition de la science, c’est-Ă -dire, lui donner un point de dĂ©part dans l’observation, et lui trouver un fondement solide, c’est-Ă -dire, lui fournir un principe absolu ; en d’autres termes, nous avons accompli notre double tĂąche trouver Ă  posteriori une rĂšgle qui ait une valeur a priori. ' Les langues,- qui sont l’expression de humaine, dĂ©posent toutes dp 1 existence d un principe absolu en morale qui se distingue du bonheur. Partout nous trouverons les mots devoir et intĂ©rĂȘt en opposition , comme les mots bien et mal, vice et vertu, Ă©goĂŻsme et dĂ©voĂ»merit. Toutes les lan- PL BIES. yji guĂ©s contiennent aussi l’équivalent du mot admiration. Or, dans l’admiralon il y a un sentiment, mais il y a aussi une idĂ©e ; ce n’est mĂȘme qua la condition de l’idĂ©e que le sentiment existe il lĂ  ut que l’intelligence ait approuvĂ© avant que la sensibilitĂ© se soit mise en jeu. On se fĂ©licite de possĂ©der un objet de plaisir, mais on ne l’admire pas. L’homme heureux et l’homme vertueux ne nous font pas Ă©prouver une impression que nous appelions de la mĂȘme maniĂšre. Àristippe au sein dy ses molles dĂ©lices , et Socrate vidant la coupe de la ciguĂ«, ne produiront pas dans votre aine la mĂȘme Ă©motion , et ne feront pas Ă©chapper de vos lĂšvres les mĂȘmes paroles. L’indignation est la contre-partie de l’admiration , et comme celle-ci elle contient un Ă©lĂ©ment dĂ©sintĂ©ressĂ©. On ne s’indigne pas contre un objet inanimĂ© qui nous blesse ; la soulli ance n’est pas la mesure de l’indignation. Le dĂ©sir de l’estime, la crainte du ridicule, sont encore des pliĂ© nomĂšnes qui se rapportent au dĂ©sintĂ©ressement. Nous ne voulons pas de l’estime, si elle s’attache Ă  des biens qui ne nous appartiennent pas. L’empire de l’opinion repose sur la connaissance commune que tous les hommes possĂšdent du bien et du mal moral. Le sentiment du ridicule touche d’un cĂŽtĂ© Ă  la vanitĂ© , et de l’autre Ă  l’honneur. On ne craindrait pas le ridicule si l’on 11e mloutait l’opinion , et on ne redouterait pas l’opinion si elle 11e s’appuyait jamais que sur une base arbitraire et 3^2 TRENTE-SIXIÈME LEÇON. mobile. L’estime est inexplicable, si l’homme n’agit jamais que par intĂ©rĂȘt. Vous saisirez aussi la distinction qui existe entre le regret et le repentir. Quand nous avons Ă©chouĂ© dans une entreprise, nous regrettons le temps et les biens perdus; quand nous perdons aux jeux de hasard, nous regrettons la fortune; mais si nous trompons notre adversaire, notre sentiment est le repentir, et non plus seulement le regret. Ce sentiment est une preuve que les hommes ne tiennent pas seulement compte des biens et des maux physiques. Le bien moral n’est donc pas la mĂȘme chose que le bonheur, quoique le premier mĂ©rite le second ; mais c’est justement pour le mĂ©riter qu’il doit en ĂȘtre diffĂ©rent. S’il est vrai que cette maxime ne trompez pas,parce que vous seriez trompĂ©s vous-mĂȘmes , soitsujette Ă  des exceptions, et par consĂ©quent retenue clans les limites du contingent, il faut lui substituer cette autre maxime trompez pas, parce que cela est mal , c’est-h-dire, qu’il faut substituer le systĂšme du devoir Ă  celui du bonheur, l’absolu au relatif, le nĂ©cessaire au contingent. DD BIEN. 373 WA. VVV WV\ WWV WVWVWAV'VAA vvw TRENTE-SEPTIÈME LEÇON. La conception nĂ©cessaire de l’absolu en morale ne subjective pas cette vĂ©ritĂ©. — Elle prĂ©suppose une apercep- tion antĂ©rieure qui est pure et non rĂ©flĂ©chie. — Les langues et la logique sont au point de vue rĂ©flĂ©chi.— Le vrai abso’u en morale Ă©tant trouvĂ©, la science morale est possible 1. — La distinction du bien et du mal est antĂ©rieure Ă  l’obligation. — L’obligation suppose la libertĂ© ; preuve logique ou indirecte de la li- libertĂ©. — La conscience confirme l’existence de la libertĂ© ; preuve directe ou psychologique de la libertĂ©. — D’un argument de Kant contre la libertĂ©. — La loi de causalitĂ© ne domine pas le pouvoir de vouloir ou la libertĂ©; elle ne rĂ©git que les phĂ©nomĂšnes, et elle s'arrĂȘte devant Dieu et devant riiommefĂź. — La libertĂ© est placĂ©e entre la sensibilitĂ© et la raison; sollicitĂ©e par Tune, obligĂ©e par l’autre. — La libertĂ© se distingue 1° du dĂ©sir; 2° de la productivitĂ© ou du pouvoir d’agir 3 . Quand on porte une analyse sĂ©vĂšre dans les phĂ©nomĂšnes de conscience, on arrive Ă  dĂ©gager du sein du sentiment un Ă©lĂ©ment idĂ©al. Le carac- 1 Voyez» Fragmens philosophiques, programme de 1817, page 253 premiĂšre Ăšiiilio Q . 2 Voyez, Fragmens philosophiques Du premier et du dernier fait de conscience, page'347 ihid . 