Ona raison de se révolter mais il ne suffit pas de se révolter pour avoir raison et passer d'une erreur à l'autre. Comme dit Pascal (IV.2.148) : "l'erreur n'est pas le contraire de la vérité. Elle est l'oubli de la vérité contraire". Notre réalité est bien celle d'un matérialisme spirituel, dialectique. Il faut tenir compte de ses
Liane Lazaar est rĂ©dactrice web rattachĂ©e au pĂŽle TV de Elle connaĂźt autant le parcours de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 que les derniers rebondissements des candidats de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© et a un goĂ»t prononcĂ© pour les histoires de coeur. Les critiques fusent autour de la famille Van Der Auwera, au casting de "Familles nombreuses, la vie en XXL" sur TF1. La tribu de 13 membres ne se laisse toutefois pas faire et a adressĂ© un message bien senti aux haters. C'est LE programme qui fait beaucoup parler ces derniers jours. Du lundi au vendredi, sur TF1, est diffusĂ© Familles nombreuses, la vie en XXL. Il s'agit d'un docu-rĂ©alitĂ© qui se consacre Ă une poignĂ©es de couples qui ont dĂ©cidĂ© d'avoir toute une ribambelle d'enfants. Alors que l'Ă©mission rencontre un joli succĂšs, les candidats, eux, subissent le retour de bĂąton de certains internautes. En effet, il n'est pas rare que certaines familles se retrouvent Ă ĂȘtre victimes de commentaires trĂšs dĂ©sagrĂ©ables sur les rĂ©seaux sociaux. Les Pellissard ont par exemple Ă©tĂ© pointĂ©s du doigt pour les nombreuses allocations qu'ils perçoivent et les Santoro ont Ă©tĂ© jugĂ©s pour former une famille "trop parfaite". C'est au tour des Van Der Auwera de s'attirer les foudres des haters. Les parents Cindy et SĂ©bastien ont de quoi marquer les esprits avec leurs 11 enfants et leur foyer peuplĂ© de plus de 60 animaux ! Un mode de vie pour le moins original qui ne plaĂźt pas Ă tout le monde. Sur Instagram, la joyeuse famille a donc tenu Ă rĂ©pondre aux critiques de la meilleure des maniĂšres. "Le chiffre 13 est souvent mal jugĂ©. Chez nous il est signe de Bonheur, Bonne humeur, Rire, Joie, Amour, Passion, Partage, ComprĂ©hension, Entraide, SolidaritĂ©, Ăcoute... Et tout cela multipliĂ© par 13 car oui ici tout se multiplie et ne se divise pas", lit-on sur leur dernier post. Et pour eux d'ajouter "Alors n'en dĂ©plaise Ă certains, oui... quoi qu'il en soit nous savons ce que nous valons et nous ne changerons pas car c'est NOTRE VIE, c'est NOTRE CHOIX. Les mauvaises langues continuez Ă parler de choses que vous ne maitrisez et ne connaissez pas car Ă moins de ne faire partie de notre vie, de notre famille, je ne vois pas comment vous pouvez parler de choses et d'autres... Bref, une chose est sĂ»re nous continuerons Ă apporter tout ce que nous apportons chez nous mais aussi autour de nous car c'est notre façon d'ĂȘtre. ... Les autres critiqueurs, mĂ©disants, mĂ©chants...PASSEZ VOTRE CHEMIN vous perdez votre temps". Ă bon entendeur. Familles nombreuses, la vie en XXL du lundi au vendredi Ă 17h15 sur TF1 Abonnez-vous Ă Purepeople sur facebook
LesintĂ©grer dans la dynamique familiale est donc la meilleure façon de les affronter. Il ne faut surtout pas permettre quâelles agissent comme un facteur extĂ©rieur de dĂ©stabilisation personnelle. Dans une famille, les joies se multiplient et les peines se divisent. Quand la menace est extĂ©rieure Ă la famille, câest la famille au
Temps de lecture 19 minutes Quand le libĂ©ralisme triomphant nous imposait un individualisme dĂ©bridĂ© avec une conception de l'homme rĂ©duite Ă ses plus mauvais cĂŽtĂ©s, l'urgence Ă©tait bien d'affirmer notre communautĂ© originaire et de refonder nos solidaritĂ©s sociales mais lorsque les mouvements sociaux se rĂ©veillent et qu'on assiste au retour de l'Etat, l'urgence redevient l'affirmation de la libertĂ© individuelle et de ne pas tomber dans un angĂ©lisme destructeur mais de prĂ©server la dualitĂ©, voire la duplicitĂ© de notre rĂ©alitĂ© humaine. Ce n'est pas parce qu'il y a de l'universel qu'il n'y a pas de particulier. Il y a du collectif mais il y a aussi de l'individuel. Certes, il n'y a pas que des corps, il y a aussi les relations entre les corps mais il y a quand mĂȘme la part du corps. Il n'y a pas de dignitĂ© en dehors de l'appartenance Ă la communautĂ© humaine mais cette dignitĂ© rĂ©side malgrĂ© tout dans notre libertĂ© et responsabilitĂ© individuelle ; libertĂ© constituant l'essence mĂȘme de l'amour et de ses contradictions, Ă mille lieues de la libertĂ© idĂ©alisĂ©e du libĂ©ralisme. Tout est matiĂšre, tout est solidaire mais tout ne forme pas une unitĂ© indistincte, il y a diffĂ©rentes dimensions, une pluralitĂ© de systĂšmes et d'organismes, il y a des vivants, il y a de l'information, il y a du langage, il y a de l'esprit dans toute parole, toute rĂ©flexion. Il n'y a pas que l'identitĂ© de tous avec tous, il y a aussi la diffĂ©rence de chacun avec chacun. Il n'y a pas que ce qui nous rassemble, il y a aussi ce qui nous divise voire nous oppose et aprĂšs avoir voulu tout rĂ©unir, il nous faudra sĂ©parer de nouveau. Impossible de s'en sortir sans un minimum de dialectique oĂč l'on peut ĂȘtre solitaire sans ĂȘtre individualiste tout comme on peut ĂȘtre sociable sans jouer collectif, ou mĂȘme parler au nom de tous sans prendre l'avis de personne. Il est d'autant moins facile de rĂ©futer les Ă©lans mystiques et l'identification de l'individu au collectif que l'unitĂ© fusionnelle finit par englober tout l'univers. Il faut dĂšs lors remonter trĂšs haut pour essayer de comprendre comment un se divise en deux, comment la vie s'oppose Ă l'entropie, l'homme Ă l'animal, l'individu au collectif auquel il appartient ; sĂ©paration originelle qui constitue le caractĂšre tragique de la vie dont aucune utopie ne nous dĂ©livrera car il fait aussi tout le prix de l'existence. Contre les tendances mystiques et la tentation spinoziste, il s'agit de comprendre ce qui nous oppose Ă l'univers dont nous faisons partie pourtant et de rĂ©tablir un strict dualisme entre matiĂšre et perception comme entre l'Ăšre de l'Ă©nergie et l'Ăšre de l'information tout comme entre individu et collectif. D'une certaine façon je m'acquitte ici, quoique sous une forme trop abrĂ©gĂ©e, d'une promesse faite Ă Jacques Robin de donner ma version de l'aventure de l'univers qui se dĂ©marque de la sienne Ă la fin de sa vie, portĂ©e par des Ă©lans cosmiques auxquels je me refuse, pour ĂȘtre plus fidĂšle peut-ĂȘtre Ă son intuition centrale, dĂ©fendue toute sa vie durant, d'une rupture radicale entre le monde de l'Ă©nergie et le monde de l'information ainsi que la nĂ©cessitĂ© d'une pluralitĂ© des systĂšmes. On pourrait dire qu'il s'agit de l'impossible existence de l'ensemble de tous les ensembles, d'une totalitĂ© des totalitĂ©s, sans nier pour autant l'existence de systĂšmes et de totalitĂ©s effectives, comme s'il n'y avait que des corps isolĂ©s. Rien de plus facile que de rĂ©futer le dualisme il n'y a qu'un seul monde, qu'il soit fait de matiĂšre ou simple vision de l'esprit, pas de place pour l'espace "et" la pensĂ©e, pas de place pour la bifurcation, la rupture, c'est tout un ou tout autre. A l'opposĂ©, le dualisme est ce qui pense Ă la fois l'une et l'autre dimension, leur hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© et leurs interactions qu'on perd en les ramenant Ă l'unitĂ© premiĂšre, nuit obscure oĂč toutes les vaches sont noires. L'Ă©tonnant, c'est qu'il puisse y avoir un lien entre le regard surplombant, oĂč les diffĂ©rences s'annulent ou se confondent, et les effusions collectives oĂč les identitĂ©s se fondent temporairement dans le groupe. Dans les 2 cas, il faudrait arriver pourtant Ă penser la diffĂ©rence derriĂšre l'unitĂ© de façade, penser Ă la fois l'individu et le collectif dans leurs complexitĂ©s afin de restituer une anthropologie plus rĂ©aliste dans ses contradictions mĂȘmes et sa sexuation, qui ne soit ni libĂ©ralisme individualiste, ni totalitarisme communautaire mais une Ă©cologie de la diversitĂ© qui nous unit en tant que sĂ©parĂ©s et ne mutile pas notre double nature. Comment un dualisme peut-il ĂȘtre pensable ? Comment deux pourrait-il Ă©merger de l'un ? C'est la vie qui rĂ©pond avec la division cellulaire au moins, si ce n'est avec la sexualitĂ©, mais plus fondamentalement par l'Ă©mergence de la vie elle-mĂȘme et de l'esprit, Ă partir de l'univers mais contre lui peut-on dire, introduisant cette division, de façon assez ironique, comme nostalgie de l'unitĂ© perdue. On peut certes unir l'univers matĂ©riel et le monde de la vie ou de l'information comme sa propre rĂ©flexion mais dans cette sorte de conscience de soi la rĂ©flexion apporte une rupture radicale entre le sujet et l'objet, entre la conscience et le monde qu'elle interroge, entre la finalitĂ© qui inverse le cours du temps en se tournant vers le futur et la causalitĂ© qui nous vient du passĂ©. La vie n'est pas matiĂšre et ne se rĂ©duit pas Ă des rĂ©actions chimiques, ce serait rater le fait que vivre est un processus Ă©volutif d'apprentissage et d'adaptation au milieu. De mĂȘme, l'esprit est une page blanche qui regarde de l'extĂ©rieur et ne se rĂ©duit pas au corps. PensĂ©e et matiĂšre ne sont pas les deux faces d'une mĂȘme rĂ©alitĂ©, ce n'est pas la mĂȘme chose exprimĂ©e de deux maniĂšres diffĂ©rentes mais des rĂ©alitĂ©s incommensurables comme la vĂ©ritĂ© et le savoir. L'information montre en se transmettant qu'elle ne tient pas Ă sa matiĂšre, qui ne se reproduit pas, mais seulement Ă sa forme, qui se reproduit. Mieux, l'information comme improbabilitĂ© s'oppose Ă la probabilitĂ© matĂ©rielle, comme la vie se dĂ©finit par son opposition Ă l'entropie et par sa complexification. Le monde de l'information et de l'esprit n'est pas le monde matĂ©riel ni celui de l'Ă©nergie, et c'est pour cela que le monde de la vie n'est pas celui de la chimie qui lui sert de support. Qu'est-ce que la vie en effet ? C'est la reproduction et l'homĂ©ostasie, la persistance dans l'ĂȘtre et l'Ă©volution par l'information, c'est-Ă -dire la lutte contre la mort et l'entropie grĂące Ă la mĂ©moire de rĂ©actions adaptĂ©es sĂ©lectionnĂ©es par leur performance dans la compĂ©tition pour les ressources et l'adaptation aux modifications de l'environnement. DĂšs lors, comment dire que nous faisons un avec tout l'univers alors que nous nous opposons de toutes nos facultĂ©s Ă sa force de dispersion, comment dire que nous faisons parti de la mĂȘme aventure que le fleuve qui nous entraĂźne quand on remonte pĂ©niblement le courant, quand nous construisons pas Ă pas alors que le temps dĂ©truit tout sur son passage, quand l'improbable et la complexification se rĂ©pandent sur toute la planĂšte alors que tout devrait retourner en poussiĂšre dans l'indiffĂ©rence du probable, l'Ă©galisation des tempĂ©ratures, la surface lisse d'un lac immobile que rien ne viendrait troubler, dans un silence de mort... Non, il n'y a pas unitĂ© de la vie et de la matiĂšre mais sĂ©paration du percipiens et du perceptum, opposition du sujet Ă l'objet comme du prĂ©dateur Ă sa proie mĂȘme si on cherche Ă se fondre dans le dĂ©cor ! Loin d'une contemplation passive de la mĂ©canique cĂ©leste, nous voilĂ plutĂŽt dressĂ©s contre le ciel qui nous condamne sans merci, nostalgie de l'unitĂ© et de la persistance dans l'ĂȘtre qui est un combat perdu d'avance pourtant. Toute vie a quelque chose de tragique qui la dĂ©passe et s'Ă©lance au-delĂ d'elle-mĂȘme. Ce n'est pas un long fleuve tranquille, non, mais bien une lutte incessante et c'est plutĂŽt le poing levĂ© que nous pouvons dĂ©fier l'univers tout entier, vie volĂ©e Ă la mort qui nous ronge, durĂ©e sauvĂ©e du nĂ©ant et que nous aurons fait nĂŽtre pour l'Ă©ternitĂ© malgrĂ© tout ce qui nous renie. Est-ce Ă dire que nous pourrions faire un avec la nature en tant que nature vivante et monde des finalitĂ©s ? On peut certes voir une certaine unitĂ© entre le prĂ©dateur et sa proie mais elle n'est pas sans une hostilitĂ© originelle ! Bien sĂ»r que nous sommes vivants, pas seulement matiĂšre, et solidaires des autres vivants, dĂ©pendants de toute la biosphĂšre, de ses cycles nutritifs et climatiques, de toutes sortes d'Ă©quilibres, de circuits, de flux de matiĂšres et d'Ă©nergie contrĂŽlĂ©es par des flux d'informations. Nous pouvons Ă©prouver lĂ©gitimement le sentiment d'appartenir Ă la grande chaĂźne de la vie. Pourtant tout ce qui nous relie Ă l'ensemble du monde vivant n'empĂȘche pas qu'il y a plus encore qui nous y oppose comme le sujet Ă l'objet Ă la fois d'y apporter la dĂ©vastation et d'en devenir responsables. Ce n'est pas parce que nous devons prendre soin du monde qu'il n'y a pas une sĂ©paration radicale entre nature et culture unis en tant que sĂ©parĂ©s. L'Ă©volution de la vie se fait contre la dĂ©gradation physique et l'aventure de la vie ne se confond donc pas avec l'aventure de l'univers pas plus que notre destin ne se confond avec le destin de l'animal ni avec une introuvable harmonie originaire. La vie humaine n'est pas une vie animale, ce n'est mĂȘme pas une vie sociale, c'est une vie culturelle et politique, dĂ©sir de reconnaissance, dĂ©sir jaloux et besoin d'amour plutĂŽt que satisfaction des instincts et tyrannie des plaisirs, sujet du langage et de l'Ă©nonciation, fascination du rĂ©cit et des mythes, monde symbolique qui a autant d'existence que le monde vivant, s'incarnant dans des institutions, des livres et des rĂ©seaux numĂ©riques dĂ©sormais. La raison ou la folie auxquelles le langage donne accĂšs sont de l'ordre du surmoi, du cerveau inhibiteur, de la maĂźtrise des instincts animaux par une rĂ©flexion supĂ©rieure rationalisante et formĂ©e par un long apprentissage oĂč se rĂ©capitule toute l'histoire humaine. L'homme s'arrache Ă l'animalitĂ©, il s'en distingue explicitement, le revendique, question de dignitĂ©. La vie est dĂ©jĂ rĂ©gie par l'information et la mĂ©moire mais le langage introduit une nouvelle rupture par une sorte de radicalisation. En amĂ©liorant simplement la transmission de l'information et sa mĂ©moire cumulative, il multiplie les signes et donne vie au monde de l'esprit. Le monde des discours impose son existence bien qu'il soit en dehors du monde de la vie jusqu'Ă en perturber les Ă©quilibres vitaux. Il est remarquable que cette domination technique sur le monde trouve son origine dans la matĂ©rialisation de la pensĂ©e et du savoir dans un langage. Si le langage nous donne un nom, une place, une identitĂ© et nous relie, il nous divise tout autant entre sujet de l'Ă©noncĂ© et sujet de l'Ă©nonciation. LĂ encore, un se divise en deux. Sommes nous unis au moins Ă tous les hommes comme l'humanisme nous l'enseigne ? Tous ? Non, sinon de façon abstraite car la rĂ©alitĂ© est celle des luttes qui nous opposent sans rĂ©pit entre gauche et droite, dominants et dominĂ©s sinon entre homme et femme qui se dĂ©chirent. Le diable continue le travail du nĂ©gatif introduisant la division partout. Il y a une solidaritĂ© rĂ©elle entre nous, qui ne dĂ©pend pas de ce qu'on en pense, mais il y a aussi des divisions profondes entre classes, sexes, religions ou localitĂ©s, divisions qui ne peuvent ĂȘtre refoulĂ©es sans dommage mĂȘme si elles peuvent ĂȘtre dĂ©passĂ©es ponctuellement. Pire, il n'y a pas du tout d'unitĂ© substantive avec le collectif tout au plus identification au leader car, la plupart du temps, c'est l'ennemi ou le concurrent qui fait le collectif de l'extĂ©rieur et non une identitĂ© partagĂ©e, une essence individuelle ni une reconnaissance mutuelle supposĂ©e, ni mĂȘme les liens d'amitiĂ©s qui en dĂ©coulent. Le collectif peut certes se constituer idĂ©alement sur un objectif Ă atteindre, en faisant Ă©quipe, mais les tensions intĂ©rieures ne peuvent ĂȘtre gommĂ©es que par des tensions extĂ©rieures. S'il est absolument crucial de reconnaĂźtre l'importance du collectif, cela ne doit pas gommer ce que l'individu peut avoir d'irrĂ©ductible au collectif et s'aveugler par l'enthousiasme excessif de tout groupe en fusion. Il faut bien se rassembler pour renverser l'ordre ancien, mais pas pour retrouver une prĂ©tendue unitĂ© originelle indiscutable ni des liens idĂ©aux, et d'autres configurations peuvent justifier d'autres alliances oĂč les amis d'hier deviennent les adversaires de demain. C'est inĂ©vitable dĂšs lors qu'il n'y a pas de nature humaine ni de vĂ©ritĂ© donnĂ©e et qu'on doit se dĂ©cider en l'absence d'informations suffisantes et en fonction de rapports de force politiques. Il faut occuper ce lieu non de l'union de tous mais de la division, de l'expression du nĂ©gatif, des contradictions effectives, de la transformation du monde et de la lutte contre ses injustices qui suffit Ă nous mobiliser. On a raison de se rĂ©volter mais il ne suffit pas de se rĂ©volter pour avoir raison et passer d'une erreur Ă l'autre. Comme dit Pascal "l'erreur n'est pas le contraire de la vĂ©ritĂ©. Elle est l'oubli de la vĂ©ritĂ© contraire". Notre rĂ©alitĂ© est bien celle d'un matĂ©rialisme spirituel, dialectique. Il faut tenir compte de ses deux faces, tenir compte de la contradiction entre individu et collectif non pas l'Etat ou le marchĂ© mais l'Etat et le marchĂ©, la dĂ©mocratie et le mouvement social. Le sujet c'est toujours le perturbateur, qui se pose en s'opposant, l'exception Ă la rĂšgle. Le dĂ©mon de la division donne malgrĂ© tout une partie de la rĂ©ponse sur ce qu'il faut faire, Ă l'opposĂ© des constructions utopiques forcĂ©ment totalitaires de par leur caractĂšre unilatĂ©ral et uniformisant. Le prĂ©alable, en effet, c'est de reconnaĂźtre la pluralitĂ© des systĂšmes, ce que Jacques Robin appelait une Ă©conomie plurielle et qui a toujours existĂ©, au moins sous forme d'Ă©conomie mixte. Cela veut dire pratiquement qu'il ne faut pas tant viser la fin du capitalisme globalisĂ© que l'empĂȘcher de monopoliser la place et commencer Ă organiser sa sortie en construisant des alternatives locales, en ouvrant le champ des possible, dans la pluralitĂ© des valeurs, des rĂŽles sociaux et des modes de vie, Ă l'opposĂ© d'un homme nouveau normalisĂ© et bien plus que ce que peut permettre le libĂ©ralisme. VoilĂ qui implique une toute autre stratĂ©gie de rĂ©seaux et d'action collective sans avoir besoin de centralitĂ© mais avec des collectifs locaux des coopĂ©ratives et des monnaies locales reliĂ©s par des circuits alternatifs. Bien sĂ»r, il faut mettre une limite au dĂ©mon de la division et Ă notre dispersion infinie en reconnaissant la nĂ©cessitĂ© d'organisations collectives du fait de l'existence de systĂšmes dont nous dĂ©pendons, de totalitĂ©s effectives, de circuits d'Ă©nergie, de matiĂšre et d'informations qui les contrĂŽlent, de contraintes systĂ©miques enfin, ce qui n'est pas en faire des systĂšmes totalitaires dĂšs lors qu'il y en a plusieurs et qu'ils disposent d'une autonomie relative et de leur fonctionnement propre. L'unification paranoĂŻaque de tous les systĂšmes dans un mĂ©gasystĂšme est une absurditĂ©, une vue de l'esprit, une pure abstraction aussi impossible que l'ensemble de tous les ensembles ou mĂȘme qu'un capitalisme monopolistique sans concurrence ni divisions internes ! Ce n'est pas non plus parce qu'ils sont intĂ©grĂ©s dans le mĂȘme corps qu'on pourrait identifier systĂšme sanguin, systĂšme immunitaire et systĂšme nerveux qui sont bien diffĂ©renciĂ©s. Ce n'est en rien un effet imaginaire de les distinguer alors que les confondre serait nier l'organisation qui les fait converger dans l'action commune. De mĂȘme, les niveaux de rĂ©alitĂ© sont bien rĂ©els, tout comme les effets de surface. La peau sĂ©pare rĂ©ellement comme toute membrane. Il n'y a pas un seul bloc unifiĂ© et indiffĂ©renciĂ©, mais diffĂ©rentes totalitĂ©s d'individus et d'organisations avec des degrĂ©s variables d'autonomie et des ruptures de causalitĂ©. Dans ce monde divisĂ©, pouvons-nous encore nous imaginer participer Ă l'aventure humaine, nous rĂ©clamer de l'histoire collective et d'un avenir commun ? D'une certaine façon, si l'on peut dire, mais seulement en se rĂ©fĂ©rant Ă une "tradition rĂ©volutionnaire" contradictoire dans les termes car il ne s'agit pas tant d'aller dans le sens de l'histoire, pour cela nul besoin de nous, que de rĂ©sister Ă chaque fois aux dĂ©rives de notre temps et refuser l'inacceptable, corriger ses erreurs, donner sens au non-sens du monde, tĂ©moigner de notre inadĂ©quation Ă l'universel et de la dysharmonie de l'existence, de l'Ă©chec de la communication, de l'absence de dialogue. La vraie vie est absente en dehors des mirages de l'amour qui se termine mal, en gĂ©nĂ©ral. Il n'y a pas de fin de l'aliĂ©nation ni de fin de l'histoire, seulement des problĂšmes Ă rĂ©gler, des torts Ă redresser, des Ă©quilibres Ă rĂ©tablir, des opportunitĂ©s Ă saisir, des catastrophes Ă Ă©viter. Ce parti du nĂ©gatif qui est celui de l'Ă©cologie et de la raison est bien plus constructif que le parti du positif et de l'utopie ne reculant devant aucune destruction pour forcer la rĂ©alitĂ© Ă se conformer Ă ses rĂȘves cauchemardesques. Bien sĂ»r, on a besoin de finalitĂ©s collectives, d'espĂ©rance et de l'expression de notre solidaritĂ©, mais il ne faut jamais en faire trop, la dĂ©ception n'en serait que plus grande. Il vaut mieux revenir Ă nos divisions bien rĂ©elles, au quotidien et au local, Ă la rĂ©appropriation de leurs pratiques par les acteurs eux-mĂȘmes, partir de ce qui ne marche pas. Il y a dĂ©jĂ fort Ă faire Ă crĂ©er des possibilitĂ©s nouvelles, donner des alternatives lĂ oĂč il n'y en avait pas, sans devoir promettre une humanitĂ© mĂ©tamorphosĂ©e ni une sociĂ©tĂ© idĂ©ale oĂč tous les coeurs s'uniraient alors qu'il faudrait admettre nos dissensus, irrĂ©ductibles, et nos propres limites, irrĂ©parables. Tout n'est pas nĂ©gociable, il y a de l'incompatible, des diffĂ©rences radicales, on ne peut s'allier avec n'importe qui, dans n'importe quelles circonstances. C'est avec tous ces gens diffĂ©rents qu'il faut bien faire sociĂ©tĂ© pourtant mais il n'y a pas que l'Un, il y a l'Autre aussi. Un parti se prouve comme le parti vainqueur seulement parce qu'il se scinde Ă son tour en deux partis. En effet, il montre par lĂ qu'il possĂšde en lui-mĂȘme le principe qu'il combattait auparavant et a supprimĂ© l'unilatĂ©ralitĂ© avec laquelle il entrait d'abord en scĂšne. L'intĂ©rĂȘt qui se morcelait en premier lieu entre lui et l'autre s'adresse maintenant entiĂšrement Ă lui, et oublie l'autre, puisque cet intĂ©rĂȘt trouve en lui seul l'opposition qui l'absorbait. Cependant en mĂȘme temps l'opposition a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans l'Ă©lĂ©ment supĂ©rieur victorieux et s'y reprĂ©sente sous une forme clarifiĂ©e. De cette façon, le schisme naissant dans un parti qui semble une infortune manifeste plutĂŽt sa fortune. Hegel, PhĂ©nomĂ©nologie de l'Esprit.
Ilpeut momentanĂ©ment rĂ©gresser dans ses apprentissages (pipi au lit, besoin dâaide pour se laver ou sâhabiller, rĂ©gression du langage). Pour lâaider Ă trouver sa place, nâhĂ©sitez pas Ă le rassurer, en lui expliquant par exemple que lâamour ne se divise pas mais se multiplie avec le nombre dâenfants. PrĂ©server ses repĂšres
ï»żUne citation de Ray Flex. L'Amour ne se divise pas, il se multiplie RĂ©flexion personnelle - Ray Flex Citation proposĂ©e le dimanche 07 mars 2021 Ă 152400Citations similaires Ătre n'est pas avoir RĂ©flexion personnelle - Ray FlexLe Pardon nous rend Indestructible !! RĂ©flexion personnelle - Ray Flex Votre commentaire sur la citation de Ray Flex Ray Flex - Ses citations L'Amour ne se divise pas, il se multiplie ... - Ray Flex Citation d'internaute - Contribution personnelle.
Afficheoriginale et design Lâamour dâune maman ne se divise pas il se multiplie
4 ? ETHICS ETH-BIB 00100002425871 ' f/022. m m * fl A J > 3 ! k I \ >âą l COURS DE PHILOSOPHIE SUR LE FONDEMENT DES IDĂES ABSOLUES DU VRAI, DU BEAU ET DU BIEN. i J AYIS. Tout exemplaire de cet ouvrage non revĂȘtu de ma griffe sera rĂ©putĂ© contrefait. . UcuAĂ©ZZ TARIS. â IMPRIMERIE ET FONDERIE DE FĂIN, Rue Racine, n° 4 * pl* ce de lâOdĂ©on. COURS DK PHILOSOPHIE PROFESSE A LA FACULTĂ DES LETTRES PENDANT lâaNNEE 1818 * PAFa M. V. COUSIN, SUR LE FONDEMENT DES IDEES ABSOLUES DU VRAI, DU BEAU ET DU BIEN; PUBLIĂ AVEC SON AUTORISATION et dâaprĂšs LES MEILLEURES RĂDACTIONS DE CE COURS.. PAR Ta. ADOLPHE GARNIER, MAITRE DE CONFERENCES A NORMALE- PARIS. librairie classique et Ă©lĂ©mentaire de l. hachette* ANCIEN DE LâĂCOLE NORMALE, RUE N° I 1836 . 2 .KZTV ' r I . afe* - 1 âą- âą .âąÂŁ ĂŻ ;âą âąÂ» ta âąÂ» -. r. .Hjfi**» ' ' -W ? PRĂFACE de lâĂ©diteur. En 1826, M. Cousin, forcĂ© au silence par un pou voirsoupçonneux, publiapour la premiĂšre fois des fragmens de son enseignement de 1 8 1 5 Ă 1818 , el principalement de cette derniĂšre annĂ©e. Le public accueillit avec empressement ces restes dâune parole qui avait retenti avec tant dâĂ©clat. Les hautes intelligences philosophiques comprirent bien le sens de ces pages si remplies et si concentrĂ©es; elles saisirent le lien qui les rattachait les unes aux autres, comme les feuillets dâun mĂȘme livre. Mais il nâen fut pas ainsi de tous les h^teurs, et principalement des jeunes vj . PRĂFACE DE LEDITEEK. * adeptes de la philosophie. La prĂ©sente publication est destinĂ©e Ă leur fournir le guide qui leur manquait, et Ă leur donner cette prodigalitĂ© dâexplications et cette surabondance de lumiĂšre, dont la jeunesse a tant besoin. Le cours professĂ© Ă la facultĂ© des lettres en 1818, par M. Cousin, rĂ©sumait son enseignement antĂ©rieur, et posait de la maniĂšre la plus large et la plus nette la thĂ©orie dogmatique du professeur. M. Cousin en donna le programme dans les Fragmens philosophiques ; mais ce programme ne pouvait ĂȘtre parfaitement intelligible que pour ceux qui en avaient entendu le dĂ©veloppement de la bouche mĂȘme du maĂźtre. Le cours de 1818 avait Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par les Ă©lĂšves de lâĂ©cole normale qui faisaient partie de lâauditoire de la facultĂ©. Ces rĂ©dactions avaient Ă©tĂ© remises au professeur, et elles dormaient dans ses cartons. Ce sont ces rĂ©dactions que jâai demandĂ©es Ă M. Cousin quelque dĂ©liance quâil eĂ»t de ces papiers dĂ©laissĂ©s et condamnĂ©s par lui Ă lâoubli, il a bien voulu me les remettre et aban- PREFACE DE L EDITEUR. V1J donner Ă ma discrĂ©tion le soin de les revoir et de les publier. AppuyĂ© sur les travaux dâĂ©lĂšves intelli- gens, et sur mes propres souvenirs, jâespĂšre nâavoir pas dĂ©naturĂ© le fond de la pensĂ©e du professeur de 1818 ; mais il nâen est pas de mĂȘme de la forme, et le public sâattend bien Ă ne pas la retrouver ici. Parmi les rĂ©dactions qui mâont Ă©tĂ© remises, il nen est quâun petit nombre qui aient Ă©tĂ© prises Ă lâaide dâun procĂ©dĂ© stĂ©no- graphique, et encore le stĂ©nographe laisse- t-il beaucoupde lacunes, et nous prĂ©vient-il quâentraĂźnĂ© comme lâauditoire par le charme de lâimprovisation du professeur, il a quelquefois nĂ©gligĂ© dâĂ©crire pour Ă©couter. Quant aux autres rĂ©dactions, faites sur des notes prises avec rapiditĂ©, mais avec trop de lenteur encore pour suivre la parole, elles nâont pu reproduire la justesse de lâexpression, la puretĂ© et la grandeur des images, lâharmonie de la pĂ©riode, et, ce qui manque a toute rĂ©daction, lâaccent de la voix, le feu du regard, la majestĂ© du geste, en un mot, 1 action oratoire, ce vĂ©hicule de la pensĂ©e, PhĂFACJS m lâĂ«ditelk. viij si puissant surtout chez un orateur comme M. Cousin, cet accompagnement indispensable de la parole qui saisit lâauditeur par tous les sens, et lui fait pour ainsi dire en trer par tous les pores lâintelligence de lâenseignement. Mais si mutilĂ©es que soient ces esquisses, elles sont pourtant ce quâil nous reste de plus complet sur lâenseignement domagticue de M. Cousin, et câest pourquoi nous les donnons au public. Le cours de 181 8 a essayĂ© de rĂ©soudre la question la plus importante et en mĂȘme temps la plus difficile de toute la philosophie, celle qui, mĂȘme pour quelques- uns, est la seule question philosophique, ou la philosophie tome entiĂšre Y a-t-il des idĂ©es qui ne soient ni la connaissance des corps, m la connaissance de nous-mĂȘmes ; et quel est le fondement de ces idĂ©es ? Lâhomme ne peut douter de sa pensĂ©e il se contredirait par son doute mĂȘme ; puisquâil ne peut poser un doute sans poser par cela mĂȘme une pensĂ©e. Au delĂ de cette pensĂ©e, existe-t-il quelque chose, et les choses sont-elles en elles-mĂȘmes ce quâelles PREFACE DE L EDITEUR. IX wons paraissent ? Jâai la pensĂ©e des corps ; niais elle me vient dans le rĂȘve comme dans lâĂ©tat de veille les, corps sont-ils plus rĂ©els dans ce second Ă©tat que dans le premier ? Sâil y a des corps, sont-ils comme ils mâapparaissent ? Je touche une Ă©tendue continue y a-t-il dans la nature une vĂ©ritable continuitĂ©? Toutes ces questions sont Ă©pineuses et pfeut-ĂȘtre insolubles; mais par bonheur il arrive que lâesprit humain se satisfait assez facilement sur lâexistence de la nature physique, et tranche la question ou ne songe pas Ă la poser. Jâai aussi ĂŒdĂ©e de moi-mĂȘme, câest-Ă -dire de quelque chose dâinvisible et dâintangible qui est toujours le mĂȘme, et qui me suggĂšre dans le langage le mot Je. Je mâapparais tantĂŽt comme une intelligence , tantĂŽt comme une sensibilitĂ©, surtout comme une volontĂ©; mais quây a-t-il au fond de tout cela? comment ces trois facultĂ©s ne dĂ©truisent- elles pas lâunitĂ© du moi ; quel est le lien de cette trinitĂ© non moins mystĂ©rieuse quâune trinitĂ© plus haute et plus sainte? Ces problĂšmes ne sont pas moins redoutables que X PRĂFACE DE t,'ĂDITEUR. les premiers, et pourtant lâesprit humain se contente encore assez facilement sur ce sujet. Aussi vrai que f existe, clit le peuple; aussi vrai que le soleilnĂź Ă©claire, ajoute- t-il. Il a donc la certitude de son existence et celle de lâexistence des corps, et ce quâil demande, câest quâon lui ramĂšne toute chose Ă une Ă©vidence aussi immĂ©diate , et aussi pleinement satisfaisante pour lui que celle de lâexistence des corps et de lâexistence du mot. Et cependant, aprĂšs lâidĂ©e des corps, aprĂšs lâidĂ©e de moi-mĂšme, tout nâest pas fini dans lâintelligence humaine. Nous avons la pensĂ©e de choses qui ne se touchent ni ne se voient, et que nous ne pouvons confondre avec nous-mĂȘmes. ,Fai lâidĂ©e dâun espace sans limite, dâun temps Ă©ternel, dâune justice et dâun devoir universels, dâun type de beautĂ© que les arts eux-mĂȘmes ne rĂ©alisent jamais, dâune cause qui nâa ni commencement ni fin quâest-ce en dehors de ma pensĂ©e que lâespace, le temps, la justice, lâidĂ©al et Dieu ? Le public nous demande que nous lui rendions tout cela aussi clair que les corps et que son PRĂFACE DE L EDITEUR. XJ existence, car, Ă tort ou Ă raison, il ne conteste pas sur ces deux points. Beaucoup de philosophes ont voulu satisfaire le public et aussi se satisfaire eux-mĂȘmes. Ils se sont dit puisque chacun reconnaĂźt lâexistence de soi-mĂȘme et lâexistence des corps, et quâon nâĂ©lĂšve sur ces deux points aucune difficultĂ©, nây a quâun moyen de donner une explication satisfaisante de tout le reste câest de le ramener soit Ă la matiĂšre, soit Ă nous-mĂȘmes. Les uns ont donc fait ce discours au public Vous trouvez claire lâexistence des corps, et je suis de votre avis. Eh bien, il nâexiste rien que des corps; toute idĂ©e a un objet sensible, toute pensĂ©e vient de la matiĂšre; le temps, lâespace, la justice, lâidĂ©al, Dieu, tout cela câest de la matiĂšre plus ou moins gĂ©nĂ©ralisĂ©e » ; et, entraĂźnĂ©s par leur systĂšme, ils ont ajoutĂ© lâesprit lui-mĂȘme nâest que matiĂšre ; le moi câest lâexpression de lâunitĂ© du corps. » Les autres ont pris la parole Ă leur tour et ont dit Vous ĂȘtes sĂ»rs de v °tre existence, et nous sommes sĂ»rs aus si de la nĂŽtre ; il ne sâagit donc pour PREFACE DE LEDITELR. X1J nous contenter suffisamment que de tout ramener Ă nous-mĂȘmes, de tout considĂ©rer comme des faces du moi humain. Ainsi vous parlez dâespace et de temps; mais ce nâest lĂ quâune pensĂ©e, vous les crĂ©ez en y pensant. Les idĂ©es de justice, de beautĂ© et de cause sont claires comme pures idĂ©es, et deviennent obscures dĂšs quâon en veut faire des existences extĂ©rieures ; » puis, cĂ©dant comme les premiers Ă lâentraĂźnement de leur doctrine, ils ont ajoutĂ© LâidĂ©e des corps nâest aussi quâune idĂ©e, car, Ă vrai dire, quâest-ce que peut ĂȘtre un corps en lui-mĂȘme 7 11 nâexiste donc rien au monde que la pensĂ©e. » Câest ainsi que la philosophie, sĂ©duite par lâĂ©vidence de lâexistence du moi et de celle de la nature, nâa voulu rien reconnaĂźtre en dehors de ces deux sphĂšres, et mĂȘme, suivant son goĂ»t dumoment, a brisĂ© le moi contre la nature ou la nature contre le moi. U faut en convenir, nous nous reposons avec une sĂ©curitĂ© profonde sur lâexistence des corps et sur celle de notre pensĂ©e, et quand nous venons Ă nous interro- PREFACE DE F EDITE Ci!. XJ1J ger sur la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure du temps, de lâespace, de lâidĂ©al, de la justice, de la substance, de la cause, il semble quâun point dâappui nous manque ; nous nous sentons comme suspendus dans le vide ou sur lâabĂźme. Notre imagination sâĂ©vertue pour se reprĂ©senter ces choses, et nous savons pourtant bien que nous ne devons pas chercher Ă nous les reprĂ©senter, quelles ne sont pas susceptibles de reprĂ©sentation, quâen- fin les reprĂ©senter câest les dĂ©truire. Mais, engagĂ©s que nous sommes dans les voies sensibles, nous arrivons en prĂ©sence de ces objets, comme Bacon reprochait aux alchimistes dâaborder les rĂ©cherches mĂ©taphysiques, les yeux obscurcis par la fumĂ©e et les mains noircies par la suie des fourneaux. Ou bien, si nous nous sommes faits mĂ©taphysiciens, si nous avons dressĂ© notre pensĂ©e Ă se replier sur elle-mĂȘme, elle se prend pour la seule rĂ©alitĂ© possible elle nie orgueilleusement tout ce qui nâest pas elle-mĂȘme; Ă©blouie de sa propre clartĂ©, elle tient en vain ses yeux ouverts sur le reste du monde. Dans le cours que nous publions, M. Cou- xiv PRĂFACE DE I,'ĂDITEUR. sin s'occupe dâabord de reconstituer le moi devant la nature, et la nature devant le moi, et de réédifier ainsi deux Ă©lĂ©mens que les Ă©coles du dix-huitiĂšme siĂšcle avaient absorbĂ©s lâun dans lâautre. Mais de courts prĂ©liminaires lui suffisent pour achever cette tĂąche, et il se consacre ensuite tout entier Ă la construction de ce monde distinct du moi et de la nature plus difficile Ă Ă©lever que les deux autres, qui a Ă©tĂ© niĂ© Ă la fois et par ceux qui Ă©pargnaient la nature et par ceux qui respectaient le moi. Le professeur commence par constater les idĂ©es qui ne tirent point leur origine du monde physique ni du moi humain, ou, en dâautres termes, qui ne sont produites ni par la sensation ni par la rĂ©flexion ; il les distingue par les deux caractĂšres dâuniversalitĂ© et dâimmuabilitĂ© qui leur sont propres; il oppose le premier Ă lâindividualitĂ© du moi , et le second Ă la perpĂ©tuelle variation de la nature; il dorme Ă ces idĂ©es le nom dâidĂ©es absolues , parce quâelles sont indĂ©pendantes de la nature et du moi ; il prend la liste qui en a Ă©tĂ© dressĂ©e par lâillustre Kant, et PRĂFACE DE LĂDĂTEĂR. XV il la rĂ©duit Ă deux idĂ©es fondamentales i" celle de cause, qui embrasse les idĂ©es de phĂ©nomĂšne, accident, qualitĂ©, multiple, particulier, individuel, relatif, possible, probable, contingent , divers et fini; 2 U celle de substance, qui comprend lâĂȘtre, limitĂ©,-lâabsolu, lâĂ©ternel, lâuniversel, le semblable et lâinfini. Et, en effet, quây a-t-il dans la nature au delĂ du phĂ©nomĂšne qui change, qui passe, qui agit sur un autre phĂ©nomĂšne , et qui" constitue ainsi lâaction et la rĂ©action des causes; et au delĂ de la substance , de lâĂȘtre immuable, inaltĂ©rable, qui est le soutien du phĂ©nomĂšne, et qui nâen partage pas les fluctuations ? Lâunivers peut se dĂ©finir quelque chose qui change et quelque chose qui ne change pas ; mais ce quelque chose qui ne change pas Ă©chappe Ă nos moyens dâobservation ; notre raison elle-mĂȘme nous en fait bien concevoir lâexistence, mais non pas la nature. LâĂȘtre infini, dit M. Cousin, ne se manifeste Ă notre esprit que par les idĂ©es du vrai, du beau et du bien, qui sont lr nruuables comme lui, mais plus facile- BIBLIOTHEK der E. T. H. ZURICH A VJ PRĂFACE DE L ĂDITEUR. ment abordables Ă notre humaine raison. Gette thĂ©orie pouvant ĂȘtre soupçonnĂ©e de mysticisme, le professeur confronte sa doctrine avec les diverses thĂ©ories mystiques qui apparaissent dans lâhistoire de la philosophie il montre que le mysticisme consiste, soit Ă diviniser le phĂ©nomĂšne ou la cause matĂ©rielle, soit Ă vouloir contempler la substance ou lâĂȘtre infini face Ă face, et il lui est facile de prouver que sa philosophie, qui dĂ©pouille les causes extĂ©rieures de toute personnalitĂ©, et qui ne prĂ©tend pas faire sortir lâEternel des formes qui lâenveloppent, ne peut ĂȘtre accusĂ©e de mysticisme. VoilĂ donc les idĂ©es absolues rĂ©duites Ă lâidĂ©e de cause ou de phĂ©nomĂšne dâune part, et de lâautre Ă lâidĂ©e de substance sous la triple forme du vrai, du beau et du bien. Lâauteur distingue le vrai absolu dâavec lâĂȘtre absolu la vĂ©ritĂ© absolue se compose des axiomes qui prĂ©sident Ă toutes les sciences, axiomes accessibles Ă notre raison, mais auxquels nous avons besoin de concevoir une base ou un point dâappui, PRĂPACK Ă»t' LEUlS'El. .K âąâą XVij et lâauteur place ce point dâappui en Dieu lui-mĂȘme, que la religion nous reprĂ©sente dâailleurs comme source de toute vĂ©ritĂ©. 11 sâattache Ă constater et Ă dĂ©montrer lâexistence de la vĂ©ritĂ© absolue. La nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes dâadmettre cette vĂ©ritĂ© est ce qui lâa perdue aux yeux de certains philosophes, lorsque câest plutĂŽt ce qui devait la sauver. Ils ont cru que cette nĂ©cessitĂ© marquait la vĂ©ritĂ© d'un caractĂšre subjectif et la mĂ©tamorphosait en une sorte de production du moi humain. M. Cousin leur fait cette concession, qui est immense; mais il remarque que la croyance nĂ©cessaire est une croyance rĂ©flĂ©chie en effet, lâesprit ne sâaperçoit de la contrainte que lui impose la vĂ©ritĂ© que quand il rĂ©flĂ©chit sur lui-mĂȘme, et fait en quelque sorte effort pour sâaffranchir des liens de cette vĂ©ritĂ©. Or, tout Ă©tat rĂ©flĂ©chi suppose un Ă©tat antĂ©rieur irrĂ©flĂ©chi, oĂč le moi nâest pas revenu sur lui - mĂȘme, ne sâest pas aperçu lui-mĂȘme en apercevant la vĂ©ritĂ©, et a obtenu ainsi ce que M. Cousin appelle aperception pure , libre de toute em- PRĂFACE DE LĂDITEUR. xviij preinte de subjectivitĂ©. La vĂ©ritĂ© sâimpose Ă la raison, et ce nâest pas la raison qui fait la vĂ©ritĂ©. Les principes absolus ont Ă©tĂ© attaquĂ©s encore par une autre voie on les a dĂ©composĂ©s en plusieurs idĂ©es simples, dont on a prĂ©tendu ramener lâorigine Ă la sensation ou Ă la rĂ©flexion. Le professeur suit ces nouveaux adversaires sur le terrain oĂč ils se placent, et sâenfonce avec eux et plus loin quâeux dans lâanalyse des principes attaquĂ©s; il veut bien accorder que le principe de causalitĂ© est prĂ©cĂ©dĂ© dans lâesprit humain de lâidĂ©e de cause; mais il soutient quâil y a une grande diffĂ©rence entre la notion de cause individuelle, volontaire, libre, mais contingente et finie, telle que par la conscience nous -saisissons la cause en nous, et le principe de causalitĂ© qui nous met en possession de la cause extĂ©rieure, nĂ©cessaire et infinie. Quant au principe de substance, il nie quâaucune des idĂ©es qui entrent dans ce principe lui soit dâun seul moment antĂ©rieure lâidĂ©e de substance et lâidĂ©e de phĂ©nomĂšne spnt corrĂ©latives lâune ne germe pas sans lâautre, PRĂFACE DE L ĂDITEUR. xix car, sĂ©parĂ©es , elles seraient incomprĂ©hensibles. Ce principe se prĂ©sente donc Ă lâesprit tout formĂ©, armĂ© de toutes piĂšces, comme la Minerve sortie du front de Jupiter; et en consĂ©quence il est impossible de le rĂ©soudre en aucune idĂ©e prĂ©alable de rĂ©flexion ou de sensation. La fausse doctrine sur lâorigine des principes est ramenĂ©e par M. Cousin Ă la thĂ©orie inexacte qui regarde le jugement comme le rĂ©sultat postĂ©rieur du concours de deux idĂ©es acquises dâabord une Ă une. Le professeur montre que les idĂ©es nous viennent simultanĂ©ment et en corrĂ©lation les unes avec les autres , et quâainsi le jugement se trouve au dĂ©but des opĂ©rations intellectuelles. AprĂšs avoir considĂ©rĂ© la vĂ©ritĂ© absolue en elle-mĂȘme, M. Cousin la considĂšre dans les ouvrages de la na ture et de lâhomme, câest-Ă -dire sous la forme du beau. Il sâapplique Ă prouver que lâidĂ©e du beau est une idĂ©e absolue, originale, spĂ©ciale, et non pas une idĂ©e collective, gĂ©nĂ©rale, comparative. Il est conduit ainsi Ă distinguer le e&u idĂ©al du beau naturel, et Ă indiquer \x PHĂFACE DE 1,âĂDI'l'ELK. comment lâesprit dĂ©gage le premier des enveloppes du second; il dĂ©montre que le jugement relatif Ă la beautĂ© se place entre la sensation qui le prĂ©cĂšde et le sentiment qui le suit. Quand il a rattachĂ© le sentiment du beau au jugement de la beautĂ©, il oppose ce sentiment Ă tous les autres phĂ©nomĂšnes sensibles avec lesquels on a voulu le confondre, il le suit et le fait reconnaĂźtre dans le phĂ©nomĂšne complexe de lâimagination , qui se compose aussi de lâintuition des sens et de la raison. Il remarque que lâobjet qui laisse en harmonie lâintuition sensible et la raison gardele nom de beau proprement dit, et que celui qui trouble lâaccord de ces deux facultĂ©s en se laissant embrasser par lâune et en Ă©chappant Ă lâautre, prend Je nom de sublime. Il trace les limites entre le goĂ»t et le gĂ©nie, ces deux faces diverses de lâimagination ; il sâattache enfin Ă faire reconnaĂźtre que les diffĂ©rons genres de beautĂ© manifestĂ©s, soit dans les objets physiques , soit dans les sentimens et les actions, soit dans les idĂ©es, doivent sâidentifier en un seul et mĂȘme type de beautĂ© morale ou PRĂFACE DE LĂDIĂŻEl iĂŻ. XXj intellectuelle ; que lâexpression plus ou moins fidĂšle de cette beautĂ© extĂ©rieure dĂ©cide de la classification des arts, et assure le premier rang Ă la poĂ©sie, et que ce type idĂ©al, indĂ©pendant de la nature et de lâesprit , sâappuie comme la vĂ©ritĂ© absolue sur lâĂȘtre infini cachĂ© au fond de toute chose. Le professeur arrive alors Ă la vĂ©ritĂ© absolue considĂ©rĂ©e dans les actions, ou Ă lâidĂ©e du Bien moral; il enseigne que sâil nây a aucune science sans principes absolus, il nây a pas de science morale sans vĂ©ritĂ© absolue en morale. La discussion de lâidĂ©e du bien nâest pas, dit-il, une spĂ©culation sans rĂ©sultat, une mĂ©ditation purement contemplative. La solution quâon lui donne influe siir la conduite de la vie privĂ©e et sur le gouvernement des Ă©tats. Si lâon conteste lâexis- tence'dâune vĂ©ritĂ© morale absolue, le principe de nos actions ne peut ĂȘtre fourni que par la sensibilitĂ©. L egoĂŻsme conduit le monde, et d le fait arriver Ă lâĂ©tat de guerre ou Ă la tyrannie. Le seul contre-poids contre lâarhi- tr aire et le despotisme, câest la j ustice kn- ^ Ă©ternelle, câest-Ă -dire lâidĂ©e ab- b Xxij PRĂFACE DE L ĂDITEUR. solue du bien. La vĂ©ritĂ© absolue, considĂ©rĂ©e en' elle-mĂȘme, oblige notre raison; considĂ©rĂ©e dans les actions, elle oblige notre libertĂ©, câest-Ă -dire quelle demande Ă ĂȘtre rĂ©alisĂ©e pratiquement ; câest lĂ ce quâon appelle lâobligation morale. Ainsi lâidĂ©e du devoir dĂ©rive de lâidĂ©e du bien, et non lâidĂ©e du bien de lâidĂ©e du devoir. La vĂ©ritĂ© morale sâimposant Ă la libertĂ©, il en rĂ©sulte pour celle-ci deux obligations i° nâobĂ©ir qu a la vĂ©ritĂ© absolue ou Ă la raison qui la rĂ©vĂšle ; 2 0 obĂ©ir Ă toutes les prescriptions de la raison. De lĂ toute la sĂ©rie dĂ©s devoirs de lâhomme et tous les genres de droits, depuis le droit privĂ© jusquâau droit politique. La vĂ©ritĂ© morale demandant Ă ĂȘtre rĂ©alisĂ©e par lâaction, la sociĂ©tĂ© humaine est donc prĂ©destinĂ©e, nĂ©cessaire, inĂ©vitable; elle âą est donnĂ©e Ă priori. La sociĂ©tĂ© nâest pas faite pour le gouvernement, câest le gouvernement qui est fait pour la sociĂ©tĂ©. La mission de celui-ci est de maintenir lâaccomplissement de la vĂ©ritĂ© morale. Une des faces de cette vĂ©ritĂ© nous prĂ©sente le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©ritĂ©, câest-Ă -dire PRĂFACE DE lâĂDITEUR. XXĂj une liaison nĂ©cessaire entre la vertu et le bonheur, entre le crime et le malheur le rĂŽle du gouvernement est encore de rĂ©aliser ce principe dans la mesure des forces et des lumiĂšres humaines. La vĂ©ritĂ© morale absolue ne peut ĂȘtre attribuĂ©e Ă notre Ă©ducation , car la question serait reculĂ©e et non rĂ©solue -, elle nâest pas non plus la volontĂ© divine, Ă moins quâon ne fasse Ă©quation ici entre volontĂ© et justice, et alors lâidĂ©e de justice redevient primordiale et nâest plus dĂ©rivĂ©e ; elle nâest pas davantage lâidĂ©e des peines et des rĂ©compenses Ă venir, car ce nâest pas le chĂątiment et la rĂ©munĂ©ration qui dĂ©cident du bien et du mal, câest le bien et le mal qui font rĂ©compenser ou punir. Enfin la loi morale absolue se distingue, non- sĂ©ulement de la sensibilitĂ©, physique, mais encore des jouissances les plus intimes et les plus dĂ©licieuses de la sensibilitĂ© morale. Dans la plupart des cas, dâailleurs, cette derniĂšre prĂ©suppose lâidĂ©e du bien et du mal. Si' la loi ne vient pas de la sensibilitĂ©, elle ne ^ient pas davantage de la libertĂ© le moi peut se faire la loi Ă lui-mĂȘme. Il faut XXIV P11ĂFĂCĂ DE INĂDITEl. K. donc joindre Ă la sensibilitĂ© et 4 la libertĂ© une troisiĂšme facultĂ©, la raison, qui met rhomme en communication avec la vĂ©ritĂ© absolue, et qui, comme nous lavons dĂ©jĂ dit, n esubjective pas la vĂ©ritĂ©, parce quelle se divise en deux points de vue lâapercep- tion pure et la conception nĂ©cessaire. Lâobligation morale Ă©tant le caractĂšre absolu de la vĂ©ritĂ© morale prĂ©suppose la libertĂ©, qui est donnĂ©e ainsi Ă priori , comme la sociĂ©tĂ©, mais qui ne nous est pas moins attestĂ©e Ă posteriori par la conscience. La vĂ©ritĂ© morale absolue est trouvĂ©e elle a le mĂȘme fondement que la vĂ©ritĂ© en gĂ©nĂ©ral, et que lâidĂ©al; elle est une manifestation de letre parfait et inlini la science morale est donc possible. Tels sont les dĂ©veloppemens auxquels M. Cousin sâest livrĂ© dans le Cours dont nous offrons aujourdâhui une esquisse. Cette thĂ©orie est curieuse Ă Ă©tudier, mĂȘme pour ceux qui ire seraient pas disposĂ©s Ă la recevoir ; les uns en admireront la profondeur, les autres au moins la hardiesse. Dans ce vaste' Ă©difice tout se tient et se lie avec harmonie la connaissance du moi humain est sauvĂ©e PRĂFACE DE L'ĂDITEUR. XXV des attaques de lâĂ©cole sensualiste ; la connaissance des corps est dĂ©livrĂ©e des entraves que lui opposent les Ă©coles idĂ©alistes. Au- dessus de ces deux mondes contingens et variables du moi et de la nature physique, est replacĂ© le monde des idĂ©es absolues. Lâesprit humain retrouve dans cette doctrine ces axiomes immuables qui forment les principes de toutes les sciences, sans lesquels rien ne vaudrait la peine dâĂȘtre Ă©tudiĂ©; il reconnaĂźt cet idĂ©al qui est en mĂȘme temps la vie et lâexplication des beaux-arts; enfin, il ressaisit ce bien moral absolu qui est la seule digue contre le rĂšgne de la violence, et qui place la paix sur cette terre et lâespĂ©rance dans le ciel. Puis, si sa curiositĂ© lâentraĂźne, sâil se demande quâest-ce que la vĂ©ritĂ© en elle-mĂȘme, quâest-ce que lâidĂ©al en dehors de notre esprit et de la nature, que serait-ce que le bien moral si les hommes et le monde Ă©taient dĂ©truits, cette doctrine lui fait entrevoir un ĂȘtre substantiel , Ă©ternel et infini, qui est le fond mystĂ©rieux du vrai, du beau et du bien, et qui ne se manifeste Ă lâhomme et dans la nature PRĂFACE- DE i/ĂDITEUR. xxvj que sous ces trois formes. Les idĂ©es absolues nous viennent donc de letre absolu. Soit quâon descende de Dieu Ă lâhomme, soit quâon remonte de lâhomme Ă Dieu, on les retrouve sur son chemin ; elles sont le messager, le mĂ©diateur cĂ©leste; elles sont la plus haute et la plus claire manifestation de Dieu ; elles sont aussi le plus saint des hymnes que lâhommĂ© puisse adresser Ă la DivinitĂ©. TABLE DES SOMMAIRES- PREMIĂRE LEĂON. Page i re . Deux Ă©poques dans lâhistoire de la philosophie lâĂ©poque antique ou Grecque , l'Ă©poque moderne ou CartĂ©sienne. â Lâesprit du CartĂ©sianisme se dĂ©veloppe surtout dans le dix-hui- tiĂ©me siĂšcle. â Le caractĂšre de ce siĂšcle, câest lâanalyse de la pensĂ©e. 7â Ăcole anglaise, Ă©cole Ă©cossaise et Ă©cole allemande. â En conciliant ces diverses Ă©coles, on peut arriver Ă une analyse plus complĂšte de la pensĂ©e. â Eclectisme,. DEUXIEME LEĂON. Page i 3 . La conscience nâest que le retour de lâintelligence sur elle-mĂȘme, ce nâest pas une facultĂ©, spĂ©ciale ; analyser la conscience, câe6t donc analyser lâintelligence.