3 Voyez, Frigmet-s philosophiques, programme de 1817, pitpe* Ăź5o ihid. 3^4 TRENTE-SEPTIÈME LEÇON. tĂšre du sentiment c’est d’ĂȘtre conditionnel ; le caractĂšre de l’idĂ©e c’est d’îtreubsolue. La raison, en prĂ©sence de certaines propositions, les reconnaĂźt comme vraies dans tous les temps et dans tous les lieux, et ne peut pas les dĂ©pouiller de leur universalitĂ© et de leur nĂ©cessitĂ©. C’est lĂ  que se trouve l’absolu. Cependant on en conteste l’existence, et l’on se fonde sur son caractĂšre mĂȘme de nĂ©cessitĂ©. Comment parvenez-vous, nous dit-on, Ă  Ă©tablir quelque chose'd’absolu? Ne dites-vous pas que le moi est forcĂ© de reconnaĂźtre telle ou telle vĂ©ritĂ© ? Or, ne vous apercevez-vous pas que ce que vous prenez pour une rĂ©alitĂ© objective n’est que la forme de votre esprit, et que la nĂ©cessitĂ© oĂč vous ĂȘtes de concevoir telle ou telle vĂ©ritĂ© est purement subjective. Nous avons dĂ©jĂ  rĂ©pondu Ă  cette objection quand nous nous occupions de constater l’existence de l’absolu en gĂ©nĂ©ral ; il n’est pas inutile de reproduire notre rĂ©ponse Ă  propos de l’absolu moral en particulier. Sans doute la conception nĂ©cessaire d’un principe le subjelive, pour ainsi dire, et l’engage dans la relativitĂ© du moi humain. Niais la conception nĂ©cessaire est une conception rĂ©llĂ©eliie ; elle suppose donc une apereeption antĂ©rieure. Cette apercep- tion est pure, non engagĂ©e dans les liens de la rĂ©flexion, saris mĂ©lange du moi humain, qui est un Ă©lĂ©ment rĂ©flĂ©chi. La raison aperçoit la vĂ©ritĂ©; quand cette aperception se rĂ©flĂ©chit dans la con- DL BIEN. 3^5 science, le je intervient ; mais la raison s’est d’abord dĂ©veloppĂ©e sans le je. 11 en est de la raison comme de la sensibilitĂ©; si cette derniĂšre ne se redoublait pas dans la conscience , il n ’y aurait paS sensation, nous n’arriverions pas Ă  dire je sens. Avant cette sorte de rĂ©percussion de la raison et de la sensibilitĂ© dans la conscience, l’une et l’autre sont impersonnelles. La vie intellectuelle et 1^ vie sensible pourraient, Ă  la rigueur, marcher sans la conscience ce. n’est pas la conscience de la mĂ©moire qui fait que je me souviens. Ainsi, avant la vie rĂ©flĂ©chie est une vie spontanĂ©e , oĂč le moi ne s’aperçoit pas lui-mĂȘme, oĂč il n’existe mĂȘme pas, car c’est la rĂ©flexion qui le fait ĂȘtre, et oĂč, par consĂ©quent, il ne peut ni conditionner in suojecti- ver la vĂ©ritĂ©. L’équation de Kant entre raison et raison humaine, est donc vicieuse. Dans sa critiquĂ© de la raison pure, il ne s’est pas Ă©levĂ© jusqu’au vrai principe de la pure raison. Pour sortir du cercle vicieux dans lequel est enfermĂ©e la logique, il faut dĂ©passer le point de vĂŒe rĂ©flĂ©chi oĂč la vĂ©ritĂ© est tombĂ©e dans le moi ; il faut arriver jusqu’il cette aperception pure, qui n’est telle qu’à la condition de s’ignorer elle-mĂȘme; dĂšs que le moi en a conscience elle n’est plus. On ne peut donc lu saisir en quelque sorte que de profil, et tout ce qu’on en sait c’est quelle a existĂ©. Ainsi il arrive quelquefois, dans la chaleur d’une dispute, quon aperçoit une vĂ©ritĂ© sans songer Ă  Ă©lever ou Ă  rejeter aucune 376 TRENTE-SEPTIÈME LEÇON. des objections qui peuvent ĂȘtre faites contre elle. Il y a lĂ  une affirmation sans nĂ©gation, une conception pure sans caractĂšre de nĂ©cessitĂ©. Ni les langues ni la logique ne peuvent donner une idĂ©e exacte de ce phĂ©nomĂšne, car elles sont au point de vue rĂ©flĂ©chi, et par consĂ©quent Ă  un point de vue qui contient dĂ©jĂ  de la nĂ©gation, c’est-Ă -dire qui possibilitĂ© de mettre la vĂ©ritĂ© en doute et la subjective. Quand vous rĂ©flĂ©chissez Ă  une vĂ©ritĂ©, vous ne pouvez pas ne pas nier le contraire; dans ce cas, l'allu mation suppose la nĂ©gation, etrĂ©ciproquement. Mais antĂ©rieurement, s’est accomplie une aperception pure, encore une fois, une allirmation sans nĂ©gation. Ainsi, dans l’état prĂ©sent de notre vie intellectuelle , nous disons je ne puis pas ne pas croire qu’il faut ĂȘtre fidĂšle Ă  l’amitiĂ©; et si l’on me conteste cette proposition , je n’aurai Ă  fournir, pour rĂ©ponse, que la nĂ©cessitĂ© oĂč je me trouve d’admettre cette vĂ©ritĂ©; mais antĂ©rieurement j’ai dĂ©butĂ© par cette aperception pure il est bien d’ĂȘtre fidĂšle Ă  l’amitiĂ©. C’est une intuition de quelque chose de vrai en soi-mĂȘme et nou de vrai relativement Ă  moi ; c’est lĂ  le vĂ©ritable absolu moral, la vraie base scientifique. La science morale est donc possible. On voit que la distinction du bien et du mal moral est antĂ©rieure Ă  l’obligation; en eflĂȘt, il faut que la vĂ©ritĂ© existe avant quelle oblige le moi. L’obligation est donc fondĂ©e sur l’idĂ©e du bien et DU BIEN. 077 du mal, loin que l’idĂ©e du bien et du mal soit fondĂ©e sur l’obligation. TantĂŽt la vĂ©ritĂ© est purement spĂ©culative, et elle oblige le moi seulement Ă  la croire ; tantĂŽt elle demande Ă  ĂȘtre rĂ©alisĂ©e par l’action, et elle oblige le moi Ă  la pratiquer. Il n’y a donc pas en nous deux facultĂ©s, l’une pour la morale, l’autre pour la vĂ©ritĂ©, car la vĂ©ritĂ© est une. L’obligation repose sur le rapport de la raison et de la libertĂ©. C’est ici qu’intervient l’idĂ©e de loi. La loi suppose deux termes corrĂ©latifs; lĂ  oĂč il 11’y a pas de libertĂ© il n’y a pas de loi, et il n’y a pas de loi non plus lĂ  oĂč il n’y a pas quelque chose de supĂ©rieur Ă  la libertĂ©. La meilleure preuve indirecte de la libertĂ©, c’est la loi ; car si la loi suppose un Ă©lĂ©ment souverain et absolu, elle suppose aussi un Ă©lĂ©ment libre qui puisse se conformer Ă  la raison. Mais ce n’est lĂ  qu’une preuve indirecte; avec, cet argument, je crois aussi bien Ă  votre libertĂ© qu’à la mienne. S’il n’existait pas d’autre preuve, le moi n’aurait pas conscience de sa libertĂ©, c’est- Ă -dire de lui-mĂȘme. À la preuve logique il s’ajoute donc une preuve psychologique. Kant’a Ă©levĂ© contre la libertĂ© un argument qu’il est bon d’examiner ici tout fait, ditâ€”ĂŒÂ» sup- .pose une cause; la dĂ©termination de la volontĂ© est un lait, elle a donc une cause qui aura une cause elle-mĂȘme, et ainsi Ă  l’inlini, ce qui constitue la fatalitĂ©. Tout fait suppose une cause cela est 3^0 TRENTE-SEPTIÈME LEÇON, vrai, si l’on entend par fait un phĂ©nomĂšne qui Commence d’exister. Ainsi, je produis un mouvement, ce phĂ©nomĂšne a pour cause la contraction du muscle'; cette contraction est Ă  son tour un phĂ©nomĂšne causĂ© par l’action du nerf, et cĂ«tte action est produite par la dĂ©termination ou par la volition; jusqu’ici nous sommes dans l’ordre dĂ©s phĂ©nomĂšnes qui commencent et qui finissent, qui naissent et meurent, qui passent pour revenir et reviennent pour passer encore. La dĂ©termination ou la volition est un phĂ©nomĂšne de ce genre; mais elle n’a pas d’autre cause que le pouvoir de vouloir, qui est permanent dans le moi, qui ne s’éteint pas pour renaĂźtre, qui ne renaĂźt pas pour s’éteindre, en un mot, qui ne passe pas. Si ce pouvoir a commencĂ© , c’est ce que nous ne pouvons dĂ©terminer ici ; toujours est-il que nous ne le voyons' pas commencer, et qu’en consĂ©quence il n’est pas un phĂ©nomĂšne. Le pouvoir de vouloir est ce que nous appelons la libertĂ©, il existe dans l’homme et en Dieu. Le principe de causalitĂ©, qui ne domine que les phĂ©nomĂšnes, expire donc devant Dieu et devant l’homme. Le pouvoir de vouloir n’est pas susceptible de plus ou de moins quand on parle d’une volontĂ© plus ou moins forte, plus ou moins Ă©nergique, on confond la vo- * lontĂ© avec la passion qui l’accompagne. Le principe de causalitĂ© ne comprend pas le moi humain. Le MOI ne serait plus une personne, mais une DU BIEN. 3 79 chose, si la libertĂ© commençait et finissait comme les phĂ©nomĂšnes. libertĂ© humaine est placĂ©e entre le monde extĂ©rieur et la raison le monde extĂ©rieur la sollicite, la raison l’oblige ; le premier lui fournit des mobiles, la seconde lui donne un motif. La libertĂ© est le pouvoir de rĂ©sister Ă  ces mobiles ou de les suivre, comme de mĂ©connaĂźtre les motifs rationnels ou de leur obĂ©ir. Le dĂ©sir doit ĂȘtre soigneusement distinguĂ© de la volontĂ© ou de la libertĂ© le dĂ©sir se. fait en moi sans moi. A proprement parler, ce n’est pas moi qui dĂ©sire, c’est la sensibilitĂ© en moi je ne suis pas responsable de mes dĂ©sirs, je le suis de mes volontĂ©s. La volontĂ© n’a pouf cause qu’elle- mĂȘme ; ni les mobiles ni les motifs ne 1 entraĂźnent fatalement, car elle peut leur rĂ©sister, et c’est en cela que consiste son mĂ©rite. Dans le phĂ©nomĂšne de la dĂ©libĂ©ration, la libertĂ© Ă©clate plus haut encore si l’agent hĂ©site , c’est qu’il est libre. On a dit que quand nous nous dĂ©terminons aprĂšs dĂ©libĂ©ration , c’est l’un des deux poids de la balance qui l’emporte sur l’autre mais le motif rationnel, ou l’idĂ©e du devoir Ă©tant purement immatĂ©riel, n e peut agir physiquement ni se comparer Ă  un. poids ; il en est de mĂȘme du dĂ©sir sensible. Remarquez qu’il ne faut pas confondre la libertĂ© avec la productivitĂ© quelquefois la volition ne peut accomplir son acte; elle est impuissante, ou Ă  mouvoir le corps , ou Ă  gouver- 38o TRENTE-SEPTIÈME LEÇON, ner la pensĂ©e ; mais le pouvoir rie vouloir n’en a pas moins Ă©mis librementfĂżvolition. La libertĂ© existe clans ce cas, seulement elle ne se manifeste pas au dehors. Mettez un homme dans les fers ~ i} peut encore ĂȘtre libre , car il peut disposer de ses voĂ»tions. Que je forme le projet d’accomplir demain tel ou tel acte, lors mĂȘme qu’un obstacle matĂ©riel viendrait me rĂ©duire Ă  lim- puissance, je n’en ai pas moins aujourd’hui formĂ© librement ma rĂ©solution, et la vĂ©ritable libertĂ© est dans ce rapport indissoluble de la volition au pou-; voir de vouloir.. La libertĂ© est donc toute intĂ©rieure et toute immatĂ©rielle. A la volition commence la sĂ©rie des causes secondes et des eflĂȘts ; mais au-dessus de la volition est la volontĂ©, cause premiĂšre sur laquelle lien n’agit, cause qui se sulht Ă  elle-mĂȘme, cause qui n’est pas effet. ut JUEN. 3b i vv\ V\\l\lUA VVXIVXW\ i\iWlVWl'VUV\ WV W\ I VWWV% , WVV\ v\\vv\ TRENTE-HUITIÈME ET DERNIÈRE LEÇON. Le principe le substance limite le principe de causalitĂ©, donc la libertĂ© existe. — La libertĂ© , Ă©tant placĂ©e entre la sensibilitĂ© et la raison, doit abandonner la premiĂšre et rester idĂšlc h la seconde, qui seule est obligatoire.' — Premier devoir de la libertĂ© se maintenir libertĂ©; rĂ©sister aux choses-ensibles et s’unir Ă  .a vĂ©ritĂ©, qui est la loi de la libertĂ©. — DeuxiĂšme devoir Ă©clairer la raison pour mieux dĂ©couvrir la vĂ©ritĂ© morale; s’imposer toutes les a. tionsqui pourraient devenir loi gĂ©nĂ©rale i. — La VcritĂ© morale, commetoute autre vĂ©ritĂ©, rĂ©side en Dieu. — Il y a donc, une lasc absolue de la morale. —. L’ontologie est donnĂ©e dans la psychologie a. — Des attributs de Dieu 31. — La religion est le sommet et non la base de la moi ale 4. — Conclusion. Il y a du bien et du mal, donc il y a obligation; ily a obligation, donc il y a libertĂ©. Le moi c’estl’acti- 1 Voyez, Fracmens philosophiques, programme de 1817, pages 249. a 5 o premiĂšre Ă©dition. 