â Le moi humain ne puise pas toutes ses connaissances -dans le monde matĂ©riel ; il ne les lire pas non plus toutes de son propre fond. -â Le Moi, dans la thĂ©orie de Locke, est incapable 1â d ar- eiyer Ă toutes les connaissances qui sont dans l'entende- ment ; 20 de former une seule pensĂ©e ; 3 ° dâarriver mĂȘme a 1 idĂ©e de sensation. XXV11J TABLE TROISIĂME LEĂON. Page 21. Retour sur la philosophie de Locke. â Examen de la thĂ©orie de lâĂ©cole Allemande. â Le. moi ne peut tirer de lui-mĂȘme les vĂ©ritĂ©s absolues. â Kant et Fichte. QUATRfĂME LEĂON. Rage 28. Lâabsolu est distinct de la nature physique et du moi humain. A la sensibilitĂ© et Ă lâactivitĂ© il faut ajouter la raison.â CatĂ©gories de Kant. â RĂ©duction de ces catĂ©gories Ă deux idĂ©es fondamentales lâidĂ©e de cause et l'idĂ©e de substance. . CINQUIĂME LEĂON. . âą Page 36. Origine de lâidĂ©e de cause. â Cette idĂ©e ne peut dĂ©river du monde extĂ©rieur. Elle est empruntĂ©e Ă la notion de lâactivitĂ© du moi. â LâactivitĂ© du moi est spontanĂ©e avant detr rĂ©flĂ©chie. SIXIĂME LEĂON. Page 44 La catĂ©gorie de causalitĂ© contient trois points de vue difĂŻĂ«- rens celui de la cause intentionnelle , celui de la cause fatale, et celui de la rĂ©ciprocitĂ©, câest-Ă -dire de lâaction et de la rĂ©action des causes les unes sur les autres. â Ordre de succession de ces trois points de vue dans l'intelligence humaine. â IdĂ©e du paganisme. ââą IdĂ©e de la tragĂ©die antique. NĂ©cessitĂ© de reconnaĂźtre la catĂ©gorie de substanceâ DES SOMMAIRES. XXIX LâidĂ©e de substance ou dâinfini est aperçue, dâabord obscurĂ©ment , sous lâidĂ©e de cause ou de fini. âLa catĂ©gorie de substance est nĂ©cessaire pour rendre compte de toutes nos connaissances contingentes et absolues, et pour constituer l'unitĂ© du fait de conscience.'â Sous-division,de la catĂ©gorie de substance ou dĂ«tre idĂ©e du vrai, idĂ©e du beau, idĂ©e du bien. SEPTIĂME LEĂON. * ; Page 58. Le moi , la nature et l'absolu sont les trois Ă©lĂ©mens de la vie intellectuelle. â Divers points de vue des Ă©coles philosophiques point de vue Ă©picurien , point de vue stoĂŻcien , point de vue platonicien, -point de vue chrĂ©tien. â DiffĂ©rentes sortes de mysticismes qui peuvent naĂźtre de ces divers points de vue. HUITIĂME LEĂON. ' Page 68. La sensibilitĂ© joue le principal rĂŽle dans tous les mysticismes. â ThĂ©orie de la sensibilitĂ©. â ParallĂ©lisme de la vie intellectuelle et de la vie sensible. âVie vie spontanĂ©e. NEUVIĂME LEĂON. Page 8o. Histoire des diffĂ©rens mysticismes. â Mysticisme relatif aux phĂ©nomĂšnes, envisagĂ© dans lâindividu et dans l'humanitĂ©. â Personnification de la nature extĂ©rieure. âPaganisme. â Invocation, Ă©vocation, thĂ©urgie, cabale. DIXIĂME LEĂON. Page 8g. Re tour sur la leçon prĂ©cĂ©dente_Mysticismes relatifs Ă la XXX TABLE substance mysticisme rationnel, mysticisme du sentiment. â Zenon. âJacobi. ONZIĂME LEĂON. C . Page toi. Continuation du mĂȘme sujet. â Dernier degrĂ© du mysticisme relatif Ă la substance tentative de contempler letre infini par-delĂ les idĂ©es du vrai, du beau et du bien.â Vlolin.âFĂ©nelon , quiĂ©tisme. DOUZIĂME LEĂON. Page no. ProblĂšme de la vĂ©ritĂ© absolue. â Deux mĂ©thodes pour le rĂ©soudre partir de lâĂ©tat primitif de l'intelligence et descendre Ă l'Ă©tat actuel, ou partir de lâĂ©tat actuel et remonter Ă 1 Ă©tat primitif. â La seconde mĂ©thode est prĂ©fĂ©rable. â CritĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ© ou nĂ©cessitĂ©. â CritĂ©rium absolu de la vĂ©ritĂ© ou universalitĂ© et indĂ©pendance de la vĂ©ritĂ©. TREIZIĂME LEĂON. , . Page ii8. NĂ©cessitĂ© dâune bonne mĂ©thode en mĂ©taphysique. â VĂ©ritĂ©s contingentes â VĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires. â La nĂ©cessitĂ© est le signe de 'l'absolu. â Avant la croyance nĂ©cessaire est lâaperception pure de la vĂ©ritĂ©. â Raison spontanĂ©e. â Raison rĂ©flĂ©chie. â La vĂ©ritĂ© absolue est en dehors de toute dĂ©monstration. âElle fait son apparition dans lâhomme et dans la nature, mais elle nâest ni lâun ni l'autre; c'est une manifestation de Dieu. âImpossibilitĂ© de lâathĂ©isme. QUATORZIĂME .LEĂON. Page i3o. Trois ordres de faits de conscience sensations, voĂ»tions, aper- ception» rationnelles. â-Le scepticisme ne peut attaquer ces 4 DES SOMMAIRES. XXXj derniĂšres. â LibertĂ©, sensibilitĂ©, raison. âRetour sur lâaperception pure. â Affirmation sans nĂ©gation. â La vĂ©ritĂ© nâapparaĂźt pas d'abord comme nĂ©cessaire, mais seulement comme vraie. â FatalitĂ© et libertĂ© de lâaperception pure. â LĂštre absolu est la substance de la vĂ©ritĂ© absolue. â La vĂ©ritĂ© est-un mĂ©diateur entre Dieu et l'homme. QUINZIEME LEĂON. Page i43. Deux grands besoins dans-lâespfit humain 10 besoin de principes absolus , comme base de la science ; 20 besoin de trouver ces principes absolus par lâobservation. âMĂ©thode rationnelle et mĂ©thode expĂ©rimentale. .â Conciliation de lâĂ priori et de lVi posteriori, de lâobservation et de la raison SEIZIĂME LEĂON. Page 1 53. Etat primitif de la vĂ©ritĂ© absolue dans lâintelligence. â La vĂ©ritĂ© absolue nâa point dâorigine ontologique , mais seulement une origine psychologiqueâPremiĂšre position intellectuelle dans lâordre chronologique ou psychologique aperception pure dâune vĂ©ritĂ©' concrĂšte ou dĂ©terminĂ©e. â DeuxiĂšme position connaissance nĂ©cessaire de cette vĂ©ritĂ©. â TroisiĂšme position aperception pure de la vĂ©ritĂ© abstraite ou indĂ©terminĂ©e. â QuatriĂšme position connaissance nĂ©cessaire de celle vĂ©ritĂ©. â La premiĂšre application dĂ©terminĂ©e de la vĂ©ritĂ© sâest faite en mĂȘme temps au moi et au non moi , Ă lâhomme et a la nature. DIX-SEPTIĂME LEĂON. Page 162 . Les principes nĂ©cessaires nâont pas dâantĂ©cĂ©dent logique. â La TAULE XXX1J question de la certitude nâeu est pas une elle se rĂ©sout dâellĂ©-mĂ©me. â Retour- sur la succession des quatre positions intellectuelles.â Passage de lâĂ©tat primitif Ă l'Ă©tat actuel. â Deux espĂšces dâabstractions abstraction mĂ©diate ou comparative, abstraction immĂ©diate. DIX-HUITIĂME LEĂON. Page 174. Les idĂ©es qui composent les principes nĂ©cessaires leur sont antĂ©rieures ou contemporaines. â Ni dans lâun ni dans l'autre de ces deux cas on ne peut faire dĂ©river les principes des idĂ©es Ă©lĂ©mentaires dont ils sont formĂ©s. â Principe de causalitĂ©^â Principe de substance. ' âą DIX-NEUVIĂME LEĂON. * âą - Page j81. ThĂ©orie de lâidĂ©e du beau; â Diverses opinions sur l'origine de lâidĂ©e du beau. â LâidĂ©e du beau est-elle une idĂ©e collective ou une conception originale de lâesprit?âNature, expĂ©rience , idĂ©al.â Deux Ă©coles dâartistes et deux Ă©colts de gĂ©omĂštres. â Conciliation des deux Ă©coles. VINGTIĂME LEĂON. Page 191. Position des questions relatives Ă l'idĂ©e de beautĂ©. â V a-t-il du beau dans la nature? quels en sont les caractĂšres? pa r quelles opĂ©rations intellectuelles arrivons-nous Ă le saisir? â Distinction entre la sensation et le jugement. V 1 NGT-ET-UN 1 ĂME LEĂON. Page 201. Du beau idĂ©al. â Comment arrivons-nous Ă le concevoir? â âąDe l'imitation. â De la crĂ©ation. â Lâesprit dĂ©bute par le DES SOMMAIRES. XXXI IJ concret et lâabstrait, par l'individuel et lâabsolu. â Lâart doit exprimer lâindividuel et lâabsolu , plaire Ă la sensibilitĂ© physique et satisfaire la raison, unir le rĂ©el Ă lâidĂ©al. â SimullanĂ©itĂ© de 1 idĂ©e individuelle et de lâidĂ©e absolue. â SpontanĂ©itĂ© et rĂ©flexion -, vue concrĂšte et vue abstraite. â Abstraction immĂ©diate. VINGT-DEUXIEME LEĂON. Page 2i5. Du sentiment du beau qui accompagne le jugement de beautĂ©. _Ce sentiment se distingue r° De la sensation et du dĂ©srr de possession. â 2 ° De la pitiĂ© et delĂ terreur. â 3° De la recherche de lâintĂ©rĂȘt, soit particulier soit gĂ©nĂ©ral. â 4° De lâillusion. â 5 b Du sentiment moral et religieux. â Lâart est sa propre fin Ă lui-mĂ©me, comme la religion et la morale sont leur propre fin. VINGT-TROISIĂME LEĂON. Page 227. Retour sur la distinction du sentiment du beau et du dĂ©sir- de possession. â 1 Le beau est immĂ©diat, l'utile ne lâest pas. â Le beau comme beau est inutile. â Le sentiment du beau se place entre le jugement absolu qui le dĂ©termine et leprĂ©cĂšde dâune part, et de lâautre la sensation qui le prĂ©cĂšde et qui peut encoreTaccompagner et le suivre, mais avec laquelle il ne se confond pas. â ThĂ©orie de lâimagination. â Premier Ă©lĂ©ment de l'imagination mĂ©moire imaginative ou reprĂ©sentativeâ DeuxiĂšme Ă©lĂ©ment abstraction ou choix rationnel et volontaire. â TroisiĂšme Ă©lĂ©ment jugement etsen Liment du beau. â Lâimagination nâest ni la sensibilitĂ© physique toute seule, ni la raison toute seule, ni la simple rĂ©union de ces deux facultĂ©s; il faut y joindre lâamour pur et dĂ©sintĂ©ressĂ©, cesL-Ă -dire le jugement et le sentiment du beau. XXXIV TABLE VINGT-QUATRIĂME LEĂON. Page 342. âą Le rapport entre la sensibilitĂ© physique ou lâintuition sensible d'une part et la raison de l'autre constitue les divers genres de beautĂ©. âDu beau et du sublime dans les objets physiques , dans les senlimens et les actions, et dans les idĂ©es. â Harmonie des facultĂ©s bonheur; dĂ©sharmonie souffrance. VINGT-CINQUIĂME LEĂON. âą Page 252. IdentitĂ© de tous les genres de beautĂ©. â Le beau physique reflet du beau moral et intellectuel ou du beau immatĂ©riel â ĂŻhĂ©oriede l'expression dans'les arts.ât.âApollon du BelvĂ©dĂšre. â Winckelmann. â La figurĂ© de Socrate. âLâhomme. â La femme. â Lâanimal. â Le minĂ©ral. â Lâordre du monde. â UnitĂ© du vrai, du beau et du bien. â Dieu. VINGT-SIXIĂME LEĂON. Page 2 J 3 . Division de lâimagination le goĂ»t, le gĂ©nie. âLe goĂ»t est apprĂ©ciateur. â Le gĂ©nie est crĂ©ateur. â Le second contient les mĂȘmes Ă©lĂ©mens que. le premier, mais Ă un plus haut degrĂ© dâĂ©nergie.â Le gĂ©nie supĂ©rieur Ă la nature. â La fin de lâart est le triomphe de lu pĂąture humaine sur la nature physique.â Lâart nâest ni une science ni un mĂ©tier. â Alliance de lâidĂ©e et de la forme. VINGT-SEPTIĂME LEĂON. Page 2 ?1. Retour sur lĂ© goĂ»t et le gĂ©nie. â Une pensĂ©e de Plotin Les hommes beaux sont seuls juges de la beautĂ© . â Ăcole de Locke. DES SOMMAIRES. XXXV â Ăcole de Kant. â Le beau nâest ni matĂ©riel ni subjectif; il est absolu, indĂ©pendant de lĂ nature et de l'homme. â RĂšgles de la composition. â Le critĂ©rium de l'art câest lâexpression. â La poĂ©sie est le premier des arts. â Puissance symbolique du mot. â LâĂ©loquence , la philosophie et lâhistoire nfe font point partie des beaux-arts. â Le second des arts est la musique. Viennent ensuite la peinture, la sculpture, lâarchitecture et la construction des jardins. VINGT-HUITIĂME LEĂON. Page s 83 . Les arts ne diffĂšrent pas parleur fin, mais par leurs moyens. â Des sens considĂ©rĂ©s dans leurs rapports avec lâart et le beau.â IncapacitĂ© du toucher, de lâodorat et du goĂ»t pour nous transmettre le beau. âPrĂ©rogative de louie et de la vue.â Arts de lâouĂŻe poĂ©sie et musique ; arts de la vue peinture,, sculpture, architecture et construction des jardins. â Les arts de lâouĂŻe ne chercher Ă usurper la forme des arts de la vue, ni rĂ©ciproquement. â Retour sur la supĂ©rioritĂ©, de la poĂ©sie. VINGT-NEUVIEME LEĂON- Page 292. RĂ©sumĂ© de la thĂ©orie du beau , tant sous le point de vue subjectif que sous le point de vue objectif. ' ' TRENTIĂME LEĂON. Page 002. ThĂ©orie de lâidĂ©e du bien. â ConsĂ©quences importantes de l a discussion sur lâidĂ©e du bien. â Elle peut recevoir deux solutions qui entraĂźneront deux sĂ©ries de consĂ©quences âą opposĂ©es.â ThĂ©orie de lâinlĂ©rĂ©t Ă©tat de guerre; despotisme. â ThĂ©orie de l'idĂ©e absolue du bien Ă©tat dĂ© paix ; souve- rainetĂ© de la raison. XXX VJ TABLE TRENTE-ET-UNIĂME LEĂON. Page 3i3. LâidĂ©e absolue du bfen est le seul contre-poids de lâarbitraipe. â .CaractĂšre obligatoire de lâidĂ©e absolue du motifs dâactions iâintĂ©rĂ©t et le devoir. â La sociĂ©tĂ© n'est pas rĂ©gie par lâidĂ©e de l'intĂ©rĂȘt individuel, mais par celle de la justice absolue, â CorrĂ©lation-du devoir et du droit. TRENTE-DEUXIĂME LEĂON. Page 322. Sâil y a de la vĂ©ritĂ© absolue en gĂ©nĂ©ral, il peut y avoir de la vĂ©ritĂ© absolue en morale. â Position des questions relatives i 1 idĂ©e du bien. â De la vĂ©ritĂ© spĂ©ciilalivĂ© et de la vĂ©ritĂ© pratique. De 1 obligation morale. â DĂ©finition de lâacte . moral et de l'acte immoral. â Le devoir suppose la libertĂ©. TRENTE-TROISIĂME LEĂON. Page 33o. La vĂ©ritĂ© absolue, en passant dans les actions humaines, constitue la vĂ©ritĂ© morale absolue. â- Sans lâabsolu point de science_La vĂ©ritĂ© moraleabsolue nous est manifestĂ©e par la raison, et elle sâadresse Ă la libertĂ©. â Double devoir de la libertĂ©.â Distinclibn entre la souverainetĂ© et le pouvoir. Le pouvoirnepeutĂštre sa rĂšgle Ă lui-mĂšme*âSouverainetĂ© de la raison. âDevoirs envers Dieu, devoirs envers nous-mĂȘmes, devoirs envers autrui. Droit civil, droit politique. â La sociĂ©tĂ© est la rĂ©alisation dĂš la vĂ©ritĂ© morale , elle existe donc Ă priori. âLâidĂ©e de sociĂ©tĂ© est antĂ©rieure Ă celle de gouvernement. â RĂ©futation de la doctrine du despotisme et de celle de l'anarchie- â La mission du gouvernement est de faire respectĂ©r la doctrine sociale , et dâappliquer le principe de mĂ©rite et de JĂ©mĂ©rife. DES SOMMAIRES. XXTV1J TRENTE^UATRIĂME leçon. Page 340. Relation de lâidĂ©e du bien et de l'idĂ©e de lâobligation. â PostĂ©rioritĂ© de cette derniĂšre. â Le droit se distingue du fait, en pratique comme en thĂ©orie. Le devoir ne dĂ©rive pas i° de lâĂ©ducation ; s° de la volontĂ© divine ni des peines et rĂ©compenses Ă venir- TRENTE-CINQUIĂME LEĂON. Page 36VWVWWWV**i*.WV\V\iVWVV\'\VVWV\»VWWlWl'VWW*\**'VVVV\V\fVVVVW»VVV/V% SIXIĂME LEĂON. La catĂ©gorie de causalitĂ© contient trois points de vue diffĂ©rens ; celui de la cause intentionnelle, celui de la cause fatale, et celui de la rĂ©ciprocitĂ©, câest-Ă -dirĂ© de lâaction et de larĂ©action des causes les unes sur les autres.â-Ordre de succession de ces trois points de vue dans lâintelligence humaine. â IdĂ©e du paganisme- IdĂ©e de la tragĂ©die antique. NĂ©cessitĂ© de reconnaĂźtre la- catĂ©gorie de substance. â LâidĂ©e de substance ou dâinfini est aperçue, dâabord obscurĂ©ment sous lâidĂ©e de cause ou de fini. â La catĂ©gorie de substance est nĂ©cessaire pour rendre compte de toutes nos reconnaissances contingentes et absolues, et pour constituer lâunitĂ© du fait de conscience.â Sous- division de la catĂ©gorie de substance ou dâĂȘtre idĂ©e du * vrai» idĂ©e du beau, idĂ©e du bien. AprĂšs avoir rĂ©duit Ă deux idĂ©es fondamentales celle de cause et celle de substance, la liste de catĂ©gories fournie par le philosophe Kant, nous avons recherchĂ© lâorigine de la catĂ©gorie de causalitĂ©. Il nous reste Ă faire la mĂȘme recherche sur la catĂ©gorie de substance ; mais auparavant, comme la catĂ©gorie de causalitĂ© a trois points de vue diffĂ©rens , câest-Ă -dire lâidĂ©e de cause intentionnelle, lâidĂ©e de causĂ© fatale et lâidĂ©e dâaction et de rĂ©action , il est bon de savoir dans quel ordre ees trois idĂ©es arrivent Ă notre esprit. Nous pensons que cet ordre est justement celui que nous venons de sui- 1U VH U. 45 vre en les Ă©numĂ©rant. Le moi est conçu, non-seulement comme cause eĂŒicace , mais comme force libre , qui peut et veut agir dans un but qu elle a dĂ©terminĂ©. LâidĂ©e de la cause moi prĂ©cĂšde lâidĂ©e de la cause non-moi ; car rien ne prĂ©cĂšde lâidĂ©e du moi elle est le centre dont toutes les autres sont les rayons. Câest Ă la condition de lâidĂ©e du moi que celle du non-moi se manifeste; et lâhomme, qui sâest dâabord trouvĂ© lui-mĂȘme, ne renonce pas sur-le-champ Ă cette dĂ©couverte il la transporte et lâapplique mĂȘme au dehors de lui ; quand il aperçoit le non-moi, il le conçoitdâabord Ă lâimage du" moi; il lui impose le caractĂšre de cause intentionnelle. Le moi et le non-moi Ă©tant ainsi tous deux animĂ©s dâintelligence et de volontĂ©, le rapport de rĂ©ciprocitĂ© nâest pas dâabord ce quâil devient par la suite il comprend lâaction et la rĂ©action de deux forces semblables. Dans ce point de vue, la vie, qui est toujours lâaction et la rĂ©action du moi et du non- moi , apparaĂźt comme un combat entre deux intelligences , entre deux forces volontaires et libres. Voyez lâenfant accuser lâintention des objets extĂ©rieurs qui sâopposent Ă son action, et se retourner contre eux avec colĂšre. Si de la conscience individuelle nous passons a la -conscience de lâhumanitĂ© entiĂšre, câest-Ă - dire de la psychologie Ă lâhistoire, nous retrouvons les mĂȘmes conceptions primitives. Quelle idĂ©e les Grecs se faisaient-ils de la nature extĂ©rieure, 46 SIXIĂME LEĂON. etcomnaent concevaient-ils la vie? A leurs jeux, la nature extĂ©rieure Ă©tait libre, intentionnelle; la vie Ă©tait la lutte entre deux forces animĂ©es. La puissance extĂ©rieure se rĂ©alisait pour eux eu dieux , en gĂ©nies, en dĂ©mons , etc. Si lâaction de la nature Ă©tait funeste, ils suppliaient cette divinitĂ© malfaisantesi elle Ă©tait salutaire, ils rendaient des actions de grĂące Ăą cette divinitĂ© propice. Câest ainsi que lâOlympe se peupla de divinitĂ©s supĂ©rieures ; câest, ainsi que la terre , lâair, lâeau et le feu reçurent des dieux dâun ordre moins Ă©levĂ©, qui communiquaientdirectement avec les hommes; cest ainsi quau- dessus des dieux infĂ©rieurs et des dieux de lâOlympe, rĂ©gnait le destin , non pas le destin aveugle comme le hasard , mais un destin intentionnel, marchant Ă un but prĂ©cis , inĂ©vitable , parce qfiâaucune puissance 11e pouvait se soustraire Ăą son pouvoir, fatal pour les dieux et pour l'humanitĂ©, mais libre en lui-niĂ©me ; nâĂ©tant aveuglĂ© et sourd que pour les larmes et les sanglots des victimes , ruais voyant et comprenant la lin quâil sâĂ©tait posĂ©e. Le combat contre ledes- tin Ă©tait dortc une lutte dâune intelligence contre une autre intelligence. CâĂ©tait une guerre facile Ă comprendre, et qui 11e m'anquait pas de noblesse, mente de la part de lâintelligence qui succombait. Chez nous, au contraire, au point de vue rĂ©flĂ©chi de lâhumanitĂ© , la nature extĂ©rieure est un ensemble de forces aveugles. Plus de dieux sous lâĂ©- DU VRAI. 4? corne des arbres, dans le mouvement des Ilots, dans la coijrse des vents, mais des forces purement physiques, qui n âĂŽnt point conscience de leur action, et contre lesquelles la lutte serait sans dignitĂ© et la colĂšre absurde. Cherchez dans le drame ancien lâidĂ©e que lâantiquitĂ© se faisait de la vie ; vous verrez que cette vie Ă©tait elle-mĂȘme un drame entre deux acteurs qui pouvaient se comprendre, entre deux libertĂ©s. INos critiques modernes, et Schlcgel Ă leur tĂȘte, ont dĂ©iini le drame antique une luttĂ© de la nature aveugle et fatale contre la libertĂ©. Câest une erreur, il ne peut y avoir dâactions entre deux, Ă©lĂ©mens, dont lâun est sans vie ce qui est fatal ne lutte pas, et on ne combat pas contre ce qui est fatal. Telle nâest pas lâidĂ©e quâil faut se former de la tragĂ©die antique ; elle Ă©tait pour les GrĂ©es lâĂ©cole de la vie. Us avaient prĂȘtĂ© Ă lana-â ture lâintelligence et la libertĂ© , et ils en avaient fait ainsi un personnage dramatique. Mais lorsque la raison est venue arracher la libertĂ© Ă la nature, dĂ©truire cette analogâe primitive qui nous fait transporter le moi dans le non-moi, la nature est devenue fatale, le destin sâest appelĂ© hasard. Or, le hasard nâa pas dâintention , il accable sans vote loir accabler câest une puissance aveugle , contre laquelle lâhomme ne peut lutter avec dignitĂ©; le hijsard ne peut donc pas ĂȘtre un Ă©lĂ©ment de la tragĂ©die; câest ce que nâa pas compris Sclilegel, SIXIĂME non plus que Werner, dans son Ćuvre intitulĂ©e Le Vingi-Quatre fĂ©vrier. Cet auteur inet en scĂšne une famille qui, Ă certain jour marquĂ©, doit commettre un crime ; mais il no suppose pas de Destin qui veuille ce crime comme chez les Grecs, et contre, lequel on puisse sâindigner, lancer'lâimprĂ©cation , lutter enlin; un hasard incomprĂ©hensible plane sur cette destinĂ©e ; connue il nâa rien voulu, on ne peut rien lui reprocher, pas plus quâaux forces inertes de la nature Ă lâattraction et Ă la rĂ©pulsion. Câest pourquoi la piĂšce de Werner , qui prĂ©tendait donner une idĂ©e du systĂšme antique, est Ă©minemment moderne. Dans Ćdipe, un homme lutte contre le destin, mais ce destin est une force active et volontaire on peut le maudire comme tout ce qui est intentionnel, ou peut faire ellort, quoiquâavec pen dâespĂ©rance, âąpour changer ses rĂ©solutions. Les anciens luttaient donc jusquâil la mort, et ils le pouvaient avec gloire ; nous, au contraire, dâaprĂšs lâidĂ©e que nous nous formons de la nature extĂ©rieure, nous ne pouvons que nous rĂ©signer, et la rĂ©signation nâest pas dramatique. Tel est donc lâordre de dĂ©veloppement entre tous les Ă©lĂ©mens de la catĂ©gorie de cause i°la cause intentionnelle, qui est dâabord transportĂ©e du moi au non-moi ; 2° l a cause purement Ă©llicace, mais aveugleâ, Ă laquelle h* nature extĂ©rieure se trouve dĂ©finitivement ramenĂ©e par le principe de DU VRAI. 49 causalitĂ© i ; 3° le rapport entre le moi et le non- moi, qui est dâabord un combat entre'deux forces libres, et ensuite un rapport entre la libertĂ© et la fatalitĂ©. . Mais la catĂ©gorie de causalitĂ© nâĂ©puise pas toutes les notions de lâintelligence humaine. Comment de lâidĂ©e de cause faire sortir celle du beau , du bien, du saint, etc..? Quelle morale , quelle religion , peut-on faire Ă©clore du rapport entre le moi et le non-moi tel quâil apparaĂźt, soit chez les anciens , soit chez les modernes ? Je combats le non- moi pour quel motif? parce que je crains quâil ne mâĂ©crase. Je me rĂ©signe Ă son action pourquoi? parce que je ne puis la changer., car autrement je la modifierais pour mon utilitĂ© personnelle. VoilĂ donc toute la morale rĂ©duite Ă lâintĂ©rĂȘt particulier. Cet objet me paraĂźt empreint dâun caractĂšre de beautĂ© pour quelle raison ? Si je suis rĂ©duit Ă la catĂ©gorie de causalitĂ© , je devrai rechercher lâimpression quâil produit en moi jây trouve une sensation agrĂ©able ; voilĂ donc la beautĂ© rĂ©duite Ă lâagrĂ©ment , et lâesthĂ©tique ramenĂ©e aussi Ă lâintĂ©rĂȘt. Jâassons Ă la religion comme il nây a dans lâin- te higence que deux Ă©lĂ©mens i° la cause intentionnelle Unie, que je suis moi-mĂȘme ; 2 ° lu cause aveugle, mais Ă©galement finie que jâappelle le non- moi , il faut q UĂŒ ] j eu soit lâune ou lâautre de I i ! " ez â Ă^ ist °ire un u\ philosophie du dis-heitiĂ©me SIĂcle, ", dix-iieiiviĂšine leçon. philosophie / 4 5ĂŒ SIXIĂME ces deux causes, ou le- rappurL entre lâune et lâautre , et voilĂ Dieu ramenĂ© Ă la mesure du relatif et du fini. La catĂ©gorie de causalitĂ©, si elle Ă©tait seule , rĂ©trĂ©cirait donc le champ de lâintelligence humaine ; il nous faut en consĂ©quence , pour retrouver tout ce quâelle nous ravirait, nous rĂ©fugier au sein dâune idĂ©e plus vaste et plus complĂšte. Nous avons dĂ©montrĂ© quâil nây avait point de catĂ©gorie de cause sans catĂ©gorie de substance ou dâĂȘtre. Ces deux catĂ©gories se supposent, se pĂ©nĂštrent point de phĂ©nomĂšne sans substance, de cause sans ĂȘtre, de multiple sans unitĂ©, dâĂ©vĂ©ne- rnens sans temps , dâobjets sans espace, de relatif sans absolu, de limitĂ© sans illimitĂ©, en un mot de fini sans infini. Nous avons distinguĂ© deux points de vue, ou plutĂŽt deux mornens dans la conception de cause le montent spontanĂ© et le moment rĂ©ilĂ©chi. Nous aurons la mĂȘme distinction Ă faire dans la conception de substance. Le point de vue rĂ©flĂ©chi est celui du philosophe ; on peut dire que les sciences sont filles de la libertĂ©, puisque lâattention nâest quâune application de la libertĂ© elle- mĂȘme ; mais avant lâattention ou la rĂ©flexion, se dĂ©veloppe la V ue spontanĂ©e. Primitivement, sous le moi , cause intentionnelle et finie, et sous la nature , cause aveugle 5 mais Ă©galement finie, nous concevons un ĂȘtre, non pas positivement infini , mais dont nous ne pouvons assigner les limites, 11! V K A l. DI et qui est Ă 110s yeux plutĂŽt indĂ©fini quâinfini. Mais, Ă lâaide de la rĂ©flexion , tout sâĂ©claircit et se prononce. Cet ĂȘtre, dâabord si vaguement posĂ©, se distingue nettement des causes finies , et apparaĂźt comme ne pouvant pas avoir de limites, en un mot, comme absolu. La rĂ©flexion iie crĂ©e rien , elle ne fait quâĂ©claicir lâidĂ©e de lâabsolu Ă©tait dĂ©jĂ dans le point de vue spontanĂ© ou primitif, mais elle y Ă©tait enveloppĂ©e. Câest parce que lâhumanitĂ© sâest endormie dâabord dans le point de vue spontanĂ©, quelle nâa pas dĂ©gagĂ© sur-le-champ lâĂȘtre absolu et infini des formes du moi et de la nature, et que, sâarrĂȘtant Ă lâidĂ©e dĂ© cause, elle sâest fait des religions incomplĂštes. Quand la rĂ©flexion se dĂ©veloppe, sous le moi humain et sous la nature apparaĂźt un ĂȘtre qui les contient tous les deux, et qui nâest lui-mĂȘme contenu par aucun autre ; et ainsi se pose le fondement de la vĂ©ritĂ© complĂšte et aussi delĂ vĂ©ritable religion i. Revenons un instant sur nos pas, jetons un coup dâĆil sur la route que nous avons dĂ©jĂ parcourue. Nous sommes partis des donnĂ©es actuelles de la conscience humaine , et sur les indications quâelles oous ont f ĂŒuvn ies, nous avons essayĂ© de ressaisir * ° n gine de ces donnĂ©es, câest-Ă -dire lâĂ©tat primi- 1 e i intelligence. Nous avons constatĂ© que le piemiei fait de conscience se composait de deux f 7 j^ 0 ^ ez ^ RAGMEN5 philosophiques Du premier et, du dernier at dc conscience. pasfe 3 ;j ? et suiv . premiĂšre Ă©ditiou. 4 - 52 SIXIĂME LEĂON. Siemens variables, et dâun troisiĂšme aussi rĂ©el que les deux autres, mais immuable câest-Ă -dire du moi , de la nature extĂ©rieure, et de l'ĂȘtre universel et absolu. Nous avons dit que la philosophie se plaçait au point de vue rĂ©flĂ©chi, et en consĂ©quence dĂ©butait par la rĂ©flexion ; mais que la vie intellectuelle de lâhumanitĂ© entrait en jeu par la spontanĂ©itĂ© , et que la spontanĂ©itĂ© et la rĂ©flexion ne contenaient ni plus ni moins dâĂ©lĂ©mens lâuneque lâautre. Donnons quelques dĂ©veloppemens Ă cette proposition, et achevons de la dĂ©montrer. Le fait le plus clair et le plus approfondi auquel puisse parvenir la philosophie, câest-Ă -dire la rĂ©flexion, câest la conscience, immĂ©diate , i° de deux ternies huis le moi et la nature extĂ©rieure, phĂ©nomĂšnes variables, se limitant lâun lâautre ; 2 ° dâun ĂȘtre infini. Lâaperception de ce dernier terme rend seule possible lâaperception du fini, comme Ă son tour la vue du l'un est la condition indispensable de la vue dĂ© lâinfini. Le premier comme le de rnier fait de la vie philosophique se partagera toujours pour nous en deux parties lâune renfermant le moi et la nature, en un mot, le fini; lâautre comprenant un troisiĂšme Ă©lĂ©ment lâinfini ou lâabsolu, qui est le fondement et la raison ontologique des deux autres, et qui trouve ert eux lâoccasion de son apparition dans lâintelligence humaine , ou si lâon veut sa base psychologique. Tout fait intellectuel rĂ©flĂ©chi peut donc sâexposer sous DU VRAI. 53 cette formule pas de. fini sans infini, et rĂ©ciproquement; et dans le sein du fini, pas de moi sans non-moi, pas de non-moi sans moi. Tel est le commencement et la fin de la vie philosophique. Mais avant celle-lĂ est la vie humaine, la* vie non distincte, obscure, spontanĂ©e. La rĂ©flexion prĂ©suppose lâexistence dâun objet sur lequel tombe la rĂ©flexion , et qui par consĂ©quent - lui est antĂ©rieur i . Il semble contradictoire quâun philosophe parle de lâĂ©tat spontanĂ© car il ne peut le saisir qu avec lâinstrument philosophique-, câest-Ă -dire avec la rĂ©flexion , et la rĂ©flexion est destructive de la spontanĂ©itĂ©. Mais cette difficultĂ© nâest pas insurmontable u nous pouvons ressaisir le fait spontanĂ© par les inductions logiques les plus lĂ©gitimes ; etde plus, nous le retrouvons dans notre mĂ©moire au moment oĂč il expire. Primitivement le moi, par sa force naturelle , accomplit un acte qu il n a ni prĂ©vu ni voulu ; dans cet acte le moi ne peut pas ne pas sâapercevoir lui-mĂȘme, mais il se trouve sans se chercher. Dans lâacte rĂ©flĂ©chi, non-seulement le moi agit, mais il veut agir ; il se cherche, il veut s opposer au non-moi; en un mot, il ne se'trouve Pffis seulement, il se pose. Te fait rĂ©flĂ©chi contient apercepti 0n e t libertĂ©, le fait spontanĂ© ne com- piend que lâaperception seulement. Le moi, en se trouvant hu-mĂȘiue 5 trouve aussi la sensation qu il Vcvyez Fhagmens philosophiques Du premier el du dernier J unSciknĂ c . page 33g, Ăą la BH premiĂšre Ă«di- 56 SIXIĂME LEĂON, l'individu- Quand nous disons que la raison rĂ©vĂšle l'ĂȘtre , nous ne voulons pas dire que l'ĂȘtre nâexiste que par la rĂ©vĂ©lation de la raison nous parlerions plus philosophiquement en disant que lâĂȘtre se rĂ©vĂšle Ă la raison, ce qui impliquerait que lâĂȘtre est antĂ©rieur Ă la raison. Nous remplissons aussi la troisiĂšme condition, câest-Ă -dire que nous rendons compte de toutes les connaissances contingentes et absolues nous constatons que le moi se connaĂźt comme une force libre, quâil connaĂźt le non-moi comme une force passive ; quâil prend connaissance aussi des rapports entre le moi et le non-moi , et quâil acquiert ainsi 1 idĂ©e de cause. Toutes ces connaissances sont contingentĂ©s, parce quelles sont relatives Ă des phĂ©nomĂšnes contingens. Mais sâil nây a pas de phĂ©nomĂšne sans ĂȘtre, de propositions possibles sans unitĂ©, câest-Ă -dire sans la rĂ©vĂ©lation de lâĂȘtre un et identique, la connaissance contingente elle- mĂȘme suppose lâĂȘtre ou lâabsolu. Loin donc quâon puisse tirer lâĂȘtre absolu de lâidĂ©e-exclusive du moi ou de celle du non-moi , et expliquer ainsi la connaissance de lâĂȘtre nĂ©cessaire, on doit dire que la connaissance contingente elle-mĂȘme ne serait pas possible sanS lâĂȘtre et sans la connaissance de lâĂȘtre, ou si lâon veut de lâabsolu. En reconnaissant la catĂ©gorie de lâĂȘtre au sein de lâintelligence humaine , nous rendons compte fie toutes les connaissances contingentes et de Dll VH AI. 07 toutes les connaissances absolues. Nous avons donc rĂ©pondu aux trois objections que les deux Ă©coles exclusives laissaient sans rĂ©ponse nous avons posĂ© le moi et le non-moi; en posant limitĂ© de lâĂȘtre, nous avons expliquĂ© lâunitĂ© de conscience ; enfin, nous avons trouvĂ© le contingent et lâabsolu la connaissance contingente est devenue possible par la connaissance absolue, et celle-ci par lâexistence antĂ©rieure de letre universel et identique. Letre se manifeste sous trois formes 1° le vrai, qui comprend la cause comme la substance ; 2 0 le beau; 3 ° le bien. DelĂ catĂ©gorie de cause lâesprit humain ne passe pas toujours clairement et explicitement Ă la catĂ©gorie dâĂȘtre, et de lĂ le paganisme et les fausses philosophies. Mais, quand il est arrivĂ© Ă la catĂ©gorie dâĂȘtre, il 11e peutpas 11e pas y renfermer la catĂ©gorie de cause, car elle fait partie du vrai ou de lâĂȘtre. La catĂ©gorie de substance est donc plus comprĂ©hensive que la catĂ©gorie de cause, non pas dans le point de vue obscur et spontanĂ© oĂč elles se pĂ©nĂštrent lune lâautre, mais dans le point de vue rĂ©flĂ©chi. On va sans doute lancer contre cette doctrine accusation de mysticisme . nous reviendrons sur tous ce s dĂ©veloppemens dans les leçons prochaines, et nous espi rons dĂ©montrer quâil 11ây a rien de mystique dans l e systĂšme tue nous venons cl exposer. 58 SEPTIĂME LEĂON. wi»Miivwvvi'W^''vv%wWMMivi\mvummvwwuv\ SEPTIĂME LEĂON. Le moi , la nature et lâabsolu sortt les trois Ă©lĂ©ritens dĂ© Irf vie intellectuelle i. â Divers points le vue des Ă©coles philosophiques point de Vue Ă©picurien, point de vue stoĂŻcien, point de vue platonicien, point de vue chrĂ©tien 2. â DiffĂ©rentes sortes de mysticismes qui peuvent naĂźtre de ces divers points de vue. Nous avons dit quâil ne pouvait y avoir aucune proposition , ou pour mieux dire aufcun jugement, car le langage nâest que le rellet de la pensĂ©e y sans trois Ă©lĂ©mens constitutifs le sujet, lâolijet et lâĂ©trĂš qui les rĂ©unit. En dâautres termes, il nây a point de pensĂ©e sans le moi et le non-moi fini, câest-Ă -dire sans une dualitĂ© phĂ©nomĂ©nale y et sans une substance infinie qui est leur condition dâexistence. Nous avons reconnu que lĂ© moi et le non- moi, soit pris sĂ©parĂ©ment, soit pris ensemble, et envisagĂ©s dans leurs rapports rĂ©ciproques, ne peuvent nous donner aucune conception dii vrai, 1 Voyez, Fbagmen» philosophiques > prĂ©face, pages xxxviij et xxxii.premiĂšre Ă©dition. 2 Voyez ., philosophiques , religion , mj'sticisthc; stoĂŻcisme , pages i83-j 88 iV/cm, nu vrai. 5g du bien , du beau. Nous avons dit que câé§t sous ces derniĂši'es formes que nous apparaĂźt lâinfini, car nous ne saisissons pas lâinfini en lui-mĂȘme. Le moi , le non-moi et lâĂȘtre absolu , tels sont donc les Ă©lĂ©mens de la vie intellectuelle. La combinaison diverse, le mĂ©lange plus ou moins complet de ces trois Ă©lĂ©mĂ«ns, aux-dillĂšrentes Ă©poques dĂ© la philosophie , nous donnera la vie intellectuelle telle quelle a Ă©tĂ© conçue par les diffĂ©rentes Ă©coles. Nous obtiendrons ainsi quatre points de vue diffĂ©rais de la vie humaine. Si nous nâenvisageons que les deux, Ă©lĂ©mens variables de la vie, le' moi et .le non-moi, .nĂ©gligeant lâĂȘtre ou lâabsolu, dĂšs lors toute la vie est dans le relatif, dans le rapport du moi avec la nature rien nâest vrai, rien nâest bien, rien nâest beau absolument ; il nây a pour lâhomme que le probable, lâutile et lâagrĂ©able; est bornĂ©e au point de vue terrestre, ou si lâon veut au point de vue dâEpicure. Si lâon reconnaĂźt que le vrai, le bien , le beau , nous Sont donnĂ©s dans le moi et le non-moi, niais quâils nâen tirent pas. leur origine, On porte dĂ©jĂ ses regards hors des limites de la vie terres- bĂš. Mais si lâon sâarrĂȘte Ă ces formes sans pĂ©nĂ©trer jusqu a leur fond commun, on nâest pas encore en possession j a v j e intellectuelle tout entiĂšre. n s est placĂ©'.au-dessus du point de vue terrestre, mais on n est pas encore parvenu an point de vue 6q septiĂšme leçon. divin. Si de plus on confond le vrai et le beau dans le bien, on arrive au point de vue stoĂŻque. Les stoĂŻciens ne voulaient point quâon sâoccupĂąt du vrai, cherchĂ© parles autres philosophes , du beau, rĂ©alisĂ© par les poĂštes et les artistes le vĂ©ritable artiste, le vĂ©ritable philosophe, câĂ©tait pour eux lâhomme de bien. Les stoĂŻciens ne' dĂ©rivaient le bien ni du moi ni du non-moi, mais ils ne le rattachaient pas Ă lâĂȘtre ou Ă lâinfini ils Ă©taient au-dessus du point de vue terrestre, mais ils auraient pu sâĂ©lever plus haut encore. Supposons donc quâaprĂšs avoir reconnu que ce nâest ni du monde extĂ©rieur ni du moi que nous viennent les idĂ©es du vrai , du bien , du beau, une philosophie plus Ă©levĂ©e les rapporte Ă leur principe lĂ©gitime, câest-Ă -dire Ă la substance ab- solue dont elles sont les manifestations nous aurons le point de vue platonicien. Platon , comme Epieure, reconnaĂźt que le vraisemblable, lâutile et lâagrĂ©able sont des modifications du MOI et du non-moi ; comme les- stoĂŻciens, il reconnaĂźt les trois formes Ă©ternelles, du vrai, du beau et dii bien; mais il nâenferme pas les deux premiĂšres dans les limites de la troisiĂšme , et, de plus , il remonte jusqu Ă lâĂȘtre absolu, qui se rĂ©vĂšle Ă nous parles trois idĂ©es absolues. Ces trois idĂ©es, suivant Platon, se concentrent en une sorte dâunitĂ© , quâil appelle XĂŽyoç. Ce XĂŽyoç nâexiste pas par lui-mĂȘme, mais seulement dans son rapport avec la sub- DV VRAI stance absolue ,âą dont il est la manifestation ou la forme visible, et il sert de mĂ©diateur entre lâhomme et Dieu. Câest un poht jetĂ© sĂ»r lâabime qui sĂ©pare le moi phĂ©nomĂ©nal de lâĂȘtre substantiel, le fini de lâinfini, Le point de vue platonicien contient les prĂ©cĂ©dons , et il y ajoute ; mais il nâembrasse pas encore toute la vie humaine. Platon, qui s est Ă©levĂ© aux plus sublimes hauteurs de la mĂ©taphysique, ne compose la vie que de raison pure . il n a- perçoit pas cette autre partie de lâhomme , le sen tinrent, qui est le satellite fidĂšle de la raison. Ainsi tombe de lui-nrĂȘme le reproche fait Ă ce philosophe de se plonger trop avant dans le mysticisme, puisquâil se renferme obstinĂ©ment dans la lumiĂšre de la pure raison. . Il faut donc essayer de parvenir Ă un point de vue plus complet encore. Câest la raison , et la raison seule qui conçoit le vrai, le beau et le bien, et sous ces images, elle conçoit Dieu , . quâelle ne pourrait envisager face Ă face sans en ĂȘtre Ă©blouie. Par une loi de la nature humaine , en xĂ©nie temps que la raison conçoit lâune de çes xdĂ©es ? au jugement sĂ©vĂšre et froid delĂ raison vient se .joindre un sentiment agrĂ©able, qui se n g e en un sen timent contraire dĂšs que la xaison saisit l e contraire dix vrai, du beau et du W Ainsi le beau et le laid, conceptions abso- Ues de la raison , sont toujours acconipagnes de f>2 SEPTIĂME LEĂON. plaisir ou de peine, sentiment purement subjectif. Quâun acte conforme Ă la loi du devoir s ! accom- plissesous nos yeux , non-seulement nous portons un jugement Ă ce sujet, mais encore nous Ă©prouvons une Ă©motion agrĂ©able. Si lâacte est notre ouvrage, le plaisir est plus vif- H en est de mĂȘme quand nous saisissons le vrai outre le jugement qui nous avertit de notre dĂ©couverte , nous ressentons une douce Ă©motion, Ă laquelle; nous pouvons reconnaĂźtre que nous sommes dans le champ de la .vĂ©ritĂ©. Plus le beau est fidĂšlement reproduit, plus le bien Ă©tait dillicile Ă rĂ©aliser, plus la vĂ©ritĂ© a coĂ»tĂ© de peine, plus le sentiment de plaisir est profond ; mais tel est le rapport de la sensibilitĂ© et de, la raison , que mĂȘme Ă la vue de la beautĂ© la plus vulgaire , de la bonne action la plus facile, et de la vĂ©ritĂ© la plus simple, la sensibilitĂ© morale reçoit dâune maniĂšre immanquable le contre-coup de la raison. Jâappelle du nom gĂ©nĂ©ral dâamour et de liaine les. phĂ©nomĂšnes de la sensibilitĂ©. Ces phĂ©nomĂšnes - sâaccomplissent Ă propos de toutes les conceptions intellectuelles, mĂȘme h propos des connaissances - coptingentes. La sensibilitĂ© est une force d expansion ou une force de concentration. Ainsi que son nom mĂȘme lâindique, la force dâexpansion a pour but le monde, extĂ©rieur Ă la vue 4 â00 objet-agrĂ©able, je sens aussitĂŽt naĂźtre en moi le phĂ©nomĂšne du dĂ©sir, etlo dĂ©sir est un be- DU VRAI. 63 soin si vil', quâil ne peut quelquefois se satisiaire que parle mĂ©langĂ© le plus intime du moi et du non-moi. Ce besoin de lâunion est uneloi souslaquelletombent tous les objets du dĂ©sir, soit animĂ©s, soit inanimĂ©s. La force dĂ©concentration est Ă la fois semblable et opposĂ©e k la premiĂšre elle lui ressemble, parce quâelle cherche Ă sâassimiler lâobjet extĂ©rieur ; mais elle endillĂšre en ce que, partant du moi comrne la force dâexpansion, elle revient sur le moi. Dans 1 septiĂšme câĂ©tait lĂ le poiirt de vue terrestre ou le point de vue Ă©picurien. Secondement, lâhomme sâest Ă©levĂ© Ă la conception du bien, dans lequel il a renfermĂ© le beau et ' le vrai ; mais sans rapporter aucune de ces trois idĂ©es Ă leur fond commun , et sans dĂ©velopper ni haine ni amour ; câeĂ t le point de vue stoĂŻcien. TroisiĂšmement, lâhoimme passĂ© [des trois idĂ©es ĂŻatiohnelles Ă la conception de lâĂȘtre absolu ; mais, arrivĂ© au plus haut dĂ©veloppement de la raison, il a oubliĂ© dây joindre lâamour câest le point de vue platonicien. . ' QuatriĂšmement enfin, lâamour s ? est joint Ă la raison , et lâon a obtenu lâidĂ©e complĂšte de la vie câest le point de -vue chrĂ©tien. Câest pour avoir mal saisi ces dillerens points de vue quon sâest plongĂ© dans le mystioisme, dont nous aurons Ă prĂ©senter plus tard la rĂ©futation. Toutes lesâ catĂ©gories ayant Ă©tĂ© rĂ©duites par nous Ă celles du phĂ©nomĂšne et de lâĂȘtre > nous prĂ©senterons lâhistoire du mysticisme dans ses rapports avec ces deux idĂ©es, et nous aurons ainsi Ă examiner le mysticisme phĂ©?iumenai et le mysticisme substentiel, ainsi que les sous-divisions auxquelles lâun et 1 autre peuvent donner lieu. JNous espĂ©rons montrer que la thĂ©orie complĂšte de la' vie, telle que nous lâavons prĂ©sentĂ©e, no ventre dans aucun de ces mysticismes. Ou sâest sĂ©parĂ© dç toute doctrine mystique lorsquâon a posĂ©, comme nous lâavons fait, que ce nâest pas. la raison qui dĂ©rive du sentiment, mais le sentiment qui dĂ©rive de la raison. G8 HUITIĂME W*V\*V^\VV\V\\WWV\%A\V\\\V HUITIĂME LEĂON. La sensibilitĂ© joue le principal rĂŽle dans tous les mysticismes. â ThĂ©orie de la sensibilitĂ©. â ParallĂ©lisme de la vie intellectuelle et delĂ vie sensible.â Vie rĂ©llĂ©- chie, vie spontanĂ©e. Avant dâaborder la longue et dillicile histoire du mysticisme, nous-iivnns besoin de nous Ă©tendre sur lâanalyse de la sensibilitĂ©, qui joueuusi grand rĂŽle dans toutes les thĂ©ories mystiques. Nous avons dit que la sensibilitĂ© est parallĂšle Ă lâintelligence tous nos jugemens se rĂ©flĂ©chissent dans nos senti- niens ; et autant il y a de points de vue diĂŒĂ©rens dans la - vie intellectuelle, autant il sâen trouve dans la vie sensible. Ce qui fait la dillicultĂ© des recherches philosophiques, câest la complexitĂ© des faits humains, complexitĂ© quâil laut pourtant rĂ©soudre si lâon veut saisir ces faits avec clartĂ©. Tout nous est donnĂ© il la fois; il i au t donc dissoudre par l'abstraction ce qui est composĂ© dans la nature, et le problĂšme que' nous devons nous proposer, câest de sĂ©parer sans dĂ©truire, dâobserver les dĂ©tails, DU VRAI. 6 9 sans perdre de vue lâensemble et le jeu simultanĂ© de toutes les parties. Lâintelligence et la sensibilitĂ© sont unies dans la rĂ©alitĂ© ; il faut que nous les divisions, si nous voulons les connaĂźtre ; il faut morceler la vie pour lâĂ©tudier. Nous avons prĂ©sentĂ© dâabord le tableau de la vie intellectuelle toute seule, et nous lâavons fait saisir dans son double mouvement le mouvement spontanĂ© et le mouvement rĂ©flĂ©chi. Le moi. nâest dâabord quâune force de dĂ©veloppement, qui se dĂ©ploie pour ainsi dire en ligne droite, apercevant involontairement et confusĂ©ment son action. Mais avec la facultĂ© dĂ© penser, il a aussi celle dĂ© vouloir, câest-Ă -dire la libertĂ© de revenir sur lui-mĂȘme, et de considĂ©rer sa pensĂ©e par la rĂ©flexion. SpontanĂ©itĂ©, activitĂ© pure, eon- .science; libertĂ©, activitĂ© volontaire, rĂ©flexion, telles sont les deux grandes formes de lâintelligence ; lâune nâest pas lâautre, mais la seconde sort de la premiĂšre tout ce qui est dans le rĂ©flĂ©chi se trouve dans le spontanĂ©. Lâhomme Ă beau faire reculer devant sa libertĂ© les bornes des sciences humaines, jamais il ne dĂ©passera les limites du premier acte vital, du premier fait spontanĂ©. 11 sâarrĂȘte Ă la borne infranchissable des Ă©lĂ©mens contenus dans la spon tanĂ©itĂ©. En un-mot, lâhomme ne voit ultĂ©rieure ment que ce quâil a vu primitivement, mais la vue libre est claire et distincte, la vue spontanĂ©e est obscure et confuse. Le point de vue le plus Ă©levĂ© de la vie intellectuelle est la connaissance du rapport ĂO HUITIĂME LEĂON, qui rattache les idĂ©es absolues Ă lâĂȘtre infini, câest- Ă -dire Ă la source et au fondement de toute vĂ©ritĂ©, câest la conception de lâĂȘtre infini, par delĂ ses formes absolues. Lâinfini ou lâĂȘtre est cet inconnu au delĂ duquel la pensĂ©e ne conçoit et ne cherche rien. La pensĂ©e ne peut ni comprendre ni imaginer letre lui-mĂȘme, mais en deçà de lâinfini sont les formes sous lesquelles il se rĂ©vĂšle ces formes sont les idĂ©es du vrai, du beau, du bien. La raison humaine atteint et conçoit ces idĂ©es lorsqĂŒâen les apercevant elle reconnaĂźt quâelle ne les constituepas, lorsquâelle ne sâarrĂȘte pas Ă ces formes visibles, mais les rattache Ă lâĂȘtre invisible et infini, qui est leur fondement, elle touche la derniĂšre limite de la vie intellectuelle; elle est arrivĂ©e au plus haut point de la vie rĂ©flĂ©chie. Mais entre les idĂ©es de beautĂ©, de vĂ©ritĂ©,, de vertu, et lâĂȘtre qui en est la substance, sâouvre un abĂźme infranchissable ; car cette substance ne peut ĂȘtre conçue par la raison, qui conçoit seulement la nĂ©cessitĂ© de son existence. Elle sait quâau delĂ decet abĂźmerĂ©sidĂ© lâĂȘtre absolu et infini, qui est la source et le fondement de toute chose, parce quâil faut nĂ©cessairement que le beau , le vrai et le bien aient une origine et une base; mais câest lĂ tout ce quâelle en sait. Ainsi, la raison humaine ne peut comprendre lâĂȘtre infini elle nâen connaĂźt queles formes pour ainsi dire visibles. Le dernier point de vue de la rĂ©flexion est donc que la raison sache quelle ne constitue pas le beau, le vrai et le bien en les DU VRAI. 7 1 apercevant, .que ce nâest pas lâhomme qui crĂ©e la vĂ©ritĂ© absolue, le type idĂ©al et Ă©ternel du beau, la loi souveraine du devoir ; niais que si ces trois idĂ©es sont immuables, c est parce qu elles sont le reflet de lâĂȘtre immuable , Ă©temel, universel, infini. Rappelezr-vous maintenant quâil ne peut y avoir, dans ce point de vue Ă©levĂ© de la rĂ©flexion , rien qui ne se retrouve en germe au dĂ©but de la spontanĂ©itĂ© ; que le point de vue primitif et le point de vue ultĂ©rieur sont entiĂšrement semblablesquant Ă leurs Ă©lĂ©mens, et que la seule diffĂ©rence qui existe entre les deux extrĂ©mitĂ©s, câest que lâune est claire, tandis que lâautre est obscure. Que trouvons-nous dans le dernier vue rĂ©flĂ©chi? lâidĂ©e du moi, du non-moi et de lâĂȘtre absolu. Or, nous avons vu quâil ne pouvait pas se trouver un Ă©lĂ©ment de moins dans le premier point de vue spontanĂ© ; car la pensĂ©e la plus vague contient un sujet, un objet , et une idĂ©e indĂ©terminĂ©e de lâĂȘtre. Entre le dernier terme de la rĂ©flexion et la spontanĂ©itĂ© sont des points deâ vue rĂ©flĂ©chis intermĂ©diaires le premier est le point de vue du moi, du non-moi, et des rapports qui les unis- sent ou les sĂ©parent, rapports qui forment les lois de la pensĂ©e et les lois de la nature; le second point de vue ce ] u j o Uj pies nous ĂȘtre Ă©levĂ©s au-dessus du coutingept, nous concevons le bien, le beau et le vrai, comme indĂ©pendans du moi et du On-moi ; le troisiĂšme, qui est le dernier degrĂ© 72 huitiĂšme leçon. de !a rĂ©flexion , rapporte ces idĂ©es absolues Ă leur origine derniĂšre et fondamentale, Ă l'Ă©tre infini. Tout ce qui est dans lâintelligence se retrouve dans la sensibilitĂ© on peut aussi diviser en deux Ă©poques lâexercice de cette derniĂšre lâĂ©poque spontanĂ©e et lâĂ©poque rĂ©flĂ©chie ; et celle-ci, en trois momens parallĂšles aux trois momens de la vie intellectuelle rĂ©flĂ©chie. De mĂȘme que pour lâintelligence , il nây aura rien* dans la sensibilitĂ© rĂ©flĂ©chie qui nâait Ă©tĂ© dâabord dans la sensibilitĂ© spontanĂ©e. Le dernier point de vue rĂ©flĂ©chi de lâintelligence comprend lâidĂ©e du moi et du non-moi-, et la conception du vrai, du beau et du bien, rapportĂ©s Ă hĂȘtre absolu le point de vue sensible parallĂšle dĂ©veloppe des sentimens appropriĂ©s Ă chacune' de ces phases. Dans le point de vue intellectuel, je suis, et quelque chose existe hors de moi, puis, par un jugement delĂ raison, jâaperçois le bien , le vrai, Je beau , et je les rapporte Ă leur origine premiĂšre et substantielle. Dans, le point de vue sensible, j'e suis heureux d etre un sentiment dĂ©licieux sâattache Ă la conscience de mon individualitĂ©; le non-moi .mâest agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able; la cou ceptiondu bien, du beau et du vrai est toujours accompagnĂ©e dĂ©plaisir, et la conception contraire produit toujours un sentimentde peine. Lâintelligence, avons-nous dit, ne sâarrĂȘte pas aux idĂ©es absolues, elle aspire Ă la substance absolue. Nous savons IJ U VU AI. 7 3 * que le moi est un phĂ©nomĂšne pĂ©rissable , que souvent il vient Ă dĂ©faillir ; que le non-moi est instable et varie perpĂ©tuellement ; que les idĂ©es du beau, du vrai et du bien cessent dâexister, lorsque nous nâexistons plus nous-mĂȘmes , et nous sentons le besoin d un fondement qui ne pĂ©risse pas nous nous Ă©levons jusquâĂ letre oĂč lâintelligence se repose en paix, et fait Ă©prouver Ă la sensibilitĂ© le ravissement le plus durable. Le sentiment de plaisir , attachĂ© Ă lâexistenee du moi , ' est agitĂ© j parce que le moi est bornĂ© et pĂ©rissable la jouissance causĂ©e par le cĂŽtĂ© agrĂ©able du non- moi est mĂȘlĂ©e de regret et de crainte , parce que le non-moi est variable et bornĂ© , et parce que nous ne pouvons pas ne pas en recevoir quelque mal. LâĂ©motion, suscitĂ©e par la vĂ©ritĂ© , la beautĂ© , la vertu, est plus calme h la fois et plus vive ; mais toutes les sources de la sensibilitĂ© ne viennent Ă sâouvrir que si nous arrivons jusquâĂ lâidĂ©e de la substance, de lâinconnu au delĂ duquel il nây a rien. LĂ est le calme absolu, le repos sans agitation , la joie sans mĂ©lange de peine. Mais nous ne faisons quâentrevoir ces dĂ©lices ; car, ainsi que nous lâavons dit, nous ne comprenons pas lâĂȘtre lui-mĂȘme , et nous ne concevons que la nĂ©cessitĂ© de son existence. Nous venons de voir lâintelligence rĂ©dĂ©chie ac- ompagnĂ©e d un dĂ©veloppement parallĂšle de la sen- SibihtĂ© ; lâintelligence spontanĂ©e nous offrira le 74 HUITIĂME UEĂON. mĂȘme spectacle. Quâavons-nous trouvĂ© dans le premier point de vue intellectuel ? le moi , le non- moi, et la conception vague de lâĂȘtre. De mĂȘme dans le premier mouvement de la sensibilitĂ©, un plaisir confus et indĂ©terminĂ© sâattache S chacun de ces trois termes.. Ai nsi, lâçnfant est satisfait dâexister; le monde extĂ©rieur lui agrĂ©e ou lui dĂ©plaĂźt ; lâenfant sourit oĂč pleure aux objets de la nature, et le sentiment. agrĂ©able de lâĂȘfre en gĂ©nĂ©ral traverse, quoique dâune maniĂšre fugitive , sa frĂȘld* organisation. Tel est le point de vue primitif sensible dans son parallĂ©lisme avec le point de vue primitif intellectuel. Pour mieux constater le progrĂšs parallĂšle de la raison et de la sensibilitĂ©, reprenons les points intermĂ©diaires qui se trouvent sur la route, depuis le premier Ă©veil spontanĂ©, jusquâau terme final de la rĂ©flexion. Le vrai, le bien et le beau ne sont que des formes de lâinfini quâaimons-nous donc en aimant la vĂ©ritĂ©, la beautĂ© et la vertu ? nous aimons lâiniini lui-mĂȘme. Lâamour de la substance infinie est cachĂ© sous lâamour de ses formes. Câest si bien lâinfini lui-mĂȘme qui vous charme dans le beau , le bien et le vrai, que ces manifestations ne vous suffisent pas. Lâartiste languit Ă la vue de ses chefs-dâĆuvre il aspire a sâĂ©lever plus haut. Lâbovnme de bien et le philosophe se dĂ©goĂ»tent de leurs, vertus et de leurs vĂ©ritĂ©s imparfaites. Tant que lâinfini nâest pas atteint, lâamour nâest DXT VR/VI.' 70 pas satisfait. La vĂ©ritĂ© est un intermĂ©diaire qui sĂ©pare le philosophe de lâĂȘtre absolu, comme la nature extĂ©rieure est un obstacle qui sĂ©pare lâenfant de lâĂȘtre des ĂȘtres ; mais câest Ă la substance infinie que tend le philosophe Ă travers la vĂ©ritĂ© ; de mĂȘme câest Ă la substance infinie que lâenfant aspire, sans le savoir, Ă travers les phĂ©nomĂšnes de la nature. Lâenfant ne sâĂ©lĂšve pas de prime-abord aux idĂ©es de beautĂ© , de vertu et de vĂ©ritĂ© ; il sâattache aux formes sensibles ; il sâarrĂȘte au monde extĂ©rieur, quâil prend pour lâEtre lui-mĂȘme; il sourit Ă la nature ; il se joue sur le sein de sa nourrice qui le regarde avec compassion et le laisse dans cette heureuse ignorance. Mais bientĂŽt ce inonde extĂ©rieur ne peut contenter ses dĂ©sirs la rose quâil a aimĂ©e lui devient indiflĂȘrente ou lui' dĂ©plaĂźt ; il l'effeuille , la sĂšme sous ses pieds, et court Ă dâautres plaisirs; il espĂšre trouver dans cette nature, infinie h ses .yeux, quelque bien oĂč se reposera son amour. Mais la rĂ©flexion arrive , elle dĂ©truit ses illusions et son innocente espĂ©rance il comprend que la nature ne peut pas lui donner ce quâelle nâa pas , et quâelle nâest point ce quâil dĂ©sire ; il la dĂ©passĂ© ; il tend volontairement ;m mĂȘme but vers lequel lâentraĂźnait une tendance spontanĂ©e;, sa fin est la mĂȘme, mais il 1 ignorait lâheure, et maintenant il la connaĂźt. L amour dans lâenfant est pur parce l u 11 est spontanĂ© il ^ rĂ©pand tout entier s âjb huitiĂšme leçon. lâobjet agrĂ©able; sa sensibilitĂ© ne se partage pas elle se dĂ©verse sur le non-moi , sans retour sur le moi. La sensibilitĂ© spontanĂ©e ne se divise pas en expansion et en concentration cette division ne sâaccomplit que dans le point de vue rĂ©flĂ©chi. Ainsi lâenfant aime lâobjet extĂ©rieur Sans sâaimer lui-mĂȘme câest lâamour dĂ©sintĂ©ressĂ©; mais ce nâest pas le dĂ©voĂ»ment, car on ne se dĂ©voue pas quand on sâignore. Lâamour innocent, tant quâil se mĂ©connaĂźt lui-mĂȘme, perd son innocence, quand il commence Ăźi se connaĂźtre. DĂšs que la rĂ©flexion prend naissance , la force sensible se divise , et une moitiĂ© revient sur le MOI il y a concentration. L'amour de lâobjet extĂ©rieur sâaffaiblit ou sâenvole ; tel est le sens nie la poĂ©tique fable de PsychĂ©. Tant que PsychĂ© ne connut pas son cĂ©leste amant, sa joie noeenteet vive ; mais dĂšs quâelle approcha sa lampe, lâAmour sâenvola, et son. bonheur se perdit avec son innocence.. En passant de la spontanĂ©itĂ© Ă la rĂ©llexion, lâamour cesse dâĂȘtre un, et par consĂ©quent dâĂȘtre pur le, moi , qui se nĂ©gligeait lui- mĂȘme dans la spontanĂ©itĂ© , se prend, dans la rĂ©flexion , pour lâun des termes de son amour. La rĂ©flexion enfante f Ă©goĂŻsme , mais elle peut enfanter aussi le dĂ©voĂ»ment. A peine sommes-nous arrivĂ©s Ă ce premier degrĂ© de la rĂ©flexion oĂč le moi revient sur lui-mĂȘme , que nous le franchissons , et nous Ă©levons Ă lâamour du beau , du bien et du DU VRAI. 77 vrai la sensibilitĂ© reprend ici .une partie de sa puretĂ© et de sa vivacitĂ© premiĂšre. Ce .second degrĂ© est franchi encore , et nous arrivons au troisiĂšme aspect de la rĂ©flexion, Ă ] amour de letre infini. Mais, Ă ce dernier terme, l'amour nâa pas dâautre but quâĂ son origine ; car câĂ©tait lâinfini quâil cherchait dâabord sans le savoir. A travers .les formes finies , lâenfant dĂ©jĂ poursuivait lâinfini ; Ă travers le moi et le non-moi 7 la reflexion poursuit les idĂ©es absolues, et Ă travers les idĂ©es elles- mĂȘmes , elle aspire Ă la substance infinie. La vie intellectuelle et la vie sensible ne sont donc quâune marche vers lâinfini. La raison conçoit lâinfini dans le fini; l'amour tend Ă lâinfini par le fini. La raison et lâamour sont les deux grandes formes de la vie humaine quand la vie sâarrĂȘte au sein de la spontanĂ©itĂ© , elle est belle et pure ; quand elle arrive sur le seuil de la rĂ©flexion , elle se dĂ©grade, si elle ne passe sur-le-champ Ă la conception de lâidĂ©al, et de la conception de lâidĂ©al Ă ,celle de la substance infinie. ArrivĂ©e Ă ce terme, elle reprend sa puretĂ© et sa beautĂ© premiĂšre. Comme lâamour et la raison constituent la vie humaine, ils constituent aussi la religion et lâart, , - V *~*ÂŁ>*-^ . A» J qui sont les expressions de cette vie. Je mâexplique raison conçoit lâinfini; lâamour aspire Ă l'infini qu y a-t-il de p , U; ni con ception, ni religion. Lâart n , iryme*s ele; lâieleh*? La philoso- 1 U VRAI. 99 phie du sentiment est donc incomplĂšte , fausse et illĂ©gitime incomplĂšte, en ce quâelle fait abstraction dâun phĂ©nomĂšne aussi certain que celui quâelle reconnaĂźt ; fausse, eu ce quâelle attribue au sentiment un rĂŽle quâil ne peut remplir ; illĂ©gitime, en ce quâelle parle du'vrai , du bien et du beau , quâelle est condamnĂ©e Ă toujours ignorer. Cette philosophie appelle cause substantielle l'objet idĂ©al de lâamour ; mais comment lâamour a-t-il pu fournir lâidĂ©e de cause- et lâidĂ©e de substance ? Jaeobi avance que la cause substantielle est une rĂ©vĂ©lation dit sentiment sans aucun doute lâĂȘtre substantiel nous est rĂ©vĂ©lĂ©, nâest pas par lâamour ; la rĂ©vĂ©lation de lâĂȘtre absolu se fait Ă la raison et sous les formes du beau, du vrai et du bien. De deux choses lâune ou il faut anĂ©antir la substance, ou il faut y ; si vous lâanĂ©antissez vous vous mettez en contradiction avec le genre humain et avec vous-mĂȘme, car tout parle de substance, et le moindre de vos mots en fait lâaveu si vous la conservez et que vous veuillez y arriver par une voie lĂ©gitime , nâen laites pas un objet de sentiment, mais tout Ă la fois un objet de raison et dâamour ; ne la soumettez pas Ă une facultĂ© subjective?, variable dâindividus Ă individus. Que Vous partiez du moi. p ar 1 analyse pour vous Ă©lever jusquâĂ Dieu, ou q\ie vous partiez de Dieu pour redescendre par la synthĂšse jusquâau moi, vous trouverez toujours la 7 - IOO DIXIĂME LEĂON. raison comme un . anneau indispensable de la chaĂźne le moi aperçoit dans sa conscience le sentiment avec la raison ; la raison lui rĂ©vĂšle la vĂ©ritĂ© , la beautĂ© et la vertu, et. sur ces trois formes il sâĂ©lĂšve Ă Dieu ; dans lâordre contraire , Dieu est au point de dĂ©part, il se manifeste sous trois idĂ©es ; ces trois idĂ©es sâadressent Ă la raison , la raison Ă©veille le sentiment, et lâun et lâautre se confondent dans la conscience ou dans le moi. La philosophie de Jacobi est donc illĂ©gitime , car toute philosophie qui laisse de cĂŽtĂ© une rĂ©alitĂ© importante , nâest pas une vraie philosophie. Nous avons commencĂ© aujourdâhui le tableau du mysticisme dans son excursion au delĂ des phĂ©nomĂšnes la prochaine fois nous achĂšverons cette histoire. DU VRAI. IOI ONZIĂME LEĂON. Continuation du mĂȘme sujet. Dernier degrĂ© du mysticisme relatif Ă la substance tentative de contempler lâĂȘtre infini, par-delĂ les idĂ©es du vrai, du beau et du bien. â Plotim â FĂ©nelon , quiĂ©tisme. Nous avons distinguĂ© trois degrĂ©s dans La vie intellectuelle et sensible, câest-k-dire, dans la vie humaine i 0 lâaperception de lâhomme et de la nature, avec une conception vague et indĂ©terminĂ©e de lâĂȘtre ; 2 ° lâaperception de la beautĂ©, de la vĂ©ritĂ© et de la vertu conçues en elles-mĂȘmes ; 3° la beautĂ©, la vĂ©ritĂ© et la vertu rapportĂ©es Ă leur origine premiĂšre, câest-Ă -dire Ă lâĂȘtre absolu. Ne croyez pas cependant que lâĂȘtre, qui dans le premier degrĂ© enveloppe lâhomme et la nature, qui dans 1 second comprend la beautĂ©, la vĂ©ritĂ© et la bontĂ©, apparaisse toujours Ă la raison avec la mĂȘme clartÂŁ. Primitivement nous concevons surtout le phĂ©nomĂšne en lui-mĂȘme, nous ne le rapportons que vaguement et implicitement ĂŻ\ lâĂȘtre 102 ONZIĂME absolu. La vin, Ă son premier degrĂ©, nâost guĂšre pour nous quâune dualitĂ© phĂ©nomĂ©nale, ainsi que nouslâavonsdĂ©jĂ dit, ou, en dâautres termes, unevue du moi et du non-moi, plus une conception obscure, de la substance. Dans le deuxiĂšme degrĂ© nous entrevoyons bien le rapport de la vĂ©ritĂ©, de la bontĂ© et de la beautĂ©, avec lâĂȘtre absolu; mais lâĂȘtre nâest encore aperçu quâindistinctemont sous ces formes qui le dĂ©robent tout en le manifestant. Ce nâest donc quâau troisiĂšme degrĂ© que la substance est conçue avec clartĂ©. Mais aucun degrĂ© de la vie nâest .rivĂ© de lâaperception de lâĂȘtre ' câest la substance entrevue ;'i tous les degrĂ©s qui forme ce que jâappelle lâunitĂ© de la vie. La vie nâesi. quâun dĂ©veloppement, et cette expression indique, que-tous les Ă©lĂšmens de 1 Ă©tat de maturitĂ© Ă©taient dĂ©jĂ contenus dans le germe; la vie est donc une en mĂȘme temps que diverse. Si lâhomme, dans les diliĂ«rens Ă©tats et aux diverses Ă©poques de sa vie, sâattache plus spĂ©cialement, soit au moi et Ă la nature , soit aux formes absolues, soit enfin Ă lâĂȘtre absolu lui-mĂȘme, il nây a pas pour cela de sĂ©paration complĂšte entre chacun des degrĂ©s de la- vie humaine. Puisquâil y a unitĂ© dans le dĂ©veloppement rĂ©gulier de l'humanitĂ©, il y a aussi unitĂ© dans Je dĂ©veloppement erronĂ© que nous avons appelĂ© mysticisme. Le mysiicisiiie peut ĂȘtrĂ©^dĂ©fini-dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale ] l prĂ©dominance accordĂ©e au sentiment. Tout en aspirant vers lâĂȘtre infini, le DU VRAI. io3 sentiment pourra sâarrĂȘter dâabord aux phĂ©nomĂšnes , ou bien aux idĂ©es absolues; enfin, il essaiera dâatteindre directement et immĂ©diatement Ă lâĂȘtre lui-mĂȘme. Le mysticisme aura donc trois degrĂ©s correspondant aux trois, divisions de la vie intellectuelle, mais qui garderont toujours entre eux une sorte dâunitĂ©. $ous avons dĂ©crit le mysticisme du premier degrĂ© ou le mysticisme phĂ©nomĂ©nal; nous avons montrĂ© comment il donnait au json-moi tous les caractĂšres du moi ; nous sommes passĂ©s ensuite au mysticisme du second degrĂ© , Ă celui qui prĂ©tend atteindre par le sentiment les idĂ©es absolues' du beau,. et du vrai; il nous reste-Ă suivre le mysticisme jusquâĂ sa plus haute Ă©lĂ©vation ; en dâautres termes, il nous reste Ă le considĂ©rer dans son rapport avec le troisiĂšme point de vue de la vie intellectuelle câest ici surtout que se montre toute sou ambition, tous ses dangers, et nouspoumous presque ajouter tout son dĂ©lire ; et cependant *ce dernier degrĂ© de mysticisme, quoiquâil puisse ĂȘtre Ă©vitĂ©, a encore sa racine dans la nature humaine, comme il est facile de le montrer. Quand nous sommes arrivĂ©s sur les hauteurs des idĂ©es absolues, quand nous-avons dĂ©passĂ© la sphĂšre sensible et terrestre, un horizon plus vaste se dĂ©roule Ă nos yeux Ă lâagrĂ©able succĂšde le beau, au probable le vrai, Ă lâutile le juste; mais la. scĂšne devient plus grande et plus majestueuse encore lorsque, tourmentĂ©s de cette 10/f ONZIĂME LEĂON. inquiĂ©tude qui ne nous permet de nous reposer nulle part, nous aspirons Ă percer les formes de lâabsolu, et h pĂ©nĂ©trer jusqu'au fondement de tout ce qui existe. Lâhomme voudrait pouvoir contempler .lâĂȘtre face h face mais il n'e lui a Ă©tĂ© donnĂ© que de concevoir la nĂ©cessitĂ© de lâinfini, et non dâen comprendre la nature. Lâimagination a beau sâĂ©chauffer et se travailler, en vain elle redouble et multiplie le fini, elle ne se fait jamais une image de lâinfini. Maisla sensibilitĂ©, plus impatiente^ que la raison, aspire Ă la contemplation de lâĂȘtre, que la raison renonce Ă contempler. La sensibilitĂ© excite la raison Ă connaĂźtre ce quâelle doit ignorer; la raison reste en arriĂšre,. l'imagination seule se met en ayant, et delĂ le mysticisme le plus-Ă©levĂ©, mais aussi le plus dĂ©plorable; de lĂ ces mĂ©thodes extatiques, inventĂ©es pour satisfaire ce besoin dâaperception immĂ©diate, et calmer les agitations delĂ sensibilitĂ©. Il faut en prendre son parti jamais lâhomme ne pourra connaĂźtre la substance infinie quâil sâarme donc dâune Ă©nergique fermetĂ© pour rĂ©sister au dĂ©sir dâune sensibilitĂ© aveugle, et quâil rejette tous ces procĂ©dĂ©s extatiques qui no satisfont la sensibilitĂ© quâaux dĂ©pens de la raison; que lâhomme consente Ă ĂȘtre homme le moi , le non- moi et leurs rapports, le. vraiâ, le beau et le bien comme idĂ©es absolues et formes dâun ĂȘtre invisible et infini, voilĂ ce quâil lui a Ă©tĂ© donnĂ© de connut- 1U VH AI. IOO tr-e; quâil ne veuille plus haut, sous peine de tomber, au-dessous de lui-mĂȘme. Au reste, je le rĂ©pĂšte, ce besoin dâapercevoir lâinlini est naturel k lâhumanitĂ© ; il nâest point de philosophe qui nâait tentĂ© de parvenir Ă lâintuition immĂ©diate de lâĂȘtre ; jâaurais mĂȘme mauvaise opinion de celui qui nâaurait' pas lait cette tentative. La philosophie nâest pas. philosophie si elle ne touche Ă lâabĂźme; mais elle cessĂ© dâĂȘtre philosophie si elle y tombe. Parmi les philosophes qui ont eu la prĂ©tention dĂ© saisir directement lâĂȘtre absolu au lieu de concevoir seulement la nĂ©cessitĂ© de son existence, les uns, comme nous le voir, ont voulu rĂ©aliser cette' entreprise par le sentiment, les autres par la raison. .Nous - avons montrĂ© que le sentiment est tout-Ă -fait incapable de nous mener Ă 1 absolu si je veux conclure de ma sensibilitĂ© Ă lâĂȘtre infini, je conclus du moi Ă cç qui nâest pas moi , duâ variable Ă lâinvariable*,' du contingent au nĂ©cessaire, en un mot, pour parler le langage philosophique, je subjective lâobjectif. Une fois reconnue lâimpossibilitĂ© dâapercevoir lâabsolu par le sentiment, on a eu recours Ă la raison. Nous avons vu comment 1 homme sâaperçoit quâil y a autre chose que du variable et du contingent dans ses connaissances ; comment il ne peut se refuser Ă la conception des idĂ©es de bien, de beau et de vrai-; comment il est contraint de rapporter ces idĂ©es Ă un ĂȘtre substan- JOfi OSZlKMIi tiel dont i] conçoit, l'existence sans en comprendre la nature ce nâest pas ainsi que procĂšde le ibys- ticisme rationnel ; il accorde bien que ce nâest pas le sentiment qrii conçoit lâĂȘtre, mais il suppose que la raison lâaperçoit face h faceabstraction faite des formes du vrai, du beau et du bien, et quâelle le prend,, pour ainsi dire, corps Ă corps. Plotin, chez les anciens, et quelques-uns des moâdernes ont rĂ©alisĂ© ce mysticisme, rationnel. Plotin y mĂȘle cependant un peu de senti ment non-seulement, dit-il, jâaperçois immĂ©diatement lâinfini, mais quelquefois encore je le sens. Le systĂšme du mystique d'Alexandrie se distingue encore par un autre point de vue qui lui est particulier ; aux yeux de Plotin, la pensĂ©e de lâhomme est elle-mĂȘme lâinfini ; quiconque de sa pensĂ©e a conscience de lâinfini il nâest donc pas surprenant que lâAlexandrin ait prĂ© tendu voir lâinfini face Ă face. Mais indĂ©pendamment de oette pensĂ©e infinie et absolue, il distinguait une autre pensĂ©e contingente, qui se dessinait pour ainsi dire sur la premiĂšre, et qu il fallait traverser pour arriver Ă lâinfini la premiĂšre Ă©tait le moi absolu , la seconde le moi contingent. Plotin prĂ©tendait donc apercevoir immĂ©diatement lâinfini ou Dieu eu lui-mĂȘnte; voilĂ pourquoi i regardait son Ă©ine et son corps- comme le temple de Dieu ; voilĂ© pourquoi il disait quâil y a eu nous des pensĂ©es divines, et parce mot il n'entendait pas des pen- DU VRAI. . io 7 sĂ©es qui ont rapport Ă Dieu, ou qui nous sont inspirĂ©es par lui., car nous aussi nous croyons quâen ce dernier sens il y a en nous des pensĂ©es divines; mais il entendait qĂ»e nous portions Dieu en nous- mĂȘmes, et quâainsi Dieu nous parlait sans intermĂ©diaire. Nous rejetons en consĂ©quence le mysticisme de Plotin, parce quâil ne nous est donnĂ© de concevoir lâĂȘtre que sous ses formes âą absolues du vrai , du beau et du bien ; mais nous le regardons comme moins dangereux que le mysticisme sentimental, parce quâil lie dĂ©truit pas la loi-du devoir, qui nous oblige Ă la recherche de la vĂ©ritĂ© et de la beautĂ©, et Ă la pratique de la vertu. Le mysticisme sentimental, sâabsorbant tout entier dans le sentiment dp lâĂȘtre, se contente de Ltdo- rerâet renonce Ă lâaction il-nĂ©glige lâaccomplissement du devoir , lâĂ©tude de la vĂ©ritĂ©, et la reproduction du beau. Lâart hâest plus que lâadoration de lâĂȘtre intini, la logique que la contemplation de Dieu , la morale quâune rĂ©signation entiĂšre aux passious. Tel est le tableau de ce dangereux mysticisme qifon .appelle quiĂ©tisme, et dont quelques lettres de FĂ©nelon sont malheureusement entachĂ©es. Sans entreprendre un combat en rĂšgle contre la doctrine de ce grand homme, je me contenterai de faire observer quâelle est. en contradiction ;i\ec la lin du deyoĂŻr- Dette loi moblige, non dabandonner lâempire de 108 ONZliiMli LEĂON. » âą âą> aux passions, ni de leur opposer une rĂ©signation inactive, mais de les abordĂ©e franchement et courageusement, de les combattre et de les vaincre- elle mâordonne, en un mot, de mettre la sensibilitĂ© sous le joug , et de prĂ©fĂ©rer les conceptions pures et calmes dĂ© la raison aux mouvemens aveugles et impĂ©tueux du sentiment. Sans doute si quelquefois la raison nous conseillait de cĂ©der aux plus violentes de nos passions , pour les laisser sâuser elles-mĂȘmes, si elle nous disait Vous pourriez combattre, mais vous succomberiez; laissez donc la passion vous dĂ©chirer les entrailles; gardez-vous seulement de la laisser Ă©chapper au dehors, de lui laisser produire des ellĂšts extĂ©rieurs elle sâĂ©puisera par lâexcĂšs mĂȘme de sa violence, et vous rentrerez sous mon empire; sans doute alors la rĂ©signation serait lĂ©gitime, parce quâelle Ă©manerait de la raison ejlc-mĂȘme. Mais la raison donne-t-elle jamais de tels conseils? Ne serait-il pas moins. convenable Ă la dignitĂ© humaine do cĂ©der par prudence Ă la passion que de la combattre avec courage? La rĂ©signation conseillĂ©e par la raison serait dĂ©jĂ peu glorieuse pour lâhomme; que dipons-notis donc si, nâĂ©coutant jamais que de la sensibilitĂ©, tranquille au sein dâun honteux repos, il laisse. toutes ses passions se dĂ©velopper paisiblement'sans essayer de les cohibattre?. N est-ce pas courber la libertĂ© de lâhomme sous la fatalitĂ© de la nature? nĂŒ VRAI. 109 Maintenant que nous avons exposĂ© les dangereuses erreurs du mysticisme, on peut reconnaĂźtre comment il se distingue de la doctrine que nous ayons professĂ©e. Nous admettons que la vie lmmaine, câest-Ă -dire cette libertĂ© douĂ©e de raison et dâamour, se renferme dâabord dans le point de vue du moi et du non-moI, avec une conception vague de l'ĂȘtre absolu ; que bientĂŽt elle s elĂšve aux idĂ©es absolues de vrai, de beau et de bien, et quâenlin elle rapporte ces idĂ©es Ă un ĂȘtre substantiel, premier et infini, dont 611e conçoit lâexistence, et dont il lui est interdit Ă jamais de comprendre lâessence. 11 nây a dans tout ceci ni personnification de la nature extĂ©rieure , ni invocation , ni âąĂ©vocation des forces contingentes, ni surtout tentative de contempler ou de sentir lâĂȘtre infini sans voile et sans obstacle. .Entre le moi libre, phĂ©nomĂšne individuel et fini, et Dieu, substance absolue et infinie, existe un intermĂ©diaire qui nous apparaĂźt. sous trois formes le vrai, le beau et le bien câest- par ce mĂ©diateur seulement que nous arrivons Ă la conception de Dieu ; le seul moyen qui nous soit offert pour nous Ă©lever jusquâil lâĂȘtre des ĂȘtres, câest de nous rendre , le plus quâil nous est' possible , semblables au mĂ©diateur, câest-Ă -dire de nous consacrer Ă la recherche de la vĂ©ritĂ©, Ă la reproduction du beau, ĂȘt surtout Ă la pratique du bien. I IO > DOUZIĂME LEĂON. ' l vvv v\ivw "vvw n uwihiva v\vmwvwWM vvyt'wyvvwYvv^ wv DOUZIĂME LEĂON. ProblĂšme de in vĂ©ritĂ© absolue i.â pour le rĂ©soudre âą. partir de lâĂ©tat primitif de lâintelligence et descendre Ă lâĂ©tat actuel , ou partir de lâĂ©tat actuel et remonter Ă lâĂ©tat primitif. -â LĂ seconde mĂ©thode est prĂ©fĂ©rable 2. âDu critĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ© au de la nĂ©cessitĂ©. â Du critĂ©rium absolu de la vĂ©ritĂ© ou de son unit ersalitĂ© et tfe son indĂ©pendance 3 . INious avons franchi les divers degrĂ©s dont se compose la vie intellectuelle ; nous avons lâait remarquer les diversitĂ©s qui les distinguent, et lâuni tĂ© cpii se cache sous cctj apparentes diversitĂ©s. Lâun de ces 'degrĂ©s est lit couception des idĂ©es absolues du vrai, çlu beau et du bien mon but maintenant est dâapproibudh' ce point de vue. 1 Voyez, F fi *r, mkn s i' programme de 1818, pages Ăźli'Ă f »G 4 premiĂšre Ă©dition. s Voyez, Fhagmen* 1 ujlosopiiiulbs, programme de 1817, pages a»8 et 22i it VH AI. I I I Les irois idĂ©es absolues peuvent se comprendre* sous le litre gĂ©nĂ©ral .de vĂ©ritĂ© absolue le beau c'est le vrai sous des formes visibles, le bien câest le vrai transportĂ© dans les actions humaines. Pour quâil y ait de 1 absolu dans les beaux-arts etdaiisla morale, il faut quil y ait de la vĂ©ritĂ© absolue. La question de lâabsolu, en mĂ©tu- pbysique, doit prĂ©cĂ©der la question de lâabsolu dans les arts et dans la morale, et nous devons commencer par ce problĂšme y a-t-il ou ny a-t-il pas de la vĂ©ritĂ© absolue? Quelle niĂ©tlipde employons-nous dans cette recherche ? iNous avons Ă mĂ©nager non-seulement lâintĂ©rĂȘt delĂ vĂ©ritĂ©, mais encore lâintĂ©rĂȘt de la science, eâest-Ă -dire quâil ne nous convient pas de rencontrer la vĂ©ritĂ© par hasard , et comme par une sorte de bonne fortune, mais que nous devons parvenir Ă la vĂ©ritĂ© par des procĂ©dĂ©s scientifiques, par ce que nous appelons une mĂ©thode. 11 y a deux mĂ©thodes usitĂ©es en philosophie pour Ă©tudier les faits de lâentendement lâune les prend Ă leur origine, cherche ce quâils ont dĂ» ĂȘtre primitivement, et passe de lĂ Ă leur Ă©tat actuel; lâautre Ă©tudie dâabord lâĂ©tat actuel, et de lĂ remonte Ă lâĂ©tat primitif ; elle essaie de connaĂźtre ce qui est, avant de se demander ce qui a pu ĂȘtre- L Ă©tat primitil est loin de nous nous ne pouvons plus le ramener sous nos yeux et le ^soumettre a notre observation; lâĂ©tat actuel, au contraire, est I I 2 DOUZIĂME toujours Ă notre disposition il nous sullit de rentrer en nous-mĂȘmes, de fouiller dans notre conscience, et de lui faire rendre tout ce quâelle contient. La mĂ©thode qui commence par lâĂ©tude du primitif ne peut pas Ă©tudier cet Ă©tat, puisquâil nâest pas h sa portĂ©e, et quâil nây a pas de commerce possible entre le. prĂ©sent et le passĂ©. Que lui reste-t-il donc Ă faire? Câest de construire des hypothĂšses, de sâappuyer sur ces hypothĂšses comme sur quelque chose de rĂ©el, et dâen tirer des consĂ©quences qui ne pourront ĂȘtre quâhypothĂ©tiques. Voulons-nous donner Ă nos recherchĂ©s un fondement solide, rĂ©el, inĂ©branlable, ayons recours Ă la seconde mĂ©thode Ă©tablissons-nou* Lus lâĂ©tat prĂ©sent, et cet Ă©tal bien Ă©clairci , paSSOUS , -sâil est possible, h 1 Ă©tat antĂ©rieur; Quand nous aurons constatĂ© le caractĂšre que possĂšde aujourd'hui tel ou tel phĂ©nomĂšne de eoriscieneĂ©, nous chercherons quel a dĂ» ĂȘtre son caractĂšre primitif; puis, lorsque nous tiendrons les deux extrĂ©mi tĂ©s delĂ chaĂźne, nous pourrons songer Ă saisir les anneaux interi nĂ©diaires nous nous occuperons du passage de lâĂ©tat primitif h lâĂ©tat actuel. Cette mĂ©thode est la plus sĂ»re, elle rĂ©pond 'a celle qud lâon suit dans les sciences dâobservation. Comme elle part dâun principe certain, incontestable, elle nâest pas exposĂ©e Ă errer dâhypothĂšse en hypothĂšse; Si,. en remontant vers l Ă©tal primitil, elle se jette dans quelque fausse spĂ©culation, si elle se trompe en dĂ©crivant la Iran- DU VRAI. 113 sition du primitif Ă lâactuel, ses observations sur lâĂ©tat prĂ©sent nâen sont pas moins lĂ©gitimes. Nous pourrons ou rĂ©parer ses erreurs, ou les rejeter , et nous en tenir Ă ses vĂ©ritables dĂ©couvertes, Ă celles qui regardent lâĂ©tat prĂ©sent de nos connaissances. Nous appelons vĂ©ritĂ© absolue une vĂ©ritĂ© indĂ©pendante de toutes les circonstances de temps et de lieux, et dont le caractĂšre fondamental est lâuniversalitĂ© toute vĂ©ritĂ© universelle est une vĂ©ritĂ© absolue. Outre ce caractĂšre fondamental , câest-Ă -dire, lâuniversalitĂ© et lâindĂ©pendance, lâai>- solu en a un second par rapport Ă lâintelligence, câest la nĂ©cessitĂ© ce caractĂšre est donc simplement relatif. Les vĂ©ritĂ©s absolues sont Ă la fois universelles et nĂ©cessaires ; universelles en elles-mĂȘmes, nĂ©cessaires relativement Ă lâintelligence. On a donnĂ© au premier caractĂšre le nom de critĂ©rium absolu , et au second le nom de critĂ©rium relatif. Nous allons vĂ©rifier dâabord le second caractĂšre y a-t-il actuellement pour nous des vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires? Adressons-nous au gĂ©omĂštre peut- il , suivant son caprice, croire ou ne pas croire aux vĂ©ritĂ©s mathĂ©matiques? Ces vĂ©ritĂ©s sont-elles nĂ©cessaires ou contingentes ? Si nous interrogeons le mĂ©taphysicien, ne nous parlera-t-il pas de notions marquĂ©es du caractĂšre de nĂ©cessitĂ© ? Prenons un exemple commun Ă la mĂ©taphysique et Ă la gĂ©omĂ©trie le gĂ©omĂštre et le mĂ©taphysicien ne PHILOSOPHIE. I I /J DOUZIĂME LEĂON. reconnaissent-ils pas l'existence dâun espace pur , dont ils 11 e peuvent rejeter la notion, ou regardent-ils lâespace comme une liction de lâesprit, avec laquelle ils peuvent jouer Ă leur grĂ© ? 11 est hors de doute que les gĂ©omĂštres et les mĂ©taphysiciens croient Ă un espace Ă©ternel et sans bornes, indĂ©pendant des corps qui se meuvent dans son sein , et quâils avouent en mĂȘme temps la nĂ©cessitĂ© oĂč ils sont dây croire. La notion de lâinfini nâest-elle pas aussi admise par la gĂ©omĂ©trie et la mĂ©taphysique , et ne regardent-elles pas cette notion comme nĂ©cessaire? Enfin, lâidĂ©e de temps ne leur apparaĂźt-elle pas encore comme marquĂ©e dâun caractĂšre de nĂ©cessitĂ© ? Peuvent- elles h lour grĂ© allirmer ou nier lâexistence du temps ? Ainsi nous avons dĂ©jĂ suflisapuuent constatĂ© la rĂ©alitĂ© du critĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ©, et cependant nous nâavons encore empruntĂ© Ă la mĂ©taphysique que des notions qui lui sont communes avec la gĂ©omĂ©trie. Parmi celles qui lui sont particuliĂšres se trouvent le principe de substance et le principe de causalitĂ© nous est-il possible de comprendre une qualitĂ© sans sujet, un phĂ©nomĂšne sans substance ? Concevons-nous la forme sans quelque chose de formĂ© , la pensĂ©e sans quelque chose qui pense ? Si nous ne pouvons pas nous prĂȘter Ă de pareilles suppositions, nous sommes donc en droit de regarder comme nĂ©cessaire la notion de substance ? Nâest- OU VRAI. I l5 il pas vrai, dâtme autre part * que, si nous voyous un phĂ©nomĂšne commencer dâexister, nous sommes irrĂ©sistiblement portĂ©s Ă croire que ce phĂ©nomĂšne a une cause?Car, comme nous lâavons dit, le vrai comprend Ă la Ibis la catĂ©gorie de substance et la catĂ©gorie de cause. De lai mĂ©taphysique descendons aux pratiques de la vie tout le monde au rĂ©cit dâun Ă©vĂ©nement nâest-il pas curieux dâen rechercher la cause, et le sceptique le plus hardi nâadmet-il pas comme le'vulgaire le principe de la raison sullisante ? Ces exemples sulliseut pour constater le critĂ©rium relatif de la vĂ©ritĂ©; occupons-nous maintenant du critĂ©rium absolu , toujours sans dĂ©passer les limites de lâactuel. Lâespace, le temps, lâiniini, la substance, la cause, tout cela nous apparaĂźt-il uniquement comme idĂ©e nĂ©cessaire, ou comme objet subsistant par soi-mĂȘme et indĂ©pendant de notre esprit ? Ne faut-il pas reconnaĂźtre que si nous ne pouvons nous refuser Ă de pareilles notions, les objetsde ces notions sontindĂ©pendans des idĂ©es qui les reprĂ©sentent*, et aprĂšs avoir comptĂ© des connaissances nĂ©cessaires, ne faut-il pas admettre des vĂ©ritĂ©s absolues? Tel est le critĂ©rium absolu de la vĂ©ritĂ©. Quand lâobjet peut subir cette epreuve, se dĂ©gager pour ainsi dire des liens de 1 esprit et subsister eu dehors de l'intelligence, il passe de lĂ©tat de notion nĂ©cessaire Ă celui de vĂ©ritĂ© universelle ; il a su bi lâĂ©preuve du critĂ©- 8 . ^CĂŻBL'.OTHEK der H. iCH I I G DOUZIĂME LEĂON. rium absolu. Deux philosophes, Reid et Kant, ont proclamĂ© des principes absolus ; mais ils ont fait reposer le vrai sur lâimpossibilitĂ© oĂč nous sommes de le rejeter. Câest faire tomber lâabsolu dans le relatif ; dâaprĂšs leur thĂ©orie, rien ne mâassure que la vĂ©ritĂ© ait une existence propre et quâelle soit hors de notre esprit. Ces prĂ©tendus principes absolus ne sont plus que des formes du moi , des .lois de lâentendement, câest- Ă -dire , des notions subjectives, qui doivent aboutir infailliblement au scepticisme. Ainsi la mĂ©taphysique, rĂ©duite par le sensualisme de Locke Ă de simples notions contingentes , Ă©levĂ©e par les philosophes allemands et Ă©cossais jusquâaux notions nĂ©cessaires, nâa cependant pas dĂ©passĂ© les limites dâun critĂ©rium relatif ,J et est retombĂ©e avant dâatteindre le critĂ©rium absolu , qui se cache sous le premier ; il ne fallait cependant quâun lĂ©ger ellort de plus pour le dĂ©gager et le mettre en lumiĂšre. Nous avons vu dans cette leçon la mĂ©thode que lâon doit suivre pour les recherches philosophiques ; elle consiste Ă opĂ©rer sur lâactuel comme le physicien , Ă lâĂ©puiser en lui faisant produire toutes les consĂ©quences quâil peut engendrer, Ă nâaborder le primitif quâaprĂšs l'analyse complĂšte de lâactuel, et Ă jeter ensuite un pont entre ces deux rives, entre le prĂ©sent et le passĂ©. Appliquant cette mĂ©thode Ă lâĂ©tude de la vĂ©ritĂ© ab- nu VRAI. "7 sol lie 1 , nous avons fortement sĂ©parĂ©, la question de son Ă©tat actuel dans lâintelligence dâavec la question de son origine et de sa gĂ©nĂ©ration ; nâabordant que la premiĂšre question , nous avons essayĂ© de montrer quâil J a des notions nĂ©cessaires , et de plus des vĂ©ritĂ©s indĂ©pendantes de la notion que nous en possĂ©dons, et que si le caractĂšre de nĂ©cessitĂ© est le critĂ©rium relatif ou subjectif de la vĂ©ritĂ©, lâindĂ©pendance et lâuniversalitĂ© forment son critĂ©rium absolu. I I 8 TREIZIĂME LEĂON. W HHVHVX VVViW'' V v %WVV\ V\VWVW WWVWWwi wu\t TREIZIĂME LEĂON. NĂ©cessitĂ© dâune bonne mĂ©thode en mĂ©taphysique. âVĂ©-' rites contingentes, vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires. â La nĂ©cessitĂ© est le signe de lâabsolu i.â Avant la croyance nĂ©cessaire est lâaperception pure de la vĂ©ritĂ© 2 . âRaison spontanĂ©e, raison rĂ©flĂ©chie. â La vĂ©ritĂ© absolue est en dehors de toute dĂ©monstration. â Elle fait son apparition dans lâhomme et dans la nature, mais elle nâest ni lâun ni lâautre , câest une manifestation de Dieu. â ImpossibilitĂ© de lâathĂ©isme 3. Je devais dans cette leçon passer des caractĂšres actuels des connaissances humaines aux caractĂšres primitifs de ces connaissances, câest-Ă -dire , entrer dans un des problĂšmes les plus dilliciles de la mĂ©taphysique ; mais comme je nâai pas parcouru dans tous les sens la sphĂšre que je me suis 1 Voyez. Fragmens PufLosopmouEs > programme de 1818, page 2G9. 2 Voyez, Iragmens philosophiques, prĂ©face , pages xxj et xxij premiĂšre Ă©dition, et programme de 1818 , page 270 et suivautes. 3 Voyez, ibid., prĂ©face, page xlj, elle fragment intitulĂ© Religion, mysticisme, stoĂŻcisme, pages 189,190, et le programme de 1818, page 278 et suivantes. DU VRAI. â9 tracĂ©e , je dois y revenir , et essayer de prĂ©senter lâĂ©tat actuel sous toutes ses faces. Je sens ici plus que jamais le besoin de vous rĂ©pĂ©ter que mon but nâest pas seulement dâenseigner un systĂšme dĂ©terminĂ© , mais encore de donner lâexemple dâune mĂ©thode sĂ©vĂšre, qui sâappuie sur des bases solides, en un mot, dâune mĂ©thode experimentale. Car si lâon veut faire sortir la philosophieâde 1 Ă©tat d enfance oĂč elle est encore aujourd hui, si 1 on veut lâĂ©lever au niveau des autres sciences, . il faut la ranger sous le joug de lâexpĂ©rience, et par expĂ©rience nâentendez pas lâobservation grossiĂšre et facile des sens, mais lâexercice intĂ©rieur de la pensĂ©e cjui se replie sur elle-mĂȘme, de la conscience qui considĂšre et constate tous les faits intellectuels. 11 est temps quâoh se dĂ©lie de ces procĂ©dĂ©s arbitraires qui ont mis la philosophie au service de lâesprit de systĂšme, et lâont conduite Ă un but dĂ©' sirĂ© et prĂ©vu dâavance. La mĂ©thode que je vous propose est de poser dâabord les diffĂ©rentes espĂšces possibles de recherches , et de choisir celle qui est la plus accessible. Je trace trois grandes divisions dans lâintelligence le prĂ©sent, le passĂ© et la transition de lâun Ă lâautre Ă©tat, et jâaborde la premiĂšre de ces divisions. Dans les limites de lâactuel nous avons reconnu un Ă©lĂ©ment remarquable par sa lixitĂ© et sa puretĂ© câest lâabsolu ; les caractĂšres quâil manifeste ont Ă©tĂ© dĂ©crits, mais tout n a pas Ă©tĂ© lait, et la science de factuel nâest pas achevĂ©e. 120 TTlETZIĂME LEĂON. Avant de nous engager dans les tĂ©nĂšbres du passĂ© , il faut demander au prĂ©sent tout ce quâil peut donner. Je sais quâil y a de la vĂ©ritĂ© absolue; je sais quâil y a des propositions marquĂ©es du caractĂšre de vĂ©ritĂ© ou de faussetĂ© parmi les propositions vraies, jâenâdĂ©couvre quelques-unes marquĂ©es du caractĂšre de nĂ©cessitĂ© , et quelques autres du caractĂšre de contingence,- en dâautres termes , il y a des propositions âą que non-seulement je reconnais pour vraies, mais que je ne puis rĂ©voquer en doute, qui'entraĂźnent, qui ravissent lâassentiment de ma raison ce sont lĂ les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires ; il en est dâautres qui me paraissent vraies, non plus dâune vĂ©ritĂ© qui leur soit propre , mais dâune vĂ©ritĂ© quâils empruntent aux circonstances dont ils sont environnĂ©s , et ces vĂ©ritĂ©s je les appelle contingentes. Les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires se divisent en deux grandes classes , non plus dâaprĂšs leur nature fondamentale , mais dâaprĂšs les objets dans lesquels elles apparaissent les unes sont des vĂ©ritĂ©s physiques, les autres des vĂ©ritĂ©s mĂ©taphysiques les premiĂšres prĂ©sident Ă la nature matĂ©rielle, les secondes Ă la nature intellectuelle et morale. On peut Jaire la mĂȘme distinction entre les vĂ©ritĂ©s contingentes, mais nous ne nous occupons ici que des vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires- Lâesprit de lâhomme ne se contente pas de les concevoir , il veut encore pĂ©nĂ©trer la raison de leur existence. Incapable de briser ses DU VRAI. 131 chaĂźnes, il veut savoir quelles mains les lui imposent. Ici se prĂ©sente la question de lâabsolu, dĂ©jĂ agitĂ©e et rĂ©solue dans la derniĂšre leçon ; nous avons montrĂ© que le nĂ©cessaire, loin dâĂȘtre lâabsolu, nâen est que lâenveloppe. Pour nous convaincre de cette vĂ©ritĂ© , nous nâavons pas eu besoin de sortir des limites du prĂ©sent et de nous enfoncer dans les voies tĂ©nĂ©breuses du passĂ© sous nos croyances nĂ©cessaires nous avons dĂ©couvert lâexistence du vrai. Ainsi, non-seulement je suis dans la nĂ©cessitĂ© de reconnaĂźtre une vĂ©ritĂ© qui se prĂ©sente Ă mon esprit, mais je sais, en outre, que ce nâest pas la nĂ©cessitĂ© qui constitue cette vĂ©ritĂ©. La nĂ©cessitĂ© nâest pour lâentendement que le signe dâune existence antĂ©rieure, lg signe de lâexistence de la vĂ©ritĂ©. La nĂ©cessitĂ© nâest pas le terme auquel aboutit la mĂ©taphysique , la nĂ©cessitĂ© nâest pas la raison de 1 absolu ; câest lâabsolu qui est la raison de la nĂ©cessitĂ©. Il faut renverser la mĂ©thode de la philosophie Ă©cossaise et de la philosophie allemande au lieu dâĂ©tablir la vĂ©ritĂ© sur la croyance, il faut fonder la croyance sur la vĂ©ritĂ©- Tout ceci revient Ă dire quâavant la nĂ©cessitĂ© de croire Ă la vĂ©ritĂ© , nĂ©cessitĂ© qui implique rĂ©flexion , examen., contestation, car il faut sâĂȘtre interrogĂ© sur la valeur dâune croyance pour en reconnaĂźtre la nĂ©cessitĂ© , il existe une aper- ception pure de la vĂ©ritĂ©. Cest ce phĂ©nomĂšne dĂ©licat , dans lequel toute subjectivitĂ©. expire, que nous allons nous efforcer de mettre en lumiĂšre. Si 122 TREIZIĂME LEĂON. dans toute conception nĂ©cessaire se trouve cette aperception primitive et pure de la vĂ©ritĂ© en elle- mĂȘme, tout l'Ă©chafaudage des idĂ©es subjectives, des lois constitutives de lâesprit se disjoint et sâĂ©croule. La croyance nĂ©cessaire nâest plus que la partie ultĂ©rieure des faits intellectuels ; lâattribut dâexistence convient Ă la vĂ©ritĂ©, et dĂ©gagĂ©e de toutes les enveloppes subjectives elle apparaĂźt dans tout son jour. il sâagit de constater lâintuition spontanĂ©e de la vĂ©ritĂ© , de la surprendre sur le lait avant quâelle soit rĂ©flĂ©chie dans l'intelligence , de rendre apparente cette premiĂšre aperception de la raison, cet acte fugitif qui passe devant la conscience avec la rapiditĂ© de lâĂ©clair. La question que nous avons k rĂ©soudre est celle-ci lâabsolu, soit par exemple la cause absolue, k lâidĂ©e de laquelle nous nous Ă©levons, en assignant une cause k chaque Ă©vĂ©nement, la substance absolue, que je conçois au fond de tous les phĂ©nomĂšnes , tout cela existe-t-il hors de mon entendement, ou tout cela ut* dĂ©passe-t-il*pas le domaine de la psychologie, et ne faut-il y voir T»* des produits de mon intelligence , que des ĂȘtres de raison ? Les deux Ă©colns cĂ©lĂšbres dont-nous avons parlĂ© veulent que notre esprit ne puisse exercer le jugement que sous trois formes lâallirmatioii, la nĂ©gation et le. doute. Je pense quâelles nâont pas distinguĂ© la conception pure de lâentendement DU VRAI. 123 dâavec la conception rĂ©flĂ©chie. Nous Ă©cartons de la discussion le jugement dubitatif qui nâest ni une aperception pure , ni une aperception rĂ©flĂ©chie , et nous examinons si le jugement est dâabord nĂ©cessairement affirmatif ou nĂ©gatif. Tout jugement affirmatif est en mĂȘme temps nĂ©gatif, car affirmer quâune chose existe, câest nier sa non-existence ; tout jugement nĂ©gatif est en mĂȘme temps affirmatif, car nier lâexistence dâun objet, câest aflirmer sa non-existence. Ainsi, que ait la forme de lâaffirmation ou de la nĂ©gation , ces deux formes, qui se renferment lâune lâautre, impliquent quâon sâest posĂ© la question de lâexistence de lâobjet, quâon a rĂ©flĂ©chi, et que Je moi sâest vu contraint dâadopter tel ou tel jugement, de sorte quâil nâa plus dâautres moyens de .lĂ©gitimer ce jugement que la nĂ©cessite oĂč il sâest trouvĂ© de le porter. Ici reviennent les thĂ©ories des Ă©coles que nous combattons car, disent-elles, si vous nâallirmez la vĂ©ritĂ©* que parce quâil vous est nĂ©cessaire de la concevoir, vous nâavez toujours pour garant ou pour critĂ©rium de la vĂ©ritĂ© que votre conception , et en consĂ©quence vous ne sortez pas de vous-mĂȘme j vous demeurez dans le subjectif. Mais, rĂ©pondrons- nous , tous nos jĂčgcmens sont-ils nĂ©cessairement affirmatifs ou nĂ©gatifs ? sont-ils tous marquĂ©s de cette nĂ©cessitĂ© qui subjective la vĂ©ritĂ© ? En dâautres termes, notre entendement nâagit-il que sous la loi de la rĂ©flexion ? Consultons lâexpĂ©rience qui 12 ^. TJIEIZTKMG doit ĂȘtre notre seul guide , quand il sâagit de con stater ries phĂ©nomĂšnes internes elle nous apprend que lâexercice de la raison spontanĂ©e , non rĂ©flĂ©chie , prĂ©cĂšde celui de la raison repliĂ©e sur elle- mĂȘme. Ainsi, le premier acte de ma raison en lace dâune vĂ©ritĂ© , de cette proposition par exemple deux et deux valent quatre, est. un acte irrĂ©flĂ©chi, sans prĂ©mĂ©ditation, sans retour dii moi sur lui- mĂȘme , un acte qui ne se met pas en question , et qui, par consĂ©quent , nâest ni affirmatif ni nĂ©gatif ; un acte enfin qui saisit du premier bond la vĂ©ritĂ© en elle-mĂȘme, et qui ne lâappuie pas sur la nĂ©cessitĂ© oĂč lâesprit se trouve de la concevoir. Si lâon contredit Ce premier acte, notre intuition se rĂ©flĂ©chit alors sur elle-mĂȘme, Ă©tonnĂ©e quâelle est dâĂȘtre combattue elle se donne elle-mĂȘme pour preuve de la vĂ©ritĂ© quâelle affirme , et alors , mais alors seulement , apparaissent les formes subjectives, les lois ou les catĂ©gories de la pensĂ©e. Le systĂšme de llcid et de Kant est dĂ©tr uit par la distinction de la raison spontanĂ©e et de la raison rĂ©flĂ©chie. Le double procĂ©dĂ© de lâintelligence humaine ouvre Ă nos yeux deux sphĂšres dillĂ©ren- tes, dans lesquelles apparaissent des phĂ©nomĂšnes, entiĂšrement diffĂ©rons lâune est le théùtre des contestations, des combats que la raison soutient contre elle-mĂȘme; lâautre, est un sĂ©jour de silence et de paix; rien ne peut en altĂ©rer la puretĂ©. LĂ , lâesprit, nâinvoque que la nĂ©cessitĂ© de ses croyances; 1U VT AI. ici, la raison aperçoit lâabsolu, parce quâil ' existe et non parce quelle y est contrainte. Nous sommes arrivĂ©s maintenant au terme que lâobservation 11e peut franchir dans le champ de lâactuel, mais nous devons tirer les consĂ©quences du principe que nous venons de poser ; i° la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de croire Ă une vĂ©ritĂ© quand elle apparaĂźt Ă notre intelligence, nâest que la forme extĂ©rieure de la vĂ©ritĂ© , son caractĂšre relatif, caractĂšre qui en prĂ©suppose un autre sur lequel le premier repose, et sans lequel il nâexisterait pas. Lors donc que nous nous sentons dans la nĂ©cessitĂ© inĂ©vitable de reconnaĂźtre une vĂ©ritĂ© , tenons- nous pour avertis quâil y a hors de nous de la vĂ©ritĂ© ; 2° toutes les fois que nous voulons dĂ©montrer 1 existence dâune vĂ©ritĂ© par la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de lâapercevoir, nous nous renfermons dans le moi , nous subjectivons lâabsolu ; 3 ° aller de la nĂ©cessitĂ© Ă lâabsolu, câest aller du signe Ă la chose signifiĂ©e, câest conclure du dedans au dehors. Ici le cercle vicieux est Ă©vident comment, en eflĂȘt, dĂ©molrtrcr lâabsolu par le nĂ©cessaire ? toute dĂ©monstration suppose un principe , mais le principe ici serait justement ce quâil faudrait dĂ©montrer, savoir ; que de lâidĂ©e nĂ©cessaire on peut conclure lâabsolu. Lâabsolu est donc hors de la portĂ©e de la dĂ©monstration. . Lâargumentation Ă©puisera ses formes et son langage avant de le prouver ; câest Ă lâobservation, Ă lâintelligence 126 TREIZIĂME LEĂON. pure et non rĂ©flĂ©chie quâil appartient de le dĂ©couvrir. Nous avons montrĂ© jusquâil prĂ©sent lâabsolu en loi-mĂȘme et daiis son rapport avec lâintelligence, il nous reste Ă faire voir son application li la nature extĂ©rieure. Lâabsolu, quoiquâĂ©galement indĂ©pendant du monde interne et du monde externe, fait toutefois son apparition dans lâun et dans lâautre ; il descend et se repose sur la nature en mĂȘme temps quâil se rĂ©flĂ©chit dans lâintelligence si lâhomme tient de lâabsolu les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires, lâunivers en a reçu les lois qui le rĂ©gissent. Lâabsolu plane sur lâhumanitĂ© et sur la nature, les domine et les gouverne Ă©ternellement, avec cette seule diffĂ©rence qn lâune le sait et que lâautre lâignore; mais il en est Ă©galement indĂ©pendant i. Lâabsolu est le fond sur lequel se dessinent tous les phĂ©nomĂšnes de ce double tableau. Dirait-on que si lâhomme nâaperçoit lâabsolu que dans son intelligence et dans la nature physique, lâabsolu est constituĂ© par lu nature et par lâhomme? Sans doute lâabsolu ne nous est pas donnĂ© comme une abstraĂštion; sans doute il nâexisterait pas pour nous sâil nâĂ©tait appliquĂ© ou rĂ©flĂ©chi ; mais lâesprit sait quâil ne porte en lui-mĂȘme, et quâil ne voit dans la nature que la copie d-un modĂšle rĂ©el, qui existe hors de la i Yoytz, Fhagmens philosophiques, programme de 1818» page k U fl» premiĂšre Ă©dition. DU VK AĂŻ. nature et hors do lâesprit. Mais si l'absolu nâest renfermĂ© ni dans la nature 1 ni dans lâhomme, oĂč rĂ©side-t-il et quâest-il? Sâil est vrai que la gĂ©omĂ©trie existe indĂ©pendamment des objets auxquels elle sâapplique, si dâun autre cĂŽtĂ© elle nâest pas un tissude conceptions fantastiques produites par notre raison , oĂč est donc la gĂ©omĂ©trie ? Quâest-ce que lâespace pur ? Quâest-ce que le temps absolu ? Ainsi l'infatigable curiositĂ© humaine, aprĂšs avoir Ă©puisĂ© les connaissances contingentes, aprĂšs avoir fait lâanalyse des connaissances nĂ©cessaires, aprĂšs avoir entrevu lâabsolu qui est le fond de ces. connaissances , aspire encore plus haut, et veut savoir quel est le fond de lâabsolu. Il faut quelle rencontre la raison suffisante et derniĂšre de toutes choses, dĂ»t-elle la poursuivre Ă lâinfini. Mais oĂč rĂ©side cette raison suffisante et derniĂšre? OĂč lâesprit humain trouvera-t-il ce fondement qui nâen suppose derriĂšre lui aucun autre, et dont la possession doit terminer notre inquiĂ©tude et nos efforts? Si nous remontons lâhistoire de la plnlor saphie, nous y verrons un homme sâĂ©lever par les Ă©lans de son gĂ©nie au-dessus de ses contemporains, et chercher la solution du problĂšme qui nous occupe câest Platon. 11 a regardĂ© fixement et sans en ĂȘtre Ă©bloui fo vĂ©ritĂ© trop Ă©clatante pour les yeux de la plupart des hommes ; il a vu la vĂ©ritĂ© libre des enveloppas grossiĂšres quelle revĂȘt dans le sein du monde physique et du monde intellectuel. 128 TREIZIĂME LEĂON. Câest cette vĂ©ritĂ© dans son essence,, cette vĂ©ritĂ© substantielle qĂŒâil appelle vovç,, ĂȘtre dont notre esprit ne sait rien, sinon quâil existe, ĂȘtre qui ne peut se manifester audehors que par les vĂ©ritĂ©s absolues quâil projette de ßßoii sein et qui sâappliquent Ă la nature ou se rĂ©flĂ©chissent dans notre esprit. Le voûç de Platon quâest-il sinon lâentendement divin , centre dans lequel se rĂ©unissent toutes les vĂ©ritĂ©s Ă©ternelles? Si les idĂ©es absolues sont les manifestations de lâĂȘtre infini, comme la parole est 'lâinterprĂšte de la pensĂ©e, les idĂ©es absolues forment ce que Platon appelle le liyo'. Le XĂŽyo; est le mĂ©diateur entre lâEtre suprĂȘme , fa souveraine intelligence, et lâĂȘtre fini, lâintelligence humaine. Dieu nâest donc autre chose que la vĂ©ritĂ© dans son essence, il est partout oĂč se montre la vĂ©ritĂ©. Celui-lĂ le reconnaĂźt nĂ©cessairement qui ne peut concevoir de phĂ©nomĂšne sans substance, dâĂ©vĂ©nement sans cause. LâathĂ©isme t esl impossible pour rejeter la croyance en Dieu, il faudrait refuser sa loi Ă toutes ces vĂ©ritĂ©s. Ainsi Dieu compte autant dâadorateursquâil y a dâhommes qui pensent; car on ne peut penser sans admettre quelque vĂ©ritĂ©, ne fĂ»t-ce quâune seule; et loin que les sciences dĂ©truisent la religion, la physique, les mathĂ©matiques, la psychologie, la logique sont comme autant de temples oĂč lâon rend un culte Ă Dieu. Le dernier problĂšme"de lâactuel est rĂ©solu, nous sommes arrivĂ©s au fondement des idĂ©es absolues Dieu DU VRAI. . 129 est le centre et la source de toutes les vĂ©ritĂ©s ; lui seul nous donne une base au-dessous de laquelle nous nâavons plus rien Ă chercher; câest en lui seul que nous trouvons une vraie source de lumiĂšre et un inaltĂ©rable repos. PHILOSOPHIE. 9 i3o QUATORZIĂME LEĂON. V^UH\V*UVAAUVMUUW\AMMIM»M\ QUATORZIĂME LEĂON. Trois ordres de faits de conscience sensations, voĂ»tions, aperceptions rationnelles t. âLe scepticisme ne peut attaquer ces derniĂšres. âLibertĂ©, sensibilitĂ©, raison. â Retour sur lâaperception pure. â Affirmation sans nĂ©gation. âLa vĂ©ritĂ© nâapparaĂźt pas dâabord comme nĂ©cessaire /mais seulement comme vraie. â FatalitĂ© et libertĂ© de lâaperception pure. â L .litre absolu est la substance de la vĂ©ritĂ© absolue. â La vĂ©ritĂ© est un mĂ©diateur entre Dieu et lâhomme ?.. Je me suis proposĂ© deux buts dans ma derniĂšre leçon le premier, de revenir sur les caractĂšres que nous prĂ©sentent les connaissances humaines dans lâĂ©tat actuel; le second, de mâavancer progressivement jusqu'aux limites des connaissances 1 Voyez , Liugmens piuLosopmgi Ks , programme de 8i8, page 26G premiĂšre Ă©dition. 