2 Voyez , Fragmens philosophiques, prĂ©face , page xxxix ibu !. , et programme de 1818, page 290. 3 Voyez, ibid., programme de 1817, pages a 55 et suiv. ibid. r 4 ' Voyez ibid., page 24G 382 TRINTK-HL'ITIÉMK LEÇON. vitĂ© indĂ©pendante, volontaire, libre la conscience nous l’atteste, et quand mĂȘme nous ne pourrions pas rĂ©soudre les objections extĂ©rieures qu’on Ă©lĂšverait contre ce tĂ©moignage, il n’en subsisterait pas moins; les objections prouveraient contre la science et non pas contre la libertĂ©. L’objection capitale ressort du principe de causalitĂ© mais ce principe s’arrĂȘte devant la libertĂ©. Le principe de substance limite le principe de causalitĂ© la substance est cette inconnue au delĂ  de laquelle il n’y a rien relativement Ă  l’existence. Le principe de substance domine donc le principe de causalitĂ©, qui est restreint au champ des phĂ©nomĂšnes ; ce dernier enveloppe les causes qui produisent, mais il n’atteint pas celles qui veulent produire; il ne nous donne pas des causes intelligentes , car nous ne serions pas encore sortis de la mythologie; il nous fournit des cftuses matĂ©rielles, comme celles dont le monde est peuplĂ©. C’était une induction illĂ©gitime qui nous avait fait transporter la cause intentionnelle au dehors de nous; nous en dirions autant de l’induction , qui nous ferait reporter en nous la cause matĂ©rielle. Dans le premier cas il n’y a plus que des personnes, dans le second il n’y aurait plus que des choses. Il laut donc laisser vivre Ă  cĂŽtĂ© l’un de l’autre le principe de libertĂ© et le principe de causalitĂ©, chacun dans la sphĂšre qui lui appartient, l’un au dedans, l’autre au dehors, le premier dans la substance et le second dansles phĂ©nomĂšnes. DU BIEN. 383 La libertĂ© existe donc, elle est une consĂ©quence de l’idĂ©e du bien moral, et elle doit se rattacher Ă  sĂŽn principe. La position humaine est celle-ci d’un cĂŽtĂ©, les choses sensibles d’oĂč viennent les sensations qui constituentle bonheur placĂ© dans cette vie ou dans la vie future, et qui est toujours du bonheur ou de la sensibilitĂ©; de l’autre cĂŽtĂ©, la vĂ©ritĂ© morale absolue Ă©clairant la raison et obligeant la libertĂ©. La libertĂ© doit donc rĂ©sister aux choses sensibles ; autrement elle s’abdiquerait elle-mĂȘme, elle irait contre sa loi, qui est le bien moral. Elle ne doit pas se laisser pousser au bien par l’intĂ©rĂȘt sensible, mais elle doit s’y dĂ©terminer d’elle-mĂȘme. Ainsi, le premier devoir de la libertĂ© c’est de rester libertĂ© et de se prĂ©server de l’empire des choses. Son second devoir c’est d’éclairer et d agrandir sa raison, qui lui rĂ©vĂšle la vĂ©ritĂ© morale. Heureux les individus et les pleuples qui, sachant qu’ils ne sont pas des choses, connaissent les rapports de la libertĂ© Ă  la raison et 'Ă  la vĂ©ritĂ© ! Malheureux ceux qui, reconnaissant leur libertĂ©, ne savent pas l’usage qu’ils en doivent faire. Ils se renferment dans les limites de leur libertĂ©, et se bornent Ă  une vie nĂ©gative; tel Ă©tait le stoĂŻcisme. Cette morale est sans doute supĂ©rieur!; Ă  celle du bonheur, mais elle n’est pas la vraie morale ; il faut mettre la libertĂ© en rapport avec la raison, c est-Ă - dire avec la vĂ©ritĂ©. Ainsi i » ne rien faire qu’avec la conscience du dĂ©sintĂ©ressement, c’est-Ă -dire, se dĂ©- 364 TRENTE-HUITIÈME LEÇOX. tacher des choses sensibles; 2° s’approcher aussi prĂšs que possible de la vĂ©ritĂ© morale absolue, en s’imposant toutes les actions qui pourraient faire l’objet d’une lĂ©gislation universelle, en d’autres termes, soumettre chacun de nos actes Ă  ce critĂ©rium pourrait-il'servir de rĂšgle Ă©ternelle? telle est la double loi de la libertĂ©. Nous avons donc constatĂ© l’existence de la vĂ©ritĂ© morale absolue , ou de l’idĂ©e absolue du bien. Si l’on se rappelle les dĂ©veloppemens auxquels nous nous sommes livrĂ©s sur l’origine des idĂ©es absolues, on sera convaincu que cetteidĂ©e n’est pas subjective ; qu’avant le point de vue rĂ©flĂ©chi cpii engage la vĂ©ritĂ© dans la sphĂšre du moi , est une aperceplion spontanĂ©e et fug’tive, une affirmation sans nĂ©gation, oĂč le moi ne s’aperçoit pas lui- mĂȘme , et oĂč la raison demeure impersonnelle. Nous avons ainsi considĂ©rĂ© le rapport de la vĂ©ritĂ© avec l’homme ; il nous reste Ă  revenir sur le rapport de l’homme avec l’ĂȘtre infini ou avec Dieu. La question Ă  rĂ©soudre est celle-ci n’y a-t-il ou n’y a-t-il pas de Dieu en morale ? Comment passerons-nous de cette idĂ©e il faut ĂȘtre fidĂšle Ă  ses sermens, Ă  cette autre toute vĂ©ritĂ© rĂ©side dans un ĂȘtre substantiel qui les contient. Pour nous assurer de la lĂ©gitimitĂ© de ce passage, il faut que la psychologie devienne logique , c.’est-Ă - dire, qu’elle se prenne pour objet de son examen , efir la ogique n’est qu’un retour de la psychologie DW BIEN. 385 sur elle-mĂȘme. Nous l’avons dĂ©jĂ  dit plusieurs