2 Voyez ,* t kaomens paiLosopinoirEs, prĂ©face^ pages xxiij , xxiv et xliij premiĂšre Ă©dition, P programme de 1818, page 29a. lĂŒ VRAI. 1 31 nĂ©cessaires , de saisir lâabsolu sous le relatif et dâar- river jusquâau fondement de lâabsolu lui-mĂȘme. Je nâai point abandonnĂ© la mĂ©thode que je mâĂ©tais prescrite cette mĂ©thode consiste Ă ne jamais se sĂ©parer de lâexpĂ©rience, soit en recueillant ses donnĂ©es immĂ©diates soit en recherchant les consĂ©quences qui en dĂ©rivent lĂ©gitimement. J e nâentends par expĂ©rience, ni lâobservation extĂ©rieure sensible qui ne nous donne que des sensations diverses , multipliĂ©es et- variables , ni mĂȘme lâobservation intime dirigĂ©e sur des phĂ©nomĂšnes in* ternes, aussi variables , aussi passagers, aussi fugitifs que les phĂ©nomĂšnes du monde externe. Outre le moi et le non-moi , outre le monde intĂ©rieur et le monde extĂ©rieur , il y a un troisiĂšme monde qui fait son apparition dans lâintelligence ; il se compose deces notions nĂ©cessairesque des Ă©coles fameuses appellent lois ou formes de lâentendement, mais qui impliquent, comme nous lâavons vu, des vĂ©ritĂ©s absolues, indĂ©pendantes de la nature et de lâhomme comme la conscience, qui est la lumiĂšre de lâintĂ©rieur, dĂ©couvre et Ă©claire 110s sensations, câest-Ă -dire, ce qui apparaĂźt en nous du monde extĂ©rieur, comme elle dĂ©couvre et Ă©claire nos voĂ»tions, once qui apparaĂźten nousde nous-mĂȘmes, elle dĂ©couvre et Ă©claire aussi les manifestations de J a raison. Le moi, le non-moi, et laraison qui plane sur 1 un et sur 1 autie , tel est le triple objet de. la conscience la raison a ses aperceptions pures, comme 9 - l3?. QUATORZIĂME TlEĂON. lessensonl leurs sensations, comme le moi a ses voĂ»tions. LâexpĂ©rience, dont le tĂ©moignage est irrĂ©cusable, lorsquâelle atteste les sensations et les voli- ti ons, sera-t-elle moi ns lĂ©gitime lorsq uâelle nous prĂ©sentera les aperceptions rationnelles? 11 est clair que lâexpĂ©rience est valable partout oĂč elle se trouve , ou quâelle ne lâest nulle part. Si lâon donne comme on le doit au mot expĂ©rience la signification comprĂ©hensive que nous venons dâindiquer, on peut dire avec confiance quâil nây a pas dâautre philosophie lĂ©gitime que celle qui dĂ©rive de âą lâexpĂ©- i'ience i. La question relative Ă la rĂ©alitĂ© du monde rationnel est donc celle-ci Y a-t-il ou nây a-t-il pas un ordre de laits qui se distingue; des phĂ©nomĂšnes du moi et des phĂ©nomĂšnes du non-moi , des sensations et des voĂ»tions, et qui soit aussi rĂ©el que les uns et les autres? Cet ordre de laits se distingue des deux premiers par le caractĂšre de nĂ©cessitĂ©. Lorsque je presse un corps, lâexpĂ©rience me dĂ©couvre en moi-mĂȘme une sensation ; lorsque je dĂ©ploie mou activitĂ©, lâexpĂ©rience mâavertit de ma voli- t'on ; lorsquâun lait commence dâexister, l'expĂ©rience me montre que je ne puis pas ne pas lui concevoir une; cause,- mais ce dernier l'ait, câest-Ă - dire , cette apercepiion de la raison dillĂšre des premiers eu ce quâil est immuable. Je puis suspen- i Voyez, Fiucmens , prĂ©face, page xv premiĂšre Ă©dition. DU VRAI. i33 dre , changer, dĂ©naturer mes volitions ; daus les phĂ©nomĂšnes du moi, tout est contingent et variable ; dâune autre part, si je ne suis pas libre dâĂ©prouver telle ou telle sensation , j e sa is que la sensation que jâĂ©prouve ne durera quâautant que je serai en prĂ©sence de lâobjet qui me la donne , que cet objet peut changer ii chaque instant, et que dĂšs quâun autre lui succĂ©dera , ma sensation sera anĂ©antie ; je sais erflin que si le monde extĂ©rieur venait Ă disparaĂźtre, il nây aurait pas mĂȘme la sphĂšre des sensations est donc variable et contingente , comme celle des volitions ; il nâen est pas de mĂȘme de la sphĂšre rationnelle les faits quâelle renferme ne peuvent pas changer. Ainsi, je pense que toute apparence suppose une substance ,' que tout ce qui commence dâexister a une cause cette aperception est nĂ©cessaire , je ne puis mây dĂ©rober ; vainement essaierais-je de me figurer quâil peut y avoir un changement sans cause , un phĂ©nomĂšne sans substance, une multiplicitĂ© sans unitĂ© , etc. Jamais on ne pourra faire descendre ces principes Ă la simple contingence de nos sensations et de nos volitions. Jâen appelle ii lâexpĂ©rience des autres, je leur demande-si leur conscience interrogĂ©e ne leur fournit pas la mĂȘme rĂ©ponse, .le suis tellement convaincu de la nĂ©cessitĂ© de ces principes, que si je puis prĂȘter mon intelligence aux prĂ©jugĂ©s les plus absurdes, aux labiĂ©s les plus grossiĂšres, sur tout autre sujet que sur 134 QUATORZIĂME UEĂON. les principes rationnels, je ne puis admettre, mĂȘme pour un .instant, quâil y ait des phĂ©nomĂšnĂšs sans cause et sans substance. Le scepticisme, qui est tout puissant lorsquâil attaque le momie matĂ©riel, qui est dĂ©jĂ moins redoutable lorsquâil sâen prend Ă la volontĂ© ou Ă la libertĂ©, demeure sans aucune prise sur les principes rationnels. Ainsi il nâest pas aisĂ© de dĂ©fendre la nature contre les argmnens de berkeley etde David Hume ; câest lĂ que triomphe le scepticisme; lorsquâil veut dĂ©truire la volontĂ© et la libertĂ©, il ne perd pas encore toute chance de succĂšs ; mais il se brise devant les principes rationnels. En vain il discute, il argumente, puisquâil cherche Ă prouver , ii reconnaĂźt donc une base sur laquelle sâappuient les arguments et les preuves', en un mot il reconnaĂźt des principes. . AprĂšs avoir Ă©tabli quâil y a des principes nĂ©cessaires , il fallait tenter dâaller plus loin il fallait sâĂ©lever contre les thĂ©ories qui regardent les vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires comme des formes de lâesprit humain ; câĂ©st ce que, nous avons essayĂ© de aire. Lâesprit humain nâest pas enfermĂ© dans certaines formes il est douĂ© de raison , comme de sensibilitĂ© et de libertĂ© la libertĂ© est le moi lui-mĂȘme ; la sensibilitĂ© limite le moi, car câest par elle que nous sentons les obstacles lu mom le extĂ©rieur ; la raison au contraire agrandit la sphĂšre du moi , parce quâelle lui ouvrit un immense horizon. Lestons ne me montrent quâune partie de lâunivers; la raison nu VRAI. 135 me rĂ©vĂšle le reste elle me dĂ©voile les lois suprĂȘmes qui gouvernent le monde intĂ©rieur et le monde extĂ©rieur. Bien plus, elle lue transporte dans une sphĂšre supĂ©rieure aux deux autres, elle me fait saisir lâabsolu; dans Son essor elle dĂ©passe tellement le moi et la nature-, quâelle ne les aperçoit plus , quelle se met face ;i face avec la vĂ©ritĂ© , et sâĂ©lĂšve ainsi Ă une rĂ©gion oĂč toute subjectivitĂ© expire. Maisla raison est Ă sonpointde dĂ©part une table rase elle ne contient pas plus de principes innĂ©s que la sensibilitĂ© et que la libertĂ© dĂšs que la sensibilitĂ©, est en contact avec les objets qui lui sont propres, il en rĂ©sulte une sensation; de mĂȘme , dĂšs que la raison est en rapport avec lâobjet quâelle doit saisir, il en rĂ©sulte une aper- ception. La vĂ©ritĂ© nâest donc pas une forme innĂ©e de la raison, mais elle impose h la raison ces formes qui deviennent ensuite ce quâon appelle les nĂ©cessitĂ©s de la raison. Primitivement donc il nây a pas de lois nĂ©cessaires , de principes purement psychologiques, il y a des vĂ©ritĂ©s la raison les acquiert ; elle ncpeut plus sâen sĂ©parer; mais on ne doit pas la confondre avec elles. Câest ainsi que nous avons essayĂ© dâĂ©tablir les aperceptions ou intuitions pures de la raison , et de prouver quâavant la raison mise en possession dĂ©s vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires, et ayant reçu de son commerce avec la vĂ©ritĂ© des formes qui engendrent ] a logique, il y » , P" 1 "' ainsi dire, une raison vide , sans formes arrĂȘtĂ©es I 36 QUATORZIĂME dâavance , qui marche librement et qui reconnaĂźt lâabsolu sans y rien mĂȘler de subjectif. Cette thĂ©orie de lâaperception pure a Ă©tĂ© attaquĂ©e; et il Ă©tait difficile, en effet, quâun premier exposĂ© la fit admettre nous ne pouvons que la reproduire, en en variant un peu lâexpression, afin de la prĂ©senter sous plusieurs faces , et de la rendre ainsi plus saisissable. . . Suivant la thĂ©orie des Ă©coles Ă©cossaise et allemande, il nây a que trois sortes de jugemens le jugement dubitatif, le jugement affirmatif et le jugement nĂ©gatif. Laissons de cĂŽtĂ© , comme nous lâavons fait dĂ©jĂ , le jugement dubitatif, qui nâa rien Ă faire dans une discussion sur lâexistence de la vĂ©ritĂ© ; nous accordons que dans lâĂ©tat rĂ©flĂ©chi tout jugement affirmatif suppose un jugement nĂ©gatif, et rĂ©ciproquement si lâon Ă©nonce devant moi cette proposition deux et deux valent cinq ; je le nie. Quâ nier dans Ce cas? ISâest-ee pas affirmer la proposition contraire? Mon jugement est nĂ©gatif, mais seulement dans sa forme. Lorsquâon veut rĂ©pondre Ă une proposition fausse , on suppose rapidement la forme quâaurait dĂ» prendre cette proposition pour ĂȘtre vraie lâesprit se trouve alors placĂ© entre deux partis , dont lâun est absurde et lâautre rationnel ; il se fait donc ici une comparaison. Or, la comparaison repose sur lâattention, d oĂč il suit que tout jugement qui est Ă la lois affirmatif et nĂ©gatif est profondĂ©ment rĂ©- DU. VRAI. 1 3^ flĂ©chi. Mais nây a-t-il pas une affirmation primitive qui nâimplique pas de nĂ©gation? De,mĂȘme que nous agissons souvent sans songer aux rĂ©sultats de notre action, et quâil se produit dans ce cas une activitĂ© pure , une libertĂ© non rĂ©flĂ©chie ; de mĂȘme la raison aperçoit souvent par une aperception pure nous affirmons-le vrai sans penser quâil peut y avoir du faux ; lâaffirmation 11âenveloppe pas alors de nĂ©gation. Nous ne pouvons pas nous arrĂȘter dans lâapcrception pure elle brille et sâĂ©teint comme une Ă©tincelle rapide , et elle est remplacĂ©e par lâabsence de la pensĂ©e , ou par la prĂ©sence de la rĂ©flexion, de lâaffirmation nĂ©gative. Comment donc saisir cette lueur passagĂšre ? Il ne faut pas la demander Ă la rĂ©flexion qui la dĂ©truit ; mais adressez-vous Ă la mĂ©moire, et vous vous rappellerez que souvent vous avez exercĂ© cette aperception pure. Cette aperception nâest pas marquĂ©e du caractĂšre de nĂ©cessitĂ© ; car la nĂ©cessitĂ© implique quâon a cherchĂ© Ă se soustraire au joug dâune croyance, ce qui ne peut avoir eu lieu primitivement et avant tout retour sur soi-mĂȘme. La vĂ©ritĂ© nâapparaĂźt donc pas dâabord comme nĂ©cessaire , mais seulement comme vraie. Dans cette aperception pure se trouvent rĂ©unies au plus haut degrĂ© la libertĂ© et la fatalitĂ© conmm la raison 11âa pas voulu rĂ©sister Ă la vĂ©ritĂ©, on ne peut pas dire quâelle soit asservie ; dâun autre cĂŽtĂ©, elle ne peut pas 11e pas apercevoir cette vĂ©ritĂ© ; 11 y a donc lĂ ce que jâappelle 1 38 QUATOIIZIĂME LEĂON, activitĂ© pure, câest-Ă -dire, rĂ©union de la fatalitĂ© et de la libertĂ©. Lorsque je mâellbrcc en vain de lutter contre le pouvoir qui m'entraĂźne, il y a pure fatalitĂ© ; lorsque je veux lĂ ire Ă©vanouir un obstacle , et que jây parviens, il y a pure libertĂ© ; lorsquâenfm je cĂšde volontairentent au pouvoir qui me presse, il y a libertĂ© et fatalitĂ©. Lâabsolu Ă©tant reconnu comme illimitĂ©, connue remplissant le passĂ©, le prĂ©sent et lâavenir , il ne peut ĂȘtre renfermĂ© dans le rĂ©el, il nâest ni dans le moi ni dans le non-moi , il est supĂ©rieur Ă lâun et Ă lâautre; lâabsolu plane sur le relatif, lâĂ©ternel plane sur le passager. Mais cette vĂ©ritĂ© pure, qui n est contenue ni dans le monde ni dans lâintelligence, oĂč donc est-elle, et quelle en est la substance? A cette question on peut luire deux rĂ©ponses si lâon sâarrĂȘte Ă une philosophie timide, on dira la vĂ©ritĂ© existe ; elle nâest ni le moi ni le non-moi ; ne mâinterrogez pas au delĂ . Mais si lâon ose aller plus loin , et sâenfoncer dans de plus profondes recherches , on trouvera que la vĂ©ritĂ© suppose quelque chose au delĂ dâelle-mĂȘme , quelque chose dĂ©plus Ă©levĂ©, de plus inaccessible fie mĂȘme que 1 accidenL suppose la substance, que la qualitĂ© suppose le sujet, de mĂȘme la vĂ©ritĂ© absolue suppose lâĂȘtre absolu. 3Nous obtenons alors un absolu qui nâest plus suspendu dans le vague de lâabstraction , mais un absolu substantiel. Comme nous ne connaissons le sujet que par ses attributs, DU VRAI. i3g nous ne pouvons connaĂźtre de la substance infinie que les vĂ©ritĂ©s absolues dont elle est le soutien. Tout ce quâon sait de cette substance câest quelle existe ; au delĂ de la vĂ©ritĂ© est la substance ; mais au delĂ de la substance il nây a rien la substance est le terme aprĂšs lequel on ne peut rien concevoir relativement Ă lâexistence; arrivĂ©e Ă la substance , toute recherche doit sâarrĂȘter. DâoĂč il suit quâil ne peut y avoir quâune substance la substance de la vĂ©ritĂ©, ou la suprĂȘme intelligence - . La vĂ©ritĂ©, qui est absolue par rĂąpportau moi et au non- jwoi , est relative par rapport Ă la substance. Ainsi elle se trouve placĂ©e entre lâhomme et la suprĂȘme intelligence, comme un intermĂ©diaire, comme un mĂ©diateur. Câest ce que Platon , dans sou langage poĂ©tique, appelle le ,dyoc ; câest pour ainsi dire 1 interprĂšte, la parole de la substance. Comme la substance ne peut exister sansaccidens, il y a coĂ©ternitĂ© entre la vĂ©ritĂ© et la suprĂȘme intelligence, entre le Ădyoç et leyoĂŒĂ§. Mais comment la vĂ©ritĂ© sort-elle de la suprĂȘme intelligence ? Câest un mystĂšre impĂ©nĂ©trable Ă nos yeux. Si la substance se manifeste, câest quâelle a la puissance de se manifester ; voilĂ tout ce que nous pouvons dire. Telle est la fameuse Triade de Platon i 0 la substance absolue ou la suprĂȘme intelligence ; o° la puissance de se manifester ou la force crĂ©atrice!; -3° la manifestation divine , la mission du Xoyoç. Toute cette thĂ©orie se dĂ©duit des apcrceptions l40 QUATORZIĂME pures de la raison je sais dâabord dâinstinct la vĂ©ritĂ© ; je la sais ensuite par rĂ©flexion. -Soit par exemple une vĂ©ritĂ© arithmĂ©tique, dâoĂč me vient-elle? Ce nâest pas du monde extĂ©rieur, car le monde extĂ©rieur nâexiste que dans un point du temps et de lâespace, et- la vĂ©ritĂ© arithmĂ©tique est Ă©ternelle et universelle ; l'universel est la raison sulli- sante du particulier, quoique l'universel ne se dĂ©couvre Ă nous que dans le particulier. Ni la nature; ni mon intelligence ne peuvent me rendre raison de la vĂ©ritĂ© arithmĂ©tique ce nâest pas parce quâelle est aperçue par ma raison, ni parce quâelle apparaĂźt dans la nature physique quâelle est vraie ; elle existe indĂ©pendamment du monde intime et tout ce qui commence dâexister a une cause, et il mâest impossible de ne pas croire Ă la vĂ©ritĂ© de ce principe? Essayez, tourmentez ce principe, jamais vous ne lâamĂšnerez Ă une l'orme plus universelle , plus ultĂ©rieure que celle-lĂ . Nous tenons donc les deux extrĂ©mitĂ©s de lâintelligence ; nous possĂ©dons lâĂ©tat actuel et lâĂ©tat primitif. Nqu s nâavons, donc plus Ă rĂ©soudre que la troisiĂšme des questions que nous nous Ă©tions originairement posĂ©es âą trouver le lien l68 DIX-SKPTIKM E T/EĂON. des deux sphĂšres, le passage du primitif Ă factuel. Pour nous garantir de la marche hypothĂ©tique dans cette nouvelle recherche comme dans les deux autres, nous devons nous attacher Ă . ce qui nous est donnĂ©, examiner ce quâil y a de semblable et ce quâil y a de dilĂŻerent dans le primitif et dans factuel nous nĂ©gligerons la ressemblance pour ne nous attacher quâĂ la diffĂ©rence ; et si nous trouvons une opĂ©ration intellectuelle qui rende compte de la diffĂ©rence, nous aurons ainsi dĂ©couvert la transition du primitif Ă factuel. Quây a-t-il donc de semblable entre les deux Ă©tats de lâintelligence relativement au principe de causalitĂ©, qui jusquâici nous a servi d'exemple ? Ce quâil y a de semblable, câest la croyance nĂ©cessaire et lâintuition pure. Dans un cas comme dans lâautre , que vous appliquiez le principe, ou que vous le contempliez sous sa forme universelle et indĂ©terminĂ©e, toujours est-il que ce principe vous Ă©claire dâabord , et force ensuite votre croyance. Quây a-t-il maintenant de dissemblable? Câest, que dans lâĂ©tat primitif, fĂ© principe de causalitĂ© est applique et concret, et que dans lâĂ©tat actuel il est indĂ©terminĂ© et abstrait. Jâaurai rendu compte du passage du primitif Ă factuel, si jâexplique comment du principe dĂ©terminĂ© nous nous Ă©levons, au principe indĂ©terminĂ©. Or, ce passage sâopĂšre par lâabstraction ; ce que nous dirons ici de lâidĂ©e du vrai pourra sâappliquer Ă lâidĂ©e du bien et Ă celle du DU \KA 1 169 beau 1. Il y a deux genres dâabstraction soit donnĂ©e une suite dâobjets particuliers vous examinez les caractĂšres communs de ces objets, vous les rĂ©unissez en un caractĂšre gĂ©nĂ©ral qui les contient tous. Ce caractĂši'e gĂ©nĂ©ral est un caractĂšre absti'ait, une pure idĂ©e, puisquâil nâexiste pas indĂ©pendamment des individus. Nous exerçons dans ce cas une abstraction que jâappelle abstraction comparative et collective ; comparative , parce quâelle procĂšde par voie de comparaison ; collective , parce quâelle nâest quâune collection de cas particuliers. Tel nâest pas le second genre dâabstraction un seul cas Ă©tant donnĂ©, sans comparer ce cas avec aucun autre, sans avoir besoin en consĂ©quence dâune collection de faits particuliers, la seconde abstraction passe Ă lâinstant mĂȘme du concret Ă lâabstrait. Lorsque le principe de causalitĂ© est appliquĂ© Ă un cas particulier , il y a dâune part lâobjet dĂ©terminĂ©, et de lâautre le principe pur de causalitĂ© aussitĂŽt que vous sĂ©parez celui-ci de ce qui lâindividualise, vous le rendez Ă son universalitĂ©. Or, comme il 11ây a pas de degrĂ©s dans lâuniversel , il sâensuit que pour lâobtenir vous nâavez pasbesoin de recourir Ă une comparaison , ni dâobserver plusieurs cas particuliers. Câest ainsi que, par une abstraction immĂ©diate, par une seule opĂ©ration de 1 esprit, on Ă©limine le dĂ©terminĂ©, et Ion obtient le principe pur de causalitĂ©. Câest donc 1 Voyez la villgl-et-uniĂšme leçon. I7O DIX-SEPTIĂME LEĂON, sans le secours dâuni; comparaison et dâune collection que lâon passe du concret Ă lâabstrait, du rĂ©el au vrai, du dĂ©terminĂ© Ă lâuniversel. 11 nâen va pas ainsi dans lâautre genre dâabstraction ; prenons un exemple , examinons comment nous arrivons Ă lâi- dĂ©e gĂ©nĂ©rale de couleur ; soit placĂ© devant-mes yeux un objet blanc ; avec quelque rigueur que je pousse lâanalyse, arriverai-je ici Ă lâidĂ©e de couleur en gĂ©nĂ©ral ; pourrai-je mettre dâun cĂŽtĂ© la blancheur et de lâautre la couleur; cette sĂ©paration est- elle possible? Que quelquâun Ă propos dâun seul objet arrive Ă lâidĂ©e de la couleur en gĂ©nĂ©ral, je reconnais que ma distinction entre les deux genres dâabstraction est vaine. ]Nous ne pensons pas quâĂ lâaspect dâun seul objet lâesprit puisse faire deux parts dans sa couleur, lâune pour le variable, lâautre pour lâinvariable. Analysez ce qui se passe en vous Ă lâaspect dâun objet blanc, vous Ă©prouvez une sensation; ĂŽtez ce que cette sensation a dâiudivi- duel, vous la dĂ©truisez tout entiĂšre vous ne pouvez pas faire Ă©vanouir la sensation de blancheur , et rĂ©server la sensation de couleur. A lâobjet blanc dont nous parlions tout Ă lâheure, joignez un objet bleu , votre position intellectuelle est entiĂšreinent changĂ©e, votre esprit peut laire alors abstraction de la sensation particuliĂšre du blanc , et de lu sensation particuliĂšre du bleu, ne conserver que lâidĂ©e abstraite de la sensation de la vue ou de la couleur en gĂ©nĂ©ral. Mais, dans le cas prĂ©cĂ©dent, nous nions DU VRAI. .171 quâil soit possible Ă lâesprit de faire une distinction entre sensation de la blancheur et sensation de la vue. Prenons un autre exemple si vous nâaviez jamais senti quâune seule Heur, auriez-vous lâidĂ©e de lâodeur en gĂ©nĂ©ral? Lâodeur ne vous paraĂźtrait-elle pas un Ă©lĂ©ment spĂ©cial de cette fleur, qui ne se retrouverait nulle part? Si maintenant Ă lâodeur dâĆillet se joint pour vous lâodeur de rose, vous pourrez vous Ă©lever Ă lâidĂ©e gĂ©nĂ©rale dâodeur ; mais quây a- t-il de commun entre lâodeur dâune fleur et celle dâune autre, sinon quelles ont Ă©tĂ© senties par le mĂȘme individu? Ce qui rend ici la gĂ©nĂ©ralisation possible, câest prĂ©cisĂ©ment lâunitĂ© du sujet qui se souvient dâavoir Ă©tĂ© modifiĂ© de la mĂȘme maniĂšre par des sensations diffĂ©rentes ; mais ce sujet ne peut opposer quelque chose de semblable et quelque chose de dissemblable, quâĂ la condition de la diversitĂ©, et par consĂ©quent de la pluralitĂ© des sensations. Il y a donc dans ce cas comparaison , collection, abstraqtion mĂ©diate; pour arriver au principe de causalitĂ© , nous nâavons pas besoin de tout ce travail. Si vous supposez six cas particuliers desquels vous ayez abstrait ce principe, il ne sera pas chargĂ© de plus dâidĂ©es que si vous lâaviez abstrait dâun seul, ni de moins dâidĂ©es que si vous lâaviez abstrait de dix-mille. En effet, pour arriver Ă cette formule V Ă©vĂ©nement que je vois sous mes jeux doit avoir une cause', il nâest pas nĂ©cessaire dâavoir vu plusieurs Ă©vĂ©nemens. Le principe Ă©tant 1^2. DIX-SEPTIĂME leçon. indivisible, il est tout entier dans un seul cas, et il y est sous sa forme pure il ne sâagit donc que dâĂ©liminer la particularitĂ© du phĂ©nomĂšne, soit la chute dâune pierre, soit le meurtre dâun homme, et lâon arrive immĂ©diatement Ă lâidĂ©e de la nĂ©cessitĂ© dâune cause, pour tout ce qui commence dâexister. Ici, ce nâest pas parce que jâai Ă©tĂ© le mĂȘme , ou affectĂ© de la mĂȘme maniĂšre pendant plusieurs sensations diffĂ©rentes, que jâarrive Ă lâidĂ©e gĂ©nĂ©rale et abstraite. Une feuille tombe, je sais Ă l'instant mĂȘme quâil doit y avoir une raison Ă cette chute un homme a Ă©tĂ© tuĂ©, je sais immĂ©diatement quâil doit y avoir une cause Ă sa mort LâidĂ©e gĂ©nĂ©rale ne dĂ©rive pas ici de lâidentitĂ© du moi, ou de la ressemblance de mes modifications dans des cas diffĂ©rens. Ce quâil y a de. semblable entre les deux faits que je viens de citer, câest quâils sont doubles, quâils renferment quelque chose dâindividuel et quelque chose dâuniversel mais je puis faire le partage entre lâindividuel et lâuniversel, propos du premier fait comme Ă propos du second. Ăt, en effet, si je nâavais pas conçu lâuniversalitĂ© du principe Ă propos du premier fait individuel, je ne la concevrais pas davantage Ă propos du second, ni du troisiĂšme, ni du milliĂšme; car mille ne sont pas plus prĂšs que un de lâinfini. Telle est donc la thĂ©orie de 1 abstraction immĂ©diate, abstraction qui diffĂšre, comme on le voit, de lâabstraction mĂ©diate comparative. D li VRAI. i 7 3 Nous avons achevĂ© maintenant ce que nous avions Ă dire sur lâĂ©tat primitif de notre esprit relativement aux vĂ©ritĂ©s absolues, et sur le passage de lâĂ©tat primitif Ă lâĂ©tat actuel ; nous avons vu que trouver lâorigine du principe de causalitĂ©, ce nâest pas autre chose que saisir la position intellectuelle primitive dans laquelle nous saisissons le principe. Indiquer la gĂ©nĂ©ration du principe de causalitĂ©, câest montrer le procĂ©dĂ© intellectuel qui Ă©limine le dĂ©terminĂ© , dĂ©gage lâindĂ©terminĂ© et fait passer celui-ci, du concret qu le contenait et le cachait, Ă lâabstrait et Ă lâabsolu, oĂč il Ă©clate tout entier. Dans le tableau de lâĂ©tat actuel, nous avons vu que la croyance nĂ©cessaire qui subjective la vĂ©ritĂ© nâest rien autre chose quâun reflet de lâintuition pure, ou de lâaflirmation non rĂ©flĂ©chie. Câest ainsi que nous avons sĂ©parĂ© lâobjectif du subjectif , et que nou6 avons montrĂ© comment lâindĂ©terminĂ© se dĂ©gage du dĂ©terminĂ©, lâuniversel du particulier. Il sâensuit donc que lâindĂ©terminĂ© est sous le dĂ©terminĂ© , que lâobjectif est sous le subjectif, et que la philosophie ne doit sâarrĂȘter ni dans le sensualisme de lâĂ©cole de Locke, ni dans lâidĂ©alisme subjectif de lâĂ©cole allemande. 174 DIX-HUITIĂME LEĂON. DIX-HUITIĂME LEĂON. Les idĂ©es qui composent les principes nĂ©cessaires leur sont antĂ©rieures ou contemporaines. âNi dans lâun ni dans l'autre de ces deux cas on ne peut faire dĂ©river les principes des idĂ©es Ă©lĂ©mentaires dont ils sont formĂ©s. â Principe de causalitĂ©. â> Principe de substance i. Nous nous sommes efforcĂ©s de constater lâexis- ence des vĂ©ritĂ©s absolues nous les nvĂ»us dĂ©gagĂ©es des formes subjectives qĂŒi les enveloppent sans les dĂ©truire ; nous avons lait voir comment, elles nous apparaissent dâabord, il propos dâun fuit particulier et dĂ©terminĂ©, et comment lâesprit, par une abstraction immĂ©diate , Ă©limine b lâinstant mĂȘme 1 Ă©lĂ©ment particulier, pour conserver pur et intact lâĂ©lĂ©ment individuel. 11 reste encore une objection contre laquelle nous avons Ă dĂ©fendre lâexistence des vĂ©ritĂ©s absolues. LâĂ©nonciation des principes 0 Voyez, fRAGMEiys philosophiques y programme de 1818, page 276 premiĂšre Ă©dition. DU VRAI. 175 nĂ©cessaires se compose dâun certain nombre de termes on a recherchĂ© lâorigine des idĂ©es renfermĂ©es sous ces termes, et on a cru par-lĂ dĂ©truire lâexistence des principes, comme vĂ©ritĂ©s simples et primitives. Ainsi, par exemple, dans le principe tout phĂ©nomĂšne suppose une cause ; dans cet autre toute apparition suppose une substance, nous avons les idĂ©es particuliĂšres de phĂ©nomĂšne, de cause, dâapparition, de substance* Quelques philosophes pensent quâil sâagit uniquement de rechercher sĂ©parĂ©ment lâorigine de toutes ces notions ; ils considĂšrent les idĂ©es qui entrent dans les principes comme antĂ©rieures Ă ces principes. Mais quand nous leur accorderions ce premier point, ils auraient trouvĂ© lâorigine de ces idĂ©es particuliĂšres , quâils nâauraient rien fait encore pour lâorigine des principes eux-mĂȘmes. Trouver, par exemple, lâorigine de la notion d une cause particuliĂšre, ce nâest pas trouver lâorigine du principe de causalitĂ©. Vous avez dĂ©couvert, je suppose, que la notion de cause est puisĂ©e dans le monde intĂ©rieur je suis libre, jeveux produire certains Ă©lĂŻĂšts et je les produits ; mais de ce fait purement contingent Ă cet axiome tous les phĂ©nomĂšnes doivent nĂ©cessairement avoir une cause, il y a un abĂźme. Il laut passer des notions Ă©lĂ©mentaires aux principes, et c est-ce quâaucun philosophe nâa pu faire. Quelques-uns ont senti cette impossibilitĂ©, et, s'attachant Ă lâorigine des notions Ă©lĂ©mentaires, ils ont pris le parti de nier les principes ils ont dit que les no- f7 reprĂ©sentation dâun objet individuel ; plus les objets auxquels la sensation sâapplique deviennent nombreux , plus la sensation se gĂ©nĂ©ralise; mais au-dessus de la sensation gĂ©nĂ©ralisĂ©e , il place ce quâil appelle les idĂ©es ßÎéxi , câest-Ă -dire des conceptions absolues et indĂ©pendantes de lâexpĂ©rience; lâensemble de ces idĂ©es est ce quâil appelle le X070;. Ainsi, dans le dialogue intitulĂ© ThéétĂšte, quand Socrate demande Ă son l88 DIX-NEUVIĂME LEĂON interlocuteur de dĂ©finir la science en gĂ©nĂ©ral, Théé- tĂšte, nourri dans les doctrines de Protagoras, rĂ©pond la science. câest la sensation ; savoir , câest sentir ; la sensation est le rapport du - moi au non- moi , de l'homme Ă la nature ; il nâj a dans la nature que ce quâil y a dans la sensation ; de lĂ , le prĂ©cepte fameux de lâĂ©cole de Protagoras la sensibilitĂ© est lâarbitre suprĂȘme , lâhomme est la mesure de toute chose. Dans la thĂ©orie du beau , ces deux Ă©coles se retrouvent en prĂ©sence lâune admet lâidĂ©al , lâautre se borne au rĂ©el ; en gĂ©nĂ©ral, on ente d par rĂ©el tout ce qui nâest pas une crĂ©ation de lâesprit; si lâobjet que lâon veut copier dâaprĂšs nature prĂ©sente quelque beautĂ© , lâimitation est belle ; mais on nâa produit quâune beautĂ© rĂ©elle. Si lâon ne se contente pas dâun seul objet, et quâon assemble un grand nombre de modĂšles ; si pour peindre une figure humaine on prendâĂ lâun son front, Ă lâautre ses yeux , Ă un troisiĂšme son sourire , on arrivera Ă une beautĂ© rĂ©elle collective , mais non pas Ă lâidĂ©al ; car lâĆuvre rie contiendra pas un seul trait qui pe se retrouve dans lânn ou dans lâautre des originaux. De mĂȘme que nous avons distinguĂ© des idĂ©es absolues et des idĂ©es collectives, de mĂȘme nous distinguerons un beau idĂ©al et un beau rĂ©el. Mais les partisans exclusifs du rĂ©el nient lâexistence de lâidĂ©al, ou disent quâil ne consiste quâĂ rassembler ou Ă choisir, ce qui Ă©quivaut Ă la nĂ©gation de lâidĂ©al. LâĂ©cole opposĂ©e Ă celle-ci nâadmet , I U B E A l . 189 au contraire, que lâidĂ©al, et fait complĂštement abstraction des modĂšles dĂ© la nature ; il y a des artistes qui travaillent d e-tĂȘte câest leur expression. La premiĂšre Ă©cole, qui ne veut voir dans lâart que lâimitation du rĂ©el, oublie que tout ce quâon rencontre dans la nature nâa quâune beautĂ© imparfaite, et que le beau se cache sous le rĂ©el. La seconde, qui ne sâattache quâĂ lâidĂ©al, tombe dans lâexcĂšs opposĂ©, et produit des Ćuvres qui sont inaccessibles Ă nos sens. LâidĂ©al seul est froid et manque de vie ; il ne faut pas plus nĂ©gliger le rĂ©el dans lâĂ©cole des arts, que lâidĂ©e collective dans lâĂ©cole des mĂ©taphysiciens ; mais il 11e faut s'arrĂȘter ni au collectif ni au rĂ©el. Les partisans de la rĂ©alitĂ© nous disent peignez ce qui est animĂ© , ce qui est sensible , lâenfant sur le sein de sa mĂšre, la jeune lille mĂȘlant avec grĂące les trames, dâun tissu, le jeune homme Ă la fleur de lâĂ ge se prĂ©parant pour le combat ; plus votre imitation sera fidĂšle, votre peinture vivante , votre tableau animĂ©, plus votre Ćuvre sera belle; lâart, câest lâimitation, câest la vie. Nous rĂ©clamons, en faveur de lâautre Ă©cole, contre cette sentence exclusive les tableaux quâon vient de dĂ©crire seront agrĂ©ables comme les scĂšnes de la nature; mais ilslaisseront au-dessus dâeux unebeautĂ© que la rĂ©alitĂ© nâatteint jamais, et quâil faut essayer de rĂ©aliser, eu partie car une rĂ©alisation complĂšte est impossible, si lâon veut remplir toutes les conditions de lart. LâidĂ©al sans le rĂ©el manque de igo dix-neuviĂšme leçon. vie, mais le rĂ©el sans lâidĂ©al manque de beautĂ© pure. Lâun et lâautre doivent se rĂ©unir; les deux Ă©coles doivent se donner la main et faire alliance les chefs-dâĆuvre sont Ă ce prix. Ainsi, le beau est une idĂ©e absolue et non une copie de la nature imparfaite, finie' et contingente. LâidĂ©e peut faire son apparition au sein de la nature; mais elle y est toujours voilĂ©e et mutilĂ©e ; elle apparaĂźt dâune maniĂšre plus Ă©clatante dans les Ćuvres humaines , parce que lĂ© bras guidĂ© par lâintelligence, se rapproche davantage du modĂšle conçu par celle-ci ; mais lâidĂ©e ne peut jamais sây rĂ©aliser tout entiĂšre. Nous continuerons, dans les leçons prochaines, dâapprotondir lâidĂ©e du beau, qui est une des manifestations les plus brillantes de lâĂȘtre absolu, un glorieux intermĂ©diaire entre Dieu, la nature et lâhomme. DTJ BEAU. Ă9 1 V\\WlW\WVlV%!tV%UV»\\A ! V VVV\vv\V\ \ VV\W\ W\ VV\ tvv VV^> VINGTIĂME LEĂON. Position des questions relatives Ă lâidĂ©e de beautĂ©. â Y a-t-il du beau dans la nature; quels en sont les caractĂšres; par quelles opĂ©rations intellectuelles arrivons-nous Ă le saisir? âDistinction entre la sensation et le jugement. Le problĂšme de la beautĂ© est extrĂȘmement complexe il soulĂšve une multitude de questions que nous devons poser avec prĂ©cision, pour nous tracer dâavance un plan mĂ©thodique et complet. La premiĂšre question qui se prĂ©sente est celle de savoir sâil y a du beau dans la nature, quels sont les caractĂšres du beau naturel, et par quelles opĂ©rations intellectuelles nous atteignons ce genre de beautĂ©. SupposĂ© quâil y DU BEAL. 193 on sâaperçoit que le point de vue est changĂ©, mais les deux rĂ©gions sont contiguĂ«s , et pour aller de lâune-Ă lâautre on nâa pas dâabĂźme Ă franchir. 11 fau- dra'donc indiquer les rapports intimes et essentiels des deux sphĂšres de la beautĂ©. Quand nous aurons connu les liens du beau naturel et du beau idĂ©al, il nous restera la tĂąche dâexaminer lâidĂ©al en lui-mĂȘme , dâen dĂ©terminer les caractĂšres, de chercher sâil est susceptible de degrĂ©s. Deux figures idĂ©ales Ă©tant donnĂ©es, sont- elles, au mĂȘme degrĂ© ou Ă des degrĂ©s divers, la reprĂ©sentation du beau idĂ©al ? La sainte CĂ©cile du Dominicain, et celle de RaphaĂ«l, sont-elles plus ou moins idĂ©ales lâune que lâautre P Si lâidĂ©al admet du pliis ou du moins, il 11 âest donc pas invariable , il nâest donc pas absolu ? Comment peut-il alors se distinguer du beau naturel ? Si dâun cĂŽtĂ© lâidĂ©al est pour ainsi dire mouvant, et si de lâautre il nâest pas le beau naturel, que peut-il ĂȘtre ? Enfin, quel peut ĂȘtre le rapport du beau idĂ©al avec la substance de toute chose , avec lâĂȘtre infini ou Dieu? Dâune part nous aurons recherchĂ© le rapport de lâidĂ©al avec la nature ou le dernier terme du fini ; de lâautre nous examinerons son rapport avec Dieu , ou le dernier terme de lâinfini. La nature nous apparaĂźtra peut-ĂȘtre comme le point de dĂ©part de lâidĂ©al, et Dieu comme le point oĂč il aboutit. Dieu et la nature seront pour ainsi dire les deux mondes entre lesquels lâidĂ©al restera l3 PHILOSOPHIE. ig4 vint, tiĂšmf. leçon. comme suspendu. Il ne serti peut ĂȘtre quâun rapport entre ces deux termes si Ă©loignĂ©s , et les deux pĂŽles de lâart seront Dieu et la nature, lâiniitii et le lini. » AprĂšs avoir agitĂ© tous ces problĂšmes, nous aurons Ă examiner en quoi consiste le rĂŽle de lâart, quelle dĂ©linition on en peut donner; quels sont les rapports de lâart et de la religion. Si lâart est la facultĂ© de rĂ©aliser lâidĂ©al, si lâidĂ©al est un pont jetĂ© entre le fini et lâinfini ,. et que la religion , comme nous lâavons dit plus haut, soit un regard portĂ© de la sphĂšre du fini vers lâinfini , on entrevoit dĂ©jĂ que lâart doit avoir un cĂŽtĂ© religieux. Nous aurons Ă montrer depluscomment lâart se compose de raison et dâamour , comment par lâamour il tient au bon- â heur, et par la raison Ă la philosophie et Ă la vĂ©ritĂ©. Ne la udra-t-il pas nous interroger aussi sĂŒr la nature fie lâenthousiasme et sur celle du gĂ©nie, et terminer toutes ces recherches par un exposĂ© des rĂšgles de lâart, non pas de tel ou tel art particulier, mais de lâart en gĂ©nĂ©ral, envisagĂ©, non comme collection des arts individuels, mais comme principe de tous les arts, ou si lâon veut comme producteur de lâidĂ©al. Si nous ne pouvons parvenir Ă des solutions complĂštes sur tous ces points, ce seraâ dĂ©jĂ beaucoup dâavoir attirĂ© 1 attention sur des problĂšmes qui ont occupĂ© toute lâantiquitĂ©, et qui malheureusement ont Ă©tĂ© trop nĂ©gligĂ©s par les philosophes modernes. En France, je ne sache p aS Dl BEAT;. .IqS quâon ait Ă©crit sur ce sujet une seule ligne avant le pĂšre AndrĂ© et Diderot. Diderot, dont lâesprit Ă©tait souvent traversĂ© par des Ă©clairs de gĂ©nie, nâavait cependant pas la mĂ©thode et la profondeur nĂ©cessaires pour Ă©tablir une thĂ©orie ; le pĂšre AndrĂ© a. traitĂ© la question avec une abondance qui nâexclut pas la rigueur il a tentĂ© dĂ© descendre jusque dans les entrailles de lâart et de saisir le fond de toute beautĂ© ; son ouvrage mĂ©riterait dâĂ©tre plus connu.â Tout rĂ©cemment, M. QuatremĂšre de QuineĂż a jetĂ© beaucoup de lumiĂšre sur la question de lâimitation il a prouvĂ© dâune maniĂšre incontestable , selon moi, que lâart nâest pas seulement copiste, mais crĂ©ateur. Depuis Winckelmann, lâAllemagne sâest occupĂ©e de thĂ©orie sur la sculpture en particulier et sur lâart en gĂ©nĂ©ral, et elle a produit des ouvrages dont on finira par reconnaĂźtre lâimportance. Enlin, lâAngleterre a peu Ă©crit sur les beaux - arts ; les observations fines et judicieuses de ses Ă©crivains sont plutĂŽt applicables Ă tel ou tel art particulier quâĂ la thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de lâart. INous allons essayer de rĂ©soudre la premiĂšre des questions que nous avons posĂ©es y a-t-il du beau dans la nature ; quels en sont les ca- ratĂšres ; p ar quelles opĂ©rations intellectuelles arrivons-nous Ă le saisir ? Lorsque nous jetons les yeux sur la nature vi- i3. igfi VINGTIĂME LEĂON. vante, soit de cette vie spĂ©ciale quâon appelle la vie humaine, soit de cette vie plus gĂ©nĂ©rale quâon appelle la vie organique, et la nature inanimĂ©e, soumise aux seules lois de la mĂ©canique , nous rencontrons des objets .qui nous font Ă©prouver de douces ou de pĂ©nibles sensations. Une forme se prĂ©sente Ă vos yeux en mĂȘme temps que vous jugez quâelle existe, vous Ă©prouvez une sensation agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able. Si lâon vous demande pourquoi elle vous agrĂ©e, vous ne pouvez en donner la raison si lâon vous reprĂ©sente quâelle dĂ©plaĂźt h dâautres, vous ne vous en Ă©tonnez pas, parce que Vous savez que la sensibilitĂ© est diverse, et quâil ne liiut pas disputer des sensations. Jusquâici nous nâavons pas mis le pied dans le .domaine de lâart son objet, câest le beau, et nous ne sommes encore quâĂ lâagrĂ©able. Or, nâarrive-t-il pas quelquefois quâune forme ne nous est pas seulement agrĂ©able , mais que de plus elle nous apparaĂźt comme belle? Quand on nous demandait pourquoi elle nous Ă©tait agrĂ©able, nous nâavons pu rĂ©pondre que par notre propre autoritĂ© je suis le seul juge de ce qui me plaĂźt ou me dĂ©plaĂźt; quand on nous demande pourquoi nous disoi s que cette forme est belle, nous en appelons Ă une aĂŒtoritĂ© qui nâest pas la nĂŽtre., qui sâimpose Ă tous les hommes, Ă l'autoritĂ© de la raison. Nous permettons quâon nous conteste DU BEAU. ' ' 197 lâagrĂ©ment le cette ligure, car le plaisir se renferme dans la spliĂšre individuelle de chacun, et si quelquâun nous dit quâil jouit ou quâil soi lire, il ne nous vient pas Ă lâesprit de contester son assertion , Ă moins que nous ne veuillons lâaccuser de mensonge. Quand nous jugeons aii contraire quâune figure est belle, si Ton nous soutient quelle ne lâest pas, il nous semble quâon sâĂ©tablit dans le domaine commun Ă tous les hommes, que chacun ici ai le droit de contestation, et nous âą accusons notre adversaire, non pas de mensonge, mais dâ La peine et le plaisir nâont de rĂ©alitĂ© que dans le sein de celui qui .les Ă©prouve, et quand nous disons cela mâagrĂ©e , cela me dĂ©plaĂźt, nous jugeons comme individu, et nous Ă©puisons dâun seul coup tous les degrĂ©s de juridiction ; mais la vĂ©ritĂ©, et cette partie de la. vĂ©ritĂ© quâon appelle beautĂ©, nâçst pas enfermĂ©e dans chacun de nous ; câest comme la patrie commune de lâhumanitĂ©, dont personne nâa Je droit de disposer souverainement ; et quand nous disons cela est vrai, cela est beau , ce nâest plus lu sentiment variable et individuel que nous voulons exprimer , mais le jugement uiiiverr sel, la loi objective imposĂ©e Ă tout homme ; quand je dis ; cela est agrĂ©able, je ne parle que pour moi '1 quand je dis cela est vrai, je parle pour tous les hommes. Prenons un exemple , sinon dans la nature, oĂč la beautĂ© est encore 1^8 VINGTIĂME LEĂON. enveloppĂ©e de nuages, du moins dans lâart, oĂč elle Ă©clate avec plus de puretĂ© devant lâApollon du BelvĂ©dĂšre, je dis que cette figure, est belle ne suis-je pas convaincu que je parle ici, non dâune impression personnelle, mais du jugement de tout le monde ? Je nâimpose ma sensation Ă personne, mais je me sens le droit dâimposer Ă tous la. raison. 11 en serait de mĂȘme Ă la vue dâune beautĂ© naturelle. Nous devons donc reconnaĂźtre quâil y a dans lâhomme de la sensibilitĂ© physique et de la raison ; que tantĂŽt la sensibilitĂ© physiqueagitscule, et quâa- lors il nây a lieu Ă erreur nia dispute ; que tantĂŽt la raison Ă son tour, et que, dans ce cas, elle est lâexpression de quelque chose dâobjectif, et par consĂ©quent dâuniversel ; que si la sensation et le jugement sont rĂ©unis, il existe alors un Ă©lĂ©ment individuel et un Ă©lĂ©ment universel. Nous sentons comme individu, nous jugeons comme humanitĂ©;, ou, en dâautres termes, le jugement a une portĂ©e qui sâĂ©tend au dehors de la sphĂšre personnelle. Maintenant quels sont les caractĂšres de 1 agrĂ©able et du beau? Notre rĂ©ponse, que nous dĂ©velopperons et que nous confirmerons dans la suite, câest que lâunitĂ©, la proportion, simplicitĂ©, la rĂ©gularitĂ© , la grandeur, la gĂ©nĂ©ralitĂ©, apparaissent plus ou moins d ;,ns les objets que nous jugeons beaux, et que les caractĂšres de lâagrĂ©able sont l a DU BEAU. *99 variĂ©tĂ©, le mouvement, la souplesse; lâĂ©nergie, lâindividualitĂ©. Ainsi, tout ce qui a vie nous agrĂ©e; la dĂ©termination des formes, le mouvement variĂ©, la diversitĂ© des sons, tels sont les faces du joli ou' de lâagrĂ©able , dont les nuances ont Ă©tĂ© saisies par Burke avec beaucoup de finesse et dâhabiletĂ©. LâagrĂ©able a deux caractĂšres principaux , qui produisent des impressions diffĂ©rentes et qui ont reçu des noms diffĂ©rons. Par exemple, Ă la vue dâune rose, je suis affectĂ© dâune sensation agrĂ©able, que jâappelle expansion; Ă la vue dâune nuĂ©e dâorage, aux contours fortement accentuĂ©s , aux teintes de pourpre et dâargent qui tranchent sur le bleu foncĂ© du ciel, jâĂ©prouve une sensation agrĂ©able, mĂȘlĂ©e de concentration. Quelques philosophes, et Burke Ă leur tĂšte, ont nommĂ© du nom de beau le premier genre dâagrĂ©able , et ont donnĂ© au second le nom de sublime ; nous ne pouvons voir ici que deux genres dâagrĂ©able lâun flatteur, lâautre sĂ©vĂšre, mais tous deux excitĂ©s par la variĂ©tĂ© et la vie. Au-dessus de ces deux espĂšces dâagrĂ©ment est le beau , qui a pour caractĂšre fondamental lâunitĂ©. Nous avons donc rĂ©solu notre premiĂšre question il est certain en fait que nous concevons du beau dans la nature, et que nous ne sommes pas seule- ment rĂ©duits Ă sentir de lâagrĂ©able ; que le beau et l'agrĂ©able ont des caractĂšres diffĂ©rĂ©es ; que le second est lâobjet dâune sensation individuelle qui nâa J200 VINGTIĂME LEĂON, plus de valeur hors de la sphĂšre de chacun , et que le second appartient Ă un jugement universel, Ă un monde supĂ©rieur aux hommes, Ă la souveraine raison i 0X1 U EAU. - 201 VVYVVV\VVVW\ vwvwwvwwwWM/wfcvviwvvtaiw v wvw V\v AV VINGT-ET-UNIĂME LEĂON. Du beau idĂ©al. â Comment arrivons-pous Ă le concevoir. .-âDe lâimitation. â De la crĂ©ation.â Lâesprit dĂ©bute par le concret et lâabstrait, par lâindividuel et lâabsolu. â Lâart doit exprimer lâindividuel et lâabsolu, plaire Ă la sensibilitĂ© physique, et satisfaire la raison, unir le rĂ©el et lâidĂ©al. â SimultanĂ©itĂ© de lâidĂ©e individuelle et de lâidĂ©e absolue. â SpontanĂ©itĂ© et rĂ©flexion ; vue concrĂšte et vue abstraite. â> Abstraction immĂ©diate i> Nous avons vu dans la leçon derniĂšre. quâil y a du beau naturel, quâil se distingue de lâagrĂ©able; quel est. le caractĂšre de lâun et de lâautreet par quelles opĂ©rations psychologiques nous arrivons Ă les saisir. Nous devons aujourdâhui insister * Voyez, Fragmens philosophiques, du beau rĂ©el et du beau ideai 7 de ]a page 3 27 M la page 336 premiĂšre Ă©dition. 302 VINGT-ET-UNIĂME LEĂON, sur le beau idĂ©al, et considĂ©rer dans quel ordre' lĂ©s deux genres de beautĂ©âse manifestent Ă notre esprit. . INous. nous sommes dĂ©jĂ demandĂ© si le beau idĂ©al nâest quâune gĂ©nĂ©ralisatiĂŽn appliquĂ©e aux objets de la nature, ou sâil diflĂšre des donnĂ©es expĂ©rimentales ; nous avons ramenĂ© la question Ă celle-ci le cercle gĂ©omĂ©trique nâest-il que la collection des divers cercles imparfaits que nous trouvons dans la nature, ou doit-il ĂȘtre regardĂ© coi unie quelque choso dâabsoju et dâindĂ©pendant de au te collection expĂ©rimentale? Jâai essayĂ© de montrer que si le cercle nâest cercle qu'en vertu de la dĂ©finition , la ligure qui ne satisfait pas aux conditions demandĂ©es par cette dĂ©finition nâest pas un cercle. Câest ce quâon peut dire des cercles de la nature ; de sorto que nul cercle naturel, et mĂȘme nul cercle artificiel, nâest un cercle. Si le cercle gĂ©omĂ©trique , avons-nous dit, nâest que la collection de plusieurs cercles naturels, if ne peut y avoir dans cette collection que. ce quâil y a dans les individus; car une collection nâest quâune somme, et ne contient que ce qui se. trouve dĂ©jĂ dans les parties additionnĂ©es^ Or , si chaque cercle, considĂ©rĂ© isolĂ©ment, est dilĂŻĂ©rent du cercle gĂ©omĂ©trique, la somme les cercles naturels, de quelque façon quâon la considĂšre, ne pourra jamais donner le cercle de la gĂ©omĂ©trie. Comment arrive-t-il donc que lâintelligence conçoive le* cercle? quelle estâ DU BEAU. ao3 cette opĂ©ration de lâesprit qui nous fait imposer la notion de cercle parfait, Ă une figure imparfaite, ou transformer la figure naturelle en figure parfaite? âąâą Une acadĂ©mie i a ouvert un concours sur la question suivante Quelles sont les principales rait- sons qui produisirent chez les Grecs les grandes Ă©poles de sculpture et de peinture ? par quel moyen pourrait-on les reproduire? Lâauteur couronnĂ©, M. EmĂ©ric David, prĂ©tendit que câĂ©tait par la contemplation et lâĂ©tude assidue des formes rĂ©elles, par la reproduction exacte des objets naturels, que les anciens avaient Ă©levĂ© les arts au plus haut degrĂ© de la perfection ; quâaiusi lâimitation pouvait seule faire parvenir Ă cette beautĂ© grecque , .vĂ©ritable expression de la vie. M. QuatremĂ©re de Quincy 2 combattit lâopinion du laurĂ©at; il avança que ce nâĂ©tait pas par lâĂ©tude des formes naturelles, mais par la rĂ©alisation du beau idĂ©al, que les Grecs tirent au jour ces Ćuvres quâon rie retrouve pas dans la nature ; il montra quâil, y a deux grands principes dans les arts, lâun individuel et dâimitation, lâautre gĂ©nĂ©ral., abstrait, absolu et de crĂ©ation. Le prç- niier ne saurait produire que des portraits ; le second atteint Ă la beautĂ© pure. M. EntĂ©riç David 1 L»a troisiĂšme classe de Hnsfitut AcadĂ©mie des inscriptions et belles-lĂšttres T en 1807. 2 Voyez Archives littĂ©r, et philos, m! lâEusope , tomes 2 , 304 VINGT-ET-UJN1ĂME LEĂON, avait soutenu que le beau idĂ©al est dans le modĂšle, et le modĂšle dans la nature; i\I. QuatremĂšre Ă©tablit que le modĂšle, si beau quâil soit, nâest toujours que le moins imparfait des individus humains. Lâart, suivant M. de QuincĂż, exprime le gĂ©nĂ©ral ou lâabsolu; suivant M. EmĂ©ric David, il exprime lâindividuel. On peut concilier ces deux thĂ©ories, car nous ne procĂ©dons dans les arts nipar lâindividuel tout seul, ni uniquement par lâabsolu. Nous livrons-nous exclusivement k la contemplation dâun seul individu, ou concevons-nous un modĂšle tout- Ă -fait idĂ©al dont on ne trouve aucun vestige dans la nature vivante ? La question se ramĂšne encore ici Ă celle du cercle gĂ©omĂ©trique. ĂYlon opinion est que nous commençons-Ă la fois par lâindividuel et par lâabsolu. A la vue dâune ligure naturelle qui affecte grossiĂšrement certaine propor tion , lâesprit douĂ© de la facultĂ© de concevoir lâabsolu, Ă propĂŽs dii particulier , construit cette figure grossiĂšre -en un cercle parfait ; mais jamais lâhomme ne pourra rĂ©aliser matĂ©riellement un cercle gĂ©omĂ©trique ; il ne produira quâun cercle naturel, et par consĂ©quent un cerclĂ© imparfait. Câest ainsi que lâidĂ©e du vrai, du beau et du bien est toujours mĂȘlĂ©e de deux Ă©lĂ©- mens, 1 un concret et particulier, lâautre abstrait et absolu. * Comme nous 1 avons dĂ©jĂ dit, il y a deux espĂšces dâabstraction t° nous examinons plusieurs individus ; nous Ă©cartons leurs diilĂšrenccs, pour n r nu BEAU. 2Ă»5 saisir que leur ressemblance , dont nous lbrmous une sorte dâunitĂ© collective ; cette opĂ©ration de lâesprit peut se nommer abstraction comparative ; 2° par une abstraction dâun, autre genre, un individu Ă©tant donnĂ©, sans avoir recours Ă aucune comparaison, nous dĂ©gageons du Soin de lâindividuel un point de vue gĂ©nĂ©ral et absolu jâappelle ce procĂ©dĂ© de lâesprit abstiâaction immĂ©diate. Ce nâest pas .seulement au vrai gĂ©omĂ©trique et Ă la conception du beau dans les arts que cette opĂ©ration sâapplique, câest aussi Ă la conception du bien moral. Ainsi, sommes tĂ©moins dâune bonne action , notre intelligence laisse de cĂŽtĂ© tous les Ă©lĂ©mens particuliers, toutes les circonstances individuelles , pour sâĂ©lever sur-le-champ Ă la conception du bien absolu. Quelques philosophes prĂ©tendent quâavant dĂ©juger lâacte le plus simple., il faut possĂ©der les idĂ©es absolues de mal et de bien ; les autres pensent quâil est absurde de placer le gĂ©nĂ©ral et lâabsolu au dĂ©but des connaissances humaines, et que lâesprit doit commencer par lâindi- duel. La solution de la dillicultĂ© se prĂ©sente quand on ne; la cherche pas dans un parti extrĂȘme tout fait primitif est Ă la fois individuel et gĂ©nĂ©ral. Si vous dites que lâon dĂ©bute par lâabsolu , vous placez lâesprit dans une condition incomprĂ©hensible ; si vous avancez quil dĂ©bute par lâindividuel, j e dĂ©lie que vous eu puissiez jamais tirer lâabsolu. Cest de la mĂȘme façon que nous nous Ă©levons au prin- 206 VINGT-ET-UNIĂME LEĂON, eipe le causalitĂ© je veux mouvoir mon liras; je le meus, et au meme instant jâai la perception immĂ©diate de cause et dâeffet moi cause ; mouvement effet. Rien nâest plus individuel que chacun de ces deux termes, et cependant, aussitĂŽt que ce rapport sâest placĂ© sous les yeux de la conscience , les deux termes disparaissent pour ainsi dire, et il ne reste plus que le rapport cause et effet, ou le principe de causalitĂ© qui peut se formuler ainsi tout commencement dâexistence suppose unecause. Câest ainsi que sâopĂšre le passage de lâindividuel au gĂ©nĂ©ral, du rĂ©el au nĂ©cessaire on va de lâun Ă lâautre par une opĂ©ration naturelle et simple nulle idĂ©e individuelle sans idĂ©e gĂ©nĂ©rale , nul contingent sans absolu. Lâhomme ne voit Dieu que dans ces formes . le vrai, le bien et le beau ; et il ne voit ces formes absolues que dans le relatif, dans le contingent, dans le moi et le non-moi. Le beau idĂ©al se tire donc du beau rĂ©el par une abstraction' immĂ©diate qui aperçoit lâun dans lâautre. LâopĂ©ration est double ; si elle ne lâĂ©tait pas, on nâobtiendrait que lâindividuel tout seul, ou lâabsolu sans lâindividuel, câest-Ă -dire la vie sans!âidĂ©al-, ou 1 idĂ©al sans la vie. Lâart doit sâattadber Ă reproduire Ă©galement lâidĂ©al et la nature. Le beau idĂ©al ayant Ă©tĂ© sĂ©parĂ© du beau naturel, quâest-ce maintenant que le beau idĂ©al ? Le beau est identique avec le bien et le vrai nous avons dit, dans une leçon prĂ©cĂ©dente i quâil nây avait p-'S DU BEAU. 207 une seule- vĂ©ritĂ© , mais plusieurs vĂ©ritĂ©s. Donnez- moi, disais-je, une ventĂ©, je me charge dâen trouver une plus Ă©levĂ©e et plus, vaste ; donnez-moi une belle action , jâen trouverai une encore plus belle. 11 en est de mĂȘme de lâidĂ©al il reste indĂ©terminĂ© ; câest un point qui recule sans cesse, et qui fuit jusquâĂ l'infini. Toute Ćuvre de lâart, quelque, idĂ©ale quâelle soit, est encore individuelle lâApollon affecte certaines formes, prĂ©sente telle ou telle attitude T il est dĂ©terminĂ©, il nâest donc pas lâidĂ©al lui-mĂȘme ; autrement il nây aurait quâun seul genre dâidĂ©al, et toutes les statues devraient ĂȘtre jetĂ©es dans le mĂȘme moule. Toute Ćuvre de lâart nâest donc quâune approximation le dernier terme de lâidĂ©al est dans lâinfini ou en Dieu. Depuis la limite oĂč les efforts humains expirent jusqu Ă Dieu, existe un intervalle qui ne peut se combler. Il en L. t ainsi pour le vrai jamais voiis nâatteignez lâĂȘtre vrai en lui-mĂȘme ; il en est ainsi pour le bien vous avez beau Ă©purer le rĂ©el, lâĂ©lever Ă la plus grande hauteur, le bien absolu est toujours plus haut et plus pur , et nous ne lâatteignons jamais.. Lâinfini est lâorigine et le fondement de tout cĂ© qui est il sc rĂ©vĂšle Ă nous par le vrai, le bien et le beau; en descendant de cet ĂȘtre suprĂȘme , on arrive Ă tuie suprĂȘme beautĂ©, qui est la moins Ă©loignĂ©e du type infini, mais qui en est dĂ©jĂ bien loin; de lĂ , de dĂ©gradation en dĂ©gradation , vous descendrez Ă la beautĂ© rĂ©elle ; vous aurez parcouru 208 Y IX G T - F. Ăź - U N1Ă M E LEĂON. une multitude de degrĂ©s intermĂ©diaires, vous aurez rencontrĂ© lâart et tous les degrĂ©s de lâart, lâApollon, la VĂ©nus, le Jupiter, etc., et au- dessous de lâart, la .nature , et tous les degrĂ©s de la beautĂ© naturelle. Souvenez-vous cependant cpie toutes ces sphĂšres diffĂ©rentes se touchent et se pĂ©nĂštrent pour ainsi dire. Au-dessous du beau, enfin, vous trouverez lâagrĂ©able, câest-Ă -dire, aprĂšs les objets du jugement, les objets de la sensation. Nâoubliez pas surtout que le beau et lâagrĂ©able, pour ĂȘtre divers, nâen sont pas moins quelquefois simultanĂ©s, et que dans ce cas le jugement et la sensation sâaceompagnent. Nous pouvons entreprendre maintenant la dĂ©finition de Tait. Lâart est-il au service de la sensibilitĂ© physique ou de la raison, ou, en changeant les expressions du problĂšme, sans en changer la nature, lâart reprĂ©sente-t-il lâindividuel ou lâabsolu , lâidĂ©al ouĂŻe rĂ©el, lâinfini ou le fini? Je rĂ©ponds que lâart reprĂ©sente la vie humaine tout entiĂšre or, la vie se compose dâinvisible et dĂš visible, dâinfini et de fini, de jugement et de sensation. Lâart doit donc, se proposer deux buts plaire Ă la sensibilitĂ© physique , satisfaire la raison. Quand lâart ne reproduit que la rĂ©alitĂ© vivante, il est incomplet; sâil voulait rĂ©aliser le beau idĂ©al sans la vie, sans la forme rĂ©elle, ses ellorts seraient vains. Le gĂ©nie, câestlâaperception vivent rapide delaproportion dans laquelle doivent sâunird'idĂ©al et le naturel. Lâartiste 1> li HUAI. a°9 veut reprĂ©senter ]a vie il faut donc quâil sâattache au dĂ©terminĂ© , Ă lâindividuel, quâil soit imitateur ; dâautre part, il veut idĂ©aliser son Ćuvre il faut quâil lâapproche autant que possible de lâinlini, de lâunitĂ©. Le phĂ©nomĂšne et lâĂȘtre se partagent toutes les idĂ©es, le phĂ©nomĂšne est variĂ© , lâĂȘtre est unique, lâart qui reprĂ©sente lâunitĂ© et la variĂ©tĂ© reprĂ©sente donc aussi la substance et le phĂ©nomĂšne. UnitĂ© et variĂ©tĂ©, telles sont donc les deux rĂšgles suprĂȘmes de lâart. DâaprĂšs cette thĂ©orie, quelle mĂ©thode doit-on suivre dans lâenseignement des beaux-arts ? Les Ă©lĂšves doivent-ils commencer par lâidĂ©al ou par le rĂ©el?par lâunitĂ© ou pur la variĂ©tĂ©? M. QuatremĂšre se dĂ©clare en faveur de lâidĂ©al. Pour moi, je pense que les Grecs nâont dĂ©butĂ© ni par le rĂ©el ni par 1 idĂ©al tout seul , mais par lâun et lâautre Ă la fois. La nature ne commence ni par lâun ni par lâautre, câest-Ă -dire quâelle nâoffre jamais le gĂ©nĂ©ral sans lâindividuel, ni l'individuel sans le gĂ©nĂ©ral. Pourquoi ne mettrait-on pas les Ă©lĂšves aux prises avec la variĂ©tĂ© et avec lâunitĂ© en mĂȘme temps, et ne les ferait-on pas marcher comme les Grecs et comme la nature ? Nous avons dĂ©jĂ rĂ©solu les questions les plus importantes sur lâidĂ©e de la beautĂ©. Nous avons vu quâil y a du beau dans la nature; que le beau idĂ©al diffĂšre du beau naturel; quâil est impossible de dĂ©terminer lâidĂ©al ; que câest pour ainsi I/ 310 VINGT- ET -UNIĂME LEĂON, dire un plan mobile entre la nature et lâinfini. Nous avons cherchĂ© comment lâesprit saisit le beau rĂ©el et le beau idĂ©al, enveloppĂ©s pour ainsi dire lâun dans lâautre. Dans tout objet qui rĂ©flĂ©chit plus ou moins la beautĂ© , se rencontre lâĂ©lĂ©ment indi viduel et lâĂ©lĂ©ment gĂ©nĂ©ral. Toute figure humaine est composĂ©e dâun certain nombre de ' traits individuels qui la distinguent de toutes les autres , et en mĂȘme temps elle offre desâ traits gĂ©nĂ©raux qui en font ce quâon appelle x non pas la physionomie de tel ou tel individu, mais la figure humaine. Ce sont'ces linĂ©amens constitutifs quâon fait tr acer Ă 'lâĂ©lĂšve qui dĂ©bute dans lâart du dessin. Nous ne voulons pas dire que les traits gĂ©nĂ©raux ou communs de; l'humanitĂ© soient le type de la beautĂ©, mais que sous chaque figure naturelle lâesprit saisit la proportion , la rĂ©gularitĂ©, lâunitĂ© , ou en un mot lâabsolu. Lâessence et lâindividualitĂ©, voilĂ pour ainsi dire les deux pĂŽles de tout objet observable. Lâessence ne peut changer, car la changer ce serait la dĂ©truire; lâindividualitĂ©, au contraire, peut subir une multitude de variations. Aux termes dâessence et dâindividualitĂ© , nous pouvons substituer ceux de substance et de phĂ©nomĂšne, et nous obtiendrons ces axiomes , dĂ©jĂ bien connus de nous ; dans tout objet il y a la substance et le phĂ©nomĂšne; le phĂ©nomĂšne constitue le variable, la substance constitue lâinvariable. Tout ce qui existe participe donc Ă l'absolu ; tout ce qui est nâest pas UU BEAU. 21 ĂŻ Dieu, mais doit avoir quelque chose de Dieu. Maintenant comment nous sont donnĂ©s la substance et le phĂ©nomĂšne ? laquelle des deux idĂ©es germe la premiĂšre au sein de lâintelligence ? Ni lâune ni lâautre, mais toutes les deux Ă la fois. Lâesprit ne commence ni par une analyse, ni par une synthĂšse, si ce mot signifie une recomposition , fille de lâanalyse, mais par ce que je pourrais appeler une thĂšse , une composition , ou plutĂŽt un fait 'complexe. Cet Ă©tat primitif est obscur, confus nous nâen distinguons pas les deux Ă©lĂ©mens ; complexitĂ© et obscuritĂ© sont synonymes; il faut dĂ©composer et recomposer le complexe pour lâĂ©claircir. Or, comme tout spontanĂ© est complexe, tout spontanĂ© est obscur. Lâanalyse seule enfante la lumiĂšre, et lâanalyse suppose la rĂ©flexion , qui nâest, comme vous le savez, qu'un second point de vue de lâesprit. LâĂŽbjet extĂ©rieur nous est donc donnĂ© dâabord comme un composĂ©, un ensemble de deux Ă©lĂ©mens la substance et le phĂ©nomĂšne, lâinvariable et le variable, lâabsolu et le relatif. LâopĂ©ration interne qui sâapplique Ă cet objet est Ă©galement composĂ©e ; câest le jugement et le sentiment , lâintelligence et lâamour. Tel est le dĂ©but de lâhumanitĂ© , telle est la base sur laquelle doit tra= vailler la philosophie. En effet, quâest-ce que la philosophie? Un Ă©claircissement, et lâĂ©claircissement suppose des tĂ©nĂšbres antĂ©rieures. La lumiĂšre sort donc de la nuit, câest-Ă -dire que la philosophie 14. A I A UiUiT-El-UUĂMK LEĂON. ou Ja rĂ©llexion part de la spontanĂ©itĂ©. La rĂ©flexion dĂ©compose, divise les parties pour les Ă©clairer, puis elle les recompose et les rĂ©unit dans, leur ensemble; la complexitĂ© nâexclut pas alors la clartĂ©. Câest dans cet Ă©tat que lâon distingue nettement, et que lâon peut contempler lâun aprĂšs lâautre le gĂ©nĂ©ral et le particulier, lâabsolu et le relatif, la substance et le phĂ©nomĂšne ; mais, quâon ne sây trompe pas, vous divisez alors le composĂ©, vous ne le crĂ©ez pas, vous nâajoutez pas un terme Ă un autre, vous allez de lâun Ă lâauti'c, mais ils coexistaient primitivement tous les deux. Lâanalyse nâa rien créé, elle nâa fait que dĂ©gager des Ă©lĂ©mens existans. Lâanalyse procĂšde par abstraction ; mais, je le rĂ©pĂšte encore, lâabstraction est de deux espĂšces. Par lâune on parcourt une sĂ©rie dâindividualitĂ©s , on dĂ©gage les caractĂšres communs, et on arrive ainsi, aprĂšs une attention minutieuse , Ă une idĂ©e abstraite collective. Telle est lâabstraction mĂ©diate ou comparative, mĂ©diate parce quâelle naĂźt de lâobservation de plusieurs objets , comparative para que son instrument est la comparaison. Lâaut -e espĂšce dâabstraction saisit, immĂ©diatement ce que le premier objet soumis Ă son inspection renferme de gĂ©nĂ©ral, ou plutĂŽt dâabsolu. Et en eflĂšt, si dans chaque objet il se trouve de lâabsolu, nous nâavons p as besoin de comparer successivement plusieurs objets pour dĂ©gager un Ă©lĂ©ment Dti BEAIâ. 3 1 3 qui se rencontre aussi bien dans le premier que dans le dernier. Lors donc que dans un objet complexe je nĂ©glige le variable, le contingent, le dĂ©terminĂ©, pour ne considĂ©rer que lâinvariable, lâindĂ©terminĂ© , le nĂ©cessaire , jâobtiens une idĂ©e absolue, abstraite et immĂ©diate, absolue parce quâelle nâa plus rien dâindividuel, abstraite parce quâelle a Ă©tĂ© recueillie dans les enveloppes de lâindividualitĂ© , immĂ©diate parce quâelle nâa pas eu besoin de la comparaison dâun grand nombre dâobjets , mais quelle sâest dĂ©gagĂ©e Ă lâinspection dâun seul. Ainsi nous commençons par le complexe et nous finissons par le simple. Dans la nature, les parties et lâensemble, le simple et le composĂ©, les sons et lâharmonie, les instrumeus et le concert, tout cela est contemporain ; il nâen est pas de mĂȘme dans lâesprit, de lâhomme, oĂč le simple ne vient quâa- prĂšs le* complexe, parce que la rĂ©flexion est postĂ©rieure Ă la spontanĂ©itĂ©. Appliquons toutesces rĂ©flexions Ă lâidĂ©e de beau tĂ©. Primitivementle beau naturel nous apparaĂźt comme composĂ© dâindividuel et dâabsolu ; câest un complexe obscur, confus, indistinct. UltĂ©rieurement 1 abstraction immĂ©diate dĂ©gage lâabsolu du sein de lâindividuel, et lâĂ©lĂšve Ă lâĂ©tat de puretĂ© et de simplicitĂ©. Ainsi, aprĂšs avoir perçu dâabord le beau mixte, nous obtenons le vrai beau , le beau pur, et lâidĂ©al est trouvĂ©. Au point de dĂ©part il nây a pas dâidĂ©al, mais le beau rĂ©el, le beau nature], le 214 vingt âETâU NIĂME leçon. beau renfermĂ© dans un concret, enfoui dans la complexitĂ©. Quand lâabstraction lâen a dĂ©gagĂ© * il brille de toute sa simplicitĂ©. LS beau idĂ©al dillere du beau naturel, en ce que le second tombe Ă la fois sous la perception des sens et de fesprit, tandis que le premier nâest jamais vu par les yeux , et demeure toujours une pure conception de l'intelligence. Le beau naturel peut ĂȘtre vu> le beau idĂ©al ne peut ĂȘtre que pensĂ©. V ⊠⹠n > , ! . .xi * » âą /fur ; DU BEAU, ai5 \>W»W»V\V VINGT-DEUXIĂME LEĂON. Du sentiment du beau qui accompagne le jugement de de beautĂ© i. â Ce sentiment se distingue i°'de la sensation et du dĂ©sir de possession. â 2 0 De la pitiĂ© et la terreur.â3° De la recherchedelâintĂ©rĂȘt, soit particulier, soit gĂ©nĂ©ral. â 4° De lâillusion. â 5° Du sentiment moral et religieux. â- Lâart est sa propre fin Ă lui- mĂȘme , comme la religion et la morale sont leur propre fin. Nous avons accompli dĂ©jĂ unegrandepartiedela tĂ clie que nous nous Ă©tions imposĂ©e dans nos recher- chessuiTidĂ©edubeau ; nous avons examinĂ© en quoi consistelebeaurĂ©eletle beauidĂ©al, etcommentnous passons de lâun Ă lâautre ; nous avons indiquĂ© les caractĂšres extĂ©rieurs du beau naturel et du beau absolu ; nous avons vu quâau double caractĂšre du l Voyez, FrIGMEns philosophiques . du beau rĂ©el et du beauidĂ©al^ page 324* 216 VIN G T - D E C X 1ĂTVI E LEĂON, beau, câest-Ă -dire Ă lâabsolu et-Ă riiulividuel, Ă lâunitĂ© et Ă la variĂ©tĂ©, correspondent deux phĂ©nomĂšnes intimes un jugement et une sensation. Nous devons signaler maintenant un Ă©lĂ©ment dont nous nâavons pas encore parlĂ©, qui est intermĂ©diaire entre la sensation et le jugement; tenant de la premiĂšre, parce quâil est aussi un plaisir, une expansion , un amour ; tenant du second, parce quâil en est toujours prĂ©cĂ©dĂ© , et quâil lui doit son origine câest le sentiment du beau. La sensation est variable, nous ne prĂ©tendons lâimposer Ă personne ; nous laissons chacun maĂźtre de sa sensibilitĂ© physique, comme on nous laisse entiĂšrement maĂźtres de la nĂŽtre ; mais le sentiment, fils du jugement , emprunte Ă celui-ci son caractĂšre dâuniversalitĂ©. Placez-vous devant un objet de la nature, dans lequel tous les hommes reconnaissent de la beautĂ©; examinez le phĂ©nomĂšne total qui se passe en vous Ă cet aspect, et cherchez Ă en dĂ©gager les Ă©lĂ©mens . il est certain que vous prononcez que l'objet est beau, et que vous prononcez ce jugement dâune maniĂšre absolue; vous savez que ce nâest pas vous qui laites votre jugement, mais quâil vous est imposĂ© du dehors ; et si lâon vient vous contredire, vous allumez qu on se trompe ; quâil ne sâagit pas ici dâun fait qui vous soit personnel, mais dâune lumiĂšre objective qui Ă©claire tous les esprits- Il est encore certain qiiâaprĂšs avoir jugĂ© que lâobjet DU IiE VI. 31'J est beau, vous sentez sa beautĂ©, câest-Ă -dire que vous Ă©prouvez une Ă©motion dĂ©licieuse, et que vous ĂȘtes attirĂ© vers lâobjet par lâamour, suite inĂ©vitable du sentiment de plaisir. Si au contraire lâobjet en prĂ©sence duquel vous vous trouvez est en opposition avec le beau, vous jugezde sa laideur, et vous Ă©prouvez un sentiment contraire Ă celui que nous dĂ©crivions tout Ă lâheure. De ce sentiment naĂźt lâaversion ou la haine la haine accompagne toujours le jugement du laid comme lâamour le jugement du beau. Ainsi, la beautĂ© et la laideur sont Ă la fois en rapport .avec le jugement et avec le sentiment. Le jugement et le sentiment, tels sont les deux vrais Ă©lĂ©mens internes dĂ© lâidĂ©e du beau. Nous avons insistĂ© sur la nature du jugement, sur sa nĂ©cessitĂ© absolue, sur sa valeur objective, niĂ©e par Kant et par Fichus; nous prĂ©senterons aujourdâhui quelques considĂ©rations sur la nature du sen liment qui se joint au jugement du beau. Plusieurs thĂ©ories ont Ă©tĂ© mises en avant sur la nature de ce sentiment. Nous parlerons dâabord dâune doctrine nĂ©e en France au dernier siĂšcle, et plus ou moins adoptĂ©e par les sectateurs de la philosophie qui lui a donnĂ© naissance. DâaprĂšs cette thĂ©orie, le sentiment excitĂ© en nous par la vue du beau exteneur est une pure sensation suivie du dĂ©sir de la possession. Ă la vue dâun vase antique, par exemple, vous vous sentez Ă©mu dâurĂźe sensation agrĂ©able; vous dĂ©sirez la possession de cette 218 vingt-deuxiĂšme leçon. Ćuvre de lâart, et câest pour cela cpie vous lâappelez Icelle. Nous pensons que la vĂ©ritĂ© est prĂ©ciser ment dans le contraire de cette opinion, et que le sentiment du beau est entiĂšrement dĂ©sintĂ©ressĂ© ; que loin dâĂ©prouver le moindre dĂ©sir de nous emparer de lâobjet, dâen jouir, de lâassimiler Ă nous- mĂȘmes par ime rĂ©union intime, notre sentiment reste pour ainsi dire sur lui-mĂȘme, et se mĂȘle dâune sorte de vĂ©nĂ©ration qui retient le moi dans sa sphĂšre intĂ©rieure. Loin que le sentiment du beau soit le dĂ©sir de possession, je dis que partout oĂč naĂźtce dĂ©sir, le sentiment du beau nâexiste pas ou sâĂ©vanouit. Prenons un exemple oĂč le dĂ©sir de possession se montre dans son plein dĂ©veloppement; plaoons- nous en prĂ©sence dâune table chargĂ©e de mets dĂ©licieux le dĂ©sir de jouissance ou de possession sâĂ©veille, mais non*pas le sentiment du beau. Le dĂ©sir de possession est. un besoin dâassimiler lâobjet Ă nous-mĂȘmes, le sentiment du beau nâest pas un besoin ; il ne nous demande rien au dehors ; il est satisfait par cela seul quâil existe. Si au lieu de songer Ă la saveur des mets, jâĂšnvisage lâordonnance et la symĂ©trie des vases et des coupes, le sentiment du beau pourra naĂźtre, niais ce ne sera pas le besoin de mâapproprier cette symĂ©trie. Câest de lĂ probablement que ilurke a Ă©tĂ© conduit Ă cette remarque, dont il n a pas aperçu lui-mĂȘme loule la portĂ©e ; le propre de la beautĂ© est, non pas dâexciter le dĂ©sir, mais de tendre Ă l'Ă©touffer. OU BEAU. 2ig En effet plus la femme est belle, plus, Ă son aspect, le dĂ©sir est remplacĂ© par un sentiment pur, par un culte dĂ©sintĂ©ressĂ©. Tel est le langage dâun vĂ©ritable ami de lâart. Si la vue dâune belle statue rĂ©veille en vous le dĂ©sir de la possession, 11e vous mĂȘlez pas du beau, vous nâĂȘtes pas fait pour le sentir, vous nâĂȘtes pas artiste. Le sentiment du beau nâĂ©tant pas le dĂ©sir, que dirons-nous de ces peintres qui cherchent Ă faire illusion aux sens , Ă reproduire exactement le rĂ©el, Ă reprĂ©senter les formes qui peuvent rĂ©veiller lâappĂ©tit sensuel, le dĂ©sir de la possession ? le but de lâart est manquĂ© par eux, rien de cĂ© qui est dĂ©sirĂ© nâfest beau , et rien de ce qui est beau nâexcite le dĂ©sir. Je passe Ă une seconde thĂ©orie, plus spĂ©cieuse et plus difficile Ă combattre, parce quâelle sâappuie sur un ordre de sentimens plus relevĂ© que le dĂ©sir de possession. Je veux parler de celle qui confond le beau avec le pathĂ©tique , et ramĂšne le sentiment du beau Ă la pitiĂ© et h la terreur. Remarquez que la question nâest pas de savoir si le beau ne peut pas Ă©veiller des sentimens de ce genre, ou si le sentiment du beau ne peut pas ĂȘtre accompagnĂ© de quelque Ă©motion dilfĂ©rentĂš de lui-mĂȘme, mais si- lâobjet propre de ce sentiment est le pathĂ©tique. Dans cette derniĂšre hj-pothĂȘse , tout objet naturel , excitant la pitiĂ© . ou la terreur , serait appelĂ© S 20 VINGT-DEUXIEME LEĂON. beau. Or, que je rencontre .sur ma route des malheureux mourant de froid et de misĂšre, ma pitiĂ© sâĂ©meut vivement, et cependant je ne dis pas que ce soit lĂ un beau spectacle. De mĂȘme un animal hideux peut rĂ©pandre la terreur, et. cependant il ne sera pas beau, parce quâil sera terrible. De la nature passons Ă lâart. Sx les objets -dont xxous pallions tout Ă lâheure ne sont pas beaux dans la nature, sullira-t-il que lâart les imite pour les revĂȘtir de beautĂ© ? Dans ce cas , rien ne serait plus beau que lâimitation du supplice capital. pas que nous sommes quelquefois plus vivement Ă©mus de terreur et de pitiĂ© par un drartie informe que par la plus parfaite des .Ćuvres du théùtre? Je dis plus la pitiĂ© ou la terreur,, portĂ©e Ă un degrĂ© trop Ă©levĂ©, Ă©touflb le sentiment du beau. LucrĂšce a' dit que ce nâest pas le plaisir de voir la souffrance des naufragĂ©s qui constitue la beautĂ© dâun naufrage; ne la cherchez pas non plus dans la pitiĂ© ou la terreur, car de pareils sentimens nous Ă©loigneraient de ce spectacle ; il faut une Ă©motion diffĂ©rente de celles-lĂ , et qui en triomphe pour nous attacher au rivage cette Ă©motion, câest le pur sentiment du beau, causĂ© par la grandeur du spectacle , par la vaste Ă©tendue des flots, par les mouvemens majestueux des vagues et du navire. Si nous songeons un instant que sous ces vastes propor- 1H BEAL. 32i tions se cachent lâagonie et le rĂąle des mourans, nous ne pouvons plus supporter ce spectacle, le sentiment du beau a disparu. Câest pour cela que la reprĂ©sentation scĂ©nique dâun naufrage est plus belle quâun naufrage rĂ©el le sentiment du beau nâest pas alors Ă©touffĂ© par la pitiĂ© ou la terreur; il peut en ĂȘtre accompagnĂ©, mais il les domine câest donc un sentiment tout spĂ©cial, et dont lâobjet nâest pas le pathĂ©tique. il existe un troisiĂšme systĂšme qui veut ramener le beau ii lâutile il a quelques rapports avec la premiĂšre thĂ©orie. Le dĂ©sir de la possession sâapplique Ă un objet immĂ©diatement agrĂ©able ; lâutile est un objet qui nous deviendra plus tard agrĂ©able, ou qui doit nous procurer un autre objet agrĂ©able par lui-mĂȘme ; lâutile est donc de lâagrĂ©able Ă _ venir. Mais lâutile nâest pas plus que lâagrĂ©able, une seule et mĂȘme chose avec le beau. Voyez un levier, une poulie assurĂ©ment rien de plus utile ; cependant vous nâĂȘtes pas tentĂ© de dire que cela soit beau. Battu de ce cĂŽtĂ©, le systĂšme se retranche dans lâutilitĂ© gĂ©nĂ©rale. Sâil nâest pas vrai, dit-on , quâune chose , envisagĂ©e comme utile Ă vous seul ,â soitinarquĂ©e parcela mĂȘme du caractĂšre de beautĂ©, vous ne pourrez refuser le nom de beau Ă ce qui est utile Ă tous. Lâutile, avons-nous dit, nâest que le chemin de lâagrĂ©able; or, si lâagrĂ©able nâest pas beau, mĂȘme quand il est goĂ»tĂ© par tous les hommes, pourquoi lâutile serait-il mieux partagĂ©? Si 1 utile 222 VINGT-DEUXIĂME LEĂON. nâest pas le beau, que dire de lâartiste qui se met au service de lâutilitĂ© ? Le peintre nâest plus quâun dĂ©corateur ; le musicien devient un artisan. Le vĂ©ritable artiste nâa dâautre but que dâexciter le pur sentiment du-beau. Une quatriĂšme doctrine a pensĂ© que le beau nâĂ©tait ni lâagrĂ©able, ni lâutile, ni le pathĂ©tique, mais lâimitation de tout cela, et de quelque chose de plus encore , câest-Ă -dire la copie de toute rĂ©alitĂ©; elle identilie le sentiment du beau avec lâillusion. Lâart est ainsi rĂ©duit Ă un trompe-lâĆil. Mais alors il ne contiendra pas plus de beautĂ© que la nature ; et si tout ce qui est dans la nature nâest pas beau , vous nâaurez rien fait pour' la dĂ©linition delĂ beautĂ©, quand vous aurez dit quâelle est une imitation du .naturel. Que vous transportiez sur le théùtre français la place publique dâAthĂšnes, ou lâintĂ©rieur du sĂ©nat romain; que vous me montriez J3rutus avec son costume vĂ©ritable, que vous ayez ramassĂ©, sâil est possible, le niĂȘme poignard qui lut l'instrument de son meurtre ; si le rĂŽle de Bru tus nâa pas Ă©tĂ© beau dans la nature, il ne sera pas beau sur la scĂšne. Lâillusion nâest donc pas I e Sentiment du beau. Si je croyais quâlpbigĂ©nie lĂ»t une jeune lille innocente, sur le point dâĂȘtre immolĂ©e par son pĂšre, je sortirais de la salle en lrĂ©missant dâhorreur; si je croyais quâAriane fĂ»t une amante abandonnĂ©e , dans cette scĂšne pathĂ©tique oĂč elle demande qui lui a ravi son amant, je rĂ©pondrais DU BEAU. 223 comme cet Anglais, sous le joug le lâillusion quâon rĂ©clame ; câest PhĂšdre ! câest PhĂšdre ! Que lâon eĂ»t demandĂ©, sur le moment mĂȘme, Ă cet Anglais, si ce quâil voyait Ă©tait beau , il aurait rĂ©pondu que câĂ©tait coupable, et rien de plus. Je ne dis pas que lâillusion ne puisse accompagner le sentiment du beau; mais je soutiens quâelle nĂ© le constitue pas. J âexaminerai enfin une derniĂšre thĂ©orie qui confond le beau avec la religion et la morale, et par consĂ©quent le sentiment du beau avec le sentiment moral et religieux. Dans cette opinion, le but de lâart est de nous rendre meilleurs, et dâĂ©lever nos cĆurs vers le ciej. Que ce soit lit un des rĂ©sultats de lâart, je ne le conteste pas, puisque le beau est une des formes de lâinfini comme le bien ; et que nous Ă©lever vers lâidĂ©al, câest nous Ă©lever vers 1 infini ou vers Dieu. Mais je prĂ©tends que la lorme du beau est distincte de la forme du bien ; et que si lâart produit le perfectionnement moral, il ne le cherche pas, il ne le pose pas comme son but. Le beau dans la nature et dans lâart ne se rapporte quâĂ lui-mĂȘme; aiusi, dans uneoucert, Ă lâaudition dâune haute et belle symphonie, je demande si le sentiment que jâĂ©prouve est toujours un sentiment moral ou religieux. Je saisis lâidĂ©al qui se cache sous la diversitĂ© et la variĂ©tĂ© clos sons qui frappent mon oreille; cet idĂ©al est ce que jâappelle le beau , mais ce nâest dans ce cas uj la vertu ni la saintetĂ©. Je lie dis pas que le sentiment pur et dĂ©sintĂ©resse du beau VINGT-DKIj XIĂ1ME LEĂON. ne soit un noble alliĂ© du sentiment moral et du sentiment religieux, et que le premier ne puisse rĂ©veiller les deux autres ; mais il ne faut pas les confondre. Le beau excite un sentiment interne , distinct, spĂ©cial, qui ne relĂšve qĂčb de lui-mĂȘme ; lâart nâest pas plus au service de la religion et de la morale quâau service de lâagrĂ©able et de lâutile ; lâart nâest pas un instrument, il est sa propre fin Ă lui-mĂȘme. Et ne croyez pas que je le rabaisse, quand je dis quâil ne doit pas servir la religion et la morale, je l'Ă©lĂšve, au contraire, Ă la hauteur de la morale et de la religion. La dĂ©fense que je viens de prĂ©senter en laveur de lâart pourrait ĂȘtre reproduite en laveur de la religion et. de la morale elle-mĂȘme. On a voulu aussi les donner toutes deux comme des instrumens, comme des moyens, et la fin quâon leur assignait, câĂ©tait lâintĂ©rĂȘt ou lâutilitĂ©. 11 faut, dit-on, de la religion et de la morale pour la sĂ»retĂ© de lâĂ©tat. Rien de plus immoral, rien de plus athĂ©e quâune pareille doctrine. La religion et la morale sont ce quâil y a de plus Ă©levĂ© ; il ne. faut donc les mettre'au service dâaucune autre chose que dâelles-mĂȘmes, ni surtout an service de lâintĂ©rĂȘt. 11 faut de la religion pour la religion , de la morale pour la morale , comme de lâart pour lâai t. Le bien et le saint ne peuvent ĂȘtre la route de lâutile, ni mĂȘme du beau ; de mĂȘme que le beau ,,e Ut! BEAU. 225 peut ĂȘtre la voie ni de lâutile, ni du bien , ni du saint; il ne conduit quâĂ lui-mĂȘme. Rappelez-vous ce que nous avons dit des trois formes de lâinlini , et vous reconnaĂźtrez Ă quelle hauteur lâart sâĂ©lĂšve dans cette thĂ©orie,. Dieu se manifeste Ă nous par trois formes accessibles Ă notre faiblesse par lâidĂ©e du vrai, par lâidĂ©e du bien et par lâidĂ©e du beau; ces trois idĂ©es sont toutes trois filles du mĂȘme pĂšre, et Ă©gales entre elles, toutes trois contemporaires dans lâesprit humain comme dans la vĂ©ritĂ© Ă©ternelle ni lâune ni lâautre ne doit ĂȘtre mise au service de ses sĆurs. On a dit que les Grecs avaient conçu la poĂ©sie comme un moyen politique quand ils cĂ©lĂ©braient sur le théùtre lâhĂ©roĂŻsme fie leurs ancĂȘtres, ils Ă©taient portĂ©s, dit-on, Ă imiter ces modĂšles. Je lâaccorde; mais ce patriotisme , enfantĂ© par lâart , nâĂ©tait que sa crĂ©ation mĂ©diate. Le poĂ«te avait dâabord excitĂ© le sentiment du beau. Il en est de tous les arts comme de la poĂ©sie. La peinture, la sculpture, la musique, peuvent concourir Ă la production du sentiment moral et du sentiment religieux ;. mais dâabord elles ont causĂ© un sentiment spĂ©cial, parce que 1 idĂ©e du beau est une idĂ©e irrĂ©ductible Ă aucune autre. La morale et la religion peuvent gagner Ă la compagnie des beaux-arts; lâart peut aussi sâembelhr du cortĂšge' de la religion et de la âąi ° â morale, mais n y a une grande diffĂ©rence entre se secourir mutuellement et se produire lâan i5 m i i osoi»niĂŻ!. 226 VINGT-DEUXIĂME LEĂON. lâautre, et, ce qui est plus encore, sâidentifier. - Je me rĂ©sume le sentiment du beau, excitĂ© par la prĂ©sence dâun objet, soit naturel, soit artificiel , est pur et dĂ©pouillĂ© de toute idĂ©e Ă©trangĂšre. Il ne se rapporte ni Ă lâagrĂ©able, ni au pathĂ©tique, ni Ă lâutile, ni Ă lâimitation , ni Ă la religion , ni Ă la morale. Lâart ne doit avoir pour but que dâexciter le sentimeut'du beau, il ne doit servir Ă aucune autre fin ; il ne tient ni Ă la religion ni k la morale, mais comme elle il nous approche de lâinfini, dont il nous manifeste une des formes. Dieu est la source de toute beautĂ©, comme de toute vĂ©ritĂ©, de toute religion, de toute morale. Le but le plus Ă©levĂ© de 1 art est donc de rĂ©veiller Ă sa maniĂšre le sentiment de lâinfini. DU BEAU. 22*7 b wwwwvvm vwvwvww m v'vW'V'wwwwv^ wwwwwwvvwwv'WW\vv>AW / V\ VINGT-TROISIĂME LEĂON. Retour sur la sentiment du beau et du dĂ©sir de possession.âLe beau est immĂ©diat, lâutile ne lâest pas â Le beau comme beau est inutile. â Le sentiment du beau se place entre le jugement absolu qui le dĂ©termine et le prĂ©cĂšde d'une part, et de lâautre la' sensation qui le prĂ©cĂšde et. qui peut encore 1 accompagner et le suivre, mais avec laque, leil ne se confond pas.â ThĂ©orie de lâimagination. â Premier Ă©lĂ©ment de l'imagination mĂ©moire imaginative ou reprĂ©sentative. â DeuxiĂšme Ă©lĂ©ment abstraction ou choix rationne et volontaire. â 1 roisiĂšme Ă©lĂ©ment jugement et sentiment du beau» â Lâimagination nâest ni la sensibilitĂ© physique toute seule, ni la raison toute seule, ni la simple rĂ©union de ces deux facultĂ©s; il faut y joindre lâamour pur et dĂ©sintĂ©ressĂ©, câest-Ă -dire, le jugement et le sentimentâdu beau. Nous avons essayĂ© de montrer que le sentiment du beau est un sentiment spĂ©cial, nous voulons indiquer maintenant comment il se mĂȘle Ă lâiina- gination, phĂ©nomĂšne complexe dont il constitue lâĂ©lĂ©ment le plus important. Mais auparavant nous i5. au8 . V liNGt-TKOISIĂWE LEĂON, reviendrons en quelques mots sur la distinction du sentiment du beau et du dĂ©sir de possession, avec lequel il a Ă©tĂ© le plus souvent confondu. Pour que le seutimentdu beau soit pur et dĂ©sintĂ©ressĂ© , il faut que le beau ne soit ni lâagrĂ©able ni lâutile. Nous avons dit que si le beau nâĂ©tait que lâagrĂ©able, tout agrĂ©able serait beau. Or, en fait, est-il vrai que toute forme agrĂ©able, câest-Ă -dire excitant le dĂ©sirde possession, soit marquĂ©e du caractĂšre de beautĂ©? Nous avons prouvĂ© que dâune part le dĂ©sir est souvent excitĂ© en nous par des objets que la raison rejette du rang de la beautĂ©, et de lâautre que si un objet excite Je dĂ©sir dâassimilation , ce nâest pas par le cĂŽtĂ© que les hommes appellent beau. Le sentiment du beau et le dĂ©sir dâappropriation se repoussent mutuellement. Ce que nous disons des objets de la nature sâapplique aux objets de lâart . si celui-ci, par une imita Lion ii- dĂšle, excite le dĂ©sir de possession, il dĂ©truit par cela mĂȘme la beautĂ©. Nous accordons toutefois que la sensibilitĂ© physique peut se mĂȘler Ă la sensibilitĂ© morale, câest-Ă -dire que le mĂȘme objet excitera par un de ses cĂŽtĂ©s le sentiment du beau , et par lâautre la sensation agrĂ©able Ainsi 1 homme, en prĂ©sence de la beautĂ© de la femme , Ă©prouvera rarement un sentiment pur et unique. Cette beautĂ©, reproduite et Ă©purĂ©e par lâartiste, causera peut-ĂȘtre encore chez quelques-uns un mĂ©lange de sentiment et de sensation ; mais la sensation est dĂ©jĂ beau- DTJ deau. 229 coup plus rare en prĂ©sence des productionsdelâart, et Ăąi elle se dĂ©veloppe, elle trouble et altĂšre le sen- timentdu beau. DemĂȘmcquenous avons distinguĂ© lâagrĂ©able dâavec le beau , de mĂȘme nous en avons distinguĂ© lâutile. Lâutile, avons-nous dit , estce qui doit nous procurer plus tard lâagrĂ©able, ou .câest un genre dâagrĂ©able dont la jouissance est peut-ĂȘtre moins vive, mais dont la perte entraĂźnerait plus de souffrance que tel autre agrĂ©ment plus immĂ©diat ou plus doux; lâutile nâest donc toujours quâun agrĂ©able plus ou moins dĂ©guisĂ©, et montrer que le beau 11âestpas lâagrĂ©able , câest montrer quâil nâest pas lâutile. Mais nous pourrions, sans analyser lâutile, poser la question comme nous lâavons fait pour lâagrĂ©able, et nous demander si tout objet utile est beau, en ajoutant cette autre question tout objet beau est-il utile? jNous avons montrĂ© quâil y a une multitude de choses utiles qui 11e sont pgs belles ; nous avons empruntĂ© Ă la mĂ©canique des exemples qui nous ont paru convaincans. Maintenant tout objet beau est-il marquĂ© du caractĂšre dâutilitĂ©? Je ne veux pas nier que'le beau ne puisse ĂȘtre quelquefois en mĂȘme temps beau et utile , mais je prĂ©tends que la beautĂ© est aperçue indĂ©pendamment delutditĂ©. Ainsi, la symĂ©trie et lâordre sont des choses belles, et eu mĂȘme temps ce sont des choses utiles, soit parce quâelles mĂ©nagent lâespace, soit parce que les objets disposĂ©s symĂ©triquement sont plus faciles Ă observer et Ă trouver quand le besoin 2 3o vingt-troisiĂšme LEĂON, sâen fait sentir; mais je nie que nous ayons besoin de ce retour sur lâutilitĂ© delĂ symĂ©trie pour la proclamer belle; je dis que nous la saisissons directement, immĂ©diatement, comme belle, et que câest ultĂ©rieurement que nous la jugeons utile. Ainsi le beau est immĂ©diat, lâutile ne lâest pas; et il arrve mille fois quâaprĂšs avoir proclamĂ© la beautĂ© dâun objet, nous ne pouvonseux divers objets coin- 2 \\\^vwvt \VV\WAVV> UX VVA\\\IWW»W%W>VV>\%WAlAV\\\%V\\\A'A'^V*V\wv\v VINGT-SEPTIĂME LEĂON. Retour sur le goĂ»t et le gĂ©nie. â Une pensĂ©e de Plotin â- Les hommes beaux sont seuls juges de la beautĂ©. â Ecole de Locke. âEcole de Kant; â LĂ© beau nâest ni matĂ©riel ni subjectif; il est absolu, indĂ©pendant de la nature et de lâhomme. â RĂšgle de la composition. â Le critĂ©rium de lâart nâest ni le plaisir ni la clartĂ© , mais lâexpression. -â La poĂ©sie est le premier des arts. Puissance symbolique du mot. â LâĂ©loquence, la philosophie et lâhistoire ne font point partie des beaux- arts. â Le second des arts est la musique. â Viennent ensuite la peinture, la sculpture, lâarchitecture et la construction des jardins. Nous avons dit que lâart est la reprĂ©sentation libre du beau, que le gĂ©nie est le goĂ»t mis en action, que l e goĂ»t renferme trois Ă©lĂ©mens qnt correspondent aux trois Ă©lĂ©mens du beau. Reprenons toutes ces propositions pour quâun objet soit beau il doit, i â exprimer une idĂ©e ; 2° prĂ©senter t 272 VINGT-SEPTIĂME LEĂON, une unitĂ© qui lasse briller lâidĂ©e exprimĂ©e ; 3 â ĂȘtre composĂ© de parties diffĂ©rentes dĂ©terminĂ©es ; en' dâautres ternies, idĂ©e morale, unitĂ© et variéÚé , telles sont les trois conditions du beau. Lâesprit doit offrir trois phĂ©nomĂšnes correspondant Ă ces trois Ă©lĂ©mens lâesprit doit saisir lâidĂ©e qui est renfermĂ©e dans lâobjet, apercevoir lâunitĂ© sous laquelle lâidĂ©e pure se rĂ©flĂ©chit, et enfin les parties diverses dont cette unitĂ© est le lien. Le' sentiment du beau, la raison et la facultĂ© de reprĂ©sentation, telles sont les trois conditions du goĂ»t. Mais ces trois facultĂ©s peuvent rester improductives, elles reçoivent et 11e rendent pas; pour former le gĂ©nie, il leur faut un plus haut degrĂ© dâĂ©nergie. Le goĂ»t apprĂ©cie lâidĂ©e, lâunitĂ© et la variĂ©tĂ©; le gĂ©nie produit la variĂ©tĂ© , lâunitĂ© et sous elles lâidĂ©e. LâĂ©lĂ©ment le plus important de la beautĂ©, câest lâidĂ©e morale ; lâunitĂ© et la variĂ©tĂ© doivent en ĂȘtre empreintes, et lui servir seulement de manifestation, 9 et, en consĂ©quence , lâĂ©lĂ©ment le plus important k du goĂ»t et du gĂ©nie, câest le sentiment du beau moral. LâintĂ©rieur de lâhomme peut seul percevoir lâintĂ©rieur de la nature câest mon aine qui sent lâĂąme de lâunivers. Dans les ouvrages dâun philosophe dâAlexandrie, il y a un chapitre cĂ©lĂšbre qui porte ce titre Les hommes beaux sont seuls juges de la heaute. Rien de plus Ă©trange au premier coup dâĆil, rien de plus vrai quand on y rĂ©flĂ©chit. LâĂąme seule juge lâĂąme; le beau est dans les DU BEAU. 273 formes sans ĂȘtre constituĂ© par elles il faut lâen dĂ©gager ; le beau nâest quâune beautĂ© morale , une idĂ©e, un sentiment; il. nây a donc que lâhomme beau, câest-Ă -dire celui qui possĂšde en lui, soit constamment, soit Ă un moment donnĂ© , lâidĂ©e ou le sentiment empreint dans la nature, qui puisse juger le beau, câest-Ă -dire , retrouver dans le symbole extĂ©rieur lâidĂ©e dont il est lui-mĂȘme pĂ©nĂ©trĂ©. Toutes les fois que nous saisissons le beau Ă lâextĂ©rieur , câest que nous le portons dĂ©jĂ dans notre esprit, câest par notre cĂŽtĂ© moral seul que nous pouvons nous mettre en rapport avec le moral de la nature. YoilĂ ce que Plotin a voulu dire par cette expession singuliĂšre les hommes beaux sont seuls juges de la beautĂ©. Mais il ne suffit pas que lâhomme porte le beau moral en lui-mĂȘme , il faut encore quâil soit douĂ© dâune facultĂ© qui perçoive ce beau. Personne ne sâest avisĂ© de voir dans les ĂȘtres inanimĂ©s, et mĂȘme dans les animaux, des juges de la beautĂ© ; lâanimal est beau , cependant il ne peut ni reconnaĂźtre ni juger la beautĂ©. Quoiquâil contienne , comme la nature, le beau moral, ni lui ni la nature 11e sympathisent lâun avec lâautre, parce que, tout semblables quâils sont, ils ne connaissent pas, cette ressemblance. Lâhomme seul reconnaĂźt en lui le heau moral, comme dans la nature, connne dans 1 auimal, comme dans ses semblables., et voila pourquoi il sympathise avec l'homme , avec lâanimal et avec la nature. Pour comprendre rnitosoruiE. 1 s 274 VIN G T -SEPTIĂME LEĂON. l;i Sympathie do l'homme, il faut sâĂ©lever jusquâĂ latĂ©rite siiprĂȘrhfe, jusquâĂ lâĂȘtre unique et universel, jusquâil Dieu. Dieu, câest le fond du vrai , du bien fct du beau câest lâabsolu , qui S e rĂ©flĂ©chit tout entier dans foutes ses manifestations, ou, comme bti dit oiâdinairement, dans toutes ses crĂ©ations. DicĂŒ Ă©st dbric Ă la fois dans la nature et. dans Ăźâhbtnme, et câest altisi que sâexplique la sympathie de lâironlme pour la nature. Ăiilsi il nĂ© fliĂŒtpas dire, avec une certaine Ă©cole^ jue lâhomiitĂ© est une pu Ce rĂ©ceptivitĂ© frappĂ©e par la beautĂ© de la nature -, mais ne possĂ©dant pas en lui-mĂȘme lâidĂ©e du beau. Cette thĂ©orie a son principe dans les ouvrages de Locke et de Condillac. Si rhbmnie n etaitpas par lui-mĂȘme une crĂ©ature morale , comment pdiirrait-il concevoir le moral de la nature extĂ©rieure? Sâil nâavait pas une intelligence , comment trouverait-il les lois qui gouvernent le monde? LâhonunĂ« nâest pas , en naissant, une tablcrase sur laquelle lâunivers vient graver la beaĂŒtĂ© des objets extĂ©rieurs. Sotte beautĂ© serait ignorĂ©e dĂ© lâhomme, connue elle lâest de la nature , si lâhomme nâĂ©tait douĂ© dâune facultĂ© morale qui saisĂźt le beau en lui-mĂȘme comme Ă lâextĂ©rieur. LâĂ©cole de Kant sâest jetĂ©e dans lâexcĂšs opposĂ© ; elle a pensĂ© quâil nây avait dans la nature lien de vrai, de bon et de beau , si ce nâest le vrai, le beau et le bon que l'homme trouvait dans son Ă me, et D TI BEAL'. 2^5 quâil rĂ©alisait illĂ©gitimement au dehors de lui ; ainsi, le philosophe allemand a fait sortir lâextĂ©rieur de lâintĂ©rieur, lâunivers de lâAme, le non- moi du moi ? comme le philosophe anglais avait produit lâintĂ©rieur par lâextĂ©rieur , lâhomme par la nature, le moi par le non-moi. Tels sont, les deux rivages entre lesquels Hotte la philosophie. Lâintelligence humaine, câest-Ă -dire, la vĂ©ritable existence de lâhomfne est engagĂ©e et compromise tout entiĂšre dans la question. Si lâintelligence nâest quâun reflet de la nature, lâhomme nâest pas seulement lâĂ©colier de lĂ nature, il en est encore la production , il nâest que ce quâelle le fait. Dâun autre cĂŽtĂ©, si la nature nâest quâune induction de la pensĂ©e, elle nâest que ce que nous la faisons, quâun fantĂŽme que nous pouvons dĂ©truire. Telles ont les deux opinions exclusives quâil faut ljriser 1 une contre lâautre, sans cependant dĂ©truire ce quâelles peuvent contenir dĂ© vĂ©ritĂ©. A mon avis, la vĂ©ritĂ© nâest ni lille de lâhomme , ni fille de la nature; la vĂ©ritĂ© existe par elle-mĂȘme ; mais elle se trouve en moi comme elle se trouve dans la nature. Ainsi la nature est soumise Ă certaines lois; moi-mĂȘme je subis des lois qui correspondent Ă celles de lâunivers ; il y a donc de la vĂ©ritĂ©, de lâabsolu daiis la nature et dans .lâhomme, quoique lâabsolu ne dĂ©pende ni de 1 homme, ni de la nature. Ainsi , par exemple, 1 aiiLhnietique est tout-Ă -lait indepfen- dante de la nature et de lâhomme; cependant on 18 . 2^6 VINGT-SEPTIĂME LEĂON, trouve clans lâun et lâautre toutes les vĂ©ritĂ©s dont lâarithmĂ©tique se compose ; le rappolt des nombres peut se reconnaĂźtre dans l'homme lâhomme est une unitĂ©; il est aussi une diversitĂ© ; il peut compter ses allĂšctions, et saisir lâunitĂ© de sa substance. On retrouve pareillement dans la nature lâunitĂ© et la diversitĂ© Pythagore avait conçu le projet de ramener toutes les sciences aux mathĂ©matiques ; il faisait rentrer dans leur sein, uon-seulemCnt lâastronomie , mais encore la religion , la morale et la politique. La tentative de Pythagore a Ă©tĂ© reprise de; nos jours; M. llerbart, successeur de Kaiit dans la chaire de philosophie de KĆnigsberg, a publiĂ© des ouvrages oĂč il essaie lâalliance de la psychologie et des mathĂ©matiques. M. Wagner se propose de publier des ouvrages sur toutes nos connaissances, en les soumettant au calcul. On sait que Condillac, mĂ©content de la science humaine dans laquelle il ne trouvait pas une assez grande exactitude, forma le projet de construire une encyclopĂ©die des connaissances, Ă laquelle il aurait donnĂ© les mathĂ©matiques pour londement, et il a rĂ©alisĂ© une partie Ăźle ce projet dans son ouvrage intitulĂ© ; La Langue, des calculs. Comme il nây a pas de phĂ©nomĂšne sans substance, toute diversitĂ© suppose lâunitĂ©, et les lois psychologiques et physiques, qui ne sont que des phĂ©nomĂšnes, contiennent toutes quelque chose dâabsolu. Ainsi, aprĂšs deux ou trois mille ans, lâhumanitĂ©, dans ses esprits dâĂ©- DU BEAI. 2 77 lite, revient Ă la philosophie grecque ; et, en efĂŻĂȘt, on nâa jamais agitĂ© les grands problĂšmes de la philosophie avec plus de profondeur et plus de fQrce que dans la GrĂšce. Seulement les philosophes, qui cherchent Ă saisir un point dâappui fixe et inĂ©branlable, immotum cfidd et inconcussum , qui aspirent Ă saisir lâabsolu, devraient sâattacher plutĂŽt Ă Platon quâĂ Pythagore. Platon, en mĂȘme temps quâil a saisi lâabsolu, a tenu compte du contingent et du variable, et il nâa pas enfermĂ© lâabsolu dans une seule idĂ©e, mais il en a] embrassĂ© toute lâĂ©tendue. Reconnaissons donc que le beau comme le vrai plane sur la nature et sur lâhomme, etque lâhomme ni la nature ne son Lie fondement de lâabsolu. Si le beau est purement subjectif, sâil dĂ©pend simplement de lâhomme, il nây a plus de beautĂ© dans la nature, et rien nâest alors plus variable que le beau. Si le beau est purement objectif, sâil dĂ©pend de la nature , il nây a plus de beautĂ© en lâhomme ; si, au contraire, le beau est absolu, sâil se retrouve dans lâhomme et dans la nature, il nâest pas Ă©tonnant que lâhomme sympathise avec elle, quâil soit juge, et Ă son tour crĂ©ateur de la beautĂ©. L Ă©lĂ©ment capital de la beautĂ©, câest lâidĂ©e morale ; 1 idĂ©al diffĂšre du rĂ©el en ce quâil se rapproche beaucoup plus de lâidĂ©e morale. Dans toute chose il y a du gĂ©nĂ©ral et du particulier, de lâunitĂ© et de la variĂ©tĂ© deux objets et deux objets font quatre ob- 3j8 vingt-septiĂšme leçon. jets, voilĂ mie vĂ©ritĂ© ; mais dĂ©gagez lâunitĂ© de la variĂ©tĂ©, vous aurez deux et deux font quatre , câest- Ă -dire la forme la plus pure de lâidĂ©al. LâidĂ©al, câest donc ce qui rĂ©flĂ©chit le plus purement lâidĂ©e renfermĂ©e dans lâobjet; le rĂ©el, câest le particulier, câest ce qui frappe les sens. Le but de lâart est donc d'arriver Ă lâidĂ©al, câest-Ă -dire dâĂ©purer assez lĂ variĂ©tĂ© et lâunitĂ© pour quâelles reflĂštent le plus purement possible lâidĂ©e morale. Nous arrivons donc Ă ce prĂ©- uepte fondamental que lâexpression est la loi la plus haute de lâart. Tout art qui nâexprime rien nâest pas un art. La seconde loi de lâart, câest la composition , câest-Ă -dire lâemploi des moyens matĂ©riels pour arriver Ă lâexpression. Je ne comprendrais rien Ă une composition qui nâaurait pas ce but. Si, par exemple, jâavais Ă peindre la femme au moment oĂč elle met un enfant au jour, je disposerais tous les traits de sa ligure, toute lâattitude de son corps, de maniĂšre Ă exprimer la joie et la douleur qui saisissent son Ă me ; je forais concourir tbus lesindividus qui lâentourent Ă la mĂȘme unitĂ© dâexpression; je ne verrais en eux comme en elle, que des formes symboliques, que des signes hiĂ©roglyphiques qui me seraient donnĂ©s pour faire luire sur toute la scĂšne lâidĂ©e morale, dont elle doit ĂȘtre la manifestation. Ou comprend par-lĂ toute lâimportance de la composition. Mais si elle se borne Ă placer des ombres prĂšs de la lumiĂšre, Ă disposer des lignes pour plaire seulement Ă lâĆil , la composition 0 l . BEAU. 2 79 est la mort de lâart. Lâexpression, la manifestation de lâidĂ©e morale, voilĂ le but suprĂȘme de lâartiste. On peut essayer une classification des arts dâaprĂšs cette grande loi de lâexpression. On a fait reposer sur dâautres bases la classification des arts, mais on nâest parvenu Ă aucun rĂ©sultat satisfaisant. DâaprĂšs lâopinion que ce qui constitue lâart câest Iç plaisir, on a Ă©tabli une hiĂ©rarchie des arts, Ă la tĂȘte de laquelle se trouvait la musique. La musique est en eilet celui des arts qui parait produire la plus vive Ă©inotipp de plaisir. Les Jjarbarcs qui ont inondĂ© notre capitale en i Bi4, sont restĂ©s insensibles aux beautĂ©s ,dfe la sculpture et de l ^r- cluteeture, et ont prĂȘtĂ© nue oreille attentive aux mĂ©lodies de nos .théùtres lyriques. Une autre dĂ©finition de 1 art a produit une autre classification lç propre de lâart, a-t-on dit, est dette Ă©minemment clair, jet sur cette rĂšgle le premier rang sâest trouvĂ© assignĂ© Ă la peinture.. Quoi de plus clair, en effet? ĂS'exprime-t-elle pas non-seulement les formes et les actions visibles, mais encore les sentimens les plus cachĂ©s de lâĂ m,e ? A lâaspect du beau tableau feprcsentaut le sommeil dâAgamemnon, qui peut §e mĂ©prendre sur les passions de Clytemnestre? Câest ainsi que la musique et la peinture ont Ă©tĂ© tour Ă tour elevĂ©es au premier rang, siuvant qu on a pris pour principes de lâart le plaisir ou la clartĂ©. Mais nous avons? vu que le beau nâest pas syno- 280 VINGT-SEPTIĂME LEĂON . nyme 'de lâagrĂ©able, et quâen consĂ©quence le plaisir nâest pas le sentiment du beau ; le plaisir 11e peut donc servir de base Ă la hiĂ©rarchie des arts. Dâun autre cĂŽtĂ©, il ne sullit pas quâune forme soit facile- ment saisie par lâĆil pour quâelle soit belle, il faut encore que cette forme soit expressive. Nous sommes donc toujours ramenĂ©s Ă lâexpression comme au principe suprĂȘme de lâart. Lâart qui sera le plus expressif sera donc le premier. Or, celui de tous qui me paraĂźt le mieux rĂ©flĂ©chir la beautĂ© universelle, qui la reproduit sous toutes les formes et de toutes les maniĂšres, câest la poĂ©sie. Câest Jâart par excellence il exprime la beautĂ© dâune maniĂšre Ă la fois dĂ©terminĂ©e et indĂ©terminĂ©e , finie et infinie. Deux ou trois mots lui sulljsent pour exciter dans lâĂąme les Ă©motions les plus profondes. Aussi les artistes ne sây trompent-ils pas ils savent bien, sans cependant lâavouer , que la poĂ©sie lâemporte sur tous les arts, et lorsquâils veulent Ă©lever un tableau au-dessus de tous les autres., ils disent que câest de la pure poĂ©sie. Le peintre a des couleurs, le statuaire et lâarchitecte des lignes, le musicien des sons, mais le poĂ«tç a des mots. Le mot est Ă la fois visible et invisible, matĂ©riel et immatĂ©riel que dâidĂ©es, que desentimens, rĂ©veille en nous le mot patrie ; que de choses ne rappelle pas Ă lâesprit ce mot si brĂ©f et si immense Dieu ! Quâun peintre essaie de reprĂ©senter Dieu ou la patrie, et voyez sâil pourra produire des Ă©motions aussi vives 0 1 u is a i. 28! et aussi profondes. Le mot est donc le symbole le plus vaste et le plus clair ; il . est aussi dĂ©terminĂ© que les lignes et les couleurs, mais il est mille fois plus comprĂ©hensif ; câest la manifestation la plus simple et la plus riche de lâabsolu, liurke lâa bien senti, et vous trouverez Ă la fin de son ouvrage un admirable chapitre sur la puissance mystĂ©rieuse des mots. Comme je refuse aux beaux-arts tout but dâutilitĂ© , comme lâart ne doit servir quâĂ lui-mĂȘme, câest-Ă -dire Ă lâexpression du beau , je dois effacer lâĂ©loquence de la liste des arts. Elle a pour but de persuader, de dĂ©fendre celui dont 'lie a pris en main les intĂ©rĂȘts. Si 'lie ne se proposait que de plaire , on pourrait la regarder comme un art. Mais 1 Ă©loquence est-elle et doit-elle ĂȘtre un jeu ? Le malheureux, sur la tĂȘte duquel sâappesantit une accusation capitale, regarde-t-il lâĂ©loquence comme un amusement, comme un moyen dâexprimer purement et simplement le beau ? La philosophie ne figure pas non plus parmi les arts elle ne se propose que dâinstruire. Si le philosophe ne sâoccupe que de plaire, que dâexprimer la beautĂ© , il est arr tiste, niais il cesse dâĂȘtre philosophe, il en est de 1 histoire comme de la philosophie le principal but de 1 histoire doit ĂȘtre dâinstruire les gĂ©nĂ©rations Ă venir, et de leur faire mettre Ă profit les fautes des gĂ©nĂ©rations passĂ©es ; elle ne peint pas pour peindre, mais pour prouver . Ayant Ă©cartĂ© lâĂ©- 282 VINGT-SEPTIĂME leçon. loquence, la philosophie et lâhistoire, qui se servent des mots comme la poĂ©sie, mais qui les tournent vers un but dâutilitĂ©, quel est celui des arts que nous mettrons en seconde ligne; t ;ii dâautres termes, quelle est la forme la plus expressive aprĂšs le mot ? câest la mĂ©lodie. Sous une lonne dĂ©terminĂ©e, la mĂ©lodie est, aprĂšs la parole, lâexpression qui altĂšre le moins lâidĂ©e universelle et infinie que nous appelons le beau. Aussi, quelle vivacitĂ© dâĂ©iiiotion ne produit pas la musique ? Elle change eu un instant les senti mens de notre Ă me, ejle nous fait passer de la tristesse Ă la joie , et de la joie Ă la tristesse, et par son vague mĂȘme elle ouvre une vaste carriĂšre aux jeux de lâimagination, Sans doute les effets de la musique sont quelquefois les mĂȘmes que ceux de lâĂ©loquence elle nous arraclie les armes des. mains , ou elle nous fait voler au combat; mais ce sont lĂ les rĂ©sultats de la musique, et non le but quâelle se propose, et en consĂ©quence , on ne peut lâaccuser de se mettre au service de lâintĂ©rĂȘt. En appliquant aux autres arts la masure dont nous nous sommes servis pour la poĂ©sie et la musique , câest-Ă -dire en examinant ceux dont la forme est la plus expressive, et se rapproche le plus du beau, en sâĂ©cartant le plus de 1 utilitĂ© , nous arriverions Ă ranger la peinture immĂ©diatement aprĂšs la poĂ©sie et la musique, et ensuite viendraient sâĂ©chelonner Ă des distances diverses la sculpture, lâarchitecture et la construction des jardius. nu BEAU. 283 llVnUMUA tVVW\Wt\VV VVIVWVVIVA AVA WVWVWWWWV W\ W\ VWVNV VINGT-HUITIĂME LEĂON. S Les arts ne diffĂšrent pas par leur fin , mais par leurs moyens. â les sens considĂ©rĂ©s dans leurs rapports avec lâart et le beau. âIncapacitĂ© du toucher, de lâodorat etdu ÂŁOĂt pour nous transmettre le beau.