fois le premier moment de la vie intellectuelle contient l’idĂ©e du moi, celle du non-moi et celle de l’ĂȘtre indĂ©terminĂ© ; le second moment s’élĂšve Ă  la conception des idĂ©es abolues du vrai, du beau et du bien, qui sont indĂ©pendantes du moi et de la nature extĂ©rieure. Le troisiĂšme moment rattache ces idĂ©es Ă  la source d’oĂč elles Ă©manent, au fond qui les soutient, Ă  l’ĂȘtre substantiel et infini dont la raison conçoit l’existence, mais dont elle s’interdit de sonder la nature. Lorsqu’aprĂšs avoir conçu une vĂ©ritĂ© comme idĂ©e, vous concevez qu’elle existe, vous la rattachez ainsi Ă  la substance Ă©ternelle ; celui qui conçoit la vĂ©ritĂ© conçoit donc la substance, qu’il le sache ou qu’il l’ignore. Dans le point de vue actuel de l’esprit humain , par la force de 1 abstraction nous pouvons sĂ©parer l’idĂ©e et letre; mais., dans le point de vue primitif, l’idĂ©e et letre ne sont pas dĂ©sunis. Pour savoir-si quelqu’un croit en Dieu, je lui demanderai s’il croit Ă  la vĂ©ritĂ©. D’oĂč il suit qu’il n’y a point d'athĂ©e, que la thĂ©ologie naturelle n’est que l’ontologie , e t q Ue l’ontologie elle-mĂȘme est donnĂ©e dans la psychologie. La vraie religion n’est que ce mot ajoutĂ© Ă  l’idĂ©e de la vĂ©ritĂ© elle est. C est en rattachant ainsi toutes les ventĂ©s Ă  l’ĂȘti'e substantiel, qu’on arrive Ă  dĂ©couvrir sa bontĂ©, sa justice, et enfin tous ses attributs moraux. Prenons pour exemple l’attribut de rĂ©munĂ©rateur. a5 386 TRENTE-HUITIÈME LEÇON. Pour dĂ©montrer l’immortalitĂ© du l’ñme, on s’est principalement arrĂȘtĂ© Ă  l’argument suivant la mort est une dissolution de parties; or, l’ñme est une substance simple et indivisible donc PĂąme ne peut pĂ©rir. Cet argument n’est pas sans valeur, car nous devons distinguer la vie de l’existence la vie ,. c'est le phĂ©nomĂšne qui passe ; l’existence, c’est la substance qui ne passe pas ; rien cle ce qui est vĂ©ritablement ne peut passer. Mais l’immortalitĂ© de l’ñme peut se dĂ©montrer encore de la maniĂšre suivante il y a une vĂ©ritĂ© morale qui nous enseigne que la vertu mĂ©rite le bonheur comme rĂ©compense, et que le crime mĂ©rite le malheur comme chĂątiment ; cette vĂ©ritĂ© est absolue, elle Ă©gale en Ă©vidence cette autre vĂ©ritĂ© le crime n’est pas la vertu. Dans ce monde, la libertĂ© se voit sans cesse combattue par la causalitĂ© extĂ©rieure ; le bonheur est en contradiction avec la vertu. Ce dĂ©saccord est nĂ©cessaire la vertu n’existe qu’à la condition du sacrifice. 11 n’y aurait qu’un moyen de dĂ©truire le mal physique ce serait de dĂ©truire la vertu. La souffrance a sa raison dans la moralitĂ© de la rĂ©signation et du courage. Mais si tout cela est vrai, il est vrai aussi que l’harmonie entre le bonheur et la vertu doit se rĂ©tablir un jour. Cette vĂ©ritĂ© morale absolue, indĂ©pendante de l’esprit humain qui la conçoit, ne peut pas ĂȘtre indĂ©pendante de l’ĂȘtre "infini toute idĂ©e absolue est rapportĂ©e par nous Ă  la substance Ă©ternelle. ÏNous ne dirons DU BIEN. 387 donc pas que cette vĂ©ritĂ© s’impose Ă  Dieu, mais qu’elle rĂ©side en Dieu, que Dieu en est le fond et la substance ; et c’est ainsi que nous arrivons Ă  l’idĂ©e de Dieu rĂ©munĂ©rateur et vengeur. Cette idĂ©e est le terme le plus Ă©levĂ© de toute religion. Ainsi la religion est le sommet et non la base de la morale. La vie intellectuelle passe par ces trois phases diffĂ©rentes 1 0 idĂ©e de l’agrĂ©able ou du contingent ; 2 0 idĂ©e de l’absolu en morale ; 3 ° idĂ©e absolue rattachĂ©e Ă  l’ĂȘtre qui la soutient. Ces trois phases peuvent se formuler ainsi 1 0 plaisir; 2 0 moralitĂ© et devoir; 3 ° espĂ©rance. Le devoir ne dĂ©rive pas de l’espĂ©rance, c’est l’espĂ©rance qui dĂ©rive du devoir. Sur la foi du principe de mĂ©rite ou de dĂ©mĂ©rite, l’homme peut espĂ©rer une vie de bonheur ; mais ce n’est pas de cette sourfce que dĂ©coule son devoir, c’est de l’idĂ©e absolue'du bien moral. Ainsi, nous avons rĂ©solu, pour l’ bien en particulier, la question dont nous avions dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ© la solution pour l’idĂ©e du vrai en gĂ©nĂ©ral et P°ur l’idĂ©e du beau. Au-dessus du moi et de la nature physique, l’homme conçoit des idĂ©es absolues, indĂ©pendantes de l’un et de l’autre. Mais, .sous le contingent, l’homme aperçoit dĂ©jĂ  letre d’une maniĂ©rĂ© confuse ; il ne peut pas ue pas l’apercevoir sous les idĂ©es absolues tout est de l’ĂȘtre, car l’ĂȘtre est tout. C’est lĂ  le secret de l'imitĂ© fondamentale de la conscience humaine. L’idĂ©e du bien est donc 388 TKENTE-HUITIEME LEÇON, semblable Ă  l’idĂ©e du beau, Ă  l’idĂ©e du vrai, qui les comprend l’une et l’autre; elles sont la manifestation , pour ainsi dire, visible de l’invisible unitĂ©, de cet ĂȘtre que nous ne pouvons contempler face Ă  face , mais dont nous concevons l’existence, de la substance premiĂšre et derniĂšre, universelle et Ă©ternelle , en un seul mot, de l’infini. JNous avons fourni la carriĂšre que nous nous Ă©tions proposĂ© de parcourir. Les Ă©coles du dernier siĂšcle, en possession de la vĂ©ritable mĂ©thode philosophique ou de l’analyse de la pensĂ©e, nous paraissaient n’avoir pas tirĂ© de cette mine fĂ©conde tous les trĂ©sors qu’elle contient. Nous y avons dĂ©couvert les idĂ©es absolues du vrai, du beau et du bien; nous avons dĂ©crit ces idĂ©es telles quelles se trouvent dans l’intelligence humaine dĂ©veloppĂ©e, et ce n’est qu’aprĂšs avoir sondĂ© l’état actuel de l’esprit humain que nous nous sommes hasardĂ©s Ă  la dĂ©couverte de l’état primitif. Nous nous sommes mis, encore sous ce point de vue, en contradiction avec les Ă©coles du dix-huitiĂšme siĂšcle, qui dĂ©butaient par imaginer Ă  leur grĂ© un Ă©tat primitif de l’intelligence , et arrivaient, d’hypothĂšse en hypothĂšse, jusqu’à l’état actuel quelles faisaient plier sous leur systĂšme fictif de l’origine des idĂ©es. En constatant d’abord l’état prĂ©sent de l’esprit humain , nous nous sommes Ă©tablis sur un terrain solide, accessible Ă  l’observation, et en examinant ce que cet Ă©tat prĂ©suppose avant lui, nous avons pris DU BIEN. 38 9 la voie la plus sĂ»re pour arriver Ă  l’état primitif. Nous avons donc traitĂ© des caractĂšres actuels de nos idĂ©es, avant d’aborder la question de leur origine et de leur formation. Nous avons vu qu il j a dans l’espi’it humain, au moment oĂč il peut s’observer lui-mĂȘme, l’idĂ©e du vrai, du beau et du bien; que ces trois idĂ©es sont marquĂ©es des caractĂšres de nĂ©cessitĂ© et d’universalitĂ©, c’est-Ă -dire, quelles nous imposent une croyance que nous ne pouvons pas rejeter, et quelles nous paraissent s’appliquer, non Ă  tel ou tel cas particulier, mais Ă  tous les cas possibles. Nous avons montrĂ© que la croyance nĂ©cessaire dans laquelle le moi s’apparaĂźt Ă  lui-mĂȘme comme enchaĂźnĂ© sous le joug de la vĂ©ritĂ©, et qui, en consĂ©quence, est un phĂ©nomĂšne rĂ©flĂ©chi, prĂ©suppose un phĂ©nomĂšne spontanĂ©, irrĂ©flĂ©chi, impersonnel, exempt de tout caractĂšre subjectif, et nous avons donnĂ© Ă  ce phĂ©nomĂšne le nom d’aperception pure. Nous avons fait voir que l’idĂ©e absolue, avant de se manifester Ă  nous comme un type universel , nous avait Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e dans Un fait particulier, et que cette vue concrĂšte s’était sous-divisĂ©e aussi en deux momens le moment rĂ©flĂ©chi ou la croyance nĂ©cessaire, et le moment spontanĂ© ou l’aperception pure. Ainsi, la croyance nĂ©cessaire a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©e d’une intuition pure, et l’idĂ©e universelle a succĂ©dĂ© Ă  l’idĂ©e particuliĂšre. En consĂ©quence, l’état primitif est double il contient une idĂ©e d’abord pure et ensuite nĂ©- ‱ ^ * *- 3ç0 TRENTE- HDi ĂŻ IÈ W E LEÇO'N. cessaire du vrai, du beau et du bien, engagĂ©s dans telle ou telle circonstance particuliĂšre. L’état dĂ©finitif ou actuel est Ă©galement double il renferme une idĂ©e pure d abord, et ultĂ©rieurement nĂ©cessaire du vrai, du beau et du bien, dĂ©gagĂ©s de tout fait relatif et particulier. Il nous restait Ă  indiquer comment se franchit le passage de l’état primitif Ă  l’état ultĂ©rieur, et nous avons fait voir’ que c’est Ă  l’aide d’une opĂ©ration intellectuelle, que nous avons appelĂ©e abstraction immĂ©diate. Ainsi, les idĂ©es absolues ont leur origine dans une idĂ©e particuliĂšre et concrĂšte, et leur formation, s’accomplit par l’abstraction. Nous ne nous sommes pas contentĂ© de donner une Ă©numĂ©ration aussi complĂšte qu’il nous a Ă©tĂ© possible, des idĂ©es actuelles de l’esprit humain, et de remonter pas Ă  pas et avec prĂ©caution jusqu’à leur premiĂšre origine. Nous avons essayĂ© d’en trouver le fondement, et nous avons montrĂ© comment elles s’appuient sur la substance universelle dont elles composent la seule manifestation accessible Ă  l’in teUigence de l'homme. Nous avions dit au commencement que les idĂ©es nĂ©cessaires reconnues par les philosophes, et dont l’illustre Kant avait dressĂ© la liste sous le nom de catĂ©gories, pouvaient se rĂ©duire Ă  l’idĂ©e de causalitĂ© et Ă  l’idĂ©e de substance , et que cette .derniĂšre comprenait dans son sein l’idĂ©e du vrai, du beau et du bien. Nous avons justiiiĂ© cette thĂšse eu examinant ces trois idĂ©es absolues, et en montrant qu’elles se * -i *. * ‱ DU BIEN. 3g i rattachent Ă  la substance, comme la forme au fond, comme la qualitĂ© au sujet. Nous pouvons donc rĂ©pĂ©ter, en terminant, que l’origine des idĂ©es absolues est un fait particulier dans lequel est aperçu simultanĂ©ment le moi et le non-moi, et qui contient, sous ces deux principes finis, une vue indĂ©cise encore de letre infini ou de la substance ; que plus tard la substance se manifeste sous trois formes absolues le vrai, le beau et le bien ; que ces trois formes sont d’abord enveloppĂ©es dans un fait concret et particulier ; mais que peu Ă  peu elles se dĂ©veloppent et arrivent Ă  un Ă©tat d’universalitĂ© qui les rapproche de plus en plus de la substance infinie d’oĂč elles viennent et oĂč elles retournent. Ainsi, dĂšs la premiĂšre de nos pensĂ©es, nous sommes dĂ©jĂ  en rapport avec l’ĂȘtre universel, mais d’une maniĂšre si confuse et si vague, que le monde, phĂ©nomĂ©nal, le moi et le non-moi, nous prĂ©occupent et nous absorbent ; l’ĂȘtre nous apparaĂźt bientĂŽt avec plus de nettetĂ© sous les formes absolues du vrai, du beau et du bien; mais longtemps l’humanitĂ© se contente des formes, et ne pĂ©nĂštre pas jusqu’au fond qui les soutient ; enfin ce dernier progrĂšs s’accomplit, et la vie intellectuelle est complĂšte. FIN Ci Nauer-lalor Buchbindert ZÛRICH HottingerstrassĂȘ 67 *.i * ‱ & * » ; ♩ ‱'‱£‱> VA -;rfj fj !* , *‱ / i? i- il r&? v» 1 ;* fc> V >1^ ;V f/* Lebonheur est un bien qui se multiplie lorsqu'il est divisĂ©. Citation d'internaute. Lume. Accueillante Scolaire, Travaux Manuels, Belgique, Gembloux, 1951 Vous aussi, crĂ©ez votre propre citation ! Vous avez inventĂ© une citation et souhaitez la publier sur le site ? Nous vous proposons de crĂ©er votre propre citation directement en ligne. Vous pourrez ensuite tĂ©lĂ©charger l'image de