â PrĂ©rogative de lâouĂŻe et de la vue. âArts de lâouĂŻe ; poĂ©sie et musique ; arts de la vue peinture , sculpture , architecture et construction des jardins. â Les arts de 1 ouĂŻe ne doivent pas chercher Ă usurper la forme des arts de la vueâ, ni rĂ©ciproquement. â Retour sur la supĂ©rioritĂ© de fa poĂ©sie. LEcaractĂšre constitutif et fondamentalde loutart, nous lavons dĂ©jĂ dit, câest lâexpression; un second caractĂšre auquel lâart ne peut renoncer sans se dĂ©truire, cest dâĂȘtre libre, en dâautres termes, c est de ne se service que de lui-mĂȘme. LâindĂ©pendance est dans le but de lâart et non pas 284 . MA JT-HUITIĂME LEĂON, dans ses moyens , c'est-Ă -dire que ses moyens doivent toujours ĂȘtre en rapport avec la lin quâil sâimpose Ă lui-mĂȘme. Ceci reconnu, combien doit-on distinguer dâarts dillerens? Pour rĂ©soudre cette question, ilfaut bien concevoir ce que câestque le beau. Le beau, câest le vrai et le bien manifestĂ©s Ă lâhomme sous une forme sensible. Le beau ne serait que le vrai et le bien, sâil 11âavait des formes encore une fois, câest la forme sensible du vrai et du bien qui les fait devenir ce que nous appelons la beautĂ©. Le beau a donc pour ainsi dire deux parties une partie morale et une partie sensible. La partie morale, câest le bien et le vrai, dont le beau est la manifestation ; la partie sensible câest la forme , sous laquelle le vrai et le bien se. manifestent Ă nos organes. Ce que nous venons de dire du beau sâapplique exactement Ă lâart il faut Ă©galement distinguer dans lâart le fond et la forme, lâidĂ©e morale et lâexpression de cette idĂ©e, 011 la matiĂšre par laquelle lâidĂ©e est rendue sensible. ConsidĂ©rĂ©s dans leur fond, dans lâidĂ©e morale qui les anime, tous les arts sont Ă©gaux, similaires, identiques. Il ne peut y avoir quâun seul art, parce que lâidĂ©e morale est paPtoutla mĂȘme. Mais si lâon examine la iorilie sous laquelle cette idĂ©e nous apparaĂźt, alors on reconnaĂźtra des arts dillerens; ainsi 1 idĂ©e morale identilie les arts, la forme de lâexpression les sĂ©pare. LâidĂ©e morale sâa- dresse Ă lâĂ me, lafonuesâadresseaux sens; pour trouver la diflĂ©rencedes arts, il faut donc nous tourner vers DU BEAU. 205 Jeurs formes ce nâest pas dans leurs rapports avec lâĂ nie que les arts sont dilfĂ©rens, câest dans leurs rapports avec les sens. Par les sens le beau sâintroduit jusquâĂ lâĂ nie, centre oĂč se confondent dans un eflĂšt unique les dilfĂ©rens effets que lâart produit sur notre sensibilitĂ©. Une fois arrivĂ©s Ă lâĂąme , les arts sâidentifient, mais ils prennent diffĂ©rentes voies pour y arriver. Combien donc y a-t-il de voies qui fassent parvenir le beau jusquâĂ lâĂąme ? en dâautres termes, par combien de sens pouvons-nous percevoir le beau ? Des cinq sens qui ont Ă©tĂ© donnĂ©s Ă l'homme, trois, le goĂ»t, lâodorat et le toucher, sont incapables de nous transmettre le beau, et si lâon prĂ©tend que, joints aux deux autres, ils peuvent contribuer Ă Ă©tendre le sentiment de la beautĂ©, du moins lĂ ut-il reconnaĂźtre que, laissĂ©s Ă eux- mĂ©mes, ils sont incapables de servir Ă la transmission du beau. Le goĂ»t, par exemple, juge de lâagrĂ©able et non du beau ; il sert un intĂ©rĂȘt, celui de lâestomac ; et tout sens qui ne juge pas dâune maniĂšre dĂ©sintĂ©ressĂ©e ne peut pas juger du beau. Lâodorat est un peu moins au service du corps, mais, abandonnĂ© Ă lui-mĂȘme, il ne peut pas non plus transmettre lâidĂ©e du beau âą' jamais on n e sâest avisĂ© de dire quâune odeur soit quelque chose de beau. Si quelquefois I odorat semble participer au sentiment et au jugement du beau , câest que; lâodeur sâexhale dâun objet 286 vingt-huitiĂšme leçon. qui puise sa beautĂ© autre part que dans Podeur telle est la rose, dont la beautĂ© se manifeste par des lignes et des couleurs. Ce que nous ayons dit du goĂ»t et de 1 odorat, nous le dirons du toucher le toucher ne jugĂ© que de la duretĂ© et de la mollesse , or, il uây a lĂ ni beautĂ© ni laideur; Ce nâest pas le toucher seul qui juge dĂ©s formes rĂ©guliĂšres , câest le toucher agrandi par la vue. Il ne reste donc que deux sens qui soient juges du heau , câest la vue et lâouĂŻe. Si I on cherche la raison de cette noble prĂ©rogative attachĂ©e Ă ces deux sens, on trouvera quâils 11 e sont pas aussi indispensables que les autres Ă lu conservation de lâindividu, ils servent Ă lâembellissement, mais non au soutien de la vie; ils nous procurent des plaisirs, dans lesquels lâhomme se perd de vue, et le moi se dĂ©verse sur le non- mOi. Câest donc Ă la vue et Ă lâouĂŻe que Part doit sâadresser pour pĂ©nĂ©trer jusquâĂ PĂąme; de lĂ cette grande division des arts en deux classes art de lâouĂŻe , art de. la viie LâouĂŻe renferme deux arts la parole et le chant , la poĂ©sie et la musique, dont la forme sensible est le son ; la vue contient tous les arts dont la matiĂšre se dĂ©veloppe dans l'espace la peinture, la sculpture, 1 architecture et Part des jardins. Nous avons Ă©cartĂ© dĂ©jĂ de la liste des arts la philosophie et lâhistoire, qui ne se servent pas de but Ă elles-mĂȘmes, et qui ne tendent DU BEAU. 287 quâĂ instruire; nous avons 'carte lâĂ©loquence, dont la fin est de persuader, et non de toucher et de plaire lâĂ©motion et le plaisir ne sont pas des argumens ; lorsque l ocateur les rencontre , câest une bonne fortune dont il doit profiter, mais quâil 11 e doit pas chercher sous peine de fraude et dâimposture. Câest, ainsi que Socrate comprenait lâĂ©loquence. Nous Ă©carterions de mĂŽme lâarchitecture et lâart des jardins, si on les faisait servir il dâautres lins que le beau. Ainsi, câest tuer lâarchitecture que de lit subordonner Ă la commoditĂ© de lâĂ©difice. Voyez lâarchitecte lorsquâil est obligĂ© de sacrifier la coupe gĂ©nĂ©rale de son bĂątiment Ă telle ou telle fin particuliĂšre il se rĂ©fugie dans les dĂ©tails, dans âąes frontons ^ dans les .frises, dans toutes les parties- qui nâont pas futilitĂ© pour but spĂ©cial, et lĂ il redevient vraiment artiste. La poĂ©sie et la musique, la peinture et la sculpture, sont plus libres que lâarchitecture et lâart des jardins. Sans doute on peut aussi leur donner des chaĂźnes , mais ils sâen dĂ©barrassent pins facilement , ce sont donc les arts vraiment libĂ©rant, les arts qui vont librement Ă leur lin. Ces arts, semblables par le fond, diffĂšrent par les procĂ©dĂ©s quâils emploient. 11 est clair que la sculpture etla peinture mettent enusage desmoyens dilĂŻerens de ceux quâemploient la poĂ©sie et la musique. Est-il aussi incontestable que les uns et les y88 vinot-i/uitiĂšme leçon. autres produisent le mĂȘme ellĂ«t? Est-il vrai que le musicien puisse causer les mĂȘmes Ă©motions que le peintre ? sans aucun doute; mais il ne faut pas pour cela que les arts empiĂštent sur la forme les uns des autres. Us peuvent arriver au mĂȘme rĂ©sultat, mais chacun par les voies qui lui sont propres. Un directeur de théùtre, aux gages duquel sâĂ©tait mis lâillustre Haydn, pour donner du pain Ă sa famille, voulut que le compositeur exprimĂąt les dillĂ«rentes scĂšnes dâune tempĂȘte ; le sifflement des vents et le bruit du tonnerre Ă©taient faciles Ă imiter ; mais comment rendre la lueur des Ă©clairs dĂ©chirant tout Ă coup le voile immense delĂ nuitPComment reproduire surtout ce quâil y a de plus formidable dans la tempĂȘte, le moruvement des Ilots , qui tantĂŽt sâĂ©lĂšvent comme une montagne et lancent le navire dans les airs , tantĂŽt sâabaissent, se dĂ©robent sous lui, et semblent le prĂ©cipiter dans des abĂźmes sans fond? Haydn voulait reprĂ©senter cette alternative , quâil regardait comme le plus puissant Ă©lĂ©ment de terreur dans la peinture dâun naufrage. 11 s'efforça de mettre en saillie ce soulĂšvement et cette chute des vagues, il combina des sons, il dĂ©ploya toutes les ressources de son art et de son gĂ©nie ; tous ses ellorts furent inutiles, il dut renoncer Ă rĂ©soudre ce problĂšme. Environ dix annĂ©es aprĂšs , il reprit la dillicultĂ© et lâexamina en philosophe; il reconnut quâelle Ă©tait insoluble dans un sens , et que dans lâautre elle pouvait se rĂ©soudre ; du beau. ^ 8y câest-Ă -dire quâil sâaperçut que des sons ne pour- raient jamais rendre des formes; que si la musique est expressive, elle exprime des idĂ©es, des senti- mens, mais non pas des figures, et quâelle doit chercher Ă produire les mĂȘmes Ă©motions que celles qui rĂ©sultent des formes, mais par les moyens propres Ă la musique. La mĂ©lodie doit renoncer Ă peindre le mouvement des vagues qui sâĂ©lĂšvent et qui sâabaissent ; mais avec des sons elle pourra produirele sentiment qui nous saisit en prĂ©sence de ce grandspectacle. Haydn sâattacha donc Ă produire la douleur et l'effroi, et il devint ainsi non-seulement le rival, mais mĂȘme le supĂ©rieur du peintre, parce quâil est donnĂ© Ă la musique , comme nous lâavons dĂ©jĂ dit, dâĂȘtre expressive Ă un plus haut degrĂ©, et en consĂ©quence dâĂ©mouvoir plus profondĂ©ment que la peinture. Ainsi le problĂšme fut Ă la fois rĂ©solu et non rĂ©solu non rĂ©solu pour la forme , mais rĂ©solu pour le fond. Ce que nous venons de dire sur la musique peut se rĂ©pĂ©ter pour tous les autres arts les mĂȘmes effets seront produits par tous, mais sous des formes diffĂ©rentes. Nous sommes donc ramenĂ©s Ă ce que nous avons dĂ©jĂ posĂ© en principe tous les arts sont identiques par le fond et diffĂ©rons par la forme. On doit regarder comme faux , sous un certain çapport, lâaxiome ut pictura*poesis. La peinture ne peut pas tout ce que peut la poĂ©sie , ni la poĂ©sie tout ce que peut la peinture. Tout le monde admire le rnii-osoniiE. 39O VINGT-HUITIĂME LEĂON portrait. do ln fienommw , tracĂ© par Virgile, 1 mais quâun peintre sâavise de rĂ©aliser cette figure symbo lique ; quâil nous reprĂ©sente un monstre Ă©norme , avec cent yeux, cent boudins et cent oreilles, et qui des pieds touchant la terre , cache sa tĂȘte dans les deux ; le sentiment causĂ© par un pareil tableau ne serait-il pas celui du ridicule ? Tous les arts peuvent produire les mentes sen- timens, mais par des symboles divers. INous ne prĂ©tendons pas dire quâil telle phrase musicale sâattache immanquablement telle ou telle idĂ©e morale. La musique nâa guĂšre que deux expressions bien tranchĂ©es celle de la tristesse et celle de la gaietĂ© ; hors de lii son expression est vague ; mais câest pour cela quelle se prĂȘte avec une facilitĂ© merveilleuse h la disposition de chacun , et que nous berçons, pour ainsi dire, au mouvement de la mĂ©lodie les idĂ©es favorites de notre imagination. Si les arts doivent respecter la forme les uns des autres, il en est un, pourtant, qui semble profiter des ressources de tous, et celui-lĂ , câest encore la poĂ©sie. Avec la parole , la poĂ©sie arrive Ă peindre et Ă sculpter; elle construit des Ă©difices comme lâarchitecte ; elle imite , jusquâil un certain point, la mĂ©lodie de la musique. Elle est, pour ainsi dire , le centre oĂč se rĂ©unissent tous les arts câest lâart par excellence; câest la facultĂ© de tout exprimĂ©e, avec un symbole universel. Ainsi, pour nous rĂ©- Ut BE4C. 29 1 sumer, ]e lond de la poĂ©sie est le mĂȘme que celui des autres arts, et sa forme est presque Ă©gale Ă leurs formes. Câest que la parole est Ă la fois de la peusĂ©e et de la matiĂšre, de lâinterne et de lâexterne. En mĂȘme temps quâelle est plus prĂ©cise que toute autre forme , Ă peine fait-elle partie du monde physique. VoilĂ pourquoi la poĂ©sie Ă©gale Ă elle seule presque tous les autres arts rĂ©unis, et quâelle est bien supĂ©rieure Ă chacun dâeux en particulier. 19 - 292 VINGT-NEUVIĂME LEĂON. vt V>XV\VVW»V\VVV\V\VV»W»VV\lVVVVVV\\VV\tt\lWV\VVV\VV\W\\Mli\VV\%\i>V\* VVW» v VINGT-NEUVIĂME LEĂON. RĂ©sumĂ© de Ja thĂ©orie du beau, tant sous le point de vue subjectif que sous le point de vue objectif. . Je me propose dans cette leçon de revenir sur la thĂ©orie de lâidĂ©e du beau, et de lier ensemble toutes les parties de cette doctrine, avant de passer Ă la thĂ©orie de lâidĂ©e du bien. PrĂ©senter lâesquisse dâune thĂ©orie sur le beau , considĂ©rĂ© dans la nature et dans lâart, tel est le plan que je mâĂ©tais tracĂ©. 11 mâa paru que, pour le remplir, il fallait rĂ©soudre toutes ces questions particuliĂšres iâ quâest-ce que le beau dans la rĂ©alitĂ©, câest-Ă - âą . Lâobjet de ce cours est de montrer que les deux grandes Ă©coles du dix-huitiĂšme siĂšcle ont Ă©tĂ© exclusives et incomplĂštes, en voulant renfermer toutes les connaissances humaines ? lâune dans les donnĂ©es delĂ sensation, lâautre dans les donnĂ©es de la rĂ©llexiou. iSous avons voulu montrer quâil y a une sphĂšre d idĂ©es supĂ©rieure Ă celle de la matiĂšre et Ă celle du moi lui-mĂȘme; quâau-dessus DD BIEN. 3o3 de la sensibilitĂ© et de la conscience il faut poser encore la raison. Pour arriver Ă ce but, nous avons entrepris lâanalyse des donnĂ©es de la raison, et nous avons vu que. ces donnĂ©es se rĂ©solvent en trois idĂ©es absolues celles du vrai, du beau et du bien. Le beau, avons-nous dit, est le vrai sous des formes visibles, le bien est le vrai manifestĂ© dans les actions humaines. Nous avons tentĂ© dâĂ©puiser la discussion sur les-rapports du vrai et du beau; nous arrivons aujourd'hui Ă la relation du vrai et du bien, h ce quâon appelle proprement la philosophie pratique,, qui est le "corollaire de la philosophie spĂ©culative. Nous pourrions traiter la question par la mĂ©thode synthĂ©tique prendre pour point de dĂ©part lâĂȘtre absolu lui -mĂȘme ; montrer comment il se manifeste sous la forme du vrai , du beau, du bien , et traiter ainsi la morale du haut de la mĂ©taphysique. Mais nous prĂ©fĂ©rons prendre la voie analytique , nous adresser directement Ă lâidĂ©e du bien et du mal, telle quâelle se trouve dans toutes les intelligences , en indiquer soigneusement le caractĂšre , nous rĂ©servant de la faire remonter ensuite dans la sphĂšre supĂ©rieure dâoĂč elle descend. Jâentre de suite en matiĂšre. Tout le monde comprend lâimportance dâune discussion sur lâidĂ©e du bien et du mal moral ; tout le monde sait que delĂ solution quâpu obtiendra il rĂ©sultera de graves consĂ©quences pour la pratique de la vie. Car la 3t>4 TRENTIĂME LEĂON, morale est une science dâapplication elle nâest pas condamnĂ©e Ă reposer dans les livres des philosophes , elle est destinĂ©e Ă prendre un corps pour ainsi dire, Ăš passer dans les lois, Ă rĂ©gner sur les actions des hommes. DâoĂč il suit que tel systĂšme de morale donne tel systĂšme de politique ; car le droit naturel est le fondement du droit social. Le droit naturel est cette partie de la morale qui traite des actions des hommes les uns Ă lâĂ©gard des autres la solution de la question morale se rĂ©flĂ©chit, dans le droit naturel, etpar-lii dans le droit politique. Si, dĂ©plus, le droit civil se rattache au droit politique, et si le droit criminel tient au droit politique et au droit, civil, toutes les questions de droit appliquĂ© se lient Ă ce' problĂšme fondamental quel est le principe du bien et du mal ? AprĂšs avoir reconnu lâimportance de cette question , essayons de la rĂ©soudre. Elle ne peut admettre que deux solutions, et par consĂ©quent il ne peut y avoir que deux thĂ©ories de droit naturel, de droit politique et civil, et de droit criminel. En dâautres ternies, il y a en morale deux principes contraires qui engendrent deux sĂ©ries parallĂšles de consĂ©quences opposĂ©es. Par les consĂ©quences on peut juger le principe. Quels sont aujourdâhui, par exemple, les rĂ©sultats politiques, auxquels nous avons besoin dâĂȘtre conduits par le principe moral ? Les idĂ©es politiques sont de nos jours fermes et arrĂȘtĂ©es. Tout principe moral qui ne conduirait DU BIEN. pas Ă la libertĂ© politique serait par cela mĂȘme rejetĂ©. Nous pouvons donc poser la question en ces termes quel est le principe moral qui dans ses consĂ©quences engendre la libertĂ©, ou une politique libĂ©rale ? Nous avons Ă signaler ici chez quelques philosophes une inconsĂ©quence singuliĂšre tout en acceptant les rĂ©sultats politiques dont je viens de parler, ils yrattachentunethĂ©orie morale qui en est essentiellĂ©ment diffĂ©rente. Il nây a quâune seule des deux solutions morales qui fonde la libertĂ© en politique, et câest justement cette solution quâils rĂ©prouvent. Que nous reste-t-il donc Ă faire? Toute notre tĂąche se rĂ©duit Ă une question de logique les consĂ©quences politiques Ă©tant admises par tout le monde de la mĂȘme maniĂšre , nous nâavons quâĂ examiner si ces consĂ©quences dĂ©rivent de tel ou de tel principe. Nous avons dit quâil y a deux solutions Ă cette question quâest-ce que le bien? quâest-ce que le mal? ou quel est le principe de la morale? Une de ces solutions est celle dâHelvĂ©tius, qui ramĂšne toute la morale Ă lâintĂ©rĂȘt privĂ©. Or je puis annoncer tout de suite que la thĂ©orie morale dâHelvĂ©tius ne produit dans ses consĂ©quences que la thĂ©orie politique de Hobbes, câest-Ă -dire le despotisme. Suivant le principe dâHelvĂ©tius, lâhomme est emportĂ© par une tendance naturelle vers son plus grand bien-etre possible, soit physique, soit intellectuel, soit moral; il ne doit donc reconnaĂźtre dâau- Ort 3o6 THKNTIĂME LEĂON. trĂšs lois que l'obligation de fuir la douleur et de rechercher le bien -ĂȘtre le bonheur individuel., telle est la fin unique de tout individu. Tonte fin suppose des moyens les moyens fournis Ă lâhomme pour parvenir au bonheur sont ses facultĂ©s; elles ne lui ont Ă©tĂ© donnĂ©es que pour Ă©carter ce qui nuit et atteindre ce qui plaĂźt. Voifii donc lâhomme au sein de Tunivers, etparmi ses semblables, occupĂ© uniquement de la recherchĂ© du plus grand bonheur possible, et dâun bonheur toujours relatif ĂŒ lâindividu qui le cherche. Le mal moral, suivant cette doctrine, est cequi Ă©loigne lâindividu de son bonheur ; ce qui au contraire lây conduit directement ou indirectement, câest le bien moral. Mettons maintenant les individus en rapport les uns a vec les autres. Comme la fin derniĂšre, le devoir unique de chacun est de se procurer son bien-ĂȘtre individuel, comme chacun sâoccupe de cette recherche , et quâils sont sans cesse en contact les uns avec les autres, il arrive nĂ©cessairement que leurs intĂ©rĂȘts se croisent, que leurs plaisirs se limitent et se dĂ©truisent rĂ©ciproquement ; il sâensuit que dans une telle sociĂ©tĂ© chaque homme doit etre ennemi riĂ© de tous les autres, et que le seul Ă©tat possible entre eux, câest lâĂ©tat de guerre. Quedeviendront dans ce cas les notions de droit et de devoir ? Si le but de lâindividu est d ĂȘtre heureux Ă quelque prix que ce soit, son droit sera dĂ©fini par sa force et son devoir par son dâantres termes, il aura droit DU BIEN. ĂO'j de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour parvenir Ă son bonheur, et son unique devoir sera dâuser de ce pouvoir le plus utilement quâil lui sera possible, et de ne sâarrĂȘter, dans la poursuite de tout ce qui lui est agrĂ©able , que lorsquâil ne pourra plus aller au delĂ . Danseette thĂ©orie, les mots droit, devoir et force sont exactement synonymes, tout se rĂ©sout dans la loi du plus fort. Toutes ces consĂ©quences sont avouĂ©es par les partisans de la doctrine; mais, poursuivent-ils , les hommes reconnaissent quecet Ă©tat de guerre, dâabord inĂ©vitable entre gens qui recherchent tous leur plus grand bonheur individuel, loin de les conduire Ă ce but, les en Ă©loigne sans cesse ; ils font donc une transaction chacun consent Ă faire quelque concession, dans lâintĂ©rĂȘt de sa propre tranquillitĂ©; il sâimpose alors des devoirs , et il icconnaĂźt des droits Ă tous les autres. AntĂ©rieurement Ă cette transaction, Hobbes reconnaĂźt quâil nâexistait ni droits ni devoirs rĂ©ciproques ; lâhomme nâĂ©tait limitĂ© dans son action que par les bornes de son pouvoir. Mais la transaction nâest intervenue que pour mieux assurer ce pouvoir câest dans votre intĂ©rĂȘt mĂȘme que vous en sacrifiez une partie. Si donc la transaction, fai tedâabord pour votreplusgrandbien-ĂȘtre,luideve- nait contraire, si votre pouvoir ne trouvai tpi us dâobstacle , qui vous empĂȘcherait de violer la transaction? Mais, dira-t-ou, vousavez donnĂ© votre parole, 1 honneur vous oblige Ă la tenir quâest-ce que la 30 . 3o8 TRENTIĂME LEĂON, parole et lâhonneur dans le systĂšme que nous combattons ? Lâhonneur, câest suivre mon intĂ©rĂȘt; la parole, câest stipuler pour moi, mais non contre moi; toute parole qui me nuit je la rĂ©voque, tout honneur qui mâenchaĂźne je lâabjure. Si vous voulez une parole qui oblige, un honneur qui fasse loi, il faut que vous transportiez la morale autre part que dans mon intĂ©rĂȘt, il faut que vous me parliez dâune loi de la raison, il faut que vous vous Ă©leviez jusquâĂ une idĂ©e absolue. Ainsi, dans la doctrine de llohbes, toutes les fois quemon intĂ©rĂȘt mây engage, je recommence le combat, et lâĂ©tat de guerre est cachĂ© sous la paix apparente et menteuse du systĂšme. Ou prĂ©voit facilement le droit politique qui va dĂ©couler dâune pareille morale tout sujet est ennemi nĂ© du gouvernement, tout gouvernement est ennemi nĂ© des sujets. Quelle est aussi la formule du droit civil ? La voici tous les particuliers sont ennemis les uns des autres. Enlin, que devient le droit criminel? Une vengeance plus ou moins atroce, dĂ©terminĂ©e par lâintĂ©rĂȘt de ceux qui Fexercent. Le souverain, soit un, soit multiple, agit dans son intĂ©rĂȘt individuel etpoursuit ceux qui lui nuisent. Sa force fait son droit, il nâa point de compte Ă rendre de son despotisme. Telles sont les consĂ©quences produites par la morale de lâintĂ©rĂȘt. Mais, comme nous lâavons dit, plusieurs des philosophes qui posent lâintĂ©rĂȘt en principe de morale, et Rousseau entre autres, sont fort Ă©loignĂ©s DU BIEN. 309 dâadopter le despotisme dans leur thĂ©orie politique. Ils nâont pas aperçu le li^n continu qui rattache la tyrannie Ă la morale intĂ©ressĂ©e. Hobbes et Spinoza sontles seuls qui aient aperçu les consĂ©quences du principe intĂ©ressĂ© quâils donnaient Ă la morale, et ils nâont pas reculĂ© devant les conclusions dâune logique sĂ©vĂšre r ils ont consacrĂ© le despotisme, soit dans les mains dâun seul, soit dans celles de la multitude. Telle est la premiĂšre solution delĂ question du bien et du mal, et tel est le droitpolitique, civil et criminel qui en dĂ©coule. Passons maintenant h la seconde thĂ©orie, et suivons-la dans ses consĂ©quences pratiques. Cette doctrine place la rĂšgle morale, non dans la sensibilitĂ©, mais dans la raison ; elle reconnaĂźt des vĂ©ritĂ©s universelles, indĂ©pendantes des temps et des lieux , et de lâintelligence qui les conçoit. ReconnaĂźtre ces vĂ©ritĂ©s, câest proclamer une loi qui nâest pas individuelle, mais absolue ; ces vĂ©ritĂ©s obligent la raison de chacun, et ne sont pas constituĂ©es par elle, ce sont donc de vĂ©ritables lois, ou, en dâautrĂšs termes, des vĂ©ritĂ©s nĂ©cessaires. NĂ©cessitĂ© et universalitĂ©, tels sont les deux caractĂšres de lâĂ©lĂ©ment absolu. La vĂ©ritĂ© absolue, considĂ©rĂ©e dans les actions humaines, engendre les idĂ©es spĂ©ciales de juste et dâinjuste ; elle commande Ă chaque individu l e sacrilice de son bien- ĂȘtre , sâil ne peut le conserver sans porter atteinte Ă la justice. Câest alors que les notions pures et sin- 3lO TRENTIĂME LEĂON, cĂšres de devoir et de droit prennent naissance. Ma raison mâimpose le devoir de reconnaĂźtre le vrai et de le reprĂ©senter par mes actions, et elle me donne le droit de rappeler les autres Ă ce vrai lorsquâils sâen Ă©cartent. Sans doute je ne fais jamais complĂštement abstraction de moi-mĂȘme , je tends Ă mon bonheur individuel ; mais aussi je mâĂ©lĂšve Ă la conception clâune idĂ©e pure et absolue, de lâidĂ©e de justice , devant laquelle ma raison me dit que tout intĂ©rĂȘt individuel doit se taire. AussitĂŽt que de lâidĂ©e morale absolue on a dĂ©duit le devoir et le droit, on peut descendre aux actions humaines et leur imposer cet idĂ©al,-de mĂȘme que dans les mathĂ©matiques on applique lâabstrait au concret. LâidĂ©e absolue de justice est la seule, souveraine lĂ©gitime de la sociĂ©tĂ© , e'. câest Ă tort que certains publicistes ont voulu placer la souverainetĂ©, les uns dans le monarque, les autres dans le peuple tout pouvoir humain 'expire devant la souverainetĂ© lĂ©gitime de la justice. Quel est le droit naturel qui dĂ©coule de lâidĂ©e absolue de justice? Câest un ensemble de droits et de devoirs, devant lesquels tout pouvoir humain est annulĂ©; ces devoirs et ces droits sont aperçus par la raison ; ils se rĂ©sument en un petit nombre de maximes universelles, devant lesquelles lâintĂ©rĂȘt particulier doit se taire. Le droit naturel est antĂ©rieur au droit _ " \ ! Ăź tout Ă©tablissement social doit obĂ©ira un principe supĂ©rieur et inviolable donnĂ© par la morale, prescrit par le DU BIEN. 3lI droit naturel. Toutes les sociĂ©tĂ©s se ressemblent en tant quâelles sont rĂ©gies par une rĂšgle quâelles nâont pas faite, mais Ă laquelle elles ne peuvent se soustraire sans cesser dâĂȘtre sociĂ©tĂ©s ; elles ne diffĂšrent que par des formes accidentelles, qui laissent briller plus ou moins l idĂ©e Ă©ternelle de justice leur type et leur modĂšle. Le droit civil, qui rĂšgle les rapports des particuliers enLre eux , contient aussi, sous des formes accidentelles, des principes invariables qui font sa lĂ©gitimitĂ©. Enfin , le droit criminel, consĂ©quence dâune thĂ©orie qui fait reposer la morale sur des idĂ©es rationnelles absolues , nâest plus une vengeance brutale, une simple reprĂ©saille de la force ; il se rattache au principe absolu du mĂ©rite et clu dĂ©mĂ©rite qui se formule en ces termes tout homme de bien mĂ©rite dâĂȘtre heureux ; tout mĂ© chant mĂ©rite le malheur. En Ă©tablissant le droit pĂ©nal sur cette base , vous lui donnez par cela mĂȘme des limites il ne peut dĂ©passer le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite, sans tomber dans lâimmoralitĂ© , et alors il nâest plus un droit, il devient un brigandage fondĂ© sur la force , et que la force elle- mĂȘme dĂ©truira bientĂŽt ; ainsi, dans cette thĂ©orie, tout se lie et sâenchaĂźne lâidĂ©e de moralitĂ© ou de bien moral est absolue ou nĂ©cessaire ; elle engendre le droit naturel ou lâensemble des devoirs et des droits des hommes les uns Ă lâĂ©gard des autres ; le droit naturel, Ă son tour, engendre le droit Ă©crit, qui se divise en droit politique , droit civil et droit 3l 2 TRENTIĂME EEĂON. criminel. Ce systĂšme nous offre donc deux intĂ©rĂȘts un intĂ©rĂȘt scientifique par la suite rigoureuse et facile des consĂ©quences, un intĂ©rĂȘt patriotique, parce quâil enchaĂźne la force dans quelque main quelle rĂ©side, parce quâil met au-dessus de tout pouvoir humain la souverainetĂ© pure et dĂ©sintĂ©ressĂ©e de lâĂ©ternelle justice. HU BIEN. 313 i^u^vwinuuwuvvwwxwvvwivwwwxiwv'UiwVivvMvwvvUUtwivuwvvM TRENTE-ET-UNIĂME LEĂON. LâidĂ©e absolue du bien est le seul contre-poids de lâarbitraire.âCaractĂšre obligatoire de l'idĂ©e absolue du bien. â Deux motifs dâaction lâintĂ©rĂȘt et le .devoir. âLa sociĂ©tĂ© nâest pas rĂ©gie par lâidĂ©e de lâintĂ©rĂȘt individuel, mais par celle de la justice absolue. â CorrĂ©lation du devoir et du droit. Nous sommes arrivĂ©s Ă la philosophie pratique, câest-Ă -dire, Ă la philosophie appliquĂ©e Ă la vie humaine. De combien de parties se compose cette philosophie? Elle contient i° la mĂ©taphysique de la morale, dans laquelle il sâagit de dĂ©terminer scientifiquement sâil y a ou sâil nây a pas une idĂ©e spĂ©ciale de moralitĂ©, produisant lâidĂ©e du devoir 3 l 4 TRENTE-ET-UNIĂME eeçox. et lâidĂ©e du droit ; 2 0 elle renferme la morale appliquĂ©e ou la morale spĂ©ciale , en dâautres termes, la division de nos devoirs et de nos droits. Devoirs de lâhomme envers Dieu, devoirs de lâhomme envers lui-mĂȘme, devoirs de lâhoinme envers ses semblables, telle est la division ordinaire de la morale spĂ©ciale. Les devoirs de l'homme envers Dieu sont le principe de toute religion. Les devoirs de lâhomme envers lui- mĂȘme composent la morale individuelle, et consistent dans les rapports du moi avec la raison. Les devoirs de l'homme envers ses semblables constituent le droit naturel. Lorsque ce droit est Ă©crit dans les codes, il donne naissance i°au droit civil, qui rĂšgle les rapports des particuliers entre eux ; 2 ° au droit politique, qui Ă©tablit les rapports des citoyens et du pouvoir public ; 3 â au droit criminel , qui se charge dâappliquer le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite. Tonte la philosophie pratique repose donc sur lâidĂ©e de moralitĂ©. Si lâon admet cette idĂ©e comme pure et absolue, 011 obtiendra un droit Ă©crit tout diliĂšrent de celui qui sâappu^ erait sur la base de lâintĂ©rĂȘt individuel. La question est de savoir si lâarbitraire doit ĂȘtre chassĂ© du droit civil, du droit politique et du droit criminel. Or, sur quoi repose lâarbitraire ? Sur le- droit du plus fort. Bannissons donc le droit du plus fort du sein de la philosophie pratique. Pour dĂ©truire lâarbitraire, DL BIEN 315 il nây a quâun moyen, câest de lui opposer quelque cliose de lixc et dâimmuable ; pour ellaeer le droit du plu» fort, il faut lui substituer le droit de la justice. Si nous reconnaissons quelque chose dâabsolu en morale, nous aurons le point dâappui quâil nous faut pour dĂ©truire lâarbitraire et le prĂ©tendu droit de la force. De cet absolu dĂ©couleront des devoirs et des droits ; deux choses qui ne peuvent se sĂ©parer, car vos droits sont les devoirs des autres , et les droits des autres sont vos devoirs. Lâarbitraire repose sur la thĂ©orie qui ne reconnaĂźt en morale que lâintĂ©rĂȘt individuel; nous devons dope dĂ©montrer que lâintĂ©rĂȘt individuel nâest pas le fondement de la morale. Sans doute il faut faire une large part Ă lâĂ©goĂŻsme dans la conduite des hommes; mais lâĂ©goĂŻsme ne peut pas suilire Ă tout expliquer. Les partisans de la doctrine tle lâintĂ©rĂȘt nous disent Le besoin du bonheur nâabandonne jamais lâhumapitĂ© ; quâon jette les yeux sur lâenfant au berceau ses gestes , son regard, ses pleurs, ses cris, tout annonce quâil, rĂ©clame le bien-ĂȘtre ; interrogez le jeune homme et le vieillard sâils sont de bonne loi, ils vous rĂ©pondront que leur bonheur est lâunique soin qui les occupe, » Admettons ce principe, et marchons dun pas ferme dans la route de la dialectique ; sHe bonheur est la lin de lâhomme, les actions de la. vie nâemprunteront leur qualitĂ© que de leur rapport miOTHEK 3 I 6 TREiVTE-ET-tINIĂME LEĂON, avec cette fin ; si elles conduisent au bonheur, elles seront bonnes ; si elles nous en Ă©loignent, elles seront mauvaises. Quâon me propose une action faire tout ce que je dois examiner , câest uniquement si elle conduit au bonheur. Ayant Ă©tĂ© placĂ© sur la terre pour ĂȘtre heureux, je serais bien insensĂ© de nĂ©gliger quelque moyen de le devenir. Ainsi, que lâon me conseille dâabandonner mon ami malheureux si je cours quelque risque Ă lui rester fidĂšle, ou si je trouve quelque avantage Ă me sĂ©parer de lui, je dois lâabandonner sur-le-champ. Nous accordons que ces conseils de lâintĂ©rĂȘt sont trop souvent suivis ; mais est-il sans exemple quâun ami soit restĂ© fidĂšle Ă son ami dans le malheur ; si lâon peut citer un seul fait de ce genre, il faudra donc reconnaĂźtre que lâhomme obĂ©it il un autre principe que son intĂ©rĂȘt individuel. Mais ici nos adversaires nous attendent, et ils nous disent si vous songez Ă lâincertitude des choses humaines, si vous pensez que le poids du malheur peut vous accabler un jour comme il accable aujourdâhui votre ami, vous ne lâabandonnerez pas, dans la crainte quâil ne vous abandonne un jour. Cest ainsi que lâĂ©goĂŻsme ne se manque jamais il lui-mĂȘme ; exilĂ© du prĂ©sent, il se rĂ©fugie dans lâavenir ; ce qui paraĂźt un sacrifice n est quâun heureux calcul; mais ne peut-il passe rencontrer des occasions oĂč lâĂ©goĂŻsme nâait dâasile ni dans le prĂ©sent ni dans lâavenir? Quâon mâimpose lâalternative de trahir mes sermens Dl B1E .\ . 31 â J J ou de mourir pour ma patrie, et que jâaccepte la mort, il nây a plus lĂ de calcul les calculs ne sont que pour la vie. Lâhomme ne sacrifie-t-il pas ici son intĂ©rĂȘt individuel Ă quelque autre chose que je 11e veux pas dĂ©terminer maintenant. On va rĂ©pondre encore que le chrĂ©tien fait dans ce cas le sacrifice dâune vie passagĂšre et mĂȘlĂ©e de peine, pour gagner dans une autre vie un Ă©ternel bonheur. Mais nây a-t-il pas eu des hommes qui, sans croire Ă une vie future , sont morts pour leur pays ? Sans nier les rĂ©compenses Ă venir, il suffit de les mettre en oubli un seul moment, pour- que le sa- crilice de notre vie soit fait Ă un autre principe que celui de lâintĂ©rĂȘt. Or, nous disons que cet autre principe, câest lâidĂ©e absolue du bien moral, dâoĂč dĂ©rivent Je devoir et le droit. Je soutiens quâune observation attentive ne pourra manquer de reconnaĂźtre cet Ă©lĂ©ment moral absolu qui prĂ©side Ă la conduite humaine, au moins aussi souvent que lâintĂ©rĂȘt individuel. MalgrĂ© les prĂ©tentions et les prĂ©jugĂ©s de la doctrine de lâintĂ©rĂȘt, la vĂ©ritĂ© morale 11e diffĂšre en rien de la vĂ©ritĂ© mathĂ©matique. Nous 11e sommes pas libres dâadmettre ou de ne pas admettre une proposition arithmĂ©tique ou gĂ©omĂ©trique; nous ne pouvons pas davantage adopter ou rejeter Ă notre grĂ© une proposition morale, celle- ci, par exemple il 11e faut pas trahir ses sermens. Mais la vĂ©ritĂ© morale a plus de pouvoir sur lâhomme que la vĂ©ri tĂ© mathĂ©matique ; la premiĂšre lui im- 3l8 T R E S T K - E T - C NI Ă M E LEĂON. jOse lâobligation, non-seulement de la reconnaĂźtre, mais encore de la mettre en action ; de mĂȘme que nous ne pouvons pas ne pas reconnaĂźtre qne deux et deux font quatre , bien que notre intĂ©rĂȘt puisse sây opposer, ainsi, nous ne pouvons pas rejeter cette vĂ©ritĂ© morale il ne faut pas trahir ses sermens; des deux parts il y a un jugement de la raison. Si au jugement moral se joignent des sentimens, des Ă©motions plus ou moins dĂ©licates, il ne sâensuit pas pour cela que la morale repose sur ces sentimens, sur ces Ă©motions. La vĂ©ritĂ© se lĂ©gitime toute seule, elle est sa base Ă elle-mĂȘme; en un mot, elle est absolue. 11 fuit donc reconnaĂźtre deux motifs des actions humaines le bonheur individuel et le devoir, principes qui sont presque toujours dâaccord , mais qui se contrarient quelquefois. Si vous nâadmettez pour mobile* que le bonheur individuel, tous les actes, quels quâils soient, sont lĂ©gitimes , pourvu quâils servent lâintĂ©rĂȘt privĂ©. Lâhomme qui a rĂ©pandu le sang de son semblable , parce que celui-ci sâopposait Ă son bonheur, nâest pas coupable; le mal que vous lui inf ligez nâest pas une peine, câest une cruautĂ©. Bien , mal, vertu, vice, crime , sont des expressions vides de sens ; touLes nos institutions sont hypocrites, toutes nos lois sont absurdes ; le Code pĂ©nal nâest quâun tissu dâiniquitĂ©s , puisquâil ordonne de sacrifier lâintĂ©rĂȘt individuel Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Le pouvoir public ne doit frapper que dans soh propre intĂ©rĂȘt, et ne pas sâoccuper de DU BIEN. 3*9 punir des actes qui ne portent pas contre lui. On ne comprend plus rien Ă la justice distributive ; les peines quelle dĂ©cerne sont comme des orages dont il faut savoir se garder; et Fontenelle, en voyant conduire un homme au supplice , peut dire froidement, et sans aucune indignation morale voilĂ un homme qui a mal calculĂ©. Si Un logicien rigoureux faisait sortir toutes les consĂ©quences du principe de lâintĂ©rĂȘt, on en serait effrayĂ© ; vous ne verriez dans la sociĂ©tĂ© quâune troupe dâindividus qui, dĂ©vouĂ©s uniquement Ă la satisfaction de leur Ă©goĂŻsme, devraient se dĂ©tester et se dĂ©chirer lâĂ©tat de nature serait lâĂ©tat de guerre. De ce droit naturel passez au droit civil, au droit politique et au droit pĂ©nal, vous les trouverez en proie Ă lâarbitraire , vous nây verrez de rĂšgle que la force. Il serait curieux de mettre , d aprĂšs ce systĂšme , un citoyen devant un lĂ©gislateur, un accusĂ© devant un juge, et dâentendre lesdiscours quâils sâadresseraient on invoquerait de part et dâautre lâintĂ©rĂȘt individuel ; mais le lĂ©gislateur et le juge ne pourraient parler que de leur force , et ne reprocher au sujet et Ă lâaccusĂ©que de la faiblesse. 11 nây aurai tpas lĂ dâautre rapport que celui qui existe entre des vainqueurs et des vaincus. Or nous en appelons Ă la conscience de tout homme est-ce ainsi que 1 on comprend un tribunal et une assemblĂ©e de lĂ©gislateurs? nâexiste-t-il pas des principes de moralitĂ© qui dominent les lois Ă©crites et les arrĂȘts? les lois 320 TRENTE-ET-t NIĂM E LEĂON, et les arrĂȘts i»e sont-ils que des blessures faites Ă un trop faible combattant ? Sans doute il y a. de lâĂ©goĂŻsme dans la vie; mais nây a-t-il que de lâĂ©goĂŻsme? ne peut-on pas citer des exemples de dĂ©sintĂ©ressement? Si lâon en trouve un seul, notre cause est gagnĂ©e ; car je ne prĂ©tends pas prouver quâil y ait plus de bons que de mĂ©chans, plus de dĂ©sintĂ©ressement que dâintĂ©rĂȘt ; il me suffit de poser scientifiquement un motif rationnel diffĂ©rent de lâintĂ©rĂȘt privĂ©. Je reconnais deux buts dans la vie lâintĂ©rĂȘt et le devoir ; deux tendances de l'humanitĂ© , lâune au bonheur, lâautre Ă lâaccomplissement des prĂ©ceptes de la raison. DĂšs que nous reconnaissons un Ă©lĂ©ment absolu , une vĂ©ritĂ© Ă©ternelle qui nâest pas constituĂ©e par la raison , mais qui sâimpose Ă la raison , nous avons trouvĂ© cette rĂšgle fixe qui peut sâopposer Ă lâarbitraire. Lâabsolu se lĂ©gitime par lui-mĂȘme si lâon me demande pourquoi il y a des devoirs, je rĂ©pondrai parce quâil y a des devoirs. H nây a point de raison Ă donner de la raison. Il est vrai en soi quâil ne faut pas trahir ses sermens, quelque soit le rĂ©sultat de cette fidĂ©litĂ©. Notre morale est donc une morale absolue qui n est soumise Ă aucune variation, qui ne dĂ©pend ni des lieux, ni des temps, ni des circonstances. Chose remarquable, moi qui ne suis quâun individu, quâun phĂ©nomĂšne passager , je conçois quelque chose dâuniversel et dâĂ©ternel ; mais ce nâest pas assez dâavoir reconnu la vĂ©ritĂ©, il faut la mettre en pratique. DU BIEN. Ainsi, par exemple, jâai le devoir de dire la .vĂ©ritĂ©, et vous avez le. droit dâexiger que je la dise, de mĂȘme que vos devoirs fondent mes droits. Nous nâavons de droits les uns sur les autres que parce que nous avons des devoirs câest dans cette corrĂ©lation que rĂ©side la paix de la sociĂ©tĂ©. philosophie. 21 trente-deuxiĂšme leçon. \xx vv>a>vyx TH E NTE DEUX ! ĂME LEĂON. Sâil y a de la vĂ©ritĂ© absolue en gĂ©nĂ©ral, il peut y avoir, de la vĂ©ritĂ© absolue en morale. â Position des questions relatives Ă lâidĂ©e du bien. â De la vĂ©ritĂ© spĂ©culative et de la [vĂ©ritĂ© pratique. â De lâobligatioi^ morale, â DĂ©finition de lâacte moral et de lâacte immoral. â Le devoir suppose la libertĂ© r. Nous avons dit que la thĂ©orie de lâidĂ©e du bien compose la philosophie pratique , nous avons l'ait voir lâer^haĂźnement de tous les principes que comprend la morale gĂ©nĂ©rale, nous nous sommes ellorcĂ©s de dĂ©montrer que les consĂ©quences politiques , admises aujourdâhui par tout le monde , appartiennent Ă un autre principe que la doctrine de lâintĂ©rĂȘt. Je sais que .cette i Voyez, Fregmens philosophiques, programme de 1817, page J 45 et suiv. premiĂšre Ă©dition. 1U BIEN. doctrine est lu plus rĂ©pandue, et je me mets en opposition avec la plupart des philosophes de nos jours ; mais jâai la ferme conviction que lâhomme n est-pas renfermĂ© tout entier dans ses appĂ©tits, que sa destination nâest pas remplie quand il a poursuivi son bien-ĂȘtre. Si je descends dans ma conscience, je trouve, au milieu des changemens et des vicissitudes auxquelles je suis sujet, un point fixe et ' immobile,. des vĂ©ritĂ©s immuables, en un mot, de lâabsolu. La morale ne me stĂźmble pas lâouvrage de mon caprice, un produit de mon imagination , elle a des bases que je ne puis Ă©branler. De lĂ lâuniversalitĂ© du droit naturel, du droit civil, du droit politique et criminel, qui sont comme les rameaux de cette tige unique que jâappelle lâidĂ©e du bien et du mal moral. Pour vĂ©rifier ces principes avec impartialitĂ© , âą Ă©cartons' un instant lâintĂ©rĂȘt patriotique qui sây attache., oublions notre qualitĂ© de citoyens, tenons-nous en Ă notre rĂŽle de philosophes. Afin de ne tourner aucune dillicultĂ©, signalons toutes les objections quâil est possible dâĂ©lever contre cette thĂ©orie , et passons eu revue tous les systĂšmes de morale qui lui ont Ă©tĂ© contraires- Mais, avant de nous livrer Ă cet examen, il nous importe dâinsister sur les principes avons posĂ©s; Existe-t-il ou nâexiste-t-il pas de vĂ©ritĂ© ? Telle Ă©tait la premiĂšre de toutes les questions Ă rĂ©soudre , et 21. 324 trente-deuxiĂšme leçon, dont nous avons prĂ©sentĂ© la solution. Etablir que tout nâest pas apparence ou phĂ©nomĂšne, que lĂ© philosophe nâa rempli que la moindre partie de sa tĂąche quand il a enregistrĂ© les faits qui lui apparaissent dans le monde intĂ©rieur et dans le monde physique, quâil existe un autre monde au sein duquel rĂ©side lâimmuable et lâĂ©temel, telle est la tĂąche que nous avons entreprise , et peut-ĂȘtre accomplie. Nous avons recherchĂ© ce quâest la vĂ©ritĂ© absolue, non plus dans lâintelligence dĂ©wjoppĂ©e , mais dans lâintelligence Ă ses premiers dĂ©buts ; comment, et sous quelles formes apparaĂźt pour la premiĂšre fois h notre esprit cette vĂ©ritĂ© , qui est aujourdâhui pour nous universelle et absolue ? quel est dâabord son caractĂšre? AprĂšs avoir indiquĂ© lâĂ©tat actuel de lâidĂ©e ab- solue et son Ă©tat primitif, nous avons montrĂ© comment elle a fait route de lâun Ă lâautre. Nous appliquerons la thĂ©orie du vrai Ă la morale, comme nous lâavons appliquĂ©e Ă la thĂ©orie des beaux-arts. La vĂ©ritĂ© est une, et si elle prend le - nom de vĂ©ritĂ© mathĂ©matique quand elle sâapplique au nombre et Ă la grandeur, elle prend celui de vĂ©ritĂ© morale quand elle sâapplique aux actions de lâhumanitĂ©. Je dĂ©montrerai quâen morale comme en inathĂ©mati-â ques il y a des vĂ©ritĂ©s qui sont Ă©videntes dâelles- mĂȘmes, universelles et absolues ; je chercherai DU BIEN. 325 ce que la vĂ©ritĂ© morale, a dâabord Ă©tĂ© pour lâintelligence, et comment elle a passĂ© de l'Ă©tat primitif Ă lâĂ©tat actuel. Jâappliquerai donc Ă la vĂ©ritĂ© morale les mĂȘmes Ă©preuves quâĂ la vĂ©ritĂ© absolue, câest-Ă -dire que jâexaminerai aussi la nature , lâorigine et la gĂ©nĂ©rationi de la vĂ©ritĂ© morale. La vĂ©ritĂ© morale nâest autre que la vĂ©ritĂ© absolue engagĂ©e dans les actions humaines ; cette vĂ©ritĂ©, comme nous lâavons dit mille fois, apparaĂźt Ă la raison humaine, mais elle nâest pas constituĂ©e parla raison; cette simple remarque suffit pour faire Ă©crouler l'Ă©difice bĂąti par les philosophes Ă©cossais et par les philosophes allemands. LâĂ©cole Ă©cossaise pose des principes constitutifs de lâesprit humain, et lâĂ©cole allemande pose des formes subjectives de lâentendement de ces deux systĂšmes il est difficile de faire ressortir une vĂ©ritĂ© extĂ©rieure çt objective. Au dessus de la nature physique , comme au-dessus de la nature humaine, planent des vĂ©ritĂ©s absolues qui se reflĂštent dans lâun ÂŁt lâautre monde, mais qui existent par elles-mĂȘmes. Lâintelligence conçoit lâunitĂ© , lâespace , le temps, le vrai, le faux, le bien et le mal; mais ce ne sont pas lĂ de pures fonctions de lâesprit ou des lois constitutives de l'intelligence, ou enfin des formes de lâentendement ; sâil en Ă©tait ainsi, ces vĂ©ritĂ©s n existeraient pas en dehors del esprit humain ; et cependant, que lâon suppose toutes les intelligences anĂ©anties, la vĂ©ritĂ© subsistera 3a6 tkente-decxiĂšme leçon. encore. La connaissance est uir rapport dont lâun des. termes est lâintelligence et lâautre la vĂ©ritĂ©; ainsi, la vĂ©ritĂ© est indĂ©pendante rie lâhomme dâune pari, et de lâautre lâhomme ne peut pas Ă©viter de l'apercevoir. Ce nâest pas moi qui Tais la vĂ©ritĂ©, dĂšs que je lâaperçois je ne puis pas nây pas croire. Si câest ce dernier fait quâon veut dĂ©signer par loi constitutive de lâesprit, je ue mây oppose pas, pourvu quâil soit bien entendu que câest lâacte de connaĂźtre qui fait partie de notre constitution., et non pas la vĂ©ritĂ©. Si lâhomme nâĂ©tait quâune intelligence, il nây aurait-pour lui que des. vĂ©ritĂ©s-spĂ©culatives ; mais il est aussi un ĂȘtre actif et volontaire; les vĂ©ritĂ©s deviennent donc morales et pratiques le vrai devient le Lien. Ainsi, par exemple. il ne faut pas trahir ses sermetis, voilĂ une vĂ©ritĂ© spĂ©culative en tant quâelle apparaĂźt Ă la raison, et une vĂ©ritĂ© morale en tantqiiâellese rapporte;'» lâ trahir vps sermons, mais vous nâen ĂȘtes pas moins obligĂ© de croire ;'» cette maxime, et vous conrprene/. quâon pourrait en exiger de vçus l'accomplissement, quâon pourrait vous contraindre Ă taire sortir cette vĂ©ritĂ© du monde idĂ©al, pour la aire passer dans le pionde rĂ©el. Tels sont les .rĂ©sultats de la vĂ©ritĂ© morale i° nĂ©cessitĂ© dây croire ; a° nĂ©cessitĂ© de la pratiquer. Cette derniĂšre nĂ©cessitĂ© est ce quâon appelle lâobligation morale. Lâobligation morale possĂšde tous les caractĂšres de la vĂ©ritĂ© , dont elle est un rĂ©sultat ; elle est universelle et absolue, elle pĂšse sur DU BIEN. 327 tons les hommes, aucun ne peut sây soustraire ; de lâobligation ainsi imposĂ©e Ă tous naissentlesdroits et les devoirs sociaux. La vĂ©ritĂ© morale est obligatoire ce nâest pas moi qui lâai faite ; ce nâest pas moi non plus qui pose lâobligation , je la dĂ©couvre ; mais, puisquâelle pĂšse sur tous , je ne suis pas seul obligĂ© vous lâĂȘtes tous autant que moi. Si je suis obligĂ© Ă respecter mes 1 sermens, si vous avez le droit de me contraindre Ă les accomplir, vous ĂȘtes obligĂ©s au mĂȘme devoir, et jâai le mĂȘme droit sur vous. Droit et devoir sont deux termes corrĂ©latifs, dont lâun ne peut exister sans lâautre. Etant constatĂ©e non-seulement la nĂ©cessitĂ© de croire aux vĂ©ritĂ©s morales, mais encore lâobligation de les rĂ©aliser par des actes , nous devons nous demander ce que câest quâun acte en gĂ©nĂ©ral. Câest un moyen bon ou mauvais, selon quâil se rapporte Ă la fin quâon se propose. Tout acte qui a pour but de rĂ©aliser la vĂ©ritĂ© morale-, est un acte bon ; tout acte fait sans aucun dessein de cette nature , qui nâest quâun produit de notre sympathie , ou une consĂ©quence de notre organisation physique, est un acte indiffĂšrent dont la morale 11e sâoccupe pas. Tout acte qui a pour but dâenfreindre la vĂ©ritĂ© morale, est au ii tte mauvais, quand bien mĂȘme cet acte eĂ»t couvert son auteur de. gloire, quand bien mĂȘme il eĂ»t sauvĂ© lâunivers. Ainsi, de meme que les actes rapportĂ©s Ă la sensibilitĂ© sont utiles ,. nuisibles ou seulement mutiles, de mĂȘme , rap- 328 TRENTE-DEUXIĂME LEĂON. portĂ©s Ă la lin obligatoire de lâhomme, ils sont moraux, immoraux ou indiffĂ©rons. Sâil y a des vĂ©ritĂ©s morales obligatoires j il faut quâil y ait dans lâhomme une facultĂ© dâexĂ©cution , une libertĂ© dâagir comme il lui plaĂźt. Lo devoir suppose le pouvoir ; lâhomme serait un monstre sâil nâĂ©tait pas libre car. il serait obligĂ© dâune part Ă lâaccomplissement dâune loi , et de lâautre il nâaurait pas le pouvoir de lâaccomplir librement. On peut donc, suivant les rĂšgles de la plus sĂ©vĂšre logique, raisonner de cette maniĂšre lâhomme a des obligations dont il est libre. La raison nâest jamais contraire aux faits si nous observons ce qui se passe en nous, il nous sera impossible de ne pas reconnaĂźtrela libertĂ© la libertĂ© câest le moi lui-mĂȘme. La sensibilitĂ© et la raison se dĂ©veloppent en moi sans mon concours; par elles je ne vis que dâune vie commune; par la libertĂ© je me pose comme indi'vidu. La libertĂ© est donc la personnalitĂ© humaine. Câest au dĂ©veloppement de cette vĂ©ritĂ© que nous consacrerons la derniĂšre partie de la morale. En rĂ©sumĂ©, voici les points sur lesquels nous nous proposons dâinsister puisquâil existe une vĂ©ritĂ© absolue, indĂ©pendante de la nature physique et de la nature humaine, et que je ne puis,ni la dĂ©truire, ni la modifier, ni me soustraire Ă son aperception., le bien moral peut aussi ĂȘtre absolu, et en effet le bien moral nâest autre chose que la vĂ©ritĂ© absolue, qui de notre intelligence passe dans nos actions, qui DU BIEN. 32 9 sâimpose Ă lâagent aprĂšs sâĂȘtre imposĂ© au penseur, cpii est Ă la fois nĂ©cessaire et obligatoire. Lâobligation est absolue comme la vĂ©ritĂ© dâoĂč elle dĂ©rive. De lâobligation imposĂ©e Ă tous les hommes naissent les devoirs et les droits rĂ©ciproques. Lâacte est un moyen il est moral quand il a pour but de rĂ©aliser la vĂ©ritĂ©, immoral quand il Ăą pour but de la violer, indillĂ«rent lorsquâil est accompli saiis aucune pensĂ©e relative Ă la vĂ©ritĂ© morale. Lâobligation suppose la libertĂ©. La libertĂ© est donc une vĂ©ritĂ© de raison comme une rĂ©alitĂ© dâobservation. 33o TRENTE-TROISIĂME LEĂON. mixnv^^vxi^iWivvwnvuwvuiWAWwuvHu vwvvvvw w» vv'vvww'v wvvw trente-troisiĂšme leçon. La vĂ©ritĂ© absolue , eu passant dans les actions humaines, constitue la vĂ©ritĂ© morale absolue. â Sans lâabsolu point de science. â La vĂ©ritĂ© morale absolue nous est manifestĂ©e par la raison , et elle sâadresse Ă la libertĂ©. â' Double devoir-de la libertĂ©. âDistinction entre la souverainetĂ© et le pouvoir. â Le pouvoir ne peut ĂȘtre sa rĂšgle Ă lui-mĂȘme. â SouverainetĂ© de la raison. â Devoirs envers Dieu ; devoirs envers nous-mĂȘmes; devoirs envers autrui. â Droit civil ; droit politique.â â La sociĂ©tĂ© est la rĂ©alisation de la vĂ©ritĂ© morale, elle existe donc Ă priori. â LâidĂ©e de sociĂ©tĂ© est antĂ©rieure Ă celle de gouvernement. â RĂ©futation de la doctrine du despotisme et de celle de lâanarchie. âLa mission du gouvernement est de aire respecter la doctrinĂš sociale et dâappliquer le principe de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite. Lâoaiuine, la gĂ©nĂ©ration et la nature des idĂ©es absolues ont Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©es. Les vĂ©ritĂ©s absolues, en passant dans les actions humaines, donnent DU BIEN. 331 naissance aux vĂ©ritĂ©s morales absolues, sur lesquelles repose la science moralĂ©. Rechercher un principe au-dessus duquel il nây ait pas de principe possible , et arriver Ă des consĂ©quences qui soient les dĂ©rnjĂšres applications du principe , tel est le rĂŽle de la science. Les sciences ne doivent pas ĂȘtre une combinaison arbitraire et factice dâidĂ©es obtenues par lâexpĂ©rience externe ouinterne, et par consĂ©quent aussi variables que les phĂ©nomĂšnes de la nature ou que les volitions humaines. Ily a'un certain nombre de vĂ©ritĂ©s non relatives ,* qui subsisteraient quand mĂȘme il ne resterait plus une seule intelligence pour les comprendre, quand mĂȘme lâhumanitĂ© et la nature seraient anĂ©anties. Ce sont elles qui nous prĂ©sentent un point lixe et inĂ©branlable , une base vraiment scientilique sans lâabsolu point de science , dus quâil y a vĂ©ritĂ© absolue il y a science possible. Un traitĂ© sur lâabsolu est la science des sciences, la science premiĂšre, la philosophie fondamentale, le point central duquel partent tons les rayons qui forment la diversitĂ© des sciences. . Parmi les vĂ©ritĂ©s absolues , il en est qui sâadressent Ă la libertĂ© ce sont les vĂ©ritĂ©s morales. La vĂ©ritĂ© morale, comme toutes les vĂ©ritĂ©s absolues, nous est manifestĂ©e par la raison si nous ne voulons pas sortir des limites du monde intĂ©rieur, nous dirons que la raison est le fondement de la morale. Câest Ă la raison quâil appartient Ăźle dĂ©ter- 33 ?. T RENTE-TROISIĂME LEĂON, miner le caractĂšre de lâaction ; mais lâaction suppose nĂ©cessairement quelque clioso qui agit, ce qui agit câest lâactivitĂ©. Or, pour rĂ©aliser les conseils de la raison, lâactivitĂ© doit ĂȘtre libre. La libertĂ© suppose le choix le choix sâĂ©tablit entre les vĂ©ritĂ©s de la raison dâune part, et les passions de lâautre. Lorsque la libertĂ© se dĂ©cide pour les passions et non pour les vĂ©ritĂ©s absolues , elle est en dehors de la morale. Dans le sein de la morale j le rĂŽle de la libertĂ© est donc de se mettre au service de la raisoi'i. Ce rĂŽle se divise en deux parties i° nâobĂ©ir Ă aucun autre motif quâĂ la raison; ?° lui obĂ©ir toujours, quelles que puissent ĂȘtre les consĂ©quences de lâobĂ©issance. Ces deux parties ont Ă©tĂ© quelquefois confondues nous montrerons quâelles sont distinctes ; câest lâaccomplissement de cette double loi qui constitue la dignitĂ© de la libertĂ©. Vous ĂȘtes un agent moral toutes les lois cpie la libertĂ© et la raison concourent ensemble Ă votre acte; câest-Ă -dire toutes les fois que la libertĂ©, par un dĂ©sintĂ©ressement gĂ©nĂ©reux et par une abdication entiĂšre de la passion, accomplit le devoir, o l cĂšde au motif dâagir posĂ© par la raison. Vous ĂȘtes un agent immoral toutes les fois que la raison çt la libertĂ© ne sont pas dâaccord ; en dâautres termes, toutes les fois que la- libertĂ©, dominĂ©e par la passion, mĂ©connaĂźt les ordres de la raison. Enfin, votre action nâa aucun caractĂšre de moralitĂ© ni dâimmoralitĂ©, si la libertĂ© obĂ©it Ă un autre motif que DU BIEN. 333 la vĂ©ritĂ© absolue, mais sans se mettre en contradiction avec elle. Tel est donc Ă priori le devoir ou lâabsolu moral ; devoir qui nâest point une sorte dâidĂ©e collective rĂ©sultant de nos devoirs particuliers envers Dieu, envers autrui et envers nous- mĂȘmes; mais devoir Ă©minent , supĂ©rieur et antĂ©rieur Ă tous les autres, dĂ©rivant du rapport essentiel de la libertĂ© et de la raison ; Etant posĂ© le double devoir, dâune part,- de nâobĂ©ir quâĂ la raison , et de lâautre, de lui obĂ©ir, quoi quâil arrive; lâordre scientilique assigne la prioritĂ© Ă celui de nâobĂ©ir quâĂ la raison; devoir immĂ©diat qui impose Ă lâindividu lâobligation de respecter sa propre libertĂ©, et aussi lâobligation de respecter la libertĂ© des autres. Quiconque sait que lâhomme est libre, sait que^bt libertĂ© est sainte, et nâest quâau service de la raison, et quâil ne doit afĂŻĂ iblir ni en lĂŒi- mĂȘme, ni en autrui, lâalliance de la libertĂ© et de la raison ; de lĂ le devoir de nâexercer aucun prĂšs-â tige, aucune influence sur lâintelligence dâautrui, pour dĂ©tourner sa libertĂ© du seul but auquel elle doit tendre. La libertĂ©, ou lâhomme moral, est inviolable de sa nature, antĂ©rieurement Ă tout contrat c est donc Ă priori que la libertĂ© est sainte- Cette premiĂšre partie du devoir peut se formuler ainsi respect de la libertĂ©. La seconde partie du devoir, celle qui consiste Ă suivre la raison quoi quâil arrive, nâest postĂ©rieure que dans lâordre scientilique, oĂč. il faut des divisions et des classili- 334 LEĂON. cations; en rĂ©alitĂ©, elle est. contemporaine de la premiĂšre. Quand la raison conçoit la vĂ©ritĂ©, elle ordonne Ă . la libertĂ© dâaccomplir cette vĂ©ritĂ© qui nâest encore quâidĂ©ale. En mĂŽme temps que mâest imposĂ© le devoir de repousser tout ce qui nâest pas marquĂ© au coin de lâalliance entre la raison et la libertĂ©, en mĂȘme temps mâapparaĂźt le devoir dâexĂ©cuter tout ce qui porto le caractĂšre de cet accord; ce double devoir mâest, rĂ©vĂ©lĂ© parla raison, loi suprĂȘme, souveraine. Ici se .trouve Ă©tablie dâelle-rnĂȘhie la distinction entre la souverainetĂ© et le pouvoir; on dispute encore sur le sens quâon doit Ăźrttacher Ă ces deux mots, parce quâon nâa pas rĂ©ilĂ©chi sur la nature de lâidĂ©e rie souverainetĂ©, parce quâon agite ordinairement ces problĂšmes sociaux avec des opinions arrĂȘtĂ©es dâavancej et, ce qiii est pire, avec des passions. La souverainetĂ© et le pouvoir ne sont pas une seule et mĂȘme chose, *Ă moins quâon ne confonde ce qui est avec ce qui doit ĂȘtre. La souverainetĂ© rĂ©side dans la raison ; le pouvoir rĂ©side dans la libertĂ©. Le pouvoir a donc besoin dâune loi, il ne peut ĂȘtre sa rĂšgle it lui- mĂȘme cette loi, cette rĂšgle , c est la vĂ©ritĂ© morale proclamĂ©e par la souveraine raison. La raison est donc l'unique souverainetĂ©; elle se divise; si lâon peut parler airçsi, en autant de souverainetĂ©s particuliĂšres quâil y a de devoirs ddlĂȘreus ces souverainetĂ©s nâont dâaulresdimites que celles quâelles dĂ©terminent entre elles. Telle est lâessence de nos DU bien. 335 dilĂŻĂ©rens devoirs- quâils se limitait naturellement et sans combat, lâun apparaissant comme supĂ©rieur Ă lâautre. Le premier devoir Ă©tant dĂ© ne pas aliĂ©ner sa libertĂ©, ou, en dâautres termes, de nâobĂ©ir quâĂ la raison, le second est dâobĂ©ir en toutes circonstances Ă ce souverain primitif. Nous sortons ici de la morale gĂ©nĂ©rale, nous entrons dans la morale particuliĂšre ou dans la division des devoirs; on les divise ordinairement en trois classes devoirs envers Dieu , devoirs envers nous-mĂȘmes , devoirs envers autrui. Ainsi que le devoir absolu, dont ils sont comme autant de dĂ©rivations, ces devoirs particuliers sont antĂ©rieurs Ă tout contrat. Les devoirs envers Dieu constituent la morale religieuse ces devoirs peuvent rentrer dans les autres, car tout devoir est religieux de sa nature, en ce sens quil est lâobĂ©issance h la vĂ©ritĂ© morale absolue, câest-Ă -dire, Ă Dieu lui- mĂȘme. Quant Ă lâexistence de Dieu, elle est rĂ©vĂ©lĂ©e en morale par lâidĂ©e de la justice absolue, comme en mĂ©taphysique par lâidĂ©e de lâabsolue vĂ©ritĂ©. Les devoirs se rĂ©duiront donc pour nous Ă deux classes les devoirs envers nous-mĂȘmes et les devoirs envers autrui,' dâune part respect de la vĂ©ritĂ© morale en nous-mĂȘmes ou .morale proprement dite; de lâautre, respect de de la vĂ©ritĂ© morale en autrui ou droit naturel. 336 trente-troisiĂšme leçon. On a prĂ©tendu quâil nây avait pas de devoirs envers nous-mĂȘmes, on a dit que le moi ne pouvait obliger le moi, et que la morale individuelle tombait devant cet axiome de droit nul nâest obligĂ© envers soi-mĂȘme. Nous rĂ©pondrons Ă cette objection que dans la morale individuelle c l est moi qui suis obligĂ© , mais ce nâest pas moi qui oblige. Les adversaires font ici une Ă©quation de la raison humaine et de la raison universelle. Ce nâest pas Ă la raison dans le moi, câest Ă la raison en elle-mĂȘme que je dois obĂ©issance., câest la libertĂ© qui le moi, ce nâest pas la raison , et de lĂ les rapports de la raison et de la libertĂ© , ou lâobligation que la premiĂšre impose Ă la seconde i. Les devoirs prescrits. par le droit naturel peuvent ĂȘtre regardĂ©s comme le simple rellel, pour ainsi dire, des devoirs prescrits par la morale proprement dite. Tout ĂȘtre intellectuel qui reconnaĂźt en lui le rapport de la raison et de la libertĂ© , le re- oonnaĂźten autrui, et doit le respecter comme en. lui-mĂȘme. Ainsi, ce nâest pus par mie dĂ©duction,, ni par une induction , que nous allons du devoir envers nous-mĂȘmes au devoir envers les autres câest par une Ă©quation. 11 nây a ici quâune mĂȘme aperception intellectuelle. Comme la morale proprement dite est antĂ©rieure Ă tout contrat, le droit i Voyez , Fragmens viiilosohiiqtjes, programme de 18-17, page 2&o premiĂšre Ă©dition,. DU BIEN. 3^7 naturel est donc aussi antĂ©rieur Ă toute espĂšce de convention; la libertĂ©, de sa nature, est sainte et ne doit obĂ©ir quâĂ la raison ; il sâensuit que nous ne devons porter aucune atteinte Ă la libertĂ© en autrui. Le droit naturel est donc la base de tout droit positif. Le droit positif nâest que la classification complĂšte des droits de la libertĂ© d un individu par rapport Ă la libertĂ© dâun autre individu , droits qui reposent tous sur le droit naturel, comme le droit naturel se rattache Ă la morale, comme la morale Ă la notion du rapport de la raison et de la libertĂ©, comme cette notion Ă la vĂ©ritĂ© absolue. Le droit positif comprend les rapports des individus entre eux, comme membres de la mĂȘme sociĂ©tĂ©. La sociĂ©tĂ© existe Ă priori , elle est lĂ© dĂ©veloppement de la morale proprement dite et du droit naturel, la consĂ©cration des vĂ©ritĂ©s absolues. Les rapports de lâhomme en sociĂ©tĂ© sont doubles rapports de lâhomme comme habitant, rapports de lâhomme comme citoyen. Les premiers donnent naissance au droit civil. Quelle que soit la diversitĂ© des circonstances, le droit civil n est pas arbitraire; il rĂ©sulte du rapport invariable de la libertĂ© Ă la raison il nâest donc quâune application du droit naturel et de la morale. On peut le dĂ©terminer Ă priori, il porte le caractĂšre de lâabsolu, et nul nâa le droit de sâĂ©lever contre sa souverainetĂ©. IndĂ©pendamment du rapport des particuliers entre eux, existe le rapport des citoyens envers lâĂ©tat, ;t de PHILOSOPHIE. 22 338 TKENTK-TWOISIĂME LEĂON. lâĂ©tat envers les citoyens ; câest' le choit politique-. L;i base cle ce droit est la mĂȘme que celle des autres , lâinviolabilitĂ© de la libertĂ© par la libertĂ© , la soumission de la libertĂ© Ă la raison.'Une constitution ne sera lĂ©gitime quâĂ la condition de sâappuyer sur cette base. Le droit politique est donc aussi invariable que le droit civil, que le droit, naturel, et que la morale proprement dite ; il dĂ©rive de l'idĂ©e de sociĂ©tĂ©, qui nâest elle-mĂȘme quâune rĂ©alisation de lâidĂ©e morale. LâidĂ©e de sociĂ©tĂ© est donc antĂ©rieure et supĂ©rieure Ă celle de gouvernement, câest ce tpte nâont pas aperçu certains publicistes ; les uns ont voulu construire la sociĂ©tĂ© pour le gouvernement , les autres anĂ©antir le gouvernement, comme nĂ©cessairement ennemi de la sociĂ©tĂ©. Ainsi, Hobbes et Spinoza , oubliant la morale Ă priori , ont créé dans le gouvernement une force Ă laquelle ils soumettent la sociĂ©tĂ© ; et dâun antre cĂŽtĂ©, God- win , elirayĂ© des consĂ©quences dâune semblable doctrine, a voulu Ă©tablir une sociĂ©tĂ© sans gouvernement. La mission du gouvernement est de surveiller lâaccomplissement des devoirs de chacun ; le gouvernement ne lait point la doctrine sociale, elle lui est antĂ©rieure, il nâen est que le dĂ©positaire, et il empĂȘche, par sa force, les infractions matĂ©rielles des devoirs et des droits. Le gouvernement est donc indispensable ce qui fait la lĂ©gitimitĂ© du pouvoir, câest que, dans toute sociĂ©tĂ©, la libertĂ©, oubliant sa loi suprĂȘme, peut attenter Ă la libertĂ© DU BIEN. ijy dâautrui. Le gouvernement se fonde sur la nĂ©cessitĂ© de la rĂ©pression , et en mĂȘme temps sur lâidĂ©e moraledu mĂ©rite et du dĂ©mĂ©rite, câest-Ă -dire, du rap âą port naturel qui existe entre une bonne action et le bonheur, une mauvaise action et le malheur. La peine et la rĂ©compense sont donc lĂ©gitimes. Maintenant , comment faire correspondre le degrĂ© de rĂ©compense et de chĂątiment avec le mĂ©rite et le dĂ©mĂ©rite? Cette question ne peut recevoir une solution absolue. Tout ce quâil y a ici dâimmuable, câest que lâacte qui est contraire Ă la sociĂ©tĂ© mĂ©rite punition, et que plus lâacte a Ă©tĂ© funeste , plus la punition doit ĂȘtre grave. Mais Ă cĂŽtĂ© de la nĂ©cessitĂ© de punir se place le devoir dâamender sous ce dernier rapport, le coupable doit avoir la possibilitĂ© de rĂ©parer son crime. Lâhomme nâest pas criminel par nature ; ce nâest pas une chose dont on doive se dĂ©barrasser dĂšsquâelle est nuisible, une pierre qui tombe sur notre tĂȘte, et que nous jetons dans lâabĂźme pour quelle ne nuise plus Ă personne. Lâhomme est un . ĂȘtre rationnel qui comprend le bien et le mal, qui peut se repentir et redevenir un membre utile de la sociĂ©tĂ©. Ces vĂ©ritĂ©s ont donnĂ© naissance Ă des ouvrages qui honorent la lin du dix-huitiĂšme siĂšcle- et le commencement du dix- neuviĂšme. Beccaria, Filangieri, Bentham, ont rĂ©clamĂ© contre la rigueur du droit pĂ©nal ; le dernier surtout, par la crĂ©ation des maisons de pĂ©nitence , rappelle les premiers temps du christia- 32 , 340 TRENTE-TROISIĂME LEĂON. nisme, oĂč le chĂątiment nâĂ©tait jamais irrĂ©vocable, et consistait en une expiation qui faisait remonter le repenti au rang des justes. Les peines doivent donc ĂȘtre mesurĂ©es sur le mal commis et sur la possibilitĂ© du repentir. Câest la double nĂ©cessitĂ© de surveiller et de punir qui fonde le gouvernement. Porter atteinte au gouvernement, câestdonc porter atteinte Ă la sociĂ©tĂ©. Le gouvernement, ainsi Ă©tabli, a donc ses droits et ses devoirs, qui tous sont relatifs Ă la dĂ©fense de la sociĂ©tĂ©. Câest ici que sâarrĂȘte la philosophie pratique aprĂšs avoir mis la sociĂ©tĂ© en prĂ©sence du gouvernement , elle sâinterdit toute recherche sur les formes particuliĂšres qui conviennent Ă celui- ci ; car elle descendrait du domaine de lâabsolu dans celui du relatif lâabsolu, câest le rapport de la forme du gouvernement Ă la lin sociale ; le relatif, câest le rapport de cette forme avec les dilfĂ©rentes localitĂ©s. Elle dĂ©termine Ă priori que le droit et le devoir du gouvernement est de maintenir lâordre social par la surveillance., la punition et lâamĂ©lioration du coupable. Mais il lui est impossible dâappliquer une forme de gouvernement t> la variĂ©tĂ© infinie des populations et des circonstances. Elle doit mĂȘme renoncer Ă cette Ă©tude dans la crainte de transporter quelque chose dâabsolu au sein du variable , et de compromettre , par la prĂ©tention de rĂ©gler ce qui ne peut pas lâĂȘtre , le sort DU BIEN. 34, des rĂšgles vĂ©ritables et absolues. Tel est le ca-, dre de la philosophie pratique ; on voit comment toutes les parties sâenchaĂźnent les unes avec les autres, comment lâidĂ©e morale absolue se rĂ©flĂ©chit dans toutes les parties du droit positif, depuis le droit civil jusquâaux derniĂšres consĂ©quences du droit politique, et comment le bien et le mal ne sont, comme nbus lâavons dit, que la vĂ©ritĂ© absolue contemplĂ©e dans les actions humaines. 11 nous reste maintenant Ă dĂ©velopper toutes les propositions qui se pressent dans cette leçon prĂ©liminaire , et Ă remplir le cadre que nous venons de tracer. 34s TRENTE-QUATRIĂME leçon K Y* »Y» YYY »YY\\\\' YYYYYVYV YYYV*W TR E STE-QD/TRI EM E LEĂON. ' Ăź; RĂ©latioh dĂ© lâidĂ©e du bien et de lâidéÚ de lâobligation. â PostĂ©rioritĂ© de » ette derniĂšre. â Le droit »e dis- tingue du fait, en pratiiue comme en thĂ©orie. âLe devoir ne dĂ©rive pas i" dĂ© lâĂ©ducation ; 2° de la volontĂ© divine ni des peines et rĂ©compenses Ă venir. Reconnaissons la position Ă laquelle nous sommes arrivĂ©s jetons un coup dâĆil sur ce que nous avons fait, et indiquons ce quâil nous reste Ă faire. Lâordre de dĂ©duction demande que lâon aille du plus gĂ©nĂ©ral au moins gĂ©nĂ©ral, jusquâĂ ce que, de degrĂ© en degrĂ©, lâon parvienne Ă ce quâil y a de plus particulier. Le point de dĂ©part ne peut pas ĂȘtre plis plus liant que dans la vĂ©ritĂ© absolue considĂ©rĂ©e en elle-mĂȘme le premier degrĂ©, dans lâordre de la dĂ©duction , est DU BIEN, 343 donc lâidĂ©e de la vĂ©ritĂ© absolue. Le second .est lâidĂ©e de la vĂ©ritĂ©., non plus considĂ©rĂ©e, en elle- mĂȘme, mais dans lâaction humaine en gĂ©nĂ©ral, câest-Ă -dire, de la vĂ©ritĂ© morale. Le troisiĂšme degrĂ© est la vĂ©ritĂ© morale, envisagĂ©e dans le dĂ©tail des actes humains, dans le rĂ©el de la vie. La morale particuliĂšre repose sur la vĂ©ritĂ© des rapports que lĂ©s hommes soutiennent entrĂ© eux ; mais, avant de rechercher cette vĂ©ritĂ© par- * ticuliĂšre, il lĂ ut Ă©tablir quâil y a de la vĂ©ritĂ© morale absolue, ou, en dâautres termes, que lâidĂ©e du bien et du mal' moral est absolue. En traitant de la vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©ral, nous avons dit quâil fallait dâabord rechercher lâĂ©tat actuel de cette vĂ©ritĂ© dans lâintelligence , passer ensuite Ă la recherche de son Ă©tat primitif, et enfin Ă©tudier le passage de lâĂ©tat primitif Ă lâĂ©tat actuel. Nous allons donc nous occuper de constater la vĂ©ritĂ© morale, telle quâ apparaĂźt dans lâintelligence dĂ©veloppĂ©e. Existe-t-il ou nâexiste - t- il pas une vĂ©ritĂ© morale absolue , telle quelle puisse servir de fondement Ă une science morale ? LâidĂ©e dâune science est lâidĂ©e dâun principe fixe, immuable , absolu. La question de lâabsolu en morale est la question de la morale elle-mĂȘme. Si aous ne trouvez pas 1 absoluvous nâaurez qu un ensemble mobile de laits plus ou moins liĂ©s entre eux. Vous 11âaurez pas de science. La question 344 TRENTK-Q i leçon. de lâabsolu moral se sous-divise en deux autres 10 y a-t-il une vĂ©ritĂ© morale absolue? 2° cette vĂ©ritĂ© morale est-elle conçue comme devant ĂȘtre nĂ©cessairement rĂ©alisĂ©e par les actions humaines ? Une troisiĂšme question sera celle de savoir si lâidĂ©e du devoir ou de lâobligation morale dĂ©rive de lâdĂ©e du bien et du mal moral , ou si lâidĂ©e du bien et du mal dĂ©rive de la loi du devoir. On se rappelle que lâĂ©cole allemande, en prenant pour point de dĂ©part la croyance nĂ©cessaire, au lieu de lâaperception pure de la vĂ©ritĂ© ,âą a subjectivĂ© la vĂ©ritĂ©, et est tombĂ©e dans le scepticisme. On commettrait la mĂȘme faute si lâon plaçait la conception nĂ©cessaire et obligatoire de la vĂ©ritĂ© morale avant lâa- perception pure et simple de cette vĂ©ritĂ© ; tel est donc lâordre que nous Ă©tablirons i° intuition pure de la vĂ©ritĂ© ; 2° conception nĂ©cessaire ; 3 ° obligation de mettre la vĂ©ritĂ© en pratique. Pour dĂ©montrer la rĂ©alitĂ© de cet ordre psychologique, je partirai de lâidĂ©e du devoir, comme le philosophe de KĆnigsberg; mais je montrerai quâelle prĂ©suppose la conception nĂ©cessaire, et que la conception nĂ©cessaire prĂ©suppose lâintuition pure*. Je suppose quâun dĂ©pĂŽt vous ait Ă©tĂ© confiĂ©, que la pauvretĂ© vous presse de lâemployer Ă votre usage, et que vous succombiez Ă la tentation. Regardez- vous comme impossible de poser cette question ai-je fait mon devoir ? si vous admettez cette ques- m; BfBiN. 345 tion, vous en appelez dâun fait Ă un droit, vous avez lâidĂ©e de quelque chose de supĂ©rieur au fait. La distinction du droit et du fait existe donc dans lâesprit humain. Je vais plus loin , je prĂ©tends que non-seulement on distingue en thĂ©orie le droit du fait, le devoir de lâintĂ©rĂȘt, mais que dans la pratique lâĂ©goĂŻsme est souvent sacrifiĂ© Ă quelque autre motif. Il y a des hommes qui, chargĂ©s dâun dĂ©pĂŽt, ne lâont pas dĂ©robĂ©, quoiquâils y fussent sollicitĂ©s par de pressons intĂ©rĂȘts. Lâhistoire et la raison sont ici souvent dâaccord. La conscience humaine sexâend lâĂ©clatant tĂ©moignage quâelle agit souvent sans intĂ©rĂȘt personnel. Si vous conseillez Ă lâhomme de bien une action dĂ©shonnĂȘte, il vous rĂ©pondra par une colĂšre qui a sa beautĂ© morale, et dont les poĂ«tes sâemparent pour en composer les plus belles scĂšnes de leurs draines. On parle de lâorgueil de la vertu câest que la vertu sait quâelle a rĂ©sistĂ© aux sollicitations de lâĂ©goĂŻsme. Si vous admettez que la libertĂ© rĂ©siste au dĂ©sir ; vous reconnaissez par-lĂ deux vĂ©ritĂ©s 1 0 que la libeitĂ© nâest pas une modification du dĂ©sir puisquâelle le combat ; 2" que la libertĂ© admet un autre motif que le dĂ©sir le devoir. Passons en-revue quelques principes avec lesquels âąon a essayĂ© de confondre le devoir. On a voulu 1 attribuer au pouvoir de lâĂ©ducation est-ce parce quâon a façonnĂ© ma raison que je. crois devoir sacrifier , en certains cas, mon intĂ©rĂȘt personnel? 346 TRENTE-QUATRIĂME LEĂON. LâĂ©ducation est-elle crĂ©atrice ou ne fait-elleque dĂ©velopper , et les dĂ©veloppement qu elle apporte supposent-ils pas quelque germe antĂ©rieur? En admettant que, comme le veut Montaigne, notre raison ait Ă©tĂ© formĂ©e par nos instituteurs , oĂč nos instituteurs ont-ils pris les enseignemens quâils uoiis donnent Plis les ont empruntĂ©s, dira-t-on* h dâautres instituteurs. Notre question se reproduira encore. Si lâon nous dit enfin que les maĂźtres de nos maĂźtres ont pris leurs prĂ©ceptes dans les lois , si lâon allĂšgue que les lĂ©gislateurs ont Ă©tabli quâil faut sacriĂŒer lâintĂ©rĂȘt personnel Ă la justice , je demanderai, encore Ă quelle source les lĂ©gislateurs ont puisĂ© lâidĂ©e du dĂ©sintĂ©ressement. On a prĂ©sentĂ© une autre solution lâhomme, a- t-on dit, se croit obligĂ© de faire le bien parce que lâintelligence suprĂȘme lâordonne ainsi-, etquâfcllerĂ©com- pensera les botts comme elle pimira les méçhans. Mais est-il vrai que nul homme nâait Ou lâidĂ©e de lâobligation morale sans lâidĂ©e dâune autre vie. Ke- marquezquecettesolution nâest quâune modification de la doctrine de lâintĂ©rĂȘt lâhomme qui nĂ© rend un dĂ©pĂŽt que par la crainte dâĂȘtre puni dans une autre vie nâobĂ©it quâk lâĂ©goĂŻsme. La volontĂ© de Dieu posĂ©e comme principe unique des dĂ©terminations motales, la crainte des chĂątimens cĂ©lestes, fiu- Ăueuce de lâĂ©ducation, tous ces principes sont donc impuissans k expliquer ce qui se passe soit dans lâintelligence de lâhomme, soit dans la pratique delĂ vie, nu BIEN. 347 au milieu des circonstances. diverses qĂč nous nous trouvons engagĂ©s. Il faut donc en revenir Ă la conception spĂ©ciale du devoir ou de lâobligation morale. Les sciences morales, comme toutes les autres sciences, doivent reposer surcertains principes vrais en tous temps et en tous lieux, parce quâils sont vrais en eux-mĂȘmes- Lâabsolu est lâĂ©lĂ©ment scientifique. Sans lâabsolu point de science, avons-nous dĂ©jĂ dit ; sans lâabsolu moral point de science morale. La premiĂšre question de la morale est donc de savoir sâil y a un absolu moral. Une vĂ©ritĂ©, pour ĂȘtre absolue , doit exister indĂ©pendamment de son aperceptiou,. câest-Ă -dire exister Ă priori ,- mais il faut en mĂȘme temps que la vĂ©ritĂ© Ă priori ait Ă©tĂ© recueillie par lâobservation , câest-Ă -dire reconnue Ă posteriori. Comme il faut de lâabsolu pour que la science soit vraie, il faut de lâobservation pour quelle soit Ă la portĂ©e de lâhomme. Le problĂšme de la science morale est donc de trouver Ă posteriori une vĂ©ritĂ© morale Ă priori ; si vous omettez lâune de ces deux conditions, vous nâaurez pas de science , ou la science que vous obtiendrez ne sera quâune abstraction qui pourra manquer de rĂ©alitĂ©. Il nây a de rĂ©alitĂ© que dans le champ de lâobservation. Câest pour avoir confondu le vrai et le rĂ©el, le fondement et lâinstrument de la science > que la philosophie, dans ses oscillations perpĂ©tuelles , a inclinĂ© tantĂŽt vers des abstractions sans rĂ©alitĂ© , tantĂŽt vers des rĂ©alitĂ©s sans vĂ©ritĂ© absolue. La dif- 348 TRENTE-QbATIUĂME LEĂON. ficultĂ© rĂ©side donc entiĂšrement dans la conciliation de ces deux Ă©lĂ©mens de toute science lĂ©gitime, dans le concours de 1VV priori et de lâĂč posteriori. Il faut que nous trouvions un absolu moral, et câest sur le chemin de lâobservation que nous devons le chercher. Il y a deux mondes sans cesse ouverts Ă lâobservation, et quâil faut parcourir pour savoir sâils contiennent ce que nous cherchons le monde interne et le monde externe. La sphĂšre de lâexterne est celle de la sensibilitĂ© par laquelle lâunivers tangible et visible arrive jusquâil nous. La sphĂšre de lâinterne est celle du moi , ou de la libertĂ© qui nâest pas autre chose que le moi ; la sensibilitĂ© et la libertĂ© , tels sont donc les deux pĂŽles de lâobservation. Il suffit dâexaminer attentivement les sensations, de rĂ©soudre le nĆud des idĂ©es sensibles gĂ©nĂ©rales, pour Ă©puiser "tout ce quâon peut savoir de la sphĂšre sensible ; il suffit aussi dâune rĂ©flexion attentive pour connaĂźtre de la libertĂ© tout ce quâil est possible dâen connaĂźtre. Commençons par entrer dans la sphĂšre extĂ©rieure, et voyons si elle peut nous donner lâabsolu q ue nous cherchons. âą Il y a une vĂ©ritĂ© morale absolue, si nous pouvons dire dâune action soumise h notre examen , quâelle est bonne ou mauvaise dâune maniĂšre absolue , de telle sorte que nulle circonstance de temps ni de lieux ne puisse la lĂ©gitimer si elle est mauvaise, ou la faire condamner si elle est bonne, ut bien. 34y et que tous les hommes soient obligĂ©s, non- seulement dela juger ainsi, mais encore de reconnaĂźtre lâimpossibilitĂ© oĂč ils sont de porter un autre jugement. Maintenant y a-t-il dans la sensibilitĂ© des sentimens et par suite des idĂ©es sensibles qui soient marquĂ©es de ce caractĂšre. Sachons bien ce que nous cherchons , et oĂč nous le cherchons ; Ă©vitons de confondre des idĂ©es appartenant Ă des sphĂšres differentes. Nous sommes dans la sensibilitĂ© ; mais nos sensations ou nos idĂ©es dites sensibles sont trĂšs-souvent mĂȘlĂ©es dâĂ©lĂ©mens fort dif- fĂ©rens; en sorte que nous distinguons mal ces derniers dâavec les premiĂšres. Ainsi les phĂ©nomĂšnes quâon appelle appĂ©tits, dĂ©sirs , affections , et qui paraissent ressortir entiĂšrement de la sensibilitĂ© , se trouvent quelquefois mĂȘlĂ©s de certaines idĂ©es rationnelles, et. il en rĂ©sulte un complexe demi-intellectuel et demi-sensible. Par exemple, lâamour de la patrie, la compassion, la vanitĂ© , lâambition, lâĂ©mulation, ont Ă©tĂ© mis Ă tort au nombre des phĂ©nomĂšnes purement sensibles. Lâamour de la patrie contient lâidĂ©e du devoir ; la compassion suppose lâidĂ©e du mĂ©rite, ou tout' au moins dâun malheur non mĂ©ritĂ© ; la vanitĂ©, lâambition , 1 Ă©mulation, impliquent Ă tort ou Ă raison iâidĂ©ednn droit. Nousdevonsdonc rejetercesphĂ©no- mĂšnes hors de la sphĂšre purement sensible. Que dĂ©couvrons-nous dans les limites rĂ©elles de celle- ci? Nous avons cinq sens tout ce qui vient immĂ©- 350 TBENTE-yi ATR1ĂME LEĂON, diatement Ă la conscience, par l'intermĂ©diaire des sens, est appelĂ© sensation simple, primitive. Tout ce qui rĂ©sulte de ces sensations primitives, sans mĂ©lange dâaucun autre clĂ©ment, lait encore partie du domaine de la sensibilitĂ© car il nây a rien de plus dans les consĂ©quences que dans le principe. Ainsi, en analysant tout ce qui nous vient par les sens, nous pouvons dĂ©couvrir sâils nous fournissent lâidĂ©e du bien et du mal absolu. Nous devons Ă nos cinq sens la connaissance des odeurs, des saveurs , des sons, de la lumiĂšre des couleurs, de la tempĂ©rature et de la rĂ©sistance. Il est clair que la loi morale nâest pas darĂźs tout cela en effet, la vĂ©ritĂ© morale nâest ni une odeur ni une saveur, etc. ; mais toutes nos sensations ont ce caractĂšre commun quâelles produisent du plaisir ou de la peine. La seule loi morale que puisse fournir la sensibilitĂ© envisagĂ©e sous ce dernier point de vue, câest la fuite de la peine sensuelle, et la recherche du plaisir des sens. Quelques philosophes ont en effet posĂ© cette rĂšgle comme principe de la conduite humaine. Examinons si elle porte le caractĂšrç de lâabsolu ? Le plaisir et la peine sensibles reprĂ©sentent lâaise ou le malaise dâun de nos sens, soit du goĂ»t, soit de lâodorat, soit de la vue, etc., ou par une gĂ©nĂ©ralisation , la jouissance ou la souffrance de tous les sens. Lâhomme, dit-on, est âą destinĂ© au bonheur; câest donc pour lui un devoir de le rechercher, et le bonheur nâest que la plu» DU BIEN. 351 haute gĂ©nĂ©ralisation delĂ jouissance sensible. Nous prĂ©tendons dâabord qnâon ne peut faire Ă©quation entre bien-ĂȘtre sensible et bonheur ; le bonheur ne se compose pas seulement de jouissances sensibles, et trĂšs-souvent mĂȘme il leur est opposĂ©. Outre les peines et plaisirs physiques, il faut compter les peines et plaisirs de la sensibilitĂ© morale ; et si lâon analyse ces derniers phĂ©nomĂšnes, on sâapercevra que, comme nous lâavons dit plushaut, ils renferment des idĂ©es rationnelles qui sont tout- Ă -fait en dehors de la sphĂšre sensible. Nous uâin- sistons pas pour le moment sur cette prĂ©tendue obligation de rechercher le bonheur, nous la supposons vĂ©ritable ; nous supposons de plus, que le bonheur se compose uniquement de bien-ĂȘtre sensible , et nous voulons voir si ce bien-ĂȘtre pourra contenir 1 absolu que nous cherchons. J] faut que ce bien-ĂȘtre soit marquĂ© des caractĂšres suivans i° quâil nâait point de degrĂ©s, quâil persiste toujours le mĂȘme dans son intensitĂ©, quâil soit indĂ©pendant des circonstances de temps et de lieux; 2 ° que tous les individus de lâespĂšce humaine reconnaissent en lui ce caractĂšre. Or, il est manifeste que les phĂ©nomĂšnes de la sensibilitĂ© sont susceptibles de variation lâaise et le malaise augmentent ou diminuent en un seul instant, et quelle diffĂ©rence ne trouve-t-on pas entre deux allĂšetions Ă©prouvĂ©es Ă des Ă©poques diffĂ©rentes. Comment le bien-ĂȘtre et le malaise physiques ne 35a âą TRENTE-y l ATRIKME seraient-ils pas dans une perpĂ©tuelle variation, puisquâils rĂ©sultent dâun rapport entre deux termes variables le monde sensible et les organes de la sensibilitĂ©. La nature physique nâest pas quelque . chose de stable quâon puisse fixer et dĂ©crire au moment oĂč vous en faites le tableau, elle change de figure et ne ressemble plus Ă lâimage que vous tracez. Voyez lâaspect mobile des paysages le foyer de la lumiĂšre se dĂ©place perpĂ©tuellement, mĂȘme dans un ciel pur ; et dans un ciel chargĂ© de nuages, il est tour Ă tour voilĂ© ou dĂ©couvert , ravivĂ© ou amorti par la densitĂ© changeante de lâatmosphĂšre. Observez la composition et la dĂ©composition perpĂ©tuelle des minĂ©raux, la formation et la dissolution des plantes, la naissance, lâaccroissement, le dĂ©pĂ©rissement et la mort des animaux. Ne peut-on pas dire de la nature ce quâon a dit de la fortune, quâelle nâest constante que dans son inconstance; câest pour cela que les Latins disaient Fit naturel , non est; la nature nâest quâun perpĂ©tuel devenir, et câest sans doute dans ce sens quâil laut entendre la doctrine dâHĂ©- raclile sur t Ă©coulement des choses. Dâun autre cĂŽtĂ©, noire nature physiologique, dans laquelle le monde sensible se rĂ©fracte, varie de toutes les variations de la vie animale on sait que lâanimal nâest quâun llux et rellux perpĂ©luel de molĂ©cules qui entrent et pii sortent. Trouvez-vous dans tout cela la base fixe dâune loi morale? Le monde physique DU BIEN. 353 et notre systĂšme sensible sont dans une mobilitĂ© continuelle, de telle sorte que si la nature devenait par hypothĂšse immuable, elle retrouverait sa mobilitĂ© , en se rĂ©fractant dans notre organisme , et que notre organisme aurait beau se fixer dans un Ă©tat constant en rĂ©flĂ©chissant le monde sensible, il ne produirait quâun spectacle toujours divers. La sensibilitĂ© physique peut se dĂ©finir le variable et le multiple; lâabsolu a pour caractĂšre lâimmuabilitĂ© et la fixitĂ© ; il est doncimpossible de tirer une loi morale absolue du sein de ,1a sensibilitĂ© physique. PHILOSOPHIE. 23 354 TRENTE-CINQUIĂME LEĂON. nH"^\unv\u\wvwuu\vn\\iv\ TRENTE-CINQUIĂME LEĂON. La loi morale absolue ne peut ĂȘtre donnĂ©e ! iâpar le sentiment de la vie. â 2 ° Par le sentiment de lâactivitĂ© spontanĂ©e du moi. â 3° Par le sentiment de son' activitĂ© rĂ©flĂ©chie. â 4° Par le plaisir du dĂ©veloppement intellectuel. â 5° Par la satisfaction morale et le remords , qui prĂ©supposent eux-mĂȘmes un principe moral. J l doit ĂȘtre prouvĂ© maintenant que dans les limites de la sensibilitĂ© physique on ne peut rencontrer dâĂ©lĂ©ment qui puisse jouer le rĂŽle de vrai absolu; elle ne âącontient donc aucun Ă©lĂ©ment scientilique ; car , comme nous lâavons dit souvent, lĂ seulement, est la science oĂč est lâimmuable et lâabsolu. Si nous ne nous adressons pas Ă une autre partie de la nature humaine, il faudra renoncer Ă la science morale. Examinons si, eh pĂ©nĂ©trant dans une sensibilitĂ© plus intime Ă 1>Ă BIEN. 355 lâhomme', nous dĂ©couvririons la loi morale que nous cherchons. Nous allons parcourir tous les dĂ©tours de la sensibilitĂ©, entrer dans ses replis les plus secrets, et nous Ă©liminerons tour Ă tour les Ă©lĂ©mens qui ne pourront pas donner la loi, de telle sorte que nous nous trouverons contraints dâaller la demander enfin Ă la raison. Outre cette vie que les physiologistes appellent la vie de relation, et dont les organes sont les sens, ces instrumens intermĂ©diaires entre le dedans et le dehors, il y a une vie plus intime Ă lâhomme, vie encore physique, mais diffĂ©rente de la vie de relation. Câest le sentiment quâon appelle sentiment de la vie, excitĂ© en nous par le dĂ©ploiement du principe vital. Nous aurons Ă examiner si ce sentiment peut fournir l'Ă©lĂ©ment scientifique. Au delĂ de cette vie intime, il y a dans lâhomme, ce qui fait lâhomme, lâĂ©lĂ©ment sans lequel il serait une chose et non une personne cet Ă©lĂ©ment câest le moi. Le mode dâexistence du moi câest lâactivitĂ©. Le moi nâest jamais passif ; il est actif ou il cesse dâĂȘtre. Or, cette activitĂ© se dĂ©ploie avec plus ou moins dâaisance, et par consĂ©quent avec plus ou moins de plaisir. Le dĂ©ploiement de lâactivitĂ© spontanĂ©e du moi serait-il donc la base absolue de la loi morale? câest ce que nous aurons Ă chercher. Dans 1 activitĂ© du moi il faut distinguer lâactivitĂ© spontanĂ©e et lâactivitĂ© rĂ©flĂ©chie, et il f;m_ 23 . 356 TRENTE-CINQUIĂME LEĂON, dra voir si le sentiment de lâactivitĂ© rĂ©flĂ©chie est plus absolu, plus immuable que tous les autres. Enfin, outre 1 activitĂ© libre dont lâhomme est douĂ©, il participe encore de l'intelligence. LĂ aussi peuvent se trouver des plaisirs plus, ou moins vifs que noiis devrons analyser. Tels sont tous les degrĂ©s que nous avons Ă parcourir dans la sensibilitĂ©, et auxquels nous adresserons la question que nous avons faite Ă la sensibilitĂ© physique. Tous ces degrĂ©s sont compris dans le domaine du moi et du non-moi , or , il est facile de montrer que ces deux mondes ne nous donneront jamais lâĂ©lĂ©ment scientifique j en effet, la plus haute formule sous laquelle on puisse rĂ©sumer je noçß-moi, câest la multiplicitĂ©; dâune autre part, la plus haute formule du moi, câest lâindividualitĂ©. Or, le multiple et lâindividuel sont lâextrĂ©mitĂ© opposĂ©e de lâuniversel, et par consĂ©quent de lâabsolu. Comme au-dessus du moi et du non-moi il nâexiste que le monde de la raison , et que le mĂ»i et le non-moi ne peuvent donner lâabsolu quâils ne contiennent pas, il sâensuit que câest Ă la raison quâil faut aller le demander. Mais au lieu le trancher ainsi dâun mot la dillicultĂ©, nous devons suivre pas Ă pas le moi et le non-moi jusque dans leur dernier retranchement, les presser, les atteindre et les convaincre de ne pouvoir fournir un fondement Ă la science. INous avons dit quâil y a entre les nu BIEN. 35 7 impressions organiques qui rĂ©sultent de lâapplication des sens aux objets correspondans de la nature, dâune part, et de lâautre le dĂ©ploiement de lâactivitĂ© du moi, entre la sensation extĂ©rieure et la conscience, un sentiment singulier, mais rĂ©el, que lâobservation ne confond ni avec la sensibilitĂ© extĂ©rieure, ni avec le sentiment du mot câes't le sentiment de la vie. Il est impossible de dĂ©crire la vie, il faut la surprendre mĂȘme pour la connaĂźtre en lâabsence de» toute action du moi et de- toute sensation, je demande sâil ne nous reste pas un sentiment, une jouissance vague, quâon appelle plaisir dâexister ou sentiment de la vie. Ceux qui Ă©prouvent Ă un trĂšs-haut degrĂ© le sentiment des actes libres, comme ceux qui sont trĂšs-sensibles Ă la souffrance physique, savent trĂšs - bien distinguer ces deux genres de sentiment davec celui de la vie. Comme dans la philosophie du dernier siĂšcle, le sentiment de lâactivitĂ© libre sâest trouvĂ© affaibli, on lâa confondu avec le sentiment de la vie. Cabanis a parfaitement distinguĂ© le sentiment de la vie, dâavec le rĂ©sultat collectif des sensations externes , mais il lâa confondu avec le sentiment de la personnalitĂ©. Le sentiment de la vie uâest pas celui de notre personnalitĂ© , mais le premier accompagne toujours le second; de plus, le sentiment de la vie persiste en nous alors mĂȘme que sâinterrompt la sensibilitĂ© organique. Des propo- 358 TRENTE-CINQUIĂME LEĂON, sitions que je viens dâavancer on peut tirer une objection contre moi. En ellĂ©t, puisque le sentiment de la vie est permanent, puisquâil accompagne celui de la personnalitĂ©, et quâil survit Ă celui de la vie organique, ce sentiment ne pourrait-il pas donner le point fixe que nous cherchons pour y appuyer la morale? Deux, raisons sâopposent Ă la lĂ©gitimitĂ© de cette conclusion i° le sentiment de la vie nâexisterait pas sans le sentiment parallĂšle du moi humain ; cette relation fait quâil devient individuel et quâil est ainsi en opposition avec lâabsolu; 2" le sentiment de la vie intime est modifiĂ© par celui de la vie de relation. Si la vie extĂ©rieure trouble la vie intime , jâĂ©prouve de la souffrance ; si furie facilite le dĂ©ploiement de lâautre, jâĂ©prouve du plaisir; le sentiment de la vie intime est donc variable dans le mĂȘme individu. Observez-le dans un autre,, vous le trouverez plus Ă©nergique ou plus faible que dans le premier. Le sentiment de la vie est donc convaincu de ne pouvoir fournir un Ă©lĂ©ment absolu. Passons au sentiment du moi , nous arrivons ici Ă une rĂ©gion diffĂ©rente câest celle de lâactivitĂ©. Le mol agit-il sans obstacle , sans que la vie de relation arrĂȘte le dĂ©veloppement de la personne il y a plaisir ; trouve-t-il quelque rĂ©sistance il y a dĂ©plaisir. La vie de relation fait son apparition dans le sentiment delĂ vie intime, et nous ne pouvons sentir la vie intime quâautant que le moi se connaĂźt lui- nu bien. 35o mĂȘme ; car sâil ne se connaĂźt pas, rien nâexiste pour lui. Ai nsileplaisir et la peine supposent la conscience du moi, quelle que soit lâoriginedu sentiment agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able, câest-Ă -dire, quâil provienne du principe vital, ou quâil dĂ©rive de la vie de relation. Serait-ce donc dans le sentiment de 1 activitĂ© spontanĂ©e du moi quese trouverait leprincipedelamorale? âąNous lâavons dĂ©jĂ dit, lâindividuel ne peut pas donner lâabsolu ; de sorte que plus vous puiserez le bonheur Ă une source voisine du moi, lâĂ©purer en le rendant immĂ©diat, plus vous le rendrez individuel, et lâĂ©loignerez du caractĂšre de lâabsolu. Lâabsolu et lâindividuel se repoussent. Continuons notre route lâactivitĂ© du moi peut de spontanĂ©e devenirrĂ©ilĂ©chie il peutdĂ©libĂ©rer et ne se rĂ©soudre quâaprĂšs dĂ©libĂ©ration. Ici le phĂ©nomĂšne commence Ă se compliquer il contient un Ă©lĂ©ment absolu, mais qui ne ressort pas de la sensibilitĂ© et qu il importe dâen sĂ©parer. jâai rĂ©solu dâagir; un obstacle sâoppose au dĂ©veloppement de ma rĂ©solution, voici alors ce qui se passe i° sensation pĂ©nible; 2 ° sentiment dĂ©sagrĂ©able Ă lâidĂ©e dâune force supĂ©rieure qui me fait obstacle ; 3° indignation de ma nature libre contre la force qui la gĂšne. Dans les deux premiers Ă©lĂ©inens tout est sensible, dans le troisiĂšme est renfermĂ© le blĂąme, qui est' un Ă©lĂ©ment rationnel. Si nous ne distinguons'pas le blĂąme de lâĂ©lĂ©ment-sensible, nous croirons trouver 1 absolu au sein de la sensibilitĂ© ; car le blĂąme se rattache 360 TRENTE-CINQ C IĂME I^EĂOK. Ă lâidĂ©e de droit; et lâidĂ©e âde droit Ă lâidĂ©e de bien ; il est clair quĂš nous empiĂ©tons ici sur un autre terrain que sur celui rie la sensibilitĂ© âą ce nâest pas Ă cause du sentiment pĂ©nible que nous nous indignons , mais Ă cause de 1 indignation que nous Ă©prouvons le sentiment pĂ©nible. Mais ce sentiment sera tantĂŽt faible, tantĂŽt Ă©nergique; >1 variera dâindividu Ă individu, et il ne pourra porter encore lâĂ©difice de la morale. Voyons maintenant si le plaisir qui sâattache au dĂ©veloppement delâintelligenee pourra nous fournir les fondemens de la morale. Jâai rĂ©solu un problĂšme compliquĂ© de gĂ©omĂ©trie le moi agit dans lâintelligence, car sans lâactivitĂ© du moi point de faits intellectuels ; le moi a donc ici la conscience de son activitĂ© et de son activitĂ© non limitĂ©e par des obstacles câest lĂ un premier plaisir. Un second plaisir vient de la perception de la vĂ©ritĂ© ; jusquâici nous sommes dans la sphĂšre sensible, et les plaisirs que nous venons de citer partagent la mobilitĂ© de tous les phĂ©nomĂšnes sensibles. Si lâon me dit que la possession de la vĂ©ritĂ© ennoblit le moi , que la vĂ©ritĂ© a une valeur absolue, et que le plaisir qui en rĂ©sulte est Ă©galement absolu , jâaccorderai que la dignitĂ© de la vĂ©ritĂ© est absolue, que tous les hommes lui reconnaissent ce caractĂšre, et ne peuvent pas ne pas le lui reconnaĂźtre ; mais je nierai que le plaisir rĂ©sultant de la dĂ©couverte du vrai soit Ă©galement absolu , câest-Ă -dire, le mĂȘme chez tous les hommes, DU BIEN. 36l et toujours identique dans un seulindividu. En consĂ©quence, d ne peut pas plus que les phĂ©nomĂšnes prĂ©cĂ©dons engendrer de rĂšgle morale ni de base scientifique. Un Ă©lĂ©ment rationnel et absolu Ă©tait mĂȘlĂ© dans les deux derniers phĂ©nomĂšnes Sensibles que nous venons de parcourir ; dans le sentiment de notre activitĂ© rĂ©flĂ©chie, et dans celui du dĂ©ploiement de lâintelligence. Nous avons vu quâil Ă©tait important de distinguer ces principes opposĂ©s, pour ne pas nous imaginer que nous trouvions dans la sensibilitĂ© ce quâelle ne peut fournir. Il est un autre phĂ©nomĂšne sensible plus voisin encore de l'Ă©lĂ©ment rationnel et absolu. Je veux parler de la satisfaction morale et du remords. Telle action nous a paru obligatoire et nous lâavons accomplie ; il y a ici double plaisir celui de lâexercice de la libertĂ© et celui de lâaccomplissement du devoir Si au contraire nous nâavons pas mis Ă exĂ©cution ce que nous croyions devoir faire , nous Ă©prouvons encore le plaisir de la libertĂ© ,mais enmĂȘme temps le dĂ©plaisir de la violation du devoir, câest-Ă -dire le remords. La satisfaction morale et le remords ont Ă©tĂ© pris pour base de la morale. 11 y a. en effet quelque chose dâabsolu au fond de ces deux sentimens ; mais ce âą quelque chose est justement ce quâon refuse de reconnaĂźtre câestlâidĂ©e Ă priori de devoir ou de bien moral. La satisfaction et le remords ne pouvaient pas prendre naissance sans lâidĂ©e spĂ©ciale de nio- 362 TRENTE-CINQUIĂME LEĂON. ralitĂ©; ils prĂ©supposent donc un principe dâoĂčilssor- tent eux-mĂȘmes. De plus, la satisfaction morale etle remords, bien quodĂ©rivĂ©s dâun principe absolu, nâen dĂ©coulent cependantpas toujoursavecla mĂȘme abondance. La mĂȘme action morale nous transportera unjourdâenthousĂźnsme, et nouslaisseralelendemain dans la plus complĂšte indiffĂ©rence. Voyez aussi comme les hommes sont divers dansles Ă©rnotionsque leur cause le bien ouĂŻe mal'moral. Cette prĂ©tention dâidentilier, dâune part, le bien mon. et le bonheur, parla satisfaction morale, et de lâautre, le mal moral et le malheur, par le remords, avait poussĂ© les stoĂŻciens Ă nier le bien et lĂ© mal physique. INous pensons quâil ne faut pas se mettre en contradiction avec la languedu genre humain, sous peine de se mettre en opposition avec la rĂ©alitĂ© ; quâil faut continuer Ă distinguer le bien et le mal physique des jouissances et des peines morales, et que dans ces derniĂšres, il faut faire la part de lâintelligence ou de la raison, qui voit ce qui est bien et ce qui est mal eu soi- mĂȘme , et de lĂ sensibilitĂ© qui se borne, lĂ comme partout ailleurs, k ce simple fait je jouis, je souffre. Ainsi, nous concluons que la sensibilitĂ© dans toutes ses phases, prise Ă la limite extĂ©rieure de lâorganisme ou dans le sanctuaire le plus rapprochĂ© du moi, ne fournit toujours quâune mesure individuelle et variable, et quâil faut chercher .ailleurs la vĂ©ritĂ© mortde absolue. DU BIEN. 363 WW V^VWIVV VXVVWX WVVVVVVWVWVW-WWVWWVWV^/WVWW VV'.VYV\V\ kVVl\%V\* TRENTE-SIXIĂME LEĂON. Retour sur la satisfaction morale, ou le contentement de soi-mĂȘme.â De la doctrine des peines et rĂ©compenses Ă venir. âLâidĂ©e de peine et de rĂ©compense prĂ©suppose i° lâidĂ©e de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite, et par consĂ©quent celle de bien et de mal moral ; 2° 1 idĂ©e d un Dieu souverainement juste, et par consĂ©quent celle de justice. â La loi morale, qui ne peut venir de la sensibilitĂ©, ne provient pas davantage de la libertĂ©. â â Il faut donc raison Ă ces deux facultĂ©s,. â La raison se rĂ©flĂ©chit dans la conscience comme les deux autres, et nous trouvons ainsi par lâobservation une rĂšgle absolue. â Les langues contiennent la preuve dâune vĂ©ritĂ© morale absolue. Nois avons traversĂ© les diffĂ©rentes sphĂšres de la sensibilitĂ© , depuis la sensation la plus extĂ©rieure josqu au sentiment le plus intime, et nous avons trouvĂ© que jouir par lâaction des organes extĂ©rieurs, ou jouir par le dĂ©veloppement 364 trente-sixiĂšme leçon. de l'activitĂ© ou de lâintelligence, câest toujours jouir, câest-Ă -dire, subir uhe impression variable, fugitive, passagĂšre, qui ne peut donner la rĂšgle absolue dont nous besoin en morale. Nous avons rencontrĂ© dans cette analyse dillĂ«rens phĂ©nomĂšnes complexes, oĂč la raison se mĂȘle Ă la sensibilitĂ©, et oĂč il est important de distinguer ce qui appartient Ă lâune de ce qui appartient Ă lâautre. Nous sentons le besoin dây revenir en peu de mots. La peine et le plaisir naissent de la dillicultĂ© ou de la'facilitĂ© que le moi Ă©prouve dans son action. Quand le moi sâexerce seulement. pour sâexercer, .lâobstacle quâil .rencontre lui causeâ une soulliance qui est simple. Mais si le moi dĂ©ploie son activitĂ© pour parvenir Ă la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ©, la dillicultĂ© quâil Ă©prouve lui procure une peine complexe âą il souffre dâabord, parce quâil est gĂȘnĂ© dans son activitĂ© libre; il souffre ensuite, parce quâil se trouve blessĂ© dans son rapport nĂ©cessaire avec la vĂ©ritĂ©. Cette souffrance- a dĂ©jĂ un caractĂšre de moralitĂ©, mais ce nâest pas en tant que soulliance, câest parce quâelle se rapporte Ă lâobligation imposĂ©e Ă lâliomme'de rechercher la vĂ©ritĂ©. Si ce nâest pas par un empĂȘchement extĂ©rieur, niais par la faiblesse de notre volontĂ©, que nous sommes Ă©loignĂ©s de la vĂ©ritĂ© , la souffrance est plus vive encore, car il y a gĂȘne du moi qui nâa pas fait ce quâil aurait voulu faire, et dĂ©- in .BIEN. 3â>5 plaisir de nâavoir pas accompli ce quâil savait devoir accomplir. Si, au contraire, le philosophe est parvenu Ă la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ©, il Ă©prouve une jouissance Ă©galement complexe , au sein de laquelle nous devons soigneusement distinguer lâĂ©lĂ©ment qui nâest quâune sorte de contre-coup de la rajson ou de lâabsolu. Mais câest surtout lorsquâil a mis en pratique la vĂ©ritĂ© morale que sa jouissance prend un caractĂšre remarquable. Elle est dâabord contre-balancĂ©e par une douleur , car' le moi souffre en triomphant de ses passions combattre est dur, vaincre est triste. Le contentement de lâhomme de bien est donc grave et sĂ©rieux ce nâest pas de la gaietĂ©. Ce contentement est si pur et si dĂ©sintĂ©ressĂ©, quâon a peine k le confondre avec les autres phĂ©nomĂšnes de la sensibilitĂ©, et cependant il est aussi un phĂ©nomĂšne sensible, susceptible de degrĂ©s et de variations. Il prĂ©suppose une vue de la raison , . câest-Ă -dire , quelque chose dâabsolu , mais il nâest pas lui-mĂȘme absolu. Ăpicure ne pouvait connaĂźtre ce contentement de soi-mĂȘme, qui implique la connaissance de la loi morale , et cependant il le donnait pour but au sage. Il voulait faire prĂ©dominer les plaisirs de lâĂąme sur les plaisirs du corps ; mais, en conseillant la recherche des premiers, il nĂ©gligeait dâindiquer Ă quelle source on pouvait les puiser ; il mĂ©connaissait 1 absolu, qui est le seul fonde- 366 TRENTE-SIXIĂME LEĂON. ment du contentement de soi - mĂȘme , et sa doctrine Ă©tait un paralogisme. Il me reste Ă parler dâun systĂšme par lequel on a tentĂ© dĂ© donner au bonheur la fixitĂ© qui lui manque. Il sâagit de la doctrine qui fait consister la vertu dans la recherche des rĂ©compenses Ă venir. Les plaisirs des sens et les plaisirs de lâĂąme qui se goĂ»tent sur cette terre, Ă©tant variables et fugitifs, on a cru pouvoir leur substituer le bonheur immuable de la vie future. Cette doctrine est supĂ©rieure Ă lu doctrine commune de lâintĂ©rĂȘt bien entendu ; vous voulez mâattirer Ă la vertu en me parlant de la paix dĂȘ lâĂąme, que je recueillerai demain , quand les passions seront .apaisĂ©es ; mais le lendemain nâest pas sĂ»r, le plaisir assurĂ© du prĂ©sent vaut mieux que le plaisir incertain de lâavenir. LorsquâĂ lâavenir fortuit de la vie terrestre on substitue lâavenir inĂ©vitable de lâautre vie , on donne sans doute au bonheur'une base plus certaine; toutefois ce bonheur nâest lâobjet ni de la raison ni de la libertĂ©, mais de la sensibilitĂ© ; or, nous le savons, la sensibilitĂ© est variable; les hommes seront diversement affectĂ©s de ces joies immortelles que vous leur promettez, et que vous ne pouvez pas mĂȘme dĂ©crire sans leur donner une ressemblance avec les joies terrestres. Vous nâĂȘtes donc pas encore ici en possession dâun principe absolu et invariable de conduite. DU BIEN. âą 36^ Cette doctrine est encore sujette Ă une autre objection. Les peines et les plaisirs dĂ© la vie future sont instituĂ©s Ă titre de chĂątiment et de rĂ©compense. Or, punir et rĂ©compenser suppose des actions bonnes et des actions mauvaises. Il faut donc connaĂźtre le bien et le mal moral pour connaĂźtre celles de nos actions qui seront rĂ©compensĂ©es et celles qui seront punies. Le systĂšme des peines et des rĂ©compenses Ă venir repose sur ce principe il y a une connexion nĂ©cessaire entre le bien moral et le bonheur , entre le mal moral et le malheur ; il suppose donc lâintelligence des premiers termes aussi bien que celle des seconds. Il admet ce quâil voudrait nier lâidĂ©e absolue du bien et du mal, dâoĂč dĂ©rive lâidĂ©e du bonheur et du malheur Ă venir; il ne peut, sans cercle vicieux, donner pour premier but Ă la conduite humaine un bonheur Ă venir qui nâest Ă©videmment quâune consĂ©quence. Ce nâest pas tout les joies de la vie future sont une rĂ©compense. Qui est-ce qui rĂ©compensera? ce sera Dieu. Mais sera-ce Dieu comme toute-puissance ou Dieu comme toute-justiee? Si Dieu punit parce quâil est juste, il y. a donc une rĂšgle de punition, et par .consĂ©quent une rĂšgle absolue de nos actions ? Ce ne sont pas les peines et les rĂ©compenses qu il faut placer comme rĂšgle dans lâautre vie, câest la justice de Dieu ? Si Dieu punissait, non en vertu de sa justice, mais en vertu de sa 368 TR ENTB-SIXIĂME puissance, on ne saurait comment saisir la volontĂ© capricieuse de ce Dieu, eÂŁelle ne pourrait nous servir de rĂšgle. Ce nâest donc ni le plaisir ni la peine qui est la loi de notre conduite, câest lâidĂ©e du bien et du mal moral ; câĂ©st l a justice punissant ou rĂ©compensant. Quand on affirme que câest la volontĂ© de Dieu qui est la loi morale, je rĂ©ponds oui et non. Non, si lâon entend parler dâune volontĂ© ar bitraire ; non encore, si lâon ne considĂšre Dieu que comme tout-puissant; oui., si lâon entend parler dâune volontĂ© juste, si lâon fait Ă©quation de justice et de Dieu. Celui qui se prĂ©tend athĂ©e, et qui reconnaĂźt la justice, se lrappe lui-mĂȘme de contradiction , comme celui qui se pique de religion et qui nie la justice. La sensibilitĂ© est donc impuissante Ă nous fournir le bien moral absolu , soit quâon sâarrĂȘte aux plaisirs sensuels, ou quâon sâĂ©lĂšve au plaisir qui accompagne le dĂ©veloppement du moi , ou quâenfin on parvienne jusquâĂ , ces plaisirs plus nobles et plus purs, quâon appelle le plaisir dâavoir bien fait, ou les rĂ©compenses de lâautre vie. Si la sensibilitĂ© ne peut produire lâabsolu, la libertĂ© , qui est le fond du moi lui-mĂȘme, serait-elle plus fĂ©cohde? Le moi est individuel, et la vĂ©ritĂ© morale est universelle. Le moi esL libre et changeant , la vĂ©ritĂ© morale est nĂ©cessaire eL immuable. Lâarbitraire et lâabsolu se contredisent. Si le moi se posait lui-mĂȘme son but, . il pourrait le changer, UH BIEN, 36g et il ne se prescrirait pas ainsi de vĂ©ritable rĂšgle. Nul ne sâoblige soi-mĂȘme. Le moi ne peut donc ĂȘtre obligĂ© quâenvers quelque cliose dâimpersonnel et dâabsolu. La sensibilitĂ© et la libertĂ© ne contiennent que du contingent il faut chercher ailleurs la vĂ©ritĂ© morale absolue. Montrons dâabord que cette vĂ©ritĂ© existe ; et, pour en faire ressortir le caractĂšre de nĂ©cessitĂ©, opposons-lui une vĂ©ritĂ© contingente. Si je dis, par exemple abstiens-toi, et tu seras heureux, admettra-t-on cet axiome comme une vĂ©ritĂ© nĂ©cessaire ? Le bonheur nâest-il pas reconnu comme quelque chose de trĂšs-incertain? Quand jâaurai accompli mon sacrilice, et que viendra le moment dâen recueillir le prix, la mort ne pourra- t-elle pas me frapper. Le rapport entre la modĂ©ration et le bonheur ne constitue donc quâune vĂ©ritĂ© Ă©minemment contingente. Mais si je dis il est bien de modĂ©rer ses passions, y a-t-il ici quelque chose de contingent ? Cette proposition peut-elle souffrir quelque exception ? y a-t-il pour elle un prĂ©sent et un avenir? peut-elle ĂȘtre vraie aujourdâhui et ne pas lâĂȘtre demain? Le problĂšme que nous avons Ă rĂ©soudre, câest de trouver une vĂ©ritĂ© qui impose Ă lâagent une obligation absolue, câest-Ă -dire, qui lui commande dâagir contre son intĂ©rĂȘt mĂȘme. Un homme a reçu un dĂ©pĂŽt doit- il le garder ou le rendre ? Quelle est la rĂ©ponse de lâhumanitĂ© Ă ce sujet? Que pense aussi lâhumanitĂ© PHILOSOPHIE. 3^0 trente-sixiĂšme leçon. du magistrat, dont le devoir est de veiller sur la loi, et qui la vend au poids de lâor? Il y a donc des vĂ©ritĂ©s morales absolues, jusque-lĂ mĂȘme que les moralistes, ennemis de lâabsolu, parlent de devoir. Or, pesez bien cette expression de devoir , et examinez si le bonheur peut constituer une obligation. A. la sensibilitĂ© et Ă la libertĂ© , il faut donc, comme nous lâavons dit, ajouter la raison. La 'raison est la facultĂ© par laquelle nous saisissons lâuniversel et lâabsolu, et comme la raison se reflĂšte dans la conscience!, nous trouvons ainsi par lâobservation une vĂ©ritĂ© absolue. Lâaperception de lâabsolu est un fait rĂ©el et observable , quoique lâabsolu lui-mĂŽme dĂ©passe de tous cĂŽtĂ©s les limites de 1 observation. Nous avons donc rĂ©solu le problĂšme que nous nous Ă©tions posĂ© remplir la condition de la science, câest-Ă -dire, lui donner un point de dĂ©part dans lâobservation, et lui trouver un fondement solide, câest-Ă -dire, lui fournir un principe absolu ; en dâautres termes, nous avons accompli notre double tĂąche trouver Ă posteriori une rĂšgle qui ait une valeur a priori. ' Les langues,- qui sont lâexpression de humaine, dĂ©posent toutes dp 1 existence d un principe absolu en morale qui se distingue du bonheur. Partout nous trouverons les mots devoir et intĂ©rĂȘt en opposition , comme les mots bien et mal, vice et vertu, Ă©goĂŻsme et dĂ©voĂ»merit. Toutes les lan- PL BIES. yji guĂ©s contiennent aussi lâĂ©quivalent du mot admiration. Or, dans lâadmiralon il y a un sentiment, mais il y a aussi une idĂ©e ; ce nâest mĂȘme qua la condition de lâidĂ©e que le sentiment existe il lĂ ut que lâintelligence ait approuvĂ© avant que la sensibilitĂ© se soit mise en jeu. On se fĂ©licite de possĂ©der un objet de plaisir, mais on ne lâadmire pas. Lâhomme heureux et lâhomme vertueux ne nous font pas Ă©prouver une impression que nous appelions de la mĂȘme maniĂšre. Ăristippe au sein dy ses molles dĂ©lices , et Socrate vidant la coupe de la ciguĂ«, ne produiront pas dans votre aine la mĂȘme Ă©motion , et ne feront pas Ă©chapper de vos lĂšvres les mĂȘmes paroles. Lâindignation est la contre-partie de lâadmiration , et comme celle-ci elle contient un Ă©lĂ©ment dĂ©sintĂ©ressĂ©. On ne sâindigne pas contre un objet inanimĂ© qui nous blesse ; la soulli ance nâest pas la mesure de lâindignation. Le dĂ©sir de lâestime, la crainte du ridicule, sont encore des pliĂ© nomĂšnes qui se rapportent au dĂ©sintĂ©ressement. Nous ne voulons pas de lâestime, si elle sâattache Ă des biens qui ne nous appartiennent pas. Lâempire de lâopinion repose sur la connaissance commune que tous les hommes possĂšdent du bien et du mal moral. Le sentiment du ridicule touche dâun cĂŽtĂ© Ă la vanitĂ© , et de lâautre Ă lâhonneur. On ne craindrait pas le ridicule si lâon 11e mloutait lâopinion , et on ne redouterait pas lâopinion si elle 11e sâappuyait jamais que sur une base arbitraire et 3^2 TRENTE-SIXIĂME LEĂON. mobile. Lâestime est inexplicable, si lâhomme nâagit jamais que par intĂ©rĂȘt. Vous saisirez aussi la distinction qui existe entre le regret et le repentir. Quand nous avons Ă©chouĂ© dans une entreprise, nous regrettons le temps et les biens perdus; quand nous perdons aux jeux de hasard, nous regrettons la fortune; mais si nous trompons notre adversaire, notre sentiment est le repentir, et non plus seulement le regret. Ce sentiment est une preuve que les hommes ne tiennent pas seulement compte des biens et des maux physiques. Le bien moral nâest donc pas la mĂȘme chose que le bonheur, quoique le premier mĂ©rite le second ; mais câest justement pour le mĂ©riter quâil doit en ĂȘtre diffĂ©rent. Sâil est vrai que cette maxime ne trompez pas,parce que vous seriez trompĂ©s vous-mĂȘmes , soitsujette Ă des exceptions, et par consĂ©quent retenue clans les limites du contingent, il faut lui substituer cette autre maxime trompez pas, parce que cela est mal , câest-h-dire, quâil faut substituer le systĂšme du devoir Ă celui du bonheur, lâabsolu au relatif, le nĂ©cessaire au contingent. DD BIEN. 373 WA. VVV WV\ WWV WVWVWAV'VAA vvw TRENTE-SEPTIĂME LEĂON. La conception nĂ©cessaire de lâabsolu en morale ne subjective pas cette vĂ©ritĂ©. â Elle prĂ©suppose une apercep- tion antĂ©rieure qui est pure et non rĂ©flĂ©chie. â Les langues et la logique sont au point de vue rĂ©flĂ©chi.â Le vrai absoâu en morale Ă©tant trouvĂ©, la science morale est possible 1. â La distinction du bien et du mal est antĂ©rieure Ă lâobligation. â Lâobligation suppose la libertĂ© ; preuve logique ou indirecte de la li- libertĂ©. â La conscience confirme lâexistence de la libertĂ© ; preuve directe ou psychologique de la libertĂ©. â Dâun argument de Kant contre la libertĂ©. â La loi de causalitĂ© ne domine pas le pouvoir de vouloir ou la libertĂ©; elle ne rĂ©git que les phĂ©nomĂšnes, et elle s'arrĂȘte devant Dieu et devant riiommefĂź. â La libertĂ© est placĂ©e entre la sensibilitĂ© et la raison; sollicitĂ©e par Tune, obligĂ©e par lâautre. â La libertĂ© se distingue 1° du dĂ©sir; 2° de la productivitĂ© ou du pouvoir dâagir 3 . Quand on porte une analyse sĂ©vĂšre dans les phĂ©nomĂšnes de conscience, on arrive Ă dĂ©gager du sein du sentiment un Ă©lĂ©ment idĂ©al. Le carac- 1 Voyez» Fragmens philosophiques, programme de 1817, page 253 premiĂšre Ăšiiilio Q . 2 Voyez, Fragmens philosophiques Du premier et du dernier fait de conscience, page'347 ihid . 3 Voyez, Frigmet-s philosophiques, programme de 1817, pitpe* Ăź5o ihid. 3^4 TRENTE-SEPTIĂME LEĂON. tĂšre du sentiment câest dâĂȘtre conditionnel ; le caractĂšre de lâidĂ©e câest dâĂŽtreubsolue. La raison, en prĂ©sence de certaines propositions, les reconnaĂźt comme vraies dans tous les temps et dans tous les lieux, et ne peut pas les dĂ©pouiller de leur universalitĂ© et de leur nĂ©cessitĂ©. Câest lĂ que se trouve lâabsolu. Cependant on en conteste lâexistence, et lâon se fonde sur son caractĂšre mĂȘme de nĂ©cessitĂ©. Comment parvenez-vous, nous dit-on, Ă Ă©tablir quelque chose'dâabsolu? Ne dites-vous pas que le moi est forcĂ© de reconnaĂźtre telle ou telle vĂ©ritĂ© ? Or, ne vous apercevez-vous pas que ce que vous prenez pour une rĂ©alitĂ© objective nâest que la forme de votre esprit, et que la nĂ©cessitĂ© oĂč vous ĂȘtes de concevoir telle ou telle vĂ©ritĂ© est purement subjective. Nous avons dĂ©jĂ rĂ©pondu Ă cette objection quand nous nous occupions de constater lâexistence de lâabsolu en gĂ©nĂ©ral ; il nâest pas inutile de reproduire notre rĂ©ponse Ă propos de lâabsolu moral en particulier. Sans doute la conception nĂ©cessaire dâun principe le subjelive, pour ainsi dire, et lâengage dans la relativitĂ© du moi humain. Niais la conception nĂ©cessaire est une conception rĂ©llĂ©eliie ; elle suppose donc une apereeption antĂ©rieure. Cette apercep- tion est pure, non engagĂ©e dans les liens de la rĂ©flexion, saris mĂ©lange du moi humain, qui est un Ă©lĂ©ment rĂ©flĂ©chi. La raison aperçoit la vĂ©ritĂ©; quand cette aperception se rĂ©flĂ©chit dans la con- DL BIEN. 3^5 science, le je intervient ; mais la raison sâest dâabord dĂ©veloppĂ©e sans le je. 11 en est de la raison comme de la sensibilitĂ©; si cette derniĂšre ne se redoublait pas dans la conscience , il n ây aurait paS sensation, nous nâarriverions pas Ă dire je sens. Avant cette sorte de rĂ©percussion de la raison et de la sensibilitĂ© dans la conscience, lâune et lâautre sont impersonnelles. La vie intellectuelle et 1^ vie sensible pourraient, Ă la rigueur, marcher sans la conscience ce. nâest pas la conscience de la mĂ©moire qui fait que je me souviens. Ainsi, avant la vie rĂ©flĂ©chie est une vie spontanĂ©e , oĂč le moi ne sâaperçoit pas lui-mĂȘme, oĂč il nâexiste mĂȘme pas, car câest la rĂ©flexion qui le fait ĂȘtre, et oĂč, par consĂ©quent, il ne peut ni conditionner in suojecti- ver la vĂ©ritĂ©. LâĂ©quation de Kant entre raison et raison humaine, est donc vicieuse. Dans sa critiquĂ© de la raison pure, il ne sâest pas Ă©levĂ© jusquâau vrai principe de la pure raison. Pour sortir du cercle vicieux dans lequel est enfermĂ©e la logique, il faut dĂ©passer le point de vĂŒe rĂ©flĂ©chi oĂč la vĂ©ritĂ© est tombĂ©e dans le moi ; il faut arriver jusquâil cette aperception pure, qui nâest telle quâĂ la condition de sâignorer elle-mĂȘme; dĂšs que le moi en a conscience elle nâest plus. On ne peut donc lu saisir en quelque sorte que de profil, et tout ce quâon en sait câest quelle a existĂ©. Ainsi il arrive quelquefois, dans la chaleur dâune dispute, quon aperçoit une vĂ©ritĂ© sans songer Ă Ă©lever ou Ă rejeter aucune 376 TRENTE-SEPTIĂME LEĂON. des objections qui peuvent ĂȘtre faites contre elle. Il y a lĂ une affirmation sans nĂ©gation, une conception pure sans caractĂšre de nĂ©cessitĂ©. Ni les langues ni la logique ne peuvent donner une idĂ©e exacte de ce phĂ©nomĂšne, car elles sont au point de vue rĂ©flĂ©chi, et par consĂ©quent Ă un point de vue qui contient dĂ©jĂ de la nĂ©gation, câest-Ă -dire qui possibilitĂ© de mettre la vĂ©ritĂ© en doute et la subjective. Quand vous rĂ©flĂ©chissez Ă une vĂ©ritĂ©, vous ne pouvez pas ne pas nier le contraire; dans ce cas, l'allu mation suppose la nĂ©gation, etrĂ©ciproquement. Mais antĂ©rieurement, sâest accomplie une aperception pure, encore une fois, une allirmation sans nĂ©gation. Ainsi, dans lâĂ©tat prĂ©sent de notre vie intellectuelle , nous disons je ne puis pas ne pas croire quâil faut ĂȘtre fidĂšle Ă lâamitiĂ©; et si lâon me conteste cette proposition , je nâaurai Ă fournir, pour rĂ©ponse, que la nĂ©cessitĂ© oĂč je me trouve dâadmettre cette vĂ©ritĂ©; mais antĂ©rieurement jâai dĂ©butĂ© par cette aperception pure il est bien dâĂȘtre fidĂšle Ă lâamitiĂ©. Câest une intuition de quelque chose de vrai en soi-mĂȘme et nou de vrai relativement Ă moi ; câest lĂ le vĂ©ritable absolu moral, la vraie base scientifique. La science morale est donc possible. On voit que la distinction du bien et du mal moral est antĂ©rieure Ă lâobligation; en eflĂȘt, il faut que la vĂ©ritĂ© existe avant quelle oblige le moi. Lâobligation est donc fondĂ©e sur lâidĂ©e du bien et DU BIEN. 077 du mal, loin que lâidĂ©e du bien et du mal soit fondĂ©e sur lâobligation. TantĂŽt la vĂ©ritĂ© est purement spĂ©culative, et elle oblige le moi seulement Ă la croire ; tantĂŽt elle demande Ă ĂȘtre rĂ©alisĂ©e par lâaction, et elle oblige le moi Ă la pratiquer. Il nây a donc pas en nous deux facultĂ©s, lâune pour la morale, lâautre pour la vĂ©ritĂ©, car la vĂ©ritĂ© est une. Lâobligation repose sur le rapport de la raison et de la libertĂ©. Câest ici quâintervient lâidĂ©e de loi. La loi suppose deux termes corrĂ©latifs; lĂ oĂč il 11ây a pas de libertĂ© il nây a pas de loi, et il nây a pas de loi non plus lĂ oĂč il nây a pas quelque chose de supĂ©rieur Ă la libertĂ©. La meilleure preuve indirecte de la libertĂ©, câest la loi ; car si la loi suppose un Ă©lĂ©ment souverain et absolu, elle suppose aussi un Ă©lĂ©ment libre qui puisse se conformer Ă la raison. Mais ce nâest lĂ quâune preuve indirecte; avec, cet argument, je crois aussi bien Ă votre libertĂ© quâĂ la mienne. Sâil nâexistait pas dâautre preuve, le moi nâaurait pas conscience de sa libertĂ©, câest- Ă -dire de lui-mĂȘme. Ă la preuve logique il sâajoute donc une preuve psychologique. Kantâa Ă©levĂ© contre la libertĂ© un argument quâil est bon dâexaminer ici tout fait, ditâĂŒÂ» sup- .pose une cause; la dĂ©termination de la volontĂ© est un lait, elle a donc une cause qui aura une cause elle-mĂȘme, et ainsi Ă lâinlini, ce qui constitue la fatalitĂ©. Tout fait suppose une cause cela est 3^0 TRENTE-SEPTIĂME LEĂON, vrai, si lâon entend par fait un phĂ©nomĂšne qui Commence dâexister. Ainsi, je produis un mouvement, ce phĂ©nomĂšne a pour cause la contraction du muscle'; cette contraction est Ă son tour un phĂ©nomĂšne causĂ© par lâaction du nerf, et cĂ«tte action est produite par la dĂ©termination ou par la volition; jusquâici nous sommes dans lâordre dĂ©s phĂ©nomĂšnes qui commencent et qui finissent, qui naissent et meurent, qui passent pour revenir et reviennent pour passer encore. La dĂ©termination ou la volition est un phĂ©nomĂšne de ce genre; mais elle nâa pas dâautre cause que le pouvoir de vouloir, qui est permanent dans le moi, qui ne sâĂ©teint pas pour renaĂźtre, qui ne renaĂźt pas pour sâĂ©teindre, en un mot, qui ne passe pas. Si ce pouvoir a commencĂ© , câest ce que nous ne pouvons dĂ©terminer ici ; toujours est-il que nous ne le voyons' pas commencer, et quâen consĂ©quence il nâest pas un phĂ©nomĂšne. Le pouvoir de vouloir est ce que nous appelons la libertĂ©, il existe dans lâhomme et en Dieu. Le principe de causalitĂ©, qui ne domine que les phĂ©nomĂšnes, expire donc devant Dieu et devant lâhomme. Le pouvoir de vouloir nâest pas susceptible de plus ou de moins quand on parle dâune volontĂ© plus ou moins forte, plus ou moins Ă©nergique, on confond la vo- * lontĂ© avec la passion qui lâaccompagne. Le principe de causalitĂ© ne comprend pas le moi humain. Le MOI ne serait plus une personne, mais une DU BIEN. 3 79 chose, si la libertĂ© commençait et finissait comme les phĂ©nomĂšnes. libertĂ© humaine est placĂ©e entre le monde extĂ©rieur et la raison le monde extĂ©rieur la sollicite, la raison lâoblige ; le premier lui fournit des mobiles, la seconde lui donne un motif. La libertĂ© est le pouvoir de rĂ©sister Ă ces mobiles ou de les suivre, comme de mĂ©connaĂźtre les motifs rationnels ou de leur obĂ©ir. Le dĂ©sir doit ĂȘtre soigneusement distinguĂ© de la volontĂ© ou de la libertĂ© le dĂ©sir se. fait en moi sans moi. A proprement parler, ce nâest pas moi qui dĂ©sire, câest la sensibilitĂ© en moi je ne suis pas responsable de mes dĂ©sirs, je le suis de mes volontĂ©s. La volontĂ© nâa pouf cause quâelle- mĂȘme ; ni les mobiles ni les motifs ne 1 entraĂźnent fatalement, car elle peut leur rĂ©sister, et câest en cela que consiste son mĂ©rite. Dans le phĂ©nomĂšne de la dĂ©libĂ©ration, la libertĂ© Ă©clate plus haut encore si lâagent hĂ©site , câest quâil est libre. On a dit que quand nous nous dĂ©terminons aprĂšs dĂ©libĂ©ration , câest lâun des deux poids de la balance qui lâemporte sur lâautre mais le motif rationnel, ou lâidĂ©e du devoir Ă©tant purement immatĂ©riel, n e peut agir physiquement ni se comparer Ă un. poids ; il en est de mĂȘme du dĂ©sir sensible. Remarquez quâil ne faut pas confondre la libertĂ© avec la productivitĂ© quelquefois la volition ne peut accomplir son acte; elle est impuissante, ou Ă mouvoir le corps , ou Ă gouver- 38o TRENTE-SEPTIĂME LEĂON, ner la pensĂ©e ; mais le pouvoir rie vouloir nâen a pas moins Ă©mis librementfĂżvolition. La libertĂ© existe clans ce cas, seulement elle ne se manifeste pas au dehors. Mettez un homme dans les fers ~ i} peut encore ĂȘtre libre , car il peut disposer de ses voĂ»tions. Que je forme le projet dâaccomplir demain tel ou tel acte, lors mĂȘme quâun obstacle matĂ©riel viendrait me rĂ©duire Ă lim- puissance, je nâen ai pas moins aujourdâhui formĂ© librement ma rĂ©solution, et la vĂ©ritable libertĂ© est dans ce rapport indissoluble de la volition au pou-; voir de vouloir.. La libertĂ© est donc toute intĂ©rieure et toute immatĂ©rielle. A la volition commence la sĂ©rie des causes secondes et des eflĂȘts ; mais au-dessus de la volition est la volontĂ©, cause premiĂšre sur laquelle lien nâagit, cause qui se sulht Ă elle-mĂȘme, cause qui nâest pas effet. ut JUEN. 3b i vv\ V\\l\lUA VVXIVXW\ i\iWlVWl'VUV\ WV W\ I VWWV% , WVV\ v\\vv\ TRENTE-HUITIĂME ET DERNIĂRE LEĂON. Le principe le substance limite le principe de causalitĂ©, donc la libertĂ© existe. â La libertĂ© , Ă©tant placĂ©e entre la sensibilitĂ© et la raison, doit abandonner la premiĂšre et rester idĂšlc h la seconde, qui seule est obligatoire.' â Premier devoir de la libertĂ© se maintenir libertĂ©; rĂ©sister aux choses-ensibles et sâunir Ă .a vĂ©ritĂ©, qui est la loi de la libertĂ©. â DeuxiĂšme devoir Ă©clairer la raison pour mieux dĂ©couvrir la vĂ©ritĂ© morale; sâimposer toutes les a. tionsqui pourraient devenir loi gĂ©nĂ©rale i. â La VcritĂ© morale, commetoute autre vĂ©ritĂ©, rĂ©side en Dieu. â Il y a donc, une lasc absolue de la morale. â. Lâontologie est donnĂ©e dans la psychologie a. â Des attributs de Dieu 31. â La religion est le sommet et non la base de la moi ale 4. â Conclusion. Il y a du bien et du mal, donc il y a obligation; ily a obligation, donc il y a libertĂ©. Le moi câestlâacti- 1 Voyez, Fracmens philosophiques, programme de 1817, pages 249. a 5 o premiĂšre Ă©dition. 2 Voyez , Fragmens philosophiques, prĂ©face , page xxxix ibu !. , et programme de 1818, page 290. 3 Voyez, ibid., programme de 1817, pages a 55 et suiv. ibid. r 4 ' Voyez ibid., page 24G 382 TRINTK-HL'ITIĂMK LEĂON. vitĂ© indĂ©pendante, volontaire, libre la conscience nous lâatteste, et quand mĂȘme nous ne pourrions pas rĂ©soudre les objections extĂ©rieures quâon Ă©lĂšverait contre ce tĂ©moignage, il nâen subsisterait pas moins; les objections prouveraient contre la science et non pas contre la libertĂ©. Lâobjection capitale ressort du principe de causalitĂ© mais ce principe sâarrĂȘte devant la libertĂ©. Le principe de substance limite le principe de causalitĂ© la substance est cette inconnue au delĂ de laquelle il nây a rien relativement Ă lâexistence. Le principe de substance domine donc le principe de causalitĂ©, qui est restreint au champ des phĂ©nomĂšnes ; ce dernier enveloppe les causes qui produisent, mais il nâatteint pas celles qui veulent produire; il ne nous donne pas des causes intelligentes , car nous ne serions pas encore sortis de la mythologie; il nous fournit des cftuses matĂ©rielles, comme celles dont le monde est peuplĂ©. CâĂ©tait une induction illĂ©gitime qui nous avait fait transporter la cause intentionnelle au dehors de nous; nous en dirions autant de lâinduction , qui nous ferait reporter en nous la cause matĂ©rielle. Dans le premier cas il nây a plus que des personnes, dans le second il nây aurait plus que des choses. Il laut donc laisser vivre Ă cĂŽtĂ© lâun de lâautre le principe de libertĂ© et le principe de causalitĂ©, chacun dans la sphĂšre qui lui appartient, lâun au dedans, lâautre au dehors, le premier dans la substance et le second dansles phĂ©nomĂšnes. DU BIEN. 383 La libertĂ© existe donc, elle est une consĂ©quence de lâidĂ©e du bien moral, et elle doit se rattacher Ă sĂŽn principe. La position humaine est celle-ci dâun cĂŽtĂ©, les choses sensibles dâoĂč viennent les sensations qui constituentle bonheur placĂ© dans cette vie ou dans la vie future, et qui est toujours du bonheur ou de la sensibilitĂ©; de lâautre cĂŽtĂ©, la vĂ©ritĂ© morale absolue Ă©clairant la raison et obligeant la libertĂ©. La libertĂ© doit donc rĂ©sister aux choses sensibles ; autrement elle sâabdiquerait elle-mĂȘme, elle irait contre sa loi, qui est le bien moral. Elle ne doit pas se laisser pousser au bien par lâintĂ©rĂȘt sensible, mais elle doit sây dĂ©terminer dâelle-mĂȘme. Ainsi, le premier devoir de la libertĂ© câest de rester libertĂ© et de se prĂ©server de lâempire des choses. Son second devoir câest dâĂ©clairer et d agrandir sa raison, qui lui rĂ©vĂšle la vĂ©ritĂ© morale. Heureux les individus et les pleuples qui, sachant quâils ne sont pas des choses, connaissent les rapports de la libertĂ© Ă la raison et 'Ă la vĂ©ritĂ© ! Malheureux ceux qui, reconnaissant leur libertĂ©, ne savent pas lâusage quâils en doivent faire. Ils se renferment dans les limites de leur libertĂ©, et se bornent Ă une vie nĂ©gative; tel Ă©tait le stoĂŻcisme. Cette morale est sans doute supĂ©rieur!; Ă celle du bonheur, mais elle nâest pas la vraie morale ; il faut mettre la libertĂ© en rapport avec la raison, c est-Ă - dire avec la vĂ©ritĂ©. Ainsi i » ne rien faire quâavec la conscience du dĂ©sintĂ©ressement, câest-Ă -dire, se dĂ©- 364 TRENTE-HUITIĂME LEĂOX. tacher des choses sensibles; 2° sâapprocher aussi prĂšs que possible de la vĂ©ritĂ© morale absolue, en sâimposant toutes les actions qui pourraient faire lâobjet dâune lĂ©gislation universelle, en dâautres termes, soumettre chacun de nos actes Ă ce critĂ©rium pourrait-il'servir de rĂšgle Ă©ternelle? telle est la double loi de la libertĂ©. Nous avons donc constatĂ© lâexistence de la vĂ©ritĂ© morale absolue , ou de lâidĂ©e absolue du bien. Si lâon se rappelle les dĂ©veloppemens auxquels nous nous sommes livrĂ©s sur lâorigine des idĂ©es absolues, on sera convaincu que cetteidĂ©e nâest pas subjective ; quâavant le point de vue rĂ©flĂ©chi cpii engage la vĂ©ritĂ© dans la sphĂšre du moi , est une aperceplion spontanĂ©e et fugâtive, une affirmation sans nĂ©gation, oĂč le moi ne sâaperçoit pas lui- mĂȘme , et oĂč la raison demeure impersonnelle. Nous avons ainsi considĂ©rĂ© le rapport de la vĂ©ritĂ© avec lâhomme ; il nous reste Ă revenir sur le rapport de lâhomme avec lâĂȘtre infini ou avec Dieu. La question Ă rĂ©soudre est celle-ci nây a-t-il ou nây a-t-il pas de Dieu en morale ? Comment passerons-nous de cette idĂ©e il faut ĂȘtre fidĂšle Ă ses sermens, Ă cette autre toute vĂ©ritĂ© rĂ©side dans un ĂȘtre substantiel qui les contient. Pour nous assurer de la lĂ©gitimitĂ© de ce passage, il faut que la psychologie devienne logique , c.âest-Ă - dire, quâelle se prenne pour objet de son examen , efir la ogique nâest quâun retour de la psychologie DW BIEN. 385 sur elle-mĂȘme. Nous lâavons dĂ©jĂ dit plusieurs fois le premier moment de la vie intellectuelle contient lâidĂ©e du moi, celle du non-moi et celle de lâĂȘtre indĂ©terminĂ© ; le second moment sâĂ©lĂšve Ă la conception des idĂ©es abolues du vrai, du beau et du bien, qui sont indĂ©pendantes du moi et de la nature extĂ©rieure. Le troisiĂšme moment rattache ces idĂ©es Ă la source dâoĂč elles Ă©manent, au fond qui les soutient, Ă lâĂȘtre substantiel et infini dont la raison conçoit lâexistence, mais dont elle sâinterdit de sonder la nature. LorsquâaprĂšs avoir conçu une vĂ©ritĂ© comme idĂ©e, vous concevez quâelle existe, vous la rattachez ainsi Ă la substance Ă©ternelle ; celui qui conçoit la vĂ©ritĂ© conçoit donc la substance, quâil le sache ou quâil lâignore. Dans le point de vue actuel de lâesprit humain , par la force de 1 abstraction nous pouvons sĂ©parer lâidĂ©e et letre; mais., dans le point de vue primitif, lâidĂ©e et letre ne sont pas dĂ©sunis. Pour savoir-si quelquâun croit en Dieu, je lui demanderai sâil croit Ă la vĂ©ritĂ©. DâoĂč il suit quâil nây a point d'athĂ©e, que la thĂ©ologie naturelle nâest que lâontologie , e t q Ue lâontologie elle-mĂȘme est donnĂ©e dans la psychologie. La vraie religion nâest que ce mot ajoutĂ© Ă lâidĂ©e de la vĂ©ritĂ© elle est. C est en rattachant ainsi toutes les ventĂ©s Ă lâĂȘti'e substantiel, quâon arrive Ă dĂ©couvrir sa bontĂ©, sa justice, et enfin tous ses attributs moraux. Prenons pour exemple lâattribut de rĂ©munĂ©rateur. a5 386 TRENTE-HUITIĂME LEĂON. Pour dĂ©montrer lâimmortalitĂ© du lâĂąme, on sâest principalement arrĂȘtĂ© Ă lâargument suivant la mort est une dissolution de parties; or, lâĂąme est une substance simple et indivisible donc PĂąme ne peut pĂ©rir. Cet argument nâest pas sans valeur, car nous devons distinguer la vie de lâexistence la vie ,. c'est le phĂ©nomĂšne qui passe ; lâexistence, câest la substance qui ne passe pas ; rien cle ce qui est vĂ©ritablement ne peut passer. Mais lâimmortalitĂ© de lâĂąme peut se dĂ©montrer encore de la maniĂšre suivante il y a une vĂ©ritĂ© morale qui nous enseigne que la vertu mĂ©rite le bonheur comme rĂ©compense, et que le crime mĂ©rite le malheur comme chĂątiment ; cette vĂ©ritĂ© est absolue, elle Ă©gale en Ă©vidence cette autre vĂ©ritĂ© le crime nâest pas la vertu. Dans ce monde, la libertĂ© se voit sans cesse combattue par la causalitĂ© extĂ©rieure ; le bonheur est en contradiction avec la vertu. Ce dĂ©saccord est nĂ©cessaire la vertu nâexiste quâĂ la condition du sacrifice. 11 nây aurait quâun moyen de dĂ©truire le mal physique ce serait de dĂ©truire la vertu. La souffrance a sa raison dans la moralitĂ© de la rĂ©signation et du courage. Mais si tout cela est vrai, il est vrai aussi que lâharmonie entre le bonheur et la vertu doit se rĂ©tablir un jour. Cette vĂ©ritĂ© morale absolue, indĂ©pendante de lâesprit humain qui la conçoit, ne peut pas ĂȘtre indĂ©pendante de lâĂȘtre "infini toute idĂ©e absolue est rapportĂ©e par nous Ă la substance Ă©ternelle. ĂNous ne dirons DU BIEN. 387 donc pas que cette vĂ©ritĂ© sâimpose Ă Dieu, mais quâelle rĂ©side en Dieu, que Dieu en est le fond et la substance ; et câest ainsi que nous arrivons Ă lâidĂ©e de Dieu rĂ©munĂ©rateur et vengeur. Cette idĂ©e est le terme le plus Ă©levĂ© de toute religion. Ainsi la religion est le sommet et non la base de la morale. La vie intellectuelle passe par ces trois phases diffĂ©rentes 1 0 idĂ©e de lâagrĂ©able ou du contingent ; 2 0 idĂ©e de lâabsolu en morale ; 3 ° idĂ©e absolue rattachĂ©e Ă lâĂȘtre qui la soutient. Ces trois phases peuvent se formuler ainsi 1 0 plaisir; 2 0 moralitĂ© et devoir; 3 ° espĂ©rance. Le devoir ne dĂ©rive pas de lâespĂ©rance, câest lâespĂ©rance qui dĂ©rive du devoir. Sur la foi du principe de mĂ©rite ou de dĂ©mĂ©rite, lâhomme peut espĂ©rer une vie de bonheur ; mais ce nâest pas de cette sourfce que dĂ©coule son devoir, câest de lâidĂ©e absolue'du bien moral. Ainsi, nous avons rĂ©solu, pour lâ bien en particulier, la question dont nous avions dĂ©jĂ prĂ©sentĂ© la solution pour lâidĂ©e du vrai en gĂ©nĂ©ral et P°ur lâidĂ©e du beau. Au-dessus du moi et de la nature physique, lâhomme conçoit des idĂ©es absolues, indĂ©pendantes de lâun et de lâautre. Mais, .sous le contingent, lâhomme aperçoit dĂ©jĂ letre dâune maniĂ©rĂ© confuse ; il ne peut pas ue pas lâapercevoir sous les idĂ©es absolues tout est de lâĂȘtre, car lâĂȘtre est tout. Câest lĂ le secret de l'imitĂ© fondamentale de la conscience humaine. LâidĂ©e du bien est donc 388 TKENTE-HUITIEME LEĂON, semblable Ă lâidĂ©e du beau, Ă lâidĂ©e du vrai, qui les comprend lâune et lâautre; elles sont la manifestation , pour ainsi dire, visible de lâinvisible unitĂ©, de cet ĂȘtre que nous ne pouvons contempler face Ă face , mais dont nous concevons lâexistence, de la substance premiĂšre et derniĂšre, universelle et Ă©ternelle , en un seul mot, de lâinfini. JNous avons fourni la carriĂšre que nous nous Ă©tions proposĂ© de parcourir. Les Ă©coles du dernier siĂšcle, en possession de la vĂ©ritable mĂ©thode philosophique ou de lâanalyse de la pensĂ©e, nous paraissaient nâavoir pas tirĂ© de cette mine fĂ©conde tous les trĂ©sors quâelle contient. Nous y avons dĂ©couvert les idĂ©es absolues du vrai, du beau et du bien; nous avons dĂ©crit ces idĂ©es telles quelles se trouvent dans lâintelligence humaine dĂ©veloppĂ©e, et ce nâest quâaprĂšs avoir sondĂ© lâĂ©tat actuel de lâesprit humain que nous nous sommes hasardĂ©s Ă la dĂ©couverte de lâĂ©tat primitif. Nous nous sommes mis, encore sous ce point de vue, en contradiction avec les Ă©coles du dix-huitiĂšme siĂšcle, qui dĂ©butaient par imaginer Ă leur grĂ© un Ă©tat primitif de lâintelligence , et arrivaient, dâhypothĂšse en hypothĂšse, jusquâĂ lâĂ©tat actuel quelles faisaient plier sous leur systĂšme fictif de lâorigine des idĂ©es. En constatant dâabord lâĂ©tat prĂ©sent de lâesprit humain , nous nous sommes Ă©tablis sur un terrain solide, accessible Ă lâobservation, et en examinant ce que cet Ă©tat prĂ©suppose avant lui, nous avons pris DU BIEN. 38 9 la voie la plus sĂ»re pour arriver Ă lâĂ©tat primitif. Nous avons donc traitĂ© des caractĂšres actuels de nos idĂ©es, avant dâaborder la question de leur origine et de leur formation. Nous avons vu qu il j a dans lâespiâit humain, au moment oĂč il peut sâobserver lui-mĂȘme, lâidĂ©e du vrai, du beau et du bien; que ces trois idĂ©es sont marquĂ©es des caractĂšres de nĂ©cessitĂ© et dâuniversalitĂ©, câest-Ă -dire, quelles nous imposent une croyance que nous ne pouvons pas rejeter, et quelles nous paraissent sâappliquer, non Ă tel ou tel cas particulier, mais Ă tous les cas possibles. Nous avons montrĂ© que la croyance nĂ©cessaire dans laquelle le moi sâapparaĂźt Ă lui-mĂȘme comme enchaĂźnĂ© sous le joug de la vĂ©ritĂ©, et qui, en consĂ©quence, est un phĂ©nomĂšne rĂ©flĂ©chi, prĂ©suppose un phĂ©nomĂšne spontanĂ©, irrĂ©flĂ©chi, impersonnel, exempt de tout caractĂšre subjectif, et nous avons donnĂ© Ă ce phĂ©nomĂšne le nom dâaperception pure. Nous avons fait voir que lâidĂ©e absolue, avant de se manifester Ă nous comme un type universel , nous avait Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e dans Un fait particulier, et que cette vue concrĂšte sâĂ©tait sous-divisĂ©e aussi en deux momens le moment rĂ©flĂ©chi ou la croyance nĂ©cessaire, et le moment spontanĂ© ou lâaperception pure. Ainsi, la croyance nĂ©cessaire a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©e dâune intuition pure, et lâidĂ©e universelle a succĂ©dĂ© Ă lâidĂ©e particuliĂšre. En consĂ©quence, lâĂ©tat primitif est double il contient une idĂ©e dâabord pure et ensuite nĂ©- âą ^ * *- 3ç0 TRENTE- HDi ĂŻ IĂ W E LEĂO'N. cessaire du vrai, du beau et du bien, engagĂ©s dans telle ou telle circonstance particuliĂšre. LâĂ©tat dĂ©finitif ou actuel est Ă©galement double il renferme une idĂ©e pure d abord, et ultĂ©rieurement nĂ©cessaire du vrai, du beau et du bien, dĂ©gagĂ©s de tout fait relatif et particulier. Il nous restait Ă indiquer comment se franchit le passage de lâĂ©tat primitif Ă lâĂ©tat ultĂ©rieur, et nous avons fait voirâ que câest Ă lâaide dâune opĂ©ration intellectuelle, que nous avons appelĂ©e abstraction immĂ©diate. Ainsi, les idĂ©es absolues ont leur origine dans une idĂ©e particuliĂšre et concrĂšte, et leur formation, sâaccomplit par lâabstraction. Nous ne nous sommes pas contentĂ© de donner une Ă©numĂ©ration aussi complĂšte quâil nous a Ă©tĂ© possible, des idĂ©es actuelles de lâesprit humain, et de remonter pas Ă pas et avec prĂ©caution jusquâĂ leur premiĂšre origine. Nous avons essayĂ© dâen trouver le fondement, et nous avons montrĂ© comment elles sâappuient sur la substance universelle dont elles composent la seule manifestation accessible Ă lâin teUigence de l'homme. Nous avions dit au commencement que les idĂ©es nĂ©cessaires reconnues par les philosophes, et dont lâillustre Kant avait dressĂ© la liste sous le nom de catĂ©gories, pouvaient se rĂ©duire Ă lâidĂ©e de causalitĂ© et Ă lâidĂ©e de substance , et que cette .derniĂšre comprenait dans son sein lâidĂ©e du vrai, du beau et du bien. Nous avons justiiiĂ© cette thĂšse eu examinant ces trois idĂ©es absolues, et en montrant quâelles se * -i *. * âą DU BIEN. 3g i rattachent Ă la substance, comme la forme au fond, comme la qualitĂ© au sujet. Nous pouvons donc rĂ©pĂ©ter, en terminant, que lâorigine des idĂ©es absolues est un fait particulier dans lequel est aperçu simultanĂ©ment le moi et le non-moi, et qui contient, sous ces deux principes finis, une vue indĂ©cise encore de letre infini ou de la substance ; que plus tard la substance se manifeste sous trois formes absolues le vrai, le beau et le bien ; que ces trois formes sont dâabord enveloppĂ©es dans un fait concret et particulier ; mais que peu Ă peu elles se dĂ©veloppent et arrivent Ă un Ă©tat dâuniversalitĂ© qui les rapproche de plus en plus de la substance infinie dâoĂč elles viennent et oĂč elles retournent. Ainsi, dĂšs la premiĂšre de nos pensĂ©es, nous sommes dĂ©jĂ en rapport avec lâĂȘtre universel, mais dâune maniĂšre si confuse et si vague, que le monde, phĂ©nomĂ©nal, le moi et le non-moi, nous prĂ©occupent et nous absorbent ; lâĂȘtre nous apparaĂźt bientĂŽt avec plus de nettetĂ© sous les formes absolues du vrai, du beau et du bien; mais longtemps lâhumanitĂ© se contente des formes, et ne pĂ©nĂštre pas jusquâau fond qui les soutient ; enfin ce dernier progrĂšs sâaccomplit, et la vie intellectuelle est complĂšte. FIN Ci Nauer-lalor Buchbindert ZĂRICH HottingerstrassĂȘ 67 *.i * âą & * » ; ⊠âą'âąÂŁâą> VA -;rfj fj !* , *âą / i? i- il r&? v» 1 ;* fc> V >1^ ;V f/*
Lebonheur est un bien qui se multiplie lorsqu'il est divisé. Citation d'internaute. Lume. Accueillante Scolaire, Travaux Manuels, Belgique, Gembloux, 1951 Vous aussi, créez votre propre citation ! Vous avez inventé une citation et souhaitez la publier sur le site ? Nous vous proposons de créer votre propre citation directement en ligne. Vous pourrez ensuite télécharger l'image de
Bonjour Lâamour est le principe qui crĂ©e et soutient les relations humaines avec profondeur et dignitĂ©. Lâamour spirituel transporte lâĂȘtre dans un silence qui a le pouvoir dâunir, de guider et de libĂ©rer les ĂȘtres. Lâamour est la vĂ©ritable source dâĂ©galitĂ©. Lâamour est le catalyseur du changement, du dĂ©veloppement et de la rĂ©ussite. L'amour nâest pas simplement un dĂ©sir, une passion, un sentiment intense envers une personne ou un objet, mais un niveau de conscience Ă la fois altruiste et riche en rĂ©alisation personnelle. Lâamour peut avoir pour objet un but spĂ©cifique, la vĂ©ritĂ©, la justice, lâĂ©thique, les ĂȘtres humains, la nature, le service des autres, Lâamour dĂ©coule de la vĂ©ritĂ©, câest-Ă -dire de la sagesse. Lâamour fondĂ© sur la sagesse est lâamour rĂ©el, et non lâamour aveugle. Et dĂ©couvrir les secrets de lâamour, câest regarder se dĂ©rouler les secrets de la vie. On ne peut pas vivre sans amour Sans amour, la vie n'est que la vie On ne peut pas vivre sans amour Sans lui, le cĆur se meurt d'ennui Je trouve qu'un amour est d'autant plus beau lorsque l'on ne perd pas la raison, lorsqu'on n'agit pas de maniĂšre excessive au risque de le regretter un jour. Lorsque notre tĂȘte et notre coeur s'accordent pour dire "je t'aime". Tout le monde est capable de vivre une passion intense et Ă©phĂ©mĂšre, mais est ce que tout le monde peut expĂ©rimenter l'amour profond, que l'on peut contempler Ă souhait, en toute luciditĂ© et sĂ©rĂ©nitĂ© Belle journĂ©e EN SAVOIR PLUS >>> Bonjour, L'amour est comme la multiplication des pains, plus on en donne plus on en a Ă donner. Mais il faudrait une explication philosophique pour laquelle le site ne laisse pas assez de place. Il est dit que l'amour est un commandement! Or si une chose ne se commande pas, c'est bien le sentiment. Donc l'amour n'est pas d'abord un sentiment,mĂȘme s'il est souhaitable que le sentiment l'accompagne. Cela vous semble Ă©trange? Pourtant cela se dĂ©montre par la mĂ©taphysique partie de la philosophie qui Ă©tudie les premiers principes,et l'ontologie, l'ĂȘtre en tant qu'ĂȘtre. L'amour Ă©tant le don de soi, il est un acte commandĂ© par la volontĂ© libre de la personne et ce don peut, dans certaines formes d'amour qui est une notion analogique ĂȘtre comme portĂ© par le sentiment. Cet acte librement volontaire, ce choix, n'est pas toujours conscient. L'enfant, d'emblĂ©e aimesa mĂšre et inversĂ©ment sauf exceptions. Selon son degrĂ© analogique, tel type d'amour ne peut ni se diviser ni se pultiplier ainsi en est-il de l'amour dĂ» Ă Dieu et parallĂšlement, de l'amour conjugal qui est exclusif. Mais le fait d'aimer celui que l'on Ă©pouse n'exclut pas l'amour envers les parents, les amis, les dĂ©munis. Cette diversitĂ© n'est pas une division mais des 'directions' multiples, donc la notion de l'amour est du type analogique Ă la fois quelque chose de commun en sa racine et quelque chose de diffĂ©rent en sa concrĂ©tisation par rapport Ă son objet. Il n'est pas non plus une multipication, mĂȘme s'il y a multiplicitĂ©. La multiplication serait, si elle Ă©tait possible, d'aimer plusieurs Ă©poux Ă la fois. Mais cette hypothĂšse serait la mort radicale de l'amour, trahison envers la force d'aimer, sous toutes ses formes analogiques, qui croĂźt et qui croĂźt d'autant plus qu'on en use. C'est pourquoi, la thĂ©ologie classe l'amourla CharitĂ© parmi les Vertus thĂ©ologales, celles qui ont Dieu pour origine et pour fin. Ici aussi il faudrait une longue explication, pour laquelle je n'ai pas la place. D'ailleurs il se peut que pour des raisons dont on pourrait discuter, vous pensiez que Dieu n'existe pas. C'est votre libertĂ©. Mais il est aussi dit que 'la vĂ©ritĂ© vous rendra libre'! Peu importent en pratique la philosophie et la thĂ©ologie l'amour ne se divise pas il est exclusif dans le cas du couple, mais infiniment extensible dans le cas des autres, amis et mĂȘme l'on s'aperçoit en pratique que plus notre vie est riche d'amour, en ses divers degrĂ©s, plus on est en mesure d'aimer encore davantage. Je vous souhaite une vie trĂšs riche en amour. l'amour se multiplie si les sentiments sont rĂ©ciproques. se divise si on ne reçoit pas l'amour qu'on a besoin; il se pourrait qu'il s'Ă©teint complĂštement au fil du temps C'est surtout un sentiment qui se savoure pleinement! L'amour est un sentiment qui n'a pas de calcul.
Quil n'y ait pas de divisions parmi vous, mais soyez parfaitement unis dans le mĂȘme Ă©tat dâesprit et dans la mĂȘme pensĂ©e. 1 Corinthiens 1:10 communautĂ© famille changement Si j'ai le don de prophĂ©tie, la comprĂ©hension de tous les mystĂšres et toute la connaissance, si j'ai mĂȘme toute la foi jusqu'Ă transporter des montagnes, mais que je n'ai pas l'amour, je ne suis rien.
Deux stars de PĂ©kin Express saison 4 ont annoncĂ© une trĂšs grande nouvelle sur les rĂ©seaux sociaux. Ils vont enfin devenir parents !Ce dimanche 26 juin, deux stars de PĂ©kin Express saison 14 ont annoncĂ© une trĂšs bonne nouvelle sur les rĂ©seaux sociaux. En effet, Aurore et Jonathan ont annoncĂ© quâils allaient devenir parents. Aurore et moi allons ĂȘtre les heureux parents dâun petit » AprĂšs plusieurs annĂ©es Ă essayer de tomber enceinte, Aurore a finalement obtenu gain de cause. La candidate de PĂ©kin Express a annoncĂ© quâelle attendait un heureux Ă©vĂšnement avec son chĂ©ri, Jonathan. Câest sur son compte Instagram, que le candidat de PĂ©kin Express a annoncĂ© la trĂšs bonne nouvelle. Les deux se sont affichĂ©s plus heureux que jamais dans un champ de blĂ© avec des pancartes. Sur ces derniĂšres, ils ont alors Ă©crit On rĂ©colte ce que lâon sâaime ». Mais aussi 1 + 1= 3 ». En lĂ©gende de ces clichĂ©s, Jonathan a aussi laissĂ© exploser sa joie pour annoncer que sa chĂ©rie Ă©tait enceinte. Il a confiĂ© Enfin ! On ne pourra pas dire quâil nâaura pas Ă©tĂ© DĂSIRĂ ! 9 ans dâamour, 7 ans de PMA, des centaines de piqĂ»res. Beaucoup de dĂ©sillusions pour finalement vous annoncer, avec beaucoup dâĂ©motions, le plus beau cadeau de notre vie ! ». Le candidat de PĂ©kin Express a aussi ajoutĂ© Aurore et moi allons ĂȘtre les heureux parents dâun petit nous qui pointera le bout de son nez pour les fĂȘtes de NoĂ«l nous ne pensions jamais dire cela un jour ». Avant de souligner aussi Quelle joie, quel bonheur, quelle chance ! Merci mon Dieu ». Par la suite, il a adressĂ© un adorable message Ă leur chien, qui est dĂ©cĂ©dĂ© il y a quelques mois. Les stars de PĂ©kin Express trĂšs heureux de cette nouvelle Jonathan et Aurore de PĂ©kin Express ont rĂ©vĂ©lĂ© Impossible pour nous de ne pas avoir une pensĂ©e Ă©mue pour notre BIBI qui nous regarde de lĂ -haut. Nous aurions tellement aimĂ© lâavoir Ă nos cĂŽtĂ©s pour vivre toutes ces Ă©motions ». Les candidats de PĂ©kin Express ont avouĂ© Lâamour ne se divise pas il se multiplie ! Et de lâamour nous en avons tellement Ă offrir Ă ce petit ĂȘtre ! Il est le fruit dâun dĂ©sir profond de parentalitĂ© qui a tout endurĂ© ». Ce voyage vers la parentalitĂ© sera notre prochain voyage, nos valises sont prĂȘtes ! Ă nous lâaventure ! Pas de sac rouge, pas dâamulettes. On a dĂ©jĂ tout gagnĂ© avec toi ! On tâaime dĂ©jĂ trĂšs fort ! ». Une chose est sĂ»re, les futurs parents nagent dans le bonheur. Dans les commentaires, de nombreux fans ont tenu Ă fĂ©liciter les aventuriers de PĂ©kin Express pour cette incroyable nouvelle. Pour les remercier, Aurore a Ă©crit en Story de son compte Instagram Je nâai pas les mots, mon cĆur dâabord dâamour, je lis vos messages avec beaucoup dâĂ©motions. Câest juste incroyable ⊠». Avant dâadmettre aussi La vie est belle, surprenante, parfois un peu folle. Mais elle vaut la peine dâĂȘtre vĂ©cu ». De son cĂŽtĂ©, Jonathan nâa jamais cachĂ© quâils avaient du mal Ă avoir un bĂ©bĂ©. Le candidat de PĂ©kin Express avait dâailleurs rĂ©vĂ©lĂ© Ă Purepeople On porte un sujet sensible. Certaines personnes nâen parlent mĂȘme pas Ă leur propre famille. Mais ce nâest pas une tare, ce nâest pas de notre faute si on nâa pas dâenfant ». Avant de conclure aussi Se montrer, assumer et dire quâon nâarrive pas Ă avoir un bĂ©bĂ©, ça a fait du bien Ă beaucoup de gens qui se sont reconnus en nous ».
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l amour ne se divise pas il se multiplie