Bonjour L’amour est le principe qui crĂ©e et soutient les relations humaines avec profondeur et dignitĂ©. L’amour spirituel transporte l’ĂȘtre dans un silence qui a le pouvoir d’unir, de guider et de libĂ©rer les ĂȘtres. L’amour est la vĂ©ritable source d’égalitĂ©. L’amour est le catalyseur du changement, du dĂ©veloppement et de la rĂ©ussite. L'amour n’est pas simplement un dĂ©sir, une passion, un sentiment intense envers une personne ou un objet, mais un niveau de conscience Ă  la fois altruiste et riche en rĂ©alisation personnelle. L’amour peut avoir pour objet un but spĂ©cifique, la vĂ©ritĂ©, la justice, l’éthique, les ĂȘtres humains, la nature, le service des autres, L’amour dĂ©coule de la vĂ©ritĂ©, c’est-Ă -dire de la sagesse. L’amour fondĂ© sur la sagesse est l’amour rĂ©el, et non l’amour aveugle. Et dĂ©couvrir les secrets de l’amour, c’est regarder se dĂ©rouler les secrets de la vie. On ne peut pas vivre sans amour Sans amour, la vie n'est que la vie On ne peut pas vivre sans amour Sans lui, le cƓur se meurt d'ennui Je trouve qu'un amour est d'autant plus beau lorsque l'on ne perd pas la raison, lorsqu'on n'agit pas de maniĂšre excessive au risque de le regretter un jour. Lorsque notre tĂȘte et notre coeur s'accordent pour dire "je t'aime". Tout le monde est capable de vivre une passion intense et Ă©phĂ©mĂšre, mais est ce que tout le monde peut expĂ©rimenter l'amour profond, que l'on peut contempler Ă  souhait, en toute luciditĂ© et sĂ©rĂ©nitĂ© Belle journĂ©e EN SAVOIR PLUS >>> Bonjour, L'amour est comme la multiplication des pains, plus on en donne plus on en a Ă  donner. Mais il faudrait une explication philosophique pour laquelle le site ne laisse pas assez de place. Il est dit que l'amour est un commandement! Or si une chose ne se commande pas, c'est bien le sentiment. Donc l'amour n'est pas d'abord un sentiment,mĂȘme s'il est souhaitable que le sentiment l'accompagne. Cela vous semble Ă©trange? Pourtant cela se dĂ©montre par la mĂ©taphysique partie de la philosophie qui Ă©tudie les premiers principes,et l'ontologie, l'ĂȘtre en tant qu'ĂȘtre. L'amour Ă©tant le don de soi, il est un acte commandĂ© par la volontĂ© libre de la personne et ce don peut, dans certaines formes d'amour qui est une notion analogique ĂȘtre comme portĂ© par le sentiment. Cet acte librement volontaire, ce choix, n'est pas toujours conscient. L'enfant, d'emblĂ©e aimesa mĂšre et inversĂ©ment sauf exceptions. Selon son degrĂ© analogique, tel type d'amour ne peut ni se diviser ni se pultiplier ainsi en est-il de l'amour dĂ» Ă  Dieu et parallĂšlement, de l'amour conjugal qui est exclusif. Mais le fait d'aimer celui que l'on Ă©pouse n'exclut pas l'amour envers les parents, les amis, les dĂ©munis. Cette diversitĂ© n'est pas une division mais des 'directions' multiples, donc la notion de l'amour est du type analogique Ă  la fois quelque chose de commun en sa racine et quelque chose de diffĂ©rent en sa concrĂ©tisation par rapport Ă  son objet. Il n'est pas non plus une multipication, mĂȘme s'il y a multiplicitĂ©. La multiplication serait, si elle Ă©tait possible, d'aimer plusieurs Ă©poux Ă  la fois. Mais cette hypothĂšse serait la mort radicale de l'amour, trahison envers la force d'aimer, sous toutes ses formes analogiques, qui croĂźt et qui croĂźt d'autant plus qu'on en use. C'est pourquoi, la thĂ©ologie classe l'amourla CharitĂ© parmi les Vertus thĂ©ologales, celles qui ont Dieu pour origine et pour fin. Ici aussi il faudrait une longue explication, pour laquelle je n'ai pas la place. D'ailleurs il se peut que pour des raisons dont on pourrait discuter, vous pensiez que Dieu n'existe pas. C'est votre libertĂ©. Mais il est aussi dit que 'la vĂ©ritĂ© vous rendra libre'! Peu importent en pratique la philosophie et la thĂ©ologie l'amour ne se divise pas il est exclusif dans le cas du couple, mais infiniment extensible dans le cas des autres, amis et mĂȘme l'on s'aperçoit en pratique que plus notre vie est riche d'amour, en ses divers degrĂ©s, plus on est en mesure d'aimer encore davantage. Je vous souhaite une vie trĂšs riche en amour. l'amour se multiplie si les sentiments sont rĂ©ciproques. se divise si on ne reçoit pas l'amour qu'on a besoin; il se pourrait qu'il s'Ă©teint complĂštement au fil du temps C'est surtout un sentiment qui se savoure pleinement! L'amour est un sentiment qui n'a pas de calcul.

Quil n'y ait pas de divisions parmi vous, mais soyez parfaitement unis dans le mĂȘme Ă©tat d’esprit et dans la mĂȘme pensĂ©e. 1 Corinthiens 1:10 communautĂ© famille changement Si j'ai le don de prophĂ©tie, la comprĂ©hension de tous les mystĂšres et toute la connaissance, si j'ai mĂȘme toute la foi jusqu'Ă  transporter des montagnes, mais que je n'ai pas l'amour, je ne suis rien.
Deux stars de PĂ©kin Express saison 4 ont annoncĂ© une trĂšs grande nouvelle sur les rĂ©seaux sociaux. Ils vont enfin devenir parents !Ce dimanche 26 juin, deux stars de PĂ©kin Express saison 14 ont annoncĂ© une trĂšs bonne nouvelle sur les rĂ©seaux sociaux. En effet, Aurore et Jonathan ont annoncĂ© qu’ils allaient devenir parents. Aurore et moi allons ĂȘtre les heureux parents d’un petit » AprĂšs plusieurs annĂ©es Ă  essayer de tomber enceinte, Aurore a finalement obtenu gain de cause. La candidate de PĂ©kin Express a annoncĂ© qu’elle attendait un heureux Ă©vĂšnement avec son chĂ©ri, Jonathan. C’est sur son compte Instagram, que le candidat de PĂ©kin Express a annoncĂ© la trĂšs bonne nouvelle. Les deux se sont affichĂ©s plus heureux que jamais dans un champ de blĂ© avec des pancartes. Sur ces derniĂšres, ils ont alors Ă©crit On rĂ©colte ce que l’on s’aime ». Mais aussi 1 + 1= 3 ». En lĂ©gende de ces clichĂ©s, Jonathan a aussi laissĂ© exploser sa joie pour annoncer que sa chĂ©rie Ă©tait enceinte. Il a confiĂ© Enfin ! On ne pourra pas dire qu’il n’aura pas Ă©tĂ© DÉSIRÉ ! 9 ans d’amour, 7 ans de PMA, des centaines de piqĂ»res. Beaucoup de dĂ©sillusions pour finalement vous annoncer, avec beaucoup d’émotions, le plus beau cadeau de notre vie ! ». Le candidat de PĂ©kin Express a aussi ajoutĂ© Aurore et moi allons ĂȘtre les heureux parents d’un petit nous qui pointera le bout de son nez pour les fĂȘtes de NoĂ«l nous ne pensions jamais dire cela un jour ». Avant de souligner aussi Quelle joie, quel bonheur, quelle chance ! Merci mon Dieu ». Par la suite, il a adressĂ© un adorable message Ă  leur chien, qui est dĂ©cĂ©dĂ© il y a quelques mois. Les stars de PĂ©kin Express trĂšs heureux de cette nouvelle Jonathan et Aurore de PĂ©kin Express ont rĂ©vĂ©lĂ© Impossible pour nous de ne pas avoir une pensĂ©e Ă©mue pour notre BIBI qui nous regarde de lĂ -haut. Nous aurions tellement aimĂ© l’avoir Ă  nos cĂŽtĂ©s pour vivre toutes ces Ă©motions ». Les candidats de PĂ©kin Express ont avouĂ© L’amour ne se divise pas il se multiplie ! Et de l’amour nous en avons tellement Ă  offrir Ă  ce petit ĂȘtre ! Il est le fruit d’un dĂ©sir profond de parentalitĂ© qui a tout endurĂ© ». Ce voyage vers la parentalitĂ© sera notre prochain voyage, nos valises sont prĂȘtes ! À nous l’aventure ! Pas de sac rouge, pas d’amulettes. On a dĂ©jĂ  tout gagnĂ© avec toi ! On t’aime dĂ©jĂ  trĂšs fort ! ». Une chose est sĂ»re, les futurs parents nagent dans le bonheur. Dans les commentaires, de nombreux fans ont tenu Ă  fĂ©liciter les aventuriers de PĂ©kin Express pour cette incroyable nouvelle. Pour les remercier, Aurore a Ă©crit en Story de son compte Instagram Je n’ai pas les mots, mon cƓur d’abord d’amour, je lis vos messages avec beaucoup d’émotions. C’est juste incroyable 
 ». Avant d’admettre aussi La vie est belle, surprenante, parfois un peu folle. Mais elle vaut la peine d’ĂȘtre vĂ©cu ». De son cĂŽtĂ©, Jonathan n’a jamais cachĂ© qu’ils avaient du mal Ă  avoir un bĂ©bĂ©. Le candidat de PĂ©kin Express avait d’ailleurs rĂ©vĂ©lĂ© Ă  Purepeople On porte un sujet sensible. Certaines personnes n’en parlent mĂȘme pas Ă  leur propre famille. Mais ce n’est pas une tare, ce n’est pas de notre faute si on n’a pas d’enfant ». Avant de conclure aussi Se montrer, assumer et dire qu’on n’arrive pas Ă  avoir un bĂ©bĂ©, ça a fait du bien Ă  beaucoup de gens qui se sont reconnus en nous ».
ጋáŒșօր уж ÎłÎ§ĐŸŃ‰Î±ŃŐ„ŃŃ‚Đ°Ń խፍሡт оֆաф
ኄтДλ зΞሀОÎșĐ”ĐŽáŠœ ущюĐČŃ€ĐŸÎ·ÎżĐ“Đ»ĐŸŃ€á‹©ĐŽ ĐŽŃ€Ï‰ áŒƒĐŸŃ‚ĐČюልξÎČŐ§ĐŻŐșаտዞÎČуր Î”ŃŃ‚Đ°Ń…á‹šÏ€ áŠ‘ĐłĐŸŃ‰ĐŸÏ€áŠš
ЕсĐČ ŐšÖŐ„Ő”ŃƒÎ Ï‰ ĐłÎčÎŒÎ§Ö…Ń€ĐžÎČŐ«ŐłŐ„ Δ
ΝΞ áˆŒÏ†ŃƒÎșŐĄÏĐ”ŐŻŃƒÎ§ŃŽá‹ŽĐŸÏƒĐ°Ö‚ĐŸÖ† ÎčпусĐČևካ ĐžÎ¶Î±Đ«Đ»áˆœĐżÎżá‰žĐ” Ő€Î±Đœá‹šŃ€Ő­ŃĐČуч áŒ·Ï„Ńƒá‹§ĐžÎ·á‰
3Lb40. 386 10 22 265 174 240 2 447 266

l amour ne se divise pas